salanskis non standard

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  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    1/53

    M JEAN MICHEL SALANSKIS

    L'analyse non standard et la tradition de l'infiniIn: Revue d'histoire des sciences. 1988, Tome 41 n°2. pp. 157-207.

    Citer ce document / Cite this document :

    SALANSKIS JEAN MICHEL. L'analyse non standard et la tradition de l'infini. In: Revue d'histoire des sciences. 1988, Tome 41

    n°2. pp. 157-207.

    doi : 10.3406/rhs.1988.4095

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1988_num_41_2_4095

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhs_256http://dx.doi.org/10.3406/rhs.1988.4095http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1988_num_41_2_4095http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1988_num_41_2_4095http://dx.doi.org/10.3406/rhs.1988.4095http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhs_256

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

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     Abstract

    SUMMARY. — This text is trying to explain why the future of non standard analysis may be dependant

    of a general transformation of the attitudes and the goals of mathematicians. In that purpose, a reflexion

    is pursued about the comparative meanings of the finite and the infinite in pre-formalist mathematics,

    formalist mathematics, and more specifically in formalist non standard mathematics ; this is done under 

    the presupposition that these meanings are better analysed in « ethical » terms. In the first section, we

    tell the recent story of non standard analysis and present the alternative ways of conceiving its destiny

    today. In the second section, we recall the traditional debate of infinitesimal calculus and establish the

    fact that the new insights brought by non standard analysis must not be connected with the question of 

    the validity or practicability of leibnizian calculus, but with the more general and « philosophical »

    question of the meaning of the infinitesimal. In the third section we introduce our concepts of « ethic

    register » and of « light-sense » opposed to « use-sense », on the base of wich we describe the

    mutation between « naive » mathematics and formal ones. In the fourth section, we apply these

    concepts to the notions of the finite and the infinite, and pretend to characterize as formal senses or «

    use-senses » the non standard senses of the finite and the infinite. We conclude by a new examination

    of the possible future of the non standard method.

    Résumé

    RÉSUMÉ. — Ce texte essaie d'expliquer pourquoi le futur de l'analyse non standard est peut-être

    dépendant d'une transformation générale des attitudes et des buts des mathématiciens. Dans ce but,

    une réflexion est poursuivie au sujet des sens comparatifs du fini et de l'infini en mathématiques

    préformelles, formelles, et plus spécifiquement en mathématiques formelles non standard ; tout ceci en

    adoptant l'hypothèse que ces sens sont mieux analysés en termes « éthiques ». Dans la première

    section, nous racontons l'histoire récente de l'analyse non standard et présentons les façons

    alternatives de concevoir son destin aujourd'hui. Dans la seconde section, nous rappelons le débat

    traditionnel accompagnant le calcul infinitésimal, et nous établissons le fait que les nouvelles

    perspectives apportées par l'analyse non standard ne doivent pas être rattachées à la question de la

    validité ou la praticabilité du calcul leibnizien, mais à la question plus générale et « philosophique » dusens de l'infinitésimal. Dans la troisième section, nous introduisons nos concepts de « registre éthique »

    et de « sens-lumière » opposé au « sens-emploi », sur la base desquels nous décrivons la mutation qui

    fait passer des mathématiques « naïves » aux mathématiques formelles. Dans la quatrième section,

    nous appliquons ces concepts aux notions du fini et de l'infini, et prétendons caractériser en tant que

    sens formels ou « sens-emploi » les sens non standard du fini et de l'infini. Nous concluons par un

    nouvel examen du possible futur de la méthode non standard.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

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    L analyse

    non

    standard

    et la tradition de l 'infini

    RÉSUMÉ. — Ce texte essaie d'expliquer pourquoi le

    futur

    de l'analyse nontandard est peut-être dépendant

    d'une

    transformation générale des

    attitudes

    t des buts des

    mathématiciens.

    Dans ce but, une réflexion est poursuivie auujet des sens comparatifs du

    fini

    et de l'infini en mathématiques préformelles,ormelles, et plus spécifiquement

    en

    mathématiques formelles non

    standard;

    out

    ceci en

    adoptant l'hypothèse que

    ces

    sens sont mieux analysés en termes

    éthiques

    ».ans la première

    section,

    nous racontons l'histoire récente de l'analyse nontandard et présentons les façons alternatives de concevoir son destin aujourd'hui.ans la seconde

    section,

    nous

    rappelons

    le débat traditionnel accompagnant

    le

    alcul infinitésimal, et nous établissons

    le

    fait

    que

    les nouvelles perspectives apport

    éesar

    l'analyse non

    standard ne doivent pas

    être

    rattachées

    à

    la question de la

    validité

    ou

    la

    praticabilité

    du

    calcul

    leibnizien, mais

    à

    la

    question

    plus

    générale

    et «

    philosophique

    »

    du

    sens de l'infinitésimal.

    Dans

    la troisième section, nous

    introduisons nos concepts de « registre

    éthique

    » et de «

    sens-lumière

    » opposé au

    « sens-emploi »,

    sur

    la

    base desquels

    nous

    décrivons

    la

    mutation

    qui fait passer

    des mathématiques « naïves »

    aux

    mathématiques formelles.

    Dans

    la quatrième

    section,

    nous appliquons

    ces concepts

    aux

    notions

    du fini

    et de

    l'infini,

    et pré

    tendons caractériser en

    tant

    que

    sens

    formels ou

    « sens-emploi » les sens non

    standard

    du fini et

    de l'infini. Nous

    concluons par

    un

    nouvel examen du

    possible

    futur

    de la méthode

    non

    standard.

    SUMMAR Y. — This text

    is trying to explain

    why the future

    of

    non standard

    analysis

    may

    be dependant

    of a

    general

    transformation of

    the attitudes and the

    goals

    of mathematicians.

    In

    that

    purpose, a

    reflexion

    is

    pursued

    about

    the

    comparativemeanings

    of

    the

    finite

    and

    the

    infinite

    in

    pre-formalist mathematics, formalist

    mathem

    atics,

    and more specifically

    in

    formalist

    non

    standard

    mathematics ;

    this

    is

    done

    under

    the presupposition that these meanings are better

    analysed in

    « ethical » terms.

    In the first section,

    we tell

    the

    recent story of

    non standard analysis and

    present

    the

    alternative ways

    of conceiving its destiny today. In the

    second

    section, we recall

    the traditional

    debate of

    infinitesimal

    calculus

    and establish the fact

    that

    the new

    insights brought by

    non

    standard analysis

    must

    not be connected with the question

    of

    the validity or practicability

    of

    leibnizian calculus, but

    with

    the more general and

    « philosophical » question

    of

    the meaning

    of

    the infinitesimal. In the

    third section we

    introduce our concepts of «

    ethic

    register » and

    of

    «

    light-sense

    »

    opposed

    to

    « use-sense

    »,

    on the

    base

    of

    wich we

    describe

    the mutation between « naive » mathematics and formal

    Rev. Hist. Set,

    1988,

    XLI/2

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    4/53

    158 Jean-Michel

    Salanskis

    ones. In the fourth section, we apply these

    concepts to

    the notions of the finite and

    the infinite, and pretend

    to characterize as

    formal senses or « use-senses » the non

    standard senses

    of

    the finite and the infinite. We

    conclude

    by

    a

    new

    examination

    of

    the possible future

    of

    the

    non

    standard method.

    L'analyse

    non

    standard

    est une composante fort récente du

    discours logico-ma thématique,

    dont le nom

    même prête encore

    à

    confusion, et dont

    la vocation reste aujourd'hui difficile

    à

    déter

    miner, bien

    que

    des éclaircissements

    importants

    soient

    apportés

    depuis quelques années. De toute évidence, la théorie

    invite, dans

    le

    statut

    problématique et transitionnel

    qui

    est le sien à

    l'heure

    actuelle,

    à

    une réflexion philosophique riche

    :

    nous nous proposons

    de

    prendre ici notre

    part

    à cette dernière, dans une direction

    qui

    correspond à

    notre thème personnel de recherche

    (la

    connexion

    des matières

    formelles

    et du registre

    éthique).

    Mais, tout

    d'abord,

    nous allons résumer la

    brève

    histoire

    de

    l'analyse

    non standard,

    au

    moins

    dans

    ses grandes

    lignes et

    pour

    autant que notre

    article

    y fait

    référence.

    I - PRESENTATION HISTORIQUE DE L ANALYSE NON STANDARD

    L'inventeur

    de

    l'analyse

    non

    standard

    est

    Abraham Robinson,

    et sa première

    publication

    à

    ce sujet

    date de 1961 (г). Cependant,

    la

    plus signifiante

    origine (*)

    qu'on puisse

    choisir

    pour

    la «

    pensée

    du

    non-standard »

    est tout simplement

    la

    découverte

    par

    Skolem (8),

    et

    Lôwenheim

    à sa

    suite, de

    la non-catégoricité

    de

    l'arithmétique

    formelle et donc de

    la

    nécessité de présumer,

    du moins

    si

    l'on

    adhère

    au discours ensembliste

    classique,

    des

    « modèles

    non

    stan

    dard »

    de

    l'arithmétique : entendez par là des systèmes présentant

    toutes

    les propriétés structurales des

    nombres

    entiers, mais com

    portant

    d'autres

    individus

    que la

    suite

    inépuisable

    engendrée

    par

    le procès

    naïf

    du comptage (0,

    1,

    2, . . .). Robinson,

    en

    effet, n'a

    pas fait autre chose qu'exploiter positivement ce résultat

    ressenti

    tout d'abord

    comme négatif par les

    mathématiciens et

    les logiciens

    *) Non standard

    Analysis,

    in Selected Papers

    of

    Abraham Robinson,

    vol.

    2 (Ams

    terdam : North-Holland, 1979), 3-11.

    ■)

    Une

    autre

    origine

    se trouve dans certains

    résultats

    d'algèbre

    abstraite.

    Voir

    Hourya

    Benis-Sinaceur, La

    théorie

    d'Artin et Schreier et l'analyse non standard

    d'Abraham Robinson, Archive for History

    of

    Exact Sciences, 34

    :

    3 (1985),

    257-264.

    *) Le nom de Skolem

    figure à

    la première ligne de l'article cité n.

    1.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    5/53

    La tradition de V infini 159

    (les axiomes de Peano

    «

    auraient

    dû » déterminer à

    un

    isomorphisme

    près

    le système pour

    lequel

    ils étaient

    proposés)

    : il a eu

    l'idée

    de

    pratiquer un

    jeu mathématique où interviendraient

    à

    la

    fois

    l'hypo

    thétique

    modèle

    standard

    (celui

    qui

    coïncide

    avec la

    suite

    naïve

    collectivisée 0, 1, 2, ...) et un modèle non

    standard,

    et

    dans

    lequel

    on

    disposerait, à

    côté

    des nombres

    réels ordinaires,

    d él

    éments

    infiniment grands et infiniment petits par

    rapport

    aux

    premiers.

    Robinson, de plus, administrait

    la

    preuve, au moins

    partiellement

    dès

    1961,

    que

    ce

    jeu

    permettait de récupérer

    les

    écritures et les façons

    de

    parler des pionniers

    de

    l'analyse mathé

    matique,

    ainsi

    que

    de reformuler,

    parfois d'une

    façon

    plus

    él

    égante et

    plus

    intuitive, les

    résultats

    les

    plus

    connus

    de

    l'analyse

    moderne.

    S'il

    a donc

    choisi

    d'emblée

    le

    nom

    d'analyse

    non

    standard

    pour le

    jeu qu'il définissait,

    c'est

    en

    référence à

    la

    notion de

    modèle

    non

    standard

    plutôt

    que pour suggérer

    le

    caractère

    divergent,

    subversif

    ou

    extravagant

    de

    ce jeu.

    De nombreux esprits, même

    les meilleurs, s'y sont pourtant trompés,

    de manière regrettable.

    La

    nouvelle méthode a immédiatement

    séduit

    un certain

    nombre

    de

    mathématiciens et

    de logiciens,

    si bien qu'en 1967

    put se tenir le

    premier colloque

    international

    d'analyse

    non

    stan

    dard. Les développements auxquels

    elle a

    donné

    lieu

    pendant

    cette

    période

    initiale,

    qui s'achève

    à

    notre

    avis

    en

    1977,

    sont

    principal

    ementeux

    apportés

    par les travaux de Robinson lui-même,

    qui

    resta

    naturellement la figure

    dominante de I'ans

    (4) jusqu'à sa

    mort

    en 1974. Les

    différents

    articles et ouvrages

    de

    Robinson

    manifestent

    un

    effort multidirectionnel en

    vue

    de

    promouvoir

    l'analyse

    non standard :

    d'une part,

    il a

    voulu

    tout

    simplement

    réécrire les

    chapitres

    désormais classiques

    de

    l'analyse (topologie,

    suites

    et séries, espaces

    de

    Hilbert...), afin

    de

    mettre en

    évidence

    la

    simplicité

    et la

    brièveté des

    démonstrations non standard

    substituables

    aux

    démonstrations usuelles

    dans

    beaucoup

    de cas,

    et de déployer l'intuition non standard

    dans

    un

    champ équivalant

    à celui où

    les analystes situent la plupart

    de leurs démarches

    (5)

    ;

    d'autre part, en

    résolvant

    avec A. R. Bernstein

    en

    1966 un pro

    blème

    ouvert de

    la théorie des espaces

    de Hilbert

    (e), il a

    offert

    4) Sigle

    pour

    Analyse

    non

    standard.

    e)

    La « Bible » de Tans, Non

    Standard

    Analysis

    (Amsterdam

    : North-Holland,

    1966),

    contient

    le résultat de

    ce travail.

    (•) A.

    R.

    Bernstein

    et

    A. Robinson, in Pacifie Journal

    of Mathematics,

    16

    :

    3 (1966),

    421-431.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    6/53

    160 Jean-Michel Salanskis

    à la communauté mathématique une

    bonne raison de croire

    en

    l'efficacité des

    nouveaux

    moyens

    de

    preuve qu'il

    lui proposait (7)

    ;

    par

    ailleurs

    encore, Robinson

    s'est

    livré à un travail de

    réexamen

    historique

    et

    épistémologique, à la

    lumière de

    la

    théorie

    qu'il

    avait inventée, des textes des pionniers

    de

    l'analyse, qui

    utilisaient

    le

    langage infinitésimal, pour essayer

    de

    montrer dans

    quel cou

    rant d'idées traditionnel s'inscrivait sa

    découverte (8),

    enfin, il

    a

    cherché à

    utiliser la

    méthode non standard

    dans

    le contexte de

    mathématiques subordonnées

    à

    la

    science,

    «

    physique

    »

    ou

    « humaine » (on

    trouve

    dans

    les

    Selected

    Papers de Robinson,

    par

    exemple, un article

    où Tans

    est appliquée à

    la mécanique quan-

    tique, et deux ou trois

    articles

    où elle est

    invoquée dans

    une di

    scussion

    de

    la

    conjecture

    d'Edgeworth

    et

    du

    théorème de

    Debreu-

    Scarf en économie (•)).

    Ces

    efforts

    pour

    faire connaître

    et

    faire

    adopter l'analyse

    non

    standard ont-ils été

    couronnés de

    succès ? La réponse à

    cette

    question doit

    être

    mitigée.

    Il est

    indéniable que la

    prouesse

    de

    Robinson, consistant

    à élaborer

    une

    théorie conséquente des

    inf

    initésimaux a été saluée comme telle, et qu'une notoriété en rap

    port avec la qualité

    de

    cette prouesse s'est attachée au

    nom de

    son auteur dès le début des années 70 ; par ailleurs, et pour aller

    toujours dans

    le

    même

    sens,

    les

    logiciens

    n'ont

    pas manqué

    de

    consacrer l'analyse non

    standard

    comme une

    des plus grandes

    réalisations accomplies à partir

    de

    leur discipline, comme en

    témoigne

    par exemple l'introduction que

    donne

    Keisler à

    son

    article

    présentant

    la

    théorie des

    modèles dans

    le

    Handbook

    of Mathe

    matical

    Logic,

    l'ouvrage encyclopédique édité par J. Barwise (10).

    7) Halmos

    a

    proposé, immédiatement après la parution de

    l'article

    de Bernstein

    et Robinson,

    une

    démonstration classique qui était

    en fait la

    traduction de

    la

    première,

    et

    pour

    cette

    raison

    moins

    simple. Cependant, depuis,

    d'autres

    chercheurs

    ont

    trouvé

    des démonstrations classiques fondées sur d'autres considérations qui sont plus élément

    aires t

    rapides que celle

    de Robinson et Bernstein ; notre source pour ces informations

    est l'ouvrage Analyse non standard de A. Robert (Lausanne : Presses

    Polytechniques

    Romandes,

    1985), 91.

    8) La notice historique figurant

    à

    la fin de Non Standard Analysis est le principal

    texte

    Robinson rend

    compte

    de ces recherches.

    (') Cf. in vol.

    2

    : с

    The non standard

    X :

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    7/53

    La tradition de

    l'infini

    161

    Mais il

    faut

    reconnaître

    que, dans leur très

    grande majorité,

    les

    mathématiciens

    en activité durant cette époque ont

    regardé

    la

    théorie

    de

    Robinson

    comme

    une

    curiosité,

    sans

    doute

    digne

    d'admir

    ation,

    mais

    non susceptible

    de devenir

    un outil

    important de

    l'analyse

    moderne.

    Comment expliquer ce peu d'enthousiasme ?

    Dans

    le dialogue

    fictif qu'ils

    proposent

    en

    introduction à leur

    Pratique commentée

    de la méthode

    non classique (u), R. Lutz et

    M. Goze

    font dire à celui des

    interlocuteurs

    qui

    incarne

    la réticence

    à l'égard de

    l'analyse

    non standard :

    «

    Mais votre méthode me

    paraît

    bien

    compliquée.

    Une histoire de

    logi

    cien, avec langages,

    modèles,

    et

    toutes ces choses que peu de

    gens

    connaissent. Il paraît

    que

    le livre d'Abraham Robinson commence par

    50

    pages

    de

    logique.

    Tout

    cela

    pour justifier

    la

    mystique

    des

    infiniment

    petits, que

    tout le monde a oubliée depuis longtemps

    »

    II

    n'y a

    aucun doute

    à notre

    avis que

    le peu

    d'inclination

    des

    mathématiciens des

    années

    70 à

    essayer la

    méthode s'explique

    en

    partie par cette perception d'étrangeté et d'artifîcialité. Lesdites

    années

    furent

    en effet celles du triomphe

    de

    la

    mathématique

    ensembliste parfois

    dite « bourbachique »,

    et

    la

    méthode procédait

    par

    des voies effectivement non

    naturelles

    et étrangères, au regard

    de

    cette norme,

    justement

    dans la

    mesure

    elles

    étaient liées à la

    théorie

    des

    modèles.

    Ce en

    dépit du

    fait

    que

    l'ensemblisme

    ne

    puisse

    être

    défendu

    de manière consistante

    sans attendus fondationnels

    apparentés à

    la

    théorie des modèles. L'ambiance

    de

    ce

    bourba-

    chisme

    daté voulait en

    effet

    qu'on oubliât

    cet

    aspect,

    qu'on négli

    geât

    les

    langages

    et

    la

    sémantique formels pour

    ne

    garder à

    l'esprit

    que

    les ensembles

    formels :

    par conséquent, disons-le aussi

    net

    que

    possible, pour prévenir un malentendu

    fréquent,

    c'est

    parce

    que

    Robinson était un formaliste

    conséquent

    et

    déclaré

    (12),

    comme l'est aujourd'hui dans

    son

    style

    personnel

    Nelson, que

    son œuvre était

    destinée à

    être

    perçue comme

    insolite

    par

    le

    regard

    « bourbachique », regard d'un formalisme

    partiel

    et sans doute

    partial (18).

    (u) (Strasbourg : irma,

    1980)

    ;

    traduit depuis sous le titre Non Standard Analysis

    (New York-Berlin :

    Springer,

    1981) ; notre

    citation

    est à

    la page 7 de

    l'édition

    irma.

    (la)

    Ce

    point est

    bien mie en lumière dans Hourya Benie-Sinaceur,

    art.

    cit.,

    in n. 2,

    et ouvrage

    à

    paraître sous le titre Corps et modèles.

    Aspects

    de la construction de

    l'algèbre réelle

    (1989).

    M)

    C'est donc dire que cette résistance ou cette suspicion correspond

    à

    un différend

    du « formalisme > avec lui-même. On peut le rattacher à

    deux

    manières d'assumer

    RHS

    6

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    8/53

    162

    Jean-Michel

    Salanskis

    II n'est

    donc

    pas

    surprenant

    que plusieurs

    mathématiciens et

    logiciens aient cherché à « livrer

    » la

    méthode non standard à ses

    utilisateurs

    potentiels sous

    une

    forme

    plus

    digeste

    et

    plus

    agui

    chante,

    c'est-à-dire,

    dans

    le contexte,

    en

    court-circuitant

    la

    théorie

    des

    modèles. Le principal succès

    obtenu en ce sens

    reste

    à

    ce jour

    l'article « Internal Set

    Theory

    » de E. Nelson, publié en 1977

    (M),

    et

    qui

    doit être considéré

    comme

    le

    point

    de

    départ d'une

    deuxième

    « époque »

    de

    l'analyse non standard. Dans cet article, Nelson

    définit une extension conservative de

    la

    théorie des ensembles

    avec

    axiome

    du choix,

    qui

    se caractérise

    par

    l'introduction

    d'un

    nouveau

    prédicat

    si

    (pour « standard ») et

    permet

    la

    formulation des

    raiso

    nnements à la Robinson aussi bien que les

    intuitions

    infinitésimales

    qui

    les

    guident

    ;

    l'important

    étant

    que

    les

    règles

    supplémentaires

    à

    acquérir

    sont

    en

    très

    petit nombre, leur énoncé

    et

    la

    mise

    en

    scène de leur emploi

    dans

    quelques

    cas

    exemplaires tiennent

    dans

    les vingt

    premières

    pages

    de

    l'article.

    A

    la

    fois

    parallèlement,

    de façon indépendante,

    et

    à

    la

    suite

    de

    cet

    article,

    on assiste par ailleurs à une sorte

    de

    décantation,

    qui

    permet

    aujourd'hui

    de se faire

    une

    idée plus

    précise

    des appli-

    l'héritage du « père fondateur » Hilbert : le bourbakisme serait ce courant qui

    ne

    veut

    retenir

    de

    la

    pensée

    formaliste

    de

    Hilbert

    que

    le thème

    de

    V

    axiomatique

    (la présentation

    axiomatique

    des

    rôles

    formels des points, droites, plan de la

    géométrie

    ayant

    à cet

    égard

    valeur

    paradigmatique), et pas celui de la

    métamathématique,

    avec les diverses

    distinctions de registres

    auxquelles

    elle contraint ; la théorie des modèles, au contraire,

    est cette autre branche qui prétend développer et approfondir toutes ces distinctions,

    et pour

    commencer,

    celle entre syntaxe et sémantique. En fait, pour un «

    bourbakiste

    »

    endurci,

    ce

    n'est pas seulement la théorie des

    modèles,

    mais toute prise en considération

    métamathématique

    du

    ou dee langages dans lesquels s'écrivent

    les

    axiómatiques, soit

    en fin de compte toute démarche

    logique

    moderne, qui

    est

    non pertinente — ou

    ininté

    ressante — parce

    que

    la seule manière « vraie » et « vivante » de

    prendre

    Гaxiomatique

    est de la regarder comme la synthèse

    rigoureuse

    d'un

    monde mathématique

    dont

    on

    est

    sûr

    (si c'est là un platonisme, ou un physicalisme spontané

    du

    milieu

    mathématique,

    c'est ce qu'on pourrait examiner).

    Cette

    attitude,

    à

    notre

    avis,

    n'est pas morte aujour

    d'hui

    ans

    la

    communauté

    mathématique, alors

    même

    que

    les

    «

    condamnations

    »

    des

    abus

    de l'époque bourbachique sont fréquentes dans presque toutes les

    bouches.

    Elle

    explique dans une

    large

    mesure la perdurance de résistances

    à

    l'analyse non standard,

    envers et

    contre le fait que cette dernière, dans sa

    version

    originaire robinsonienne

    comme dans sa nouvelle formulation

    nelsonienne,

    se

    présente

    le plus clairement

    du

    monde comme une exploitation des possibilités de la pensée

    formelle

    en continuité

    avec l'usage formaliste établi : notre article va même plus loin

    en

    soutenant

    que

    la

    mutation dans le sens proposé

    par

    les théories

    du non-standard est essentiellement

    et philosophiquement

    dépendante

    de la mutation

    plus

    profonde

    qu'est

    le passage au

    statut formel

    du

    sens.

    (u)

    Internal Set Theory, Bulletin

    of

    the American Mathematical Society, 83 :

    6 (1977).

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    9/53

    La

    tradition

    de

    l'infini 163

    cations de

    la

    méthode. Dans

    l'article

    de Nelson, les

    domaines

    son

    utilisation est

    dite

    devoir être féconde sont

    essentiellement

    la théorie des probabilités et la mécanique quantique. La

    première

    direction a été

    suivie par Nelson lui-même

    et

    par certains de

    ses

    élèves

    (1б). Quant à la seconde direction, elle

    renvoie

    notamment

    à l'étude de

    la

    perturbation des

    équations différentielles

    ; or,

    des

    mathématiciens strasbourgeois

    et

    mulhousiens,

    sous l'impulsion

    de G.

    Reeb qui

    a pris fait et cause pour le

    non-standard depuis de

    longues

    années,

    ont de leur côté

    développé des

    études

    originales

    portant

    sur de tels

    problèmes (ie)

    ;

    ces études sont

    à

    ce jour,

    de

    l'avis

    de Pierre Cartier,

    qui met

    son crédit

    au service

    de

    la popul

    arisation

    de la méthode,

    les

    réalisations

    les plus probantes de

    l'analyse

    non

    standard

    (notamment

    au

    sens où

    l'on

    ne

    voit

    pas

    de

    démarche substitutive qui

    procurerait

    les

    mêmes

    résultats à de

    moindres frais, ou même simplement à des frais équivalents).

    Jacques Harthong, de

    son

    côté,

    qui

    fait aussi partie

    des

    élèves

    de

    G. Reeb, et qui a également en vue des applications

    de

    la méthode

    à la mécanique quantique, a publié un certain nombre de

    travaux

    tendant à

    prouver que

    le non-standard

    ouvre la voie

    à une

    nouvelle

    façon de

    discrétiser les problèmes réputés « continus » sans

    perte

    d'exactitude (17).

    Dans

    la situation

    présente,

    on

    a

    donc

    à

    la

    fois

    un

    langage

    d'une

    grande

    simplicité,

    permettant

    l'acclimatation rapide

    de

    nouveaux

    chercheurs

    et la communication a priori

    aisée

    des résultats obtenus,

    et une recherche vivante,

    qui

    commence

    à savoir à

    quels

    problèmes

    elle peut

    s'atteler

    et

    à

    remporter

    des succès. C'est

    ce

    qui

    fait

    que

    l'analyse non standard

    a

    quelque chance d'être bientôt franche

    mentortie de la marginalité.

    Il reste

    qu'au-delà

    des résistances

    à

    l'analyse

    non standard

    qui ne sont que des préjugés, au-delà

    de

    ce qui relève seulement

    des modes ou d'oukases épistémologiques, il se peut que le destin

    (u) Selon

    Nelson,

    le

    plus

    remarquable résultat obtenu se trouve dans

    l'article,

    A self-avoiding

    random

    walk de G.

    F.

    Lawler (Duke Mathematical Journal, 47 (1980),

    655-693).

    (") Pour une

    bibliographie

    complète de

    ces

    études, se référer

    à

    l'article

    de review

    des mathématiciens russes Zvonkin et Schubin, Non standard analysis and singular

    perturbations of

    ordinary

    differential equations, trad. angl.

    in

    Russian Mathematical

    Surveys, 39 : 2 (1984), 69-131.

    17) Voir

    par

    exemple Le Moiré (Strasbourg

    :

    irma,

    1980),

    Etudes sur

    la mécanique

    quantique

    (Paris : Société mathématique de Prance,

    1984), et

    Eléments pour

    une

    théorie du

    continu {Astérisque, 109-110 (1983),

    235-244).

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    10/53

    164

    Jean-Michel Salanskis

    de la

    méthode

    dépende

    de

    l'orientation générale

    de

    la recherche

    mathématique

    : il est

    possible qu'elle

    ne

    puisse

    prendre

    la

    place

    importante que tous

    ses

    adeptes, à commencer par

    son

    inventeur,

    ont

    prévue pour

    elle

    qu'à

    la

    condition

    d'un

    changement

    profond

    au niveau

    des

    centres d'intérêt et

    des enjeux

    de

    la

    mathématique

    contemporaine.

    Si

    la

    formalisation de

    Nelson

    a

    mis quelque

    chose

    en évidence,

    en effet,

    c'est

    l'autonomie relative des deux aspects de

    l'analyse

    non standard

    :

    son langage, ses

    règles,

    son

    intuition

    sous-jacente,

    sa

    problématique

    propre

    d'un

    côté, la preuve

    de

    sa

    consistance

    avec la mathématique

    classique

    de l'autre. Si,

    du point de

    vue

    du

    premier aspect, l'analyse non standard est

    quelque

    chose d'essen

    tiellement

    original

    et

    nouveau,

    du point

    de vue

    du second

    aspect,

    elle est logiquement dépendante de l'axiome du choix à

    travers

    les notions ď

    ultraproduit

    et ď ultrapuissance (ou ď ultralimite chez

    Nelson). Un certain nombre de

    mathématiciens, qui

    se sont pour

    tant

    intéressés

    à

    la méthode

    non

    standard

    de façon non

    superfic

    ielle, et qui

    ont

    même parfois fondé de grands espoirs sur elle,

    sont aujourd'hui persuadés

    que

    le véritable outil est

    l'ultraproduit,

    et

    que l'analyse

    non standard correspond

    seulement

    à

    une façon

    de le

    mettre

    en œuvre, cette façon

    n'étant probablement la

    meil

    leure

    que

    dans des

    cas

    bien

    délimités. Ce

    point

    de

    vue

    a

    été

    défendu

    devant nous par

    Alain Connes au cours

    d'une

    réunion avec

    l'équipe

    de recherches

    de Hervé

    Barreau, qui consacre

    sa réflexion à

    l ana

    lyse

    non standard et dont nous faisons

    partie.

    Il nous a en parti

    culier

    confié que, dans la

    démonstration du

    résultat qui lui avait

    récemment valu la plus haute distinction

    mathématique (18),

    il

    avait finalement préféré envisager un

    ultraproduit

    de

    représentat

    ions

    'étant convaincu

    que

    le recours au

    langage

    non standard

    ne lui rendrait pas

    les

    mêmes

    services

    (19).

    Il

    serait

    malséant

    de notre

    part

    de prétendre dénuée de o

    ndement

    cette

    position. Nous

    croyons

    seulement

    que

    sa validité

    est relative à un type

    de

    problèmes : sans

    doute

    le

    type de

    ceux

    (")

    La médaille Fields.

    (ie) L'inconvénient qui accompagne la prise

    en considération

    d'objets non

    standard

    étant, selon

    Alain Connes toujours, le

    caractère

    essentiellement non

    explicite

    de

    ces

    objets, qui

    peut

    se traduire

    par exemple par

    la non-mesurabilité de certaine ensembles

    qui leur sont associés,

    plus

    généralement

    par

    un déficit dans l'ordre des traitements

    classiques disponibles

    à partir

    desdits objets.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    11/53

    La Iradiiion

    de

    l infini 165

    qu'on aborde avec prédilection dans la mathématique bourba-

    chique et post-bourbachique. Cette dernière est en effet

    dominée

    par

    le

    grand jeu

    de

    l'infini, c'est-à-dire qu'elle

    voue le

    meilleur de

    toutes

    les

    énergies

    à

    l'étude

    générale,

    apriorique

    des

    structures

    infmitaires : elle est

    prioritairement une

    géométrie

    extrêmement

    savante et extrêmement puissante

    des

    structures infinitaires, la

    clairvoyance intuitive et

    quasi physique des mathématiciens

    tra

    ditionnels au

    sujet

    de

    la droite réelle

    et

    des continua euclidiens

    bi- et tridimensionnels s'étant aujourd'hui

    généralisée

    aux types

    infiniment variés ď «

    espaces

    » qu'on

    est

    capable

    de définir

    et

    de manipuler.

    Par

    rapport

    à cette mathématique, et à ses ambit

    ions (qui sont

    très fréquemment des

    ambitions

    de

    classification),

    il

    est

    possible

    en

    effet

    que

    la

    méthode

    non

    standard,

    bien

    qu'elle

    soit a priori parfaitement

    compatible

    et

    consistante

    avec le

    jeu

    de référence, ne soit pas « la » nouvelle clef

    susceptible d'ouvrir

    les

    portes

    autour

    desquelles on rôde. C'est

    possible,

    bien que ce

    ne soit

    pas

    certain, et

    qu'il

    n'y ait guère

    de

    moyen

    d'en

    décider :

    par exemple, comment savoir si les nombreuses utilisations

    de

    la

    technique

    de

    l'ultraproduit dans la mathématique contemporaine

    sont

    des indices du privilège de cette notion ou

    bien

    de

    la

    possi

    bilité

    d'approches non standard

    inédites?

    Sauf

    à

    décider que

    ce

    qui

    a

    été

    fait

    coïncide

    avec

    le

    meilleur

    choix possible dans la

    meil

    leure stratégie, par définition et

    dans

    tous

    les cas.

    Mais ce

    qui

    est

    ici

    plus intéressant, et potentiellement plus

    important,

    c'est qu'on

    peut conjecturer, et c'est ce que

    font

    Pierre

    Cartier, Jacques

    Harthong

    et Georges

    Reeb, que la méthode non

    standard serait surtout excellente

    en

    vue du traitement

    de

    problèmes

    d'un autre type, au-devant desquels se porterait

    un esprit

    mathé

    matique différent.

    Il s'agirait

    alors

    non plus

    du traitement

    géo

    métrique des

    totalités infinies

    prises

    comme données, mais

    de

    la

    mise en œuvre d'un raisonnement et d'un calcul Unitaires sur

    des

    entités formellement finies

    situées au-delà

    de

    la

    perception

    structurée du nombre ; Pierre Cartier

    appelle

    hyperfinies (20) ces

    collections

    dont

    la méthode non standard introduit

    le

    concept,

    qui sont

    finies du point de

    vue du formalisme

    (« de

    l'intérieur

    »)

    et

    « inépuisables » du point

    de

    vue d'un sujet arithmétique

    naïf

    (« de

    (*°)

    Dans

    :

    Was eind

    und sollen

    die Zahlen

    ?

    (version 1984), in L'analyse non standard.

    Recherches

    historiques et philosophiques (Strasbourg

    : ihma, 1986),

    17-44.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    12/53

    166

    Jean-Michel Salanskis

    l'extérieur »). De telles mathématiques auraient comme

    champ

    d'application naturel toutes les théories

    d'abord

    combinatoires

    et descriptives de

    données finies,

    expérimentales par exemple,

    dont

    une idéalisation

    hyperfinie est scientifiquement

    désirable

    :

    les domaines

    déjà

    abordés, comme ceux

    de

    la perturbation des

    équations

    différentielles et de

    la

    théorie des probabilités

    relèvent

    en effet de

    ce champ

    ; mais on peut

    imaginer,

    toujours

    dans ce

    champ, l'application

    de

    la méthode

    à

    une «

    informatique

    non

    standard

    »,

    comme le suggère Pierre Cartier dans l'article

    déjà

    cité,

    ou à

    toutes sortes

    de problèmes liés à

    la physique,

    comme le

    propose notamment

    Jacques

    Harthong, voire

    son

    utilisation en

    vue d'une

    nouvelle approche, fondée sur

    la «

    discrétisation hyper-

    finie

    »,

    de

    problèmes

    ordinairement

    classés

    du

    côté

    de

    la

    géométrie

    différentielle ou

    de

    la topologie algébrique.

    Ce tour d'horizon

    que

    nous osons à

    peine dénommer

    historique,

    en raison de

    la

    brièveté de

    la

    tranche temporelle prise

    en

    compte,

    s'achève donc

    par l'évocation d'une

    situation

    singulière

    :

    il

    semb

    lerait qu'une théorie

    née

    dans le courant dominant

    de

    la mathé

    matique formelle ensembliste, récemment reformulée comme

    exten

    sion

    onservative de

    la

    théorie de référence de cette

    mathématique

    (zpc), ait

    toutefois

    quelque

    peine à y

    trouver sa place, et

    peut-être

    pour des raisons essentielles,

    ayant

    trait

    au

    jeu

    de Г

    infini

    (21)

    qui

    s'y joue

    d'une part, à

    celui

    que la méthode non standard incite

    à jouer d'autre part. C'est

    de

    ces

    raisons

    et ce jeu

    que

    nous allons

    essayer

    de

    traiter

    maintenant,

    en

    nous souvenant

    que

    l'origine

    historique à laquelle Robinson a

    rattaché l'analyse

    non

    standard,

    à savoir

    le

    calcul infinitésimal

    de

    Leibniz,

    était déjà

    un jeu

    de

    l'infini. Nous allons donc tenter

    de

    décrire la tradition

    de

    l'infini

    qui

    se manifeste

    dans

    l'émergence

    successive

    de ces

    jeux,

    notam

    mentdans la mesure où

    le

    type de rapport

    à

    l'infini qui prévaut

    dès

    l'avènement

    du jeu formaliste renvoie au registre éthique.

    (u) C'est

    la seconde ou la troisième

    fois

    que

    nous

    employons

    cette

    locution

    ;

    nous

    ne sommes certes pas le seul ni le premier

    à

    y recourir

    ;

    se référer

    par

    exemple

    à :

    Cons

    tructive mathematics as

    a philosophical problem

    de P. Lorenzen in Logics and

    Found

    ations

    of Mathematics, dedicated

    to

    Prof. A.

    Heyting

    on hie 70th birthday (Groningen

    :

    Woltere-Noordhoff,

    1968).

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    13/53

    La

    tradition

    de

    l'infini

    167

    II

    -

    LA

    PROBLÉMATIQUE DU CALCUL

    ET

    LA

    PROBLÉMATIQUE

    DU

    SENS

    Nous

    voudrions

    tout

    d'abord, comme c'est naturel, ressaisir

    conceptuellement

    l'aporie

    du

    calcul infinitésimal telle qu'elle a

    été

    exprimée

    par

    les

    très nombreux

    auteurs ayant

    pris

    part

    au

    débat qui

    n'a

    pas cessé d'accompagner l'essor pourtant triomphal

    de

    ce calcul.

    De Berkeley

    et

    Helvétius à Hegel,

    en

    passant

    par

    les

    mathématiciens

    dont le nom jalonne

    la

    naissance

    de l'analyse

    réelle, et

    qui ont

    tous ou presque

    tous

    essayé

    une parole

    de type

    philosophique

    ou

    épistémologique

    sur

    cette

    épineuse

    affaire,

    il

    nous

    semble que

    ce

    qui est

    en

    discussion

    se laisse toujours

    ramener

    à ces deux questions :

    1 / L'exposé

    des

    notions

    de

    base du calcul, ayant

    trait

    à la

    continuité,

    la

    limite,

    la

    dérivabilité,

    est-il

    un non-sens ? (et si

    l'on prétend

    le contraire, il

    faut

    expliciter le

    contenu

    de ces

    notions

    de

    manière non

    contradictoire,

    c'est-à-dire

    échapper à

    la menace

    d'absurdité dont le

    concept

    de

    «

    quantité infiniment

    petite » paraît

    chargé).

    2

    /

    Quoi qu'il

    en

    soit

    de la

    première

    question,

    comment

    peut-on

    justifier

    les procédures

    de

    calcul

    offertes

    par

    Leibniz,

    notamment

    comment peut-on accréditer l'idée que les résultats qu'elles

    four

    nissent sont exacts,

    alors qu'elles paraissent prescrire

    l'erreur

    sous

    la

    forme

    d'omission

    de termes

    non nuls ?

    La première question est celle du sens, la seconde est celle du

    calcul. Il

    ne fait

    aucun doute qu'elles sont

    parfois

    rencontrées et

    traitées dans une certaine confusion par les différents auteurs, et

    dans

    une certaine mesure à

    juste

    titre, parce

    que l'élément

    généra

    teur

    'aporie

    dans

    les

    deux

    cas

    est

    la

    «

    quantité

    infiniment

    petite

    ».

    Mais

    cette

    distinction est importante pour nous

    permettre de

    comprendre aujourd'hui la différence entre les

    deux

    relèves du

    calcul infinitésimal des pionniers rendues possibles par

    l'analyse

    moderne

    (formelle ensembliste) d'une part,

    par l'analyse non

    standard d'autre part.

    Si

    l'on veut

    exprimer les

    choses

    d'une manière extrêmement

    brutale,

    la relève

    proposée par

    l'analyse contemporaine, dont

    le

    noyau

    est

    acquis avec Weierstrass et sa reformulation au moyen

    de séquences du

    type

    V e 3 a des définitions

    fondamentales,

    mais

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    14/53

    168

    Jean-Michel

    Salanskis

    dont

    la

    systématisation et

    la

    généralisation

    ont

    exigé le développe

    mentes outils de base de

    la mathématique ensembliste que

    sont

    l'algèbre

    linéaire

    et la topologie

    générale, consiste

    en le couple

    de

    réponses suivant aux questions baptisées 1 / et 2 / ci-dessus :

    — A

    la question

    1 / il est répondu

    qu'en

    effet l'exposé infin

    itésimal est un non-sens, incompatible avec

    la structure

    archimé-

    dienne

    de R, elle-même

    seule

    conceptualisation

    conséquente du

    continu.

    — A la question

    2

    / il est

    répondu

    que les égalités du calcul

    différentiel sont

    absolument

    correctes pour

    peu

    qu'on attribue

    aux notations

    dx, dy, . . .

    une

    dénotation non

    plus

    infinitésimale,

    mais

    fonctionnelle.

    Pour

    préciser

    ce

    dont

    il

    s'agit

    dans

    ce

    second

    point,

    rappelons

    que

    l'écriture

    dy=2xdx

    (I)

    faisant suite à

    У = *2 (II)

    sera réhabilitée

    sous

    la

    forme

    (III)

    X : ж

    н> ж

    et Y :

    жи

    x2 désignant deux

    fonctions

    de R

    dans

    R,

    cependant que

    dYx et dXx

    sont

    leurs différentielles

    en

    x,

    c'est-à-

    dire à nouveau des

    êtres fonctionnels

    ;

    l'égalité (III) est

    donc

    une

    égalité

    dans

    l'espace L(R) des endomorphismes réels,

    alors

    que

    (I)

    était originellement

    conçue comme

    une relation entre

    quantités

    «

    mixtes

    », certaines appréciables, d'autres infiniment

    petites.

    Il

    est

    à noter d'ailleurs que les

    notations

    infinitésimales (dx, dy, dxx, . . .,

    dXi, . . ., dx9, dyx, . . ., dy}, . . ., dyq, . . .) sont toujours utilisées

    par les mathématiciens, dans des contextes techniques comme le

    calcul

    des

    primitives ou l'intégration des équations différentielles,

    ou

    même en géométrie différentielle

    lorsque les écritures fonction

    nellesorrectes

    seraient

    insupportables.

    Dans

    tous

    les

    cas, l 'avan

    tage

    e

    ces

    notations

    consiste dans la simplicité supérieure du

    mécanisme d'application des théorèmes de

    differentiation composée

    ou de differentiation

    d'une

    fonction

    réciproque

    qu'elles autorisent :

    mais cet

    avantage

    possède, du point

    de

    vue

    de

    l'analyse moderne

    toujours, sa

    contrepartie immédiate dans

    le

    fait que

    le

    calcul

    consi

    déré

    st

    moins

    sûr et

    moins

    garanti

    contre

    les confusions

    (en raison

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    15/53

    La

    tradition de

    Г infini

    169

    justement

    du fait

    que les applications

    concernées

    n'étant pas mises

    à plat,

    on

    risque

    toujours

    de

    sombrer dans une sorte

    de

    vertige

    l'on

    ne

    sait

    plus

    ce

    qui

    est

    variable

    et ce

    qui

    doit

    être

    dérivé

    par rapport à quoi)

    (22).

    L'idée la plus

    simple

    qu'on

    pourrait

    se faire du supplément

    apporté

    par

    l'analyse

    non standard à cette relève serait

    d'y

    voir

    la restitution du «

    sens infinitésimal

    », perdu

    dès lors

    que la

    réponse

    catégorique

    à

    la question 1 /

    explicitée

    ci-dessus était admise par

    tous. On peut alors imaginer

    dans la

    foulée

    que la

    légitimation

    des calculs

    classiques, faisant l'objet

    de

    la question

    2 /, puisse

    être

    accomplie

    sur

    un mode plus en

    accord

    avec les intuitions

    des pionniers, et d'ailleurs avec les calculs et les discours toujours

    en vigueur

    chez les physiciens.

    Nous pensons pouvoir montrer qu'il n'en va pas ainsi. Ce

    qui

    empêche qu'il en soit ainsi, c'est

    que l'analyse

    non standard est

    née au sein

    d'une

    pensée

    mathématique

    différente de

    celle qui

    abritait

    les premiers développements

    de

    l'analyse

    réelle

    :

    cette

    différence

    peut être

    décrite

    comme celle qui sépare une mathémat

    ique

    ormaliste d'une mathématique

    naïve, bien

    que

    ces adjectifs

    soient gênants

    par l'équivocité qui s'attache à chacun d'eux. En

    tout cas, pour

    rester près

    de

    l'évocation

    des deux questions maît

    resses

    de

    l'aporie

    infinitésimale et

    des réponses

    apportées

    par

    l'analyse

    dite moderne, cette différence se

    marque

    au

    moins

    par

    le renversement du rapport hiérarchique entre les deux questions :

    si, dans la

    discussion des

    xvine

    et

    xixe

    siècles,

    la question

    1 /

    était abordée en

    vue

    d'une résolution

    de

    la question

    2 /, dont

    l'urgence

    était supérieure

    pour les esprits

    de

    l'époque, il est

    clair

    que, pour

    un

    adepte

    de

    la mathématique

    formelle

    ensembliste

    contemporaine, la question 1 / prime

    sur la

    question

    2

    /, le proto

    cole

    e constitution des objets et des propriétés

    en jeu ayant

    été

    universellement reconnu comme

    ce

    qui

    est

    le

    plus

    décisif.

    Un

    autre effet

    du basculement

    dans l'ère

    formaliste

    est le privilège

    dévolu à la

    notion de fonction (plus

    généralement d'application

    selon la terminologie la plus répandue),

    qui

    s'est partout substituée

    à celle de variable, prédominante à l'époque du

    débat

    des pionniers :

    **) Notre expérience de « colleur » dans

    les

    classes préparatoires nous

    a

    mille fois

    confirmé ce

    double aspect de la notation infinitésimale

    : à

    la

    fois,

    elle permet

    à

    l'élève

    de risquer plus

    vite et

    plus aisément des écritures,

    et

    elle le

    rend

    incapable de

    trouver

    la faute

    et

    de garantir un résultat dès

    lors qu'il

    s'est perdu en

    route.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    16/53

    170 Jean-Michel

    Salanskis

    ces deux

    aspects du

    basculement nous sont suggérés par le texte

    de

    H. Barreau, «

    Lazare

    Carnot

    défenseur des

    infinitésimaux

    »

    (M),

    qui souligne à la

    fois

    la prévalence

    du

    point

    de

    vue

    des

    équations

    à

    l'époque

    héroïque

    et

    celle du

    point

    de

    vue

    des

    fonctions

    de nos

    jours.

    Or,

    l'analyse

    non standard

    ne revient

    pas,

    ne

    peut pas

    revenir

    (du

    moins

    pas « absolument »)

    sur

    ce basculement. C'est pourquoi

    la modification

    qu'elle

    apporte

    est certes une modification au

    niveau du

    sens principalement, mais non pas

    la restitution

    du

    sens infinitésimal classique :

    plutôt un

    nouveau

    déplacement du

    «

    sens formel

    »

    de l'infini, comme nous comptons l'expliquer plus

    loin.

    L'erreur de perspective

    qui

    consiste à voir

    dans l'analyse

    non

    standard

    la

    restitution du

    calcul

    infinitésimal,

    on

    l'aura

    compris,

    procède

    de

    l'accent abusivement mis sur la

    notion de

    calcul.

    Les notations

    de

    Leibniz ont

    une certaine

    légitimité

    par

    rapport

    à

    une

    certaine catégorie de calculs, et elles sont de fait

    conservées partout où

    elles

    sont utiles à cet égard, en mathémat

    iques

    t en physique (cf. supra). Mais il n'est besoin d'aucune

    analyse

    non standard

    pour cela,

    seulement de

    la connaissance

    de quelques recettes de

    traitement symbolique en mathématiques,

    et, par surcroît,

    d'une

    bonne

    intuition du petit et du

    grand

    en

    physique. L'incidence

    de

    l'analyse

    non

    standard

    se

    situe

    de toute

    évidence

    à un autre

    niveau.

    Cette

    erreur

    de

    perspective,

    si

    on la

    pousse

    à

    la limite, conduit

    à

    regarder

    le

    passage

    de

    R

    à

    *R comme

    analogue aux

    autres

    constructions

    de

    la théorie des

    nombres

    (passages

    de

    N

    à Z, de

    Z

    à Q, de R à C) :

    c'est ce que

    font

    Henle

    et

    Kleinberg

    dans leur excellent ouvrage introductif

    à I'ans

    f24),

    sans doute en partie pour plaire au public mathématicien tel

    qu'ils

    le voient à l'époque où ils écrivent. Mais cette

    analogie

    n'est

    pas

    soutenable. Déjà, sur

    le plan

    technique, les instruments

    de

    « construction » ensembliste mis en

    jeu

    sont

    sans

    commune mesure

    d'un

    côté

    et

    de

    l'autre,

    et

    la

    dimension

    linguistique

    profonde

    du

    passage

    au non-standard n'a pas

    son

    équivalent dans

    les situations

    classiques énumérées. Mais

    surtout,

    comme nous venons

    de

    le

    dire,

    la

    corrélation effective

    avec la viabilité d'un calcul manque

    dans

    le

    cas

    de

    l'analyse

    non

    standard. Conformément

    à

    ce que nous

    M) In L'analyse

    non

    standard. Recherches historiques et philosophiques (Strasbourg :

    Irma,

    1986),

    7-16.

    **) Infinitesimal Calculus (Cambridge : mit

    Press,

    1979).

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    17/53

    La tradition

    de

    l'infini 171

    avions laissé

    entendre à

    la fin

    de

    la première section

    de

    cette étude,

    c'est donc plutôt du côté

    de

    la

    question

    de

    l'infini, et plus géné

    ralement de celle du

    statut

    de

    l'objectivité mathématique, qu'il

    faut chercher

    l'incidence de

    la méthode

    ou

    du langage non stan

    dard. Par rapport à la distinction que nous

    avons posée

    dans notre

    reprise synthétique

    du

    débat

    classique

    sur le discours infinitésimal,

    c'est la problématique

    du

    sens qui

    doit

    primer sur celle

    du

    calcul.

    Mais sous quelle forme

    chercher

    le sens de

    l'objectivité mathémat

    iqueans le

    cas d'une

    mathématique contemporaine ? Et com

    ment

    prendre sa

    mesure ? C'est à

    ces questions que nous allons

    maintenant proposer des

    réponses

    qui

    cristallisent les choix théo

    riques qui sont les

    nôtres.

    III - LE SENS FORMEL COMME

    SENS

    ÉTHIQUEMENT DÉTERMINÉ

    Le

    but

    de cette section, formulé en termes de l'architecture

    logique de

    cet article,

    est d'introduire

    une

    notion essentielle

    pour

    notre propos : celle de

    sens-emploi ou

    sens

    formaliste, en fonction

    de

    laquelle se définissent le but et la méthode

    de

    notre lecture des

    théories

    ou

    discours

    mathématiques. Nous

    approcherons

    égale

    ment

    le concept

    d'infini

    éthique ou transcendance, plutôt quant

    à sa provenance et à sa possibilité

    que

    quant à son contenu, si

    l'on peut dire :

    ce

    concept

    est appelé

    à être le

    thème

    de

    discussion

    principal

    de

    la quatrième section. Cependant, nous

    traiterions

    mal notre lecteur en

    faisant

    comme s'il était

    possible

    de

    l 'embar

    querour ainsi dire

    «

    par surprise

    » dans ce

    genre de

    considérations,

    au cours d'une réflexion tout absorbée par

    un

    objet spécifique.

    Il

    est clair

    que

    le recours à de telles notions prend sa signification

    à l'intérieur

    d'une

    problématique de philosophie des

    mathémat

    iques

    ouvelle,

    que

    l'on

    peut

    baptiser

    par

    exemple

    problémat

    iqueéthiciste

    ».

    La seule manière honnête de procéder est donc

    de

    présenter les deux

    notions dont

    nous avons

    besoin

    dans

    le

    cadre

    d'un exposé, même

    partiel,

    même

    peu

    satisfaisant

    de cette

    problématique dans son

    ensemble.

    C'est ce

    que

    nous allons essayer

    de faire.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    18/53

    172

    Jean-Michel

    S

    la nsк s

    1 / Temporalisalion du malhématiser

    A

    cette

    fin, nous

    partirons

    du

    problème de

    la temporalité propre

    des

    idéalités mathématiques,

    problème

    que

    J.-T.

    Desanti

    a dégagé,

    au fil de l'interrogation à

    laquelle il

    n'a

    pas cessé

    de soumettre

    ces dernières, comme

    le

    nœud

    de toutes

    les difficultés. On peut

    renvoyer, pour une élaboration explicite

    de

    ce

    problème

    et

    l ind

    ication

    de son importance, à

    l'ouvrage

    La philosophie silencieuse (25)

    en

    général,

    et

    tout particulièrement à

    l'article « Disparitions, struc

    tures et

    mobilité

    ». Mais la question

    de

    cette temporalité propre

    est

    aussi celle que

    le

    dernier Husserl

    avait commencé de

    prendre

    en

    charge, notamment

    dans ce texte

    crucial

    qu'est

    Y Origine de

    la

    géométrie

    (2e).

    Pour

    notre part,

    nous

    la

    reprenons sous une

    forme

    peut-être

    déplacée

    : au lieu de nous

    demander

    quel est le mystère

    de

    la succession «

    objective

    » des idéalités (fût-ce

    pour

    la renvoyer

    à des opérations

    subjectives), nous interrogeons, d'une

    façon

    qui

    nous semble

    plus

    primitive, la temporalité du

    mathématiser lui-

    même, au

    pôle « subjectif »

    si l'on

    veut, «

    actif

    »

    préférerions-nous

    dire.

    L'énoncé de

    la question

    devient donc

    pour nous

    :

    qu'est-ce

    qui,

    dans la

    relation du mathématicien «

    qui

    arrive » avec une

    mathématique déjà

    là, caractérise

    son

    mode d'enchaînement

    sur

    les

    discours

    antérieurs comme

    celui

    d'un

    mathématicien plutôt

    que d'un artiste par

    exemple,

    ou d'un

    représentant de

    toute autre

    confrérie douée

    d'un

    statut propre ? Prendre en charge cette

    question revient encore pour nous à chercher

    de

    quelle

    manière

    le

    «

    nouveau

    »

    mathématicien est

    « tenu »

    par

    la

    mathématique

    qui l'a précédé,

    quelle

    que

    soit

    la marge

    de liberté

    qu'il faudra

    bien lui reconnaître

    néanmoins,

    quant aux

    contenus

    qu'il est sus

    ceptible

    de proposer.

    Il nous semble

    possible

    d'apporter

    un

    él

    ément de réponse à

    la

    question ainsi

    formulée en

    nommant les

    trois rubriques

    ou moments

    qui

    suivent,

    en lesquels se décompose,

    d'après

    ce

    que

    nous

    en

    apercevons

    avec

    une

    sorte

    d'évidence

    phé-

    noménologico-pragmatique, le rapport

    du

    mathématicien

    inchoatif

    avec

    la mathématique

    antécédente :

    a I le rapport à un intuitionné fondamental ;

    b

    /

    le

    rapport

    à des

    questions

    léguées ;

    с

    I le rapport à un enseignement reçu.

    (») Paris : Le Seuil, 1975.

    (*) Paris : PUF, 1962.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    19/53

    La

    tradition

    de V infini

    173

    Qu'il

    soit bien clair,

    avant

    de commenter cette liste de manière

    à

    faire

    comprendre ce

    que

    vise

    chacun

    de

    ses items et l'agencement

    qui

    les lie, que, pour être opératoire, ladite liste doit pouvoir

    rendre

    compte de

    l'attitude du

    nouveau

    mathématicien

    à

    l'égard

    de

    l'univers mathématique

    le précédant

    depuis

    l'origine

    et non pas

    seulement au xxe siècle ou aux

    Temps

    modernes.

    On peut d'emblée remarquer

    que

    chacun de ces moments se

    rattache à une catégorie « illocutoire » : l'intuitionné du moment

    a-/

    est le fondement des assertions premières (du moins cette fonc

    tion lui a été attribuée

    par

    toute

    une

    tradition

    philosophique

    et

    épistémologique), le moment b / fait

    intervenir l'acte

    interrogatif,

    et le

    moment

    с

    \

    nous

    renvoie

    à

    la

    dimension

    prescriptive

    de

    l 'ense

    ignement

    (dont

    la

    forme

    passive

    «

    reçu

    »

    est

    l'indice

    ou

    la

    trace),

    pas

    seulement

    sans doute dans son aspect illocutoire, mais

    aussi

    dans

    son

    aspect perlocutoire (selon la

    distinction

    établie par

    Austin).

    Le repérage de ces

    valeurs

    anticipe à vrai dire sur

    la

    suite de

    notre

    analyse

    de

    ces moments. Les considérations particulières à

    chacun

    d'eux

    qui

    vont

    suivre

    devraient donc éclairer ce

    qui

    vient d'être

    dit.

    L'intuitionné fondamental,

    en

    principe, se résume au nombre

    et à Y espace, bien

    que

    la difficulté à cerner le

    réfèrent

    soit

    ici

    à

    son

    comble, surtout

    s'il

    faut

    tenir

    compte

    de

    toutes les

    époques,

    des

    Grecs

    aussi

    bien

    que des formalistes contemporains. Cependant,

    nous

    croyons

    pouvoir invoquer le consensus de

    la

    communauté

    mathématique

    pour dire tout

    d'abord que

    le nombre et

    l'espace

    sont en effet

    un

    titre convenable

    pour

    la

    très

    ancienne «

    affaire

    »

    des mathématiciens,

    et

    pour

    affirmer

    ensuite

    qu'aujourd'hui

    encore

    il y a un intuitionné du nombre

    et

    de

    l'espace

    qui est

    en

    un sens

    reçu et partagé, et qui

    joue un

    rôle régulateur par rapport aux

    théories

    produites (cette seconde affirmation, visiblement, confirme

    et complète

    la

    première) ; quelle

    que

    soit par ailleurs

    la

    probléma-

    tisation extrêmement profonde

    qui s'attache

    au

    concept

    de

    nombre

    et

    à celui

    d'espace, il nous

    paraît

    également indéniable qu'à cer

    tains

    égards

    c'est

    toujours

    du nombre et

    de

    l'espace

    des Grecs

    que

    l'on s'occupe

    aujourd'hui,

    après plus de vingt siècles

    d'élabo

    rationmathématique. L'intuitionné fondamental

    de

    la mathémat

    ique

    'est

    là sa caractéristique principale, est abordé

    à

    la

    fois

    comme familier

    et

    comme

    mystérieux,

    ce qui

    permet

    simultané

    mente

    contrôler les dispositifs

    théoriques

    produits

    pour

    en

    rendre compte

    (en

    tant

    qu'il

    est familier) et

    de

    le thématiser

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    20/53

    174 Jean-Michel Salanskis

    comme

    objet d'une

    recherche, comme demandant à être dévoilé

    plus

    essentiellement

    par

    de nouveaux discours (en tant qu'il est

    mystérieux). Il

    est

    certain

    que le

    statut

    conféré

    par

    le

    discours

    kantien

    au

    nombre

    et à

    l'espace,

    qui

    met en

    jeu

    pour leur présen

    tation philosophique

    le

    schématisme transcendantal et l'intuition

    a priori respectivement, exprime assez parfaitement cette double

    modalité du familier

    et

    du

    mystérieux, comme nous avons

    voulu

    le

    montrer ailleurs (27). Ajoutons que

    le nombre et

    l'espace, dans

    ce statut, s'offrent

    à

    une détermination théorétique, qui prend la

    forme

    d'assertions

    predicatives, comme le souligne justement Kant

    dans

    toute

    la première

    Critique, soit qu'il évoque

    les

    prédications

    dont

    l'espace

    est a

    priori l'objet dans l'intuition pure (touchant

    son

    ouverture

    infinie

    et

    sa

    «

    dimension

    »

    au

    sens moderne,

    par

    exemple), soit qu'il

    évoque,

    dans

    la

    méthodologie de

    la

    raison

    pure, la façon dont on arrive à des prédications synthétiques en

    passant par

    la

    construction de concepts.

    Dans

    une approche moderne,

    l'intuition

    du

    nombre ou

    de

    l'espace

    investira

    une

    axiomatique,

    qui

    prétendra

    la

    traduire

    par

    un

    ensemble

    de

    « thèses ». Tout

    ceci

    reprend et précise le lien

    de

    notre

    moment

    a / avec l'assertion, la

    prédication, la

    connaissance

    en tant que

    comportement envers

    un objet.

    Les

    questions

    léguées

    sont

    d'une

    manière générale les thèmes

    de

    recherche

    que

    le mathématicien trouve déjà là, qu'il n'a pas à

    produire de

    toutes

    pièces

    en

    faisant

    intervenir sa capacité

    per

    sonnelle d'émerveillement. Dans la

    terminologie

    moderne, on

    parle

    de

    « conjectures »

    ou

    «

    problèmes ouverts

    »

    ; il s'agit

    donc

    de ques

    tions dont

    la

    résolution est attendue, parce

    qu'elles ont

    été posées

    par

    un

    auteur

    célèbre

    dans

    le

    contexte

    contemporain ; mais il y

    a

    toujours eu, semble-t-il,

    de

    telles questions

    (songer à

    la quadra

    tureu cercle

    ou au problème de

    la cycloïde). Tant qu'on

    n'en

    envisage

    pas d'autres, le moment b / apparaît comme

    complète

    ment

    ntramathématique,

    les

    questions sont

    suscitées

    et

    trans

    mises par les

    mathématiciens,

    et les noms propres

    qui

    les avalisent

    viennent rappeler

    cette

    appartenance du

    questionnement à

    l'aire

    mathématique, dont résulte une sorte

    d'autarcie

    quant à la fina

    lisation

    pour

    l'activité mathématique.

    Mais

    il

    est clair

    que par

    ailleurs sont noués

    des

    rapports

    de discipline à discipline

    qui

    87) Dans

    notre

    thèse de doctorat

    Le continu

    et le

    discret ;

    voir aussi

    ce

    que dit

    Jean

    Petitot au sujet des mathématiques dans

    Morphogenèses du

    sens (Paris : pup, 1985).

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    21/53

    La

    tradition

    de

    V

    infini

    175

    induisent

    une

    autre

    modalité du

    moment b / :

    cela fait

    partie

    de

    la position

    de mathématicien d'être disponible

    pour

    entendre

    dans

    le discours

    de

    la

    science

    exacte

    des « questions

    »,

    et

    de

    les

    regarder

    comme relevant

    de

    sa

    responsabilité.

    On

    a donc

    un

    second

    principe de

    finalisation, externe celui-là, auquel nous sommes

    peut-être redevables

    de

    l'existence du calcul différentiel, et qui,

    aujourd'hui,

    commande les nombreux

    développements

    mathémat

    iquesrticulés

    sur la

    mécanique quantique et

    l'informatique

    théorique.

    Le troisième

    moment de

    notre liste

    renvoie

    aux notions de

    maître et d'école, déjà

    pertinentes

    à l'époque grecque (28). Ce

    moment

    fondamental est celui par

    lequel

    un sujet est en général

    intronisé

    à

    la

    pure faculté d'émettre

    des

    mathématiques

    :

    c'est

    le moment de

    la fourniture du

    cadre.

    L'enseignement reçu

    contient

    ainsi

    le

    langage

    spécifique de

    l'activité

    mathématique, c'est-à-

    dire des

    éléments

    aussi essentiels

    que

    les méthodes reconnues

    comme efficaces

    (avant toutes

    choses, explicitées) à

    une

    époque

    donnée,

    ou

    qu'une carte

    de

    la

    contrée de

    l'objectivité mathémat

    iqueen tant

    que

    cette dernière est verbalisée, plutôt qu'intui-

    tionnée). Plus encore, et plus originairement, ce moment de l 'ense

    ignement situe

    le

    mathématicien comme

    tel à

    partir

    d'une

    relation

    singulière

    à tous ces éléments, qui

    s'établit dans

    le commerce avec

    un ou plusieurs maîtres singuliers. Le

    style

    particulier sous

    les

    auspices duquel l'ensemble du

    cadre a

    été

    transmis

    ne cesse jamais

    de compter

    mathématiquement, et pas seulement comme coloration

    marginale de

    la

    mémoire : d'une certaine façon,

    c'est

    en tant

    que

    les

    contenus

    ont

    été assimilés

    dans ce

    style

    qu'ils

    sont mémorisés,

    et toute une manière personnelle de l'invention peut résulter de

    conditions singulières d'assimilation, non pas au sens où le nouveau

    mathématicien

    « répéterait » mécaniquement les démarches et les

    tics

    de

    ses maîtres, bien entendu, tnais au sens

    d'une

    élaboration

    complexe

    du

    style

    de

    production

    mathématique

    à

    partir

    du

    style

    de l'enseignement où

    l'on

    a baigné (ainsi,

    nous avons

    entendu

    Claude

    Ghevalley, notre

    maître,

    dire

    que les

    œuvres de

    sa géné

    ration (la « bourbakiste

    »)

    avaient

    été fortement motivées par le

    rejet

    critique des manuels de l'époque et de leurs auteurs ; et il

    M) Pour un

    survol où

    il est

    fait mention

    de plusieurs écoles et de plusieurs discours

    de disciples,

    se référer

    à Popper,

    Conjectures et

    réfutations

    (Paris

    :

    Payot,

    1985), 119-138

    et 206-250.

  • 8/16/2019 Salanskis Non Standard

    22/53

    176

    Jean-Michel Salanskis

    nous

    plaignait,

    non sans raisons,

    de

    disposer d'aussi bons maîtres

    et

    d'aussi

    bons traités ).

    La différence entre la

    situation

    avant et après

    le

    formalisme,

    à

    notre

    avis,

    peut

    être

    décrite

    en termes

    de la manière dont les

    trois

    moments sont

    supposés

    s'ordonner pour se

    compénétrer. Ce

    qui

    se

    modifie en effet, d'une époque

    à l'autre,

    ce

    sont

    les

    rapports

    de dépendance

    entre ces moments ; nous entendons par là, selon

    la

    terminologie utilisée par K. Mulligan et B. Smith

    dans

    Parts

    and

    Moments (29), qui

    eux-mêmes

    reprennent

    et approfondissent

    les

    notions

    mises en avant par Husserl dans la troisième recherche

    logique,

    ce type

    de

    rapport

    entre l'entité

    В et

    l'entité

    A

    qui

    consiste

    en ce que

    В

    ne

    peut se présenter

    sans que

    A

    ne

    se présente :

    la

    présentation

    de

    A

    est

    nécessaire à

    celle de

    B.

    Dans

    le

    cas

    un

    tel rapport

    de

    dépendance

    est unilatéral (où la présentation

    de

    В

    n'est pas de son côté nécessaire à celle de A),

    nous

    parlons

    d'une

    relation de fondement

    et

    disons

    que В

    est

    fondé sur

    A. Comme

    on

    le

    voit,

    le

    type

    de hiérarchie

    ainsi dégagé est logique,

    mais

    avec

    une référence aux modalités ontiques

    dans la logique

    mise en

    jeu.

    Nous nous intéressons

    quant

    à nous, non pas

    d'abord

    aux

    relations

    de

    ce

    type dont

    on

    pourrait

    montrer

    (au niveau

    d'une

    psychologie)

    qu'elles sont objectivement attestées, mais, comme

    nous

    le disions plus haut, à celles

    qui

    sont

    « supposées » avoir

    cours,

    c'est-à-dire

    à

    la façon dont on

    se

    représente

    couramment

    la hiérarchie

    de

    ces

    moments

    dans le milieu

    mathématique.

    Cela

    dit, c'est

    le propre

    du

    monde

    mathématique

    d'être

    en

    partie dirigé

    par ces représentations, et il en résulte éventuellement (et même

    très probablement : nous

    y

    reviendrons) une certaine vérité

    de

    la

    structure.

    Dans la

    conception préformaliste donc, le moment a /

    est premier, le

    sujet

    mathématisant est

    d'abord «

    face à

    face »

    avec l'intuitionné

    fondamental,

    avec

    le

    nombre et l'espace

    ;

    il

    hérite des questions léguées lorsqu'il

    s'oriente

    d'une façon

    ou

    d'une

    autre vers

    cet

    intuitionné, reprenant

    à

    son

    compte une

    inter

    rogation

    au

    sujet

    de

    celui-ci, et

    cela, il

    ne

    le peut

    que pour

    autant

    que

    le moment

    a / est présupposé, peut-être même

    l'orientation

    de son questionnement

    prolonge-t-elle la qualité

    particulière de

    son intuition ; enfin, l'enseignement

    reçu

    sera mobilisé principal

    ementun

    niveau instrumental,

    celui

    des méthodes qu'il recèle

    8e) (Munich

    :

    Philosophia Verlag, 1982)

    ;

    voir notamment l'article introductif

    :

    Pieces of a Theory, par В.

    Smith

    et K. Mulligan (p. 15-91).

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    La

    tradition de

    l'infini

    177

    (ou bien, dans un

    registre plus

    noble, les idées qu'on peut

    y

    puiser),

    une telle mobilisation, à

    nouveau,

    n'ayant

    de

    sens

    que

    si une

    ques

    tion

    au moins est posée,

    la

    nature

    du

    langage et des

    connaissances

    invoquées

    dépendant,

    dans la

    mesure

    où leur invocation

    est per

    t inente

    de

    l'orientation questionnante acquise avec le moment

    b /.

    Dans la

    conception formaliste, on lit le scénario idéal de l'acti

    vité

    mathématique dans

    l'autre

    sens. L'enseignement

    reçu est

    premier, directement en tant qu'il transmet le

    cadre

    de référence

    linguistique :

    dans ce

    cadre

    sont rencontrées les questions

    léguées,

    qui

    n'exerceraient

    aucun questionnement « avant » ou

    indépe

    ndamment

    de

    ce contexte du discours

    transmis

    ; le moment b /

    est donc fondé

    sur

    le moment

    с

    /.

    Quant

    à

    la

    confrontation

    naïve

    avec

    l'intuitionné,

    il

    n'y

    en

    a

    plus,

    du moins

    pas

    sur

    le

    mode

    articulé,

    tranché

    qui

    pourrait favoriser l'émergence

    d'une

    question.

    Bien

    plutôt,

    la

    relation avec cet intuitionné fondamental est à certains

    égards pensée comme le

    troisième

    et le

    dernier

    de nos moments,

    l'intuition étant véritablement une

    intuition

    qui

    voit

    seulement

    après un

    premier

    tour démonstratif, un effort d'élaboration des

    questions léguées

    selon

    l'enseignement reçu ;

    comme

    si le fait de

    parler, d'écrire au sens si particulier

    de

    l'écriture formelle était

    le seul événement susceptible de dessiller les yeux, d'entamer

    l 'opa

    cité

    riginaire de l'intuitionné

    (la

    métaphore

    psychanalytique,

    et

    plus antérieurement l'allusion au mythe

    d'Œdipe

    et à

    l'interroga

    tione

    Tirésias par ce

    dernier, bien

    qu'étrangères

    à

    l'environne

    ment

    onceptuel de

    cet article, ne viennent pas

    ici

    par hasard ou

    malencontreusement :

    elles

    situent assez justement, bien

    que

    par

    tiellement ce dont il

    s'agit).

    On se représente donc l'intuition du

    moment a f comme quelque chose qui ne

    peut se présenter

    que

    si

    les moments

    с

    / et b /

    se

    présentent eux-mêmes ou, si

    l'on préfère,

    «

    opèrent

    ». Il apparaît

    donc

    que la mutation formaliste

    fait subir

    au

    modèle de

    la relation du discours mathématique avec ce

    qui

    le

    précède

    un

    complet

    renversement

    :

    au

    lieu

    que

    le

    moment

    с

    /

    se

    fonde sur

    le moment b / qui lui-même se

    fonde sur

    le moment a

    /,

    c'est

    le moment

    с j qui

    fait fonction de socle, et

    les

    moments

    a /

    et

    b

    I se rattachent à lui comme à leur fondement, le moment a /

    perdant toute autonomie au point de se fonder

    sur с

    / à travers b j.

    Il

    est bien clair

    que l'élément

    décisif de

    ce

    renversement consiste

    à identifier ce

    qui

    précède le discours du mathématicien, ce

    qui

    le précède

    « prioritairement » en quelque sorte,

    non plus

    comme

    son

    objet

    intuitionné,

    mais comme la

    leçon

    et

    le

    langage reçus.

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    La tradition de V

    infini

    179

    pur

    au sens kantien, mais

    il

    faut redouter tout rabattement de ce

    registre sur des

    interprétations

    spécifiques et

    datées, quelle que

    soit leur importance pour nous.

    Pour

    cette

    raison, il

    sera

    peut-être

    prudent de donner

    deux

    repères

    qui

    situeront

    suffisamment

    ledit

    registre éthique pour

    la

    suite de

    cet article

    :

    1 / Ce registre est

    celui

    au sein

    duquel

    on accède au concept

    d'une

    maxime

    absolument

    juste, c'est-à-dire non fondée

    dans

    l'être,

    en

    aucune

    manière

    justifiée par ce

    que

    sont

    le

    cosmos, la coutume

    ou

    l'âme

    humaine, en résumé par ce

    que

    Wittgenstein

    dans

    sa

    « Conférence

    sur

    l'éthique »

    (80) appelle un

    «

    modèle prédéterminé

    ».

    2

    /

    Ce registre est encore celui

    au sein duquel ce n'est pas

    l'objet, mais

    autrui

    qui

    prévaut. Le sujet n'y est pas pris comme en

    rapport

    avec

    des choses

    dont

    il

    tâche

    de

    se

    servir

    ou

    qu'il

    prétend

    connaître, comme dans les registres pragmatiques

    et théoriques

    respectivement, mais

    avec

    l'autre homme ;

    et,

    de

    ce rapport, ne

    peuvent

    guère

    surgir qu'une demande, une limitation,

    un

    comman

    dementdont

    le

    sujet

    sera le destinataire.

    En complément à cette amorce

    de

    présentation du thème phi

    losophique

    du

    registre éthique, sur

    lequel

    nous fondons

    notre

    approche originale des mathématiques, notamment contemporaines,

    faisons deux observations.

    Premièrement,

    le

    concept d'une maxime

    non

    fondée

    dans

    l'être

    est un concept paradoxal,

    comme

    le souligne

    d'ailleurs

    Wittgenstein

    dans

    le

    texte

    mentionné plus

    haut, en

    raison

    du caractère absolu

    ment

    nglobant,

    pour

    qui

    la suit

    sans

    résistance comme elle signifie,

    de

    la

    pensée de l'Etre. C'est pourquoi, il n'est pas

    possible

    de

    s'attacher rigoureusement à ce concept sans dégager un concept

    particulier de l'Infini, l'Infini étant

    en l'occurrence

    le nom de

    ce

    paradoxe,

    paradoxe

    d'un « ce » qui

    est

    supposé absolument

    obli

    geant et totalement déconnecté de l'être tout à

    la

    fois

    :

    «

    ce » serait

    Dieu

    dans

    un

    discours théologique, mais

    cette

    désignation

    n'est

    pas satisfaisante si l'on

    voit,

    comme

    c'est

    le

    cas dans

    toute

    une

    tradition, Dieu comme l'Etre suprême,

    elle

    ne s'accorde pas avec

    cet

    étrange et

    difficile

    concept de l'Infini

    éthique sur lequel nous

    reviendrons plus loin, et qui fait partie, indissolublement, du

    registre

    éthique.

    Deuxièmement, nous connaissons une sorte de moyen terme

    M)

    In

    Leçons et conversations (Paris : Gallimard, 1971), 141-155.

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