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Photographe chilien, membre de l'agence Magnum

Sergio Larrain

Article paru dans l'édition du 15.02.12 Le Chilien Sergio Larrain, mort le 7 février à Ovalle, au nord de Santiagodu Chili, à l'âge de 81 ans, est une des plus belles énigmes de laphotographie. Car il est génial et oublié. Génial ? Cartier-Bresson leconsidérait comme un grand et l'a fait entrer à l'agence Magnum -«J'aime énormément son sens de la composition et de la poésie», a-t-ildit. Le poète Pablo Neruda l'admirait. L'écrivain argentin Jorge LuisBorges était son ami. John Szarkowski, le puissant directeur dudépartement de la photographie du Musée d'art moderne de New-York,

lui a acheté des tirages dans les années 1960. Nombre de photographes lelouangent, tel Josef Koudelka ou Martin Parr, qui a accroché une de sesphotos dans sa maison de Bristol.

Oublié ? Sa carrière est brève, car Sergio Larrain s'est retiré du mondedès la fin des années 1960. Puis il s'est installé en 1979 à Tulahuen, village accroché aux contreforts de la cordillère des Andes. Il est devenumystique, disait-on, disciple d'Oscar Ichazo, un gourou péruvienprofessant le yoga. A ses collègues de Magnum, Sergio Larrain écrivaitpourtant jusqu'à deux fois par semaine, de longues lettres sur « lavérité», envoyait des dessins représentant un triangle surmonté d'un

soleil et demandait qu'ils soient affichés dans l'agence.Sans doute était-il aussi un artiste dont la pureté du regard étaitinconciliable avec les exigences commerciales du métier de photographe.Dans une lettre au Monde, en 1991, Sergio Larrain expliquait : « Dès que je me suis mis à travailler comme un photographe, toutes les photos,tous les miracles utilisés pour produire de l'argent ont commencé àdisparaître. » 

Cette même année 1991, Arles lui consacrait une exposition, où il n'estpas venu. Gilles Baudin, correspondant du  Monde  au Chili, avait prisrendez-vous avec lui à Ovalle. « Pour me reconnaître, je porterai un pull-over jaune », avait-il écrit. Il n'est pas venu. Mais on avait appris qu'il ne vivait pas en reclus, lisait la presse, était passionné par les convulsionsplanétaires, tout en cultivant son jardin - deux hectares de vigne, d'arbresfruitiers et de légumes. Et qu'il continuait à faire des photos, pour leplaisir, et à peindre. « Il peignait extrêmement bien  », se souvenaitCartier-Bresson.

Né en 1931 à Santiago dans une famille aisée d'origine basque, passionnéde musique, Sergio Larrain se découvre une vocation d'agronome enarpentant la propriété de son grand-père. A 18 ans, il part pour la

Californie, où il s'inscrit à l'université Berkeley, département eaux etforêts. Toujours par courrier au  Monde, il expliquait : « Mon père était

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architecte. C'est dans sa bibliothèque que je me suis formé, c'est de luique j'ai hérité la passion pour les arts visuels. En 1950, en Californie, j'aiacheté mon premier Leica, et, sans y penser, j'ai appris la technique. »Quand il rentre à Santiago, sans son diplôme d'ingénieur, il a appris unmétier sur le tas : photographe.

En 1953, il expose à Santiago ses portraits furtifs d'enfants vagabondsdans la capitale, qu'on ne voit pas en Europe, mais qui le rendrontcélèbre. Il devient ensuite photographe du magazine brésilien OCruzeiro. En 1958, le British Council lui offre une bourse d'études àLondres. Il en profite pour prendre contact avec l'agence Magnum, àParis, qui l'accueille à bras ouverts. Le succès est foudroyant. SergioLarrain passe deux années à Paris où il travaille de manière régulièreavec la presse européenne, devenant membre de Magnum en 1961.

Puis il retourne au Chili, et publie deux livres importants, Un rectangle

dans la main  (1963) et  La Maison sur le sable  (1966) sur la fabuleuse villa côtière de Pablo Neruda. De l'amitié entre ces deux poètes, de larencontre entre la plume et l'objectif, est né un travail de légende. « Neruda habitait une maison dominant la baie, écrit-il.  J'ai passé des journées entières avec lui à gravir les rues et à entrer dans les magasinsd'articles pour la marine ou les librairies d'occasion. Que de trouvaillesà saisir, que de choses à regarder d'en haut »  dans le port des cap-horniers, qui se visite à la verticale. De cette collaboration, sortira unlivre, Valparaiso (Hazan, 1991).

Comme sur un navire qui tangue 

Sergio Larrain photographie en noir et blanc, dans la rue surtout. Ildécoupe la lumière de telle façon qu'il donne l'impression que les jourssont plongés dans la nuit. Les gens sont comme des apparitionsfantomatiques. Il prend des libertés rares pour embarquer le spectateurdans des compositions audacieuses et virtuoses, charnelles et bousculées,comme si on se trouvait sur un navire qui tangue : plongées,contreplongées, perspectives profondes, flous au premier plan, découpe violente de la lumière... Il n'hésite pas à plaquer son appareil au sol,comme il le fait en Italie en 1959, à jeter l'appareil sur les visagesd'adolescents, à accompagner le mouvement chaloupé de gamins.

Fait rare, Sergio Larrain est plus à l'aise avec le cadrage verticalqu'horizontal, développant des lignes de fuite infinies, notamment dansles encastrements de plans abrupts de Valparaiso. Une de ses photos lesplus célèbres, d'esprit surréaliste, montre deux petites filles quidescendent un escalier : « La première photo magique qui se présenta àmoi. » Il ajoutait : « La grâce se manifeste lorsqu'on est libre comme unenfant dans sa première découverte de la réalité. » Il a grandi, vite, et ila perdu la grâce.

Michel Guerrin