gril, denis, le mawâqi' al-nujûm de ibn arabî

12
EL VIAJE ÎNTERIOB. ENIKE ORU^'O: Y OCCIDENTE. LA ACTUALIDAÛ DtL PENSAMIENTO DE USN 'MASÎ- Imprenta: Rlprogcàficua Malpr, S.A. ISBN: 978-84-3352-068-0 Dcpôsico Légal: M-Ï3849-200S El via je interior entre Oriente y Occidente: La actualidad del pensamiento de Ibn 'Arabï Patio Beneitoy Pilar Garrido (eds. ALQUITARA

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Page 1: Gril, Denis, Le mawâqi' al-nujûm de Ibn Arabî

EL VIAJE ÎNTERIOB. ENIKE ORU^'O: Y OCCIDENTE.

LA ACTUALIDAÛ DtL PENSAMIENTO DE USN 'MASÎ-

Imprenta: Rlprogcàficua Malpr, S.A.

ISBN: 978-84-3352-068-0

Dcpôsico Légal: M-Ï3849-200S

El via je interior entreOriente y Occidente:La actualidad del pensamientode Ibn 'Arabï

Patio Beneitoy Pilar Garrido (eds.

ALQUITARA

Page 2: Gril, Denis, Le mawâqi' al-nujûm de Ibn Arabî

l Prôlcgo

12 Entre Oriente y Occidente /Between East and Wesi

l^ _ li'n 'Arabî y SvxdetAorg: propuestas para unajilosofmjl^i'.rativa

JOSÉ ANTONIO ANTON PACHECO

26

43 (Tke Land of ttx Olive: East- West PoiaritiesAcccrding to îbn cArabt)

CECILEA TWÏNO-I

86 El viaje interior / Tke Spiritua

87 Sobr£ la rnorada àe las cinco columnas iiiencionadaen la olra Furûhât rnakkiyya âc lin 'Aralî

PiuiR GAPRIDO CLEMENTE

94

114

El viaje a îravês de las esfefas ad ser intefior,segûn la obra Mawâqi" al-nugûm de lin ^

(Le voyage à travers les sphères de l'être intérieur,d'après les Mawâqi' al-nugûin d'Ibn j

134

DENIS GRIL

Textes relatives ai Trono en la obra de Ibn Masarra,contrastados con las doctrinas que llm 'Arabi £ Ibn Hazmle atribuyen

PILAR GARRIDO CLKMEHTE

148 La actualidad dft pcnsarniento de ïbn Vlratî /The Significance and Implicationsof Ib?t 'Arabî's Teacbing in Today's World

149

173

196

205

214

Los recursas del esplritu Ir.itnano: un viaje a troués deLi experienda cspirHual âe Ibn "Arafat

SOUAD HAKIM

(Tbt Importance of Rcvivino aTraditional AklarianUndfrstandtrw of îslam in Modem World)

MAHMUD EROL KJIIÇ

"Segundn Icctitra": Al-FutBhât al-makkiyyaV la rénovation dcl pcninniicnto isldmico

('Second Reading': Llm 'Arali'î butûhât and thé Rcnewalof klaniicTbouglil)

JAMUSW. MOR.IUS

248 Notas

Page 3: Gril, Denis, Le mawâqi' al-nujûm de Ibn Arabî

Le voyage à travers les sphèresde Vetre intérieur, d'aprèsles Mawàqic al-nugûmd'Ibn cArabï (Almeria 595/1199)

Denis Gril

a a vie et l'œuvre d'Ibn 'Arabi sont jalonnées

de voyages terrestres et célestes, ou intérieurs.Nombre de ses œuvres portent, dans leur ti-

tre même, la mémoire de ces parcours horizontaux etverticaux, comme le Isrâ' ilâ l-maqam al-asrâ «Le voyagenocturne vers la station sublime»1 ou le Isfâr an natâ'ip

-> û

al-asfâr, «Le dévoilement des effets du voyage»2. L'œuvrecentrale, à tous égards, les Futiïhâî al-makkiyya, constituel'aboutissement du voyage par excellence, le pèlerinage

à La Mecque, le retour au centre et sa reconquête, parl'illumination intérieure, auprès de la Kaaba, le cœur del'existence (qalb al-w-ugùiT).

Tout cheminement spirituel, à partir de l'être corporel etordinaire vers son propre être spirituel et sanctifié est en

réalité le voyage de toute une vie. Ibn 'Arabï, dans le livre

dont il va être question, fait remarquer au disciple impa-

tient que, lorsqu'on demanda à Gunayd, le grand maîtredes soufis de Baghdad au 3cme/9eme siècle, comment il avait

atteint un tel degré, il répondit simplement: «en étant restéassis sous cet escalier (dans sa maison) durant 30 années».

Quant à Abu Yazïd al-Ristamî, le grand maître du Hurâsânau début du au 3èmc/9èmc siècle, Ibn 'Arabt rappelle qu' «il

fut le forgeron de son âme 12 ans et le foulon de son âmeD

50 ans durant, puis il oeuvra 8 ans à. couper la ceinture

de son être extérieur et un an à couper celle de son êtreintérieur et qu'il dût, après cela, franchir encore quelques

obstacles»3.

C'est de ce voyage progressif, à travers lumières et obscuri-tés, joie et tristesse, réussites et dangers, qu'Ibn "Arabï nous

parle dans les M^wa^f al-nujûm, «Les couchants des étoi-les»4. On reviendra dans un instant sur le titre complet et

son sens. Grâce à l'auteur, nous savons qu'il fut composéà l'attention de son disciple Badr al-Habasï, un affranchiéthiopien, durant le mois de Ramadan 595/1199 dans la

ville d'Almena, l'un des principaux centre de spiritualité

d'al-Andalus à l'époque, sous l'influence d'Ibn al-'Arïf etde ses successeurs. Ibn cArabï avait atteint l'âge de 35 ans

et sa pleine maturité spirituelle et intellectuelle, après avoirparcouru al-Andalus et tout le Maghreb, pour recevoir l'en-

seignement de nombreux maîtres. Ce traité est sans doutel'un des derniers de la première partie de sa vie, suivi depeu, vraisemblablement, par le eAnqâ' mughribfi sifât katm al-

awliyâ' wa-sams al~Magbrib, «Le Phénix occidental au sujet duSceau des saints et du Soleil de l'Occident». Cet ouvrage,

composé selon GeraldT. Elmore en 596, à Almena égale-

ment5, traite des deux personnages par lesquels la sainteté

doit être scellée et parachevée à la fin des temps, le Sceaudes saints et le Mahdï qui doit apparaître à l'Occident, dans

leur dimension non seulement eschatologique, mais aussimicrocosmique et intérieure.

Les Hawaii' al-nugûm font plusieurs fois allusion à la hié-

rarchie initiatique et aux plus hauts degrés de la connais-sance. Cet ouvrage est destiné toutefois à un public plus

Page 4: Gril, Denis, Le mawâqi' al-nujûm de Ibn Arabî

n6

large que le cAnqa3 mugkrib et appartient aux traités surla voie spirituelle. Il concerne donc le voyage intérieur,selon un rythme particulier, comme nous allons le mon-trer, assez différent de celui des traités classiques de sou-fisme. Au moment où il écrit, Ibn "Arabï vient de re-cueillir auprès de ses maîtres cet héritage, ïl est frappantqu'il y cite un certain nombre d'auteurs comme Qusayrïou Sulamï6, tout en affirmant par ailleurs, comme il lefait souvent, le caractère inspiré du livre: «Je reçois, dit-il, du Roi ce que m'apporte l'Ange»7. Il y mentionneà plusieurs reprises et élogieusement Ghazâlï dont lesenseignements lui ont été transmis par ses maîtres. Sonmodèle et sa principale référence reste cependant AbuMadyan, mort près deTlemcen en 594 H., l'année pré-cédant la rédaction des Mawàqi1 al-nugûm, «maître desmaîtres de l'Occident» (sayh suyûh al-Maghrib'), tout com-me Abu Yazïd a été le maître des maîtres de l'Orient. Aun stade crucial de sa vie, avant le passage d'Occidenten Orient où il sera reconnu comme «le plus grand desmaîtres», Ibn 'Arabï fait le point sur son expérience de laVoie et la transmet à Badr, son proche disciple. Il accor-dait une importance toute particulière à ce livre, commeon le sait par plusieurs passages des Futûbât al-makkiyya. Ildit ainsi, dans le chapitre sur la pureté, à propos des huitmembres concernés par elle:

«Nous en avons parlé exhaustivement et en préci-sant les lumières, les charismes, les demeures spi-rituelles, les secrets et les théophanies attachés àchacun de ces membres dans notre livre intitulé Lescouchants des étoiles. A notre connaissance, personnen'a écrit avant nous au sujet de la voie selon une tel-le ordonnance. Nous l'avons rédigé en onze joursdurant le mois de Ramadan dans la ville d'Almeriaen l'an 595. Ce livre dispense du maître ou plutôt,

le maître lui aussi en a besoin8, car parmi les maî-tres, il en est de plus ou moins haut rang. Or ce

traité est au plus haut degré que puisse atteindre lemaître. II n'y a pas au delà de station dans cette Loisacrée par laquelle nous avons été soumis à l'adora-tion de Dieu. Celui qui possède ce livre, qu'il s'ap-puie sur lui, avec l'assistance de Dieu, car son profitest immense. Ce qui me pousse à faire connaîtreson rang est le fait que j'ai vu Dieu par deux fois ensonge m'ordonner: «Conseille mes serviteurs!». Or

o

ce livre est le meilleur conseil que je puisse donneret c'est Dieu qui assiste et en Sa main est la gui-dance. Nous n'y pouvons rien (lay$& lana min al-amrsay}\, le Menteur, dit vrai à l'Envoyé de Dieu— sur lui la grâce et la paix — lorsqu'il le rencon-tra et que ce dernier lui demanda:

—Qu'as-tu à dire ? (ma cindaka).—Sache, ô Envoyé de Dieu, répondit Iblïs, que Dieut'a créé pour la guidance et que tu ne détiens rien dela guidance et que Dieu m'a créé pour la perdition etque je ne détiens rien de la perdition.

Il n'ajouta rien, se détourna et les anges ^'éloignèrentde l'Envoyé de Dieu»9.

Ce court dialogue entre le Prophète et Iblïs exprime de lamanière la plus claire possible la condition première de toutvoyage intérieur. Nous savons par deux autres traités quel'auteur fit à propos du cœur en 597 à Bigàvva, où avait vécuet enseigné Abu Madyan, un additif aux M&-w5tpc, H préciseque cet ajout ne se trouve pas dans tous les exemplaires dulivre qui avait déjà été largement diffusé10. Cette précisionnous fournit deux indications intéressantes: l'une sur ladiffusion rapide et importante de l'ouvrage, l'autre sur ledernier parcours occidental d'îbn "Arabï qui la même annéepasse par plusieurs ville du Maroc avant de se rendre àTunisauprès du sayh °Abd al-'Azïz al-Mahdawï et de quitter défi-nitivement l'Occident11.

Page 5: Gril, Denis, Le mawâqi' al-nujûm de Ibn Arabî

L'ordonnance du Livre

Le titre complet: Mœwaqf etl-nugitm wa~matâlic ahillat al~asrâr wa~l-ulûm: «Les couchants des étoiles et les levers des croissantsde lune des secrets et des sciences» fait allusion à l'évolutioncycliques des astres lumineux. L'alternance de leur coucheret de leur lever suggère deux modalités de la connaissance,car le voyage n'a de sens que s'il produit à chaque étape unescience nouvelle-

Lé plan de l'ouvrage, tel que l'annonce l'auteur après l'envoiQutha) se présente ainsi:

" Ict degré (marîala): l'assistance conférée parO \ A

la sollicitude divine Uawfîq al-ïnâya)• ICT couchant (mawqf): l'assistance ou grâce divine:

étoile de sollicitude divine se couchant dans le cœurde l'imam régissant le monde visible ~ Icrc sphère:

l'islam• Ier lever (matla^): la conformité (wifâq ou muwafaqti):

dernier croissant: (hïlâl mabâq) se levant dans l'âme del'imam régissant le monde supérieur (gabarût et malakûf)— 2cme sphère: la foi (jttutft)

• Ier lever divin: premier croissant (bilâl irtiqâb), se levantdans l'esprit12 du pôle dans le monde intermédiairede la Miséricorde et de la Rigueur (barzah al-rabamûtwa-t-rakabùt) — 3l'mc sphère:la perfection

2èmc degré: la science de la guidance (Jiidayd)2émc couchant, de science (^ilmi): étoile de guidancese levant dans le cœur de l'imam régissant le mondevisible = 4cme sphère: l'islam.2emc lever, de vision direct (Vyâm), dernier croissant selevant dans l'âme de l'imam régissant le monde supérieur= 5eme sphère (ïmân): lever des 8 lumières saintes: soleil,

croissant, lune, pleine lune, astre rrxe, éclair, reu, lampe.

" 2emc lever transcendant et divin (i//î wa-ilahï*): premiercroissant, se levant dans l'esprit du Pôledans le monde intermédiaire de la Miséricordeet de la Rigueur = 6cme sphère (thsan).

\13• 3cme degré: la science de la sainteté (cilm al-walayaO \ S

" 3*™ couchant de science14: étoile de sainteté secouchant dans le cœur de l'imam régissant le monde

o

sensible — 7cme sphère (islam): couchant des sphèresdes huit lumières: ouïe, vue, langue, main, ventre, sexe,pied, cœur.

• 3^ lever de vertu (huluqïy. dernier croissant,se levant dans l'âme de l'imam régissant le mondesupérieur — S sphère (îmâiî).

• 3emt lever transcendant et divin: premier croissant,se levant dans l'esprit du pôle, dans le mondeintermédiaire de la Miséricorde et de la Rigueur

o

= 9im<: sphère (ihsân).

De ce plan ressort tout d'abord une hiérarchie tnpartite desdegrés ou étapes de la Voie: 'ïnâya, hidâya, walâya: prise en char-ge par la sollicitude divine sans laquelle aucun progrès n'estpossible, guidance et enfin sainteté. Cette division tnpartitcse retrouve à l'intérieur de chaque degré dans lés termes duhadith bien connu où Gabriel interroge successivement leProphète sur l'islam, défini par les cinq obligations fonda-mentales de la religion et concernant les actes extérieurs; surla foi (ïmân), donc la perspective intérieure; enfin sur la per-fection (j&aëï) consistant dans le remplacement de la visionque le serviteur cherche à avoir de Dieu par la vision de Dieului-même et aboutissant donc à la résorption de l'être contin-gent dans l'Etre réel. Cette trois fois triple répartition donne9 stades correspondant aux 9 sphères de la cosmologie isla-mique traditionnelle: les 7 planètes, la sphère des fixes et celledu ciel non étoile15. On remarquera aussi la répétition vouludes mêmes expressions: coucher, lever du dernier et lever dupremier croissant, ce qui suggère que chaque degré commence

Page 6: Gril, Denis, Le mawâqi' al-nujûm de Ibn Arabî

par l'occultation d'une lumière stelïaire dans le monde visibleou sensible du corps, suivi par le lever d'une lumière lunaireen fin de cycle et l'apparition du premier croissant marquantl'avènement d'un nouveau cycle de l'astre lunaire, symbole dela perfection humaine. La division triparti te est aussi celledes trois mondes mis en rapport arec les trois dignitaires dela hiérarchie initiatique: l'imam de la gauche, correspondantau royaume ou monde sensible, l'imam de la droite, corres-pondant au monde céleste (gabamî et malakiït, selon l'ordregénéralement privilégié par Ibn "Àrabï) et enfin le Pôle (JH/P).Par sa position centrale et axiale, il réunjt les aspects divinsopposés (ici rœbamut et rahahûl On comprend donc la préci-sion des Futûbât le livre concerne aussi bien le maître que ledisciple. On y trouve en effet de nombreux développementsdont peuvent tirer parti tous ceux qui cheminent vers Dieu,à un degré ou à un autre, mais aussi des passages, souvent enprose ri niée ou en vers, destinés, comme bien souvent dansles œuvres du Cheikh, à la seule élite spirituelle.

Il faut signaler enfin, et bien qu'Ibn cArabï n'en explicite pasl'intention, que le début: du titre Mawâqf al~mtgûm est une ex-pression coranique16 désignant symboliquement, selon Ibn"Abbâs17, la descente fragmentée et successive (nuguman) desversets du Coran sur le cœur du Prophète, au fur et à mesurede sa mission terrestre. Nous verrons un peu plus loin laplace que tient le Coran et sa récitation en particulier danscet ouvrage. Les croissants de lune sont mentionnés dans leCoran, à propos du pèlerinage , voyage par excellence enislam, comme on l'a vu. Selon Ibn cArabï, cette particularitétient au fait que le pèlerinage, plus que tout autre acte d'ado-ration, est le lieu de la théophanie divine19. Quant au pre-mier croissant de lune (ici hilâl irtiqâb'), son observation et savision pour déterminer le début du mois du jeûne symbolise,selon Ibn CArabï, «le lever du croissant de la connaissanceà l'horizon des cœurs des connaissants, procédant du nomdivin rU-m.àdm20. Les croissants sont donc bien ceux dessciences et des secrets réalisés par le voyageur vers Dieu.

Il ressort donc de cette première analyse du titre que levoyage initiatique auquel Ibn 'Arabï convie son disciplene suit pas un tracé linéaire mais cyclique et ascendant,selon un rythme ternaire, par un jeu de correspondancesentre les diverses phases de la progression spirituelle. Lerecours à une symbolique astronomique situe d'emblée lelecteur, et donc le voyageur, au cœur d'une réalité à troisdimensions: l'Homme, le Livre, le Cosmos, dans leur in-terdépendance et leur relation à Dieu. C'est respectivementdans le cœur, l'âme et l'esprit de chaque imam situé aucentre des neuf sphères que s'accomplissent le coucher etle lever des luminaires. Tout homme devrait donc pouvoirretrouver en lui-même la projection de ces lumières. Com-me l'indiquent les trois phases de chaque degré: islam, ïmanet ihsân, par l'intériorisation progressive de la pratique dela Loi et de la foi dans la Révélation, la vision de l'Adorédevient possible. Intériorisation et union ou plutôt extinc-tion dans la contemplation constituent donc le viatique del'itinérant vers Dieu. Voyons maintenant plus précisémenten quoi il consiste.

La matière de l'ouvrage - -

L'ordonnance de ce plan, si régulièrement structurée, nedonne toutefois qu'une idée imprécise du contenu réel desM.awâqf al-mtjûm. En effet la longueur respective des 9 cha-pitres est très disproportionnée, selon l'importance donnéepar l'auteur à tel ou tel développement. On reviendra sut lesdeux notions de tawftq et mmvâfacja, l'assistance de Dieu etla conformité à son ordre, qui occupent les deux premierschapitres. Nous ne dirons rien du troisième dont la prose ri-mee et les deux poèmes exigeraient un examen plus attentif-Tout au plus peut-on remarquer qu'il y est fait allusion à laperfection muhammadienne et au Pôle, ce qui en expliquepeut-être le style hermétique. Ce premier degré (rnaftaèa) estrelativement court (pp. 8-24).

Page 7: Gril, Denis, Le mawâqi' al-nujûm de Ibn Arabî

/', ! v l s j e '. il ! ,

Par contre la quatrième sphère, concernant la science danstous ses aspects: sa relation avec la réalisation de l'unité divine(tawè&T), sa noblesse, la différence entre la connaissance et iascience (maiifa et cj'lm), question sur laquelle Ibn "Arabï revien-dra à plusieurs repnses, dans les Ftttûkât notamment, en ren-voyant aux Mawâqï] occupe une place importante (pp. 24-47),

Le sous-chapitre intitulé «Les sciences de la félicité éter-nelle dont on a besoin dans la Demeure de Paix» fait dela science le viatique dans la voie de l'au-delà. Il intro-duit un nouveau rythme, octénaire désormais. Les objetsde connaissance sont au nombre de huit (le nécessaire, lepossible, l'impossible, l'Essence, les Attributs, les Actes, lascience de la félicité et celle du malheur). Du point de vuede la Loi. sacrée, aux cinq statuts légaux (obligatoire, inter-dit, recommandé, déconseillé et licite), s'ajoutent les troissources de la Loi (Coran, Sunna et consensus)21. Les obli-gations légales (wazâ'ij al-taklif) s'imposent à huit membres(l'œil, l'oreille, la langue, la main, le ventre, le sexe, le pied etle cœur). L'ensemble de ces sciences sous la forme de huitlumières qualifiées chacune par le nom d'un luminaire. A ceslumières correspondent des catégories d'hommes spirituels,des stations ou lieux cosmiques signifiés par ces lumières etleurs contraires, des obscurités ou défauts que ces lumièresont vocation à dissiper. Ceci donne le tableau suivant:

• Lumières / Hommes spirituels / Stations / Obscurités• Lumière solaire / gens de connaissance

/ qualités spirituelles / obscurité de l'âme• Lumière du croissant / gens de vigilance

/ Géhenne mineure / doute• Lumière lunaire / gens de méditation

/ Géhenne majeure / distraction' Lumière de pleine lune / gens de conversation nocturne

/ ici-bas majeur / trahison

• Lumière astrale / gens a observance / ici-bas mineur/ ignorance et confusion

• Lumière de lampe / gens de retraites / paradis majeur/ obsession

" Lumière ignée, gens de combats spirituels/ paradis mineur / sottise et monde généré

• Lumière de l'éclair / gens de science / qualités de l'âme/ affirmation radicale de la transcendance.

Présentées selon un autre ordre, celui de la progression spi-rituelle, d'autres lumières, celles des hommes spirituels, sontmises en relation avec des œuvres spirituelles représentéescomme des sphères évoluant les unes d'orient en occidentou l'inverse. Ces lumières glorifient Dieu dans huit sphères,évoluant chacune selon son propre mouvement et possédantchacune son coucher, son point équatonal et son lever. Laplus haute de ces sphères, la lumière de l'éclair symbolise laréalisation du ta-wlld le plus pur et correspond du point devue inacrocosmique au lever du soleil à son occident à la findu monde et, du point microcosmique, à l'extinction dansla contemplation (al-fanâ'Jl l-musâbada). Tout ce passage né-cessiterait une étude attentive. Notons, pour l'instant, qu'ils'ordonne autour des sciences ou lumières ultérieures, résul-tant de la progression sur la voie, selon la double dimensionmacrocosmique et microcosmique de l'être, jusqu'à sa ré-sorption dans la lumière essentielle, éblouissante et fugitive,comme celle de l'éclair.

Pourquoi une telle insistance sur le chiffre huit? L'auteur nedit rien à ce sujet mais on peut en trouver l'explication dansun verset du Coran de la sourate al-Hâqqa. Au moment oùl'ordre cosmique s'effondre à la fin des temps, le ciel se fissure.«Les anges se tiendront sur ses côtés et porteront le Trône deton Seigneur ce jour-là au dessus d'eux huit (d'entre eux)»22.A propos de ce verset, le Prophète avait tait ce commentaire:«Et ils sont aujourd'hui quatre». Le passage de quatre à huitou du carré à l'octogone, représente le passage de la terre auciel, de ce monde à l'autre ou encore, du point de vue du che-minement initiatique, de l'extérieur vers l'intérieur.

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124

Dans la cinquième sphère. Fauteur fait prononcer à cha-cune cEes lumières un prône en prose rimée, suivi d'un poè-me. La sixième, dans le même style, fait allusion, commela troisième aux diverses catégories de la hiérarchie initia-tique (pp. 41-50).

La septième sphère qui inaugure le degré de la sainteté estconsacrée aux œuvres dont la validité est assurée par lascience dont il a été préalablement question dans la pre-mière sphère du degré précédent. Elle occupe la plus grandepartie du livre (pp. 50-178). Rattachant toute oeuvre à sonfondement coranique, Ibn cArabï remarque tout d'abordque les éloges attribués par Dieu dans son Livre aux dif-férents êtres, concernent leurs œuvres, alors qu'en réalité,c'est à Lui qu'en revient le mérite. U signale ensuite quetoute œuvre est mise en rapport dans le Coran avec unecertaine station (jnaqâm). Le voyage par les œuvres supposedonc le franchissement de toutes ces stations. Les œuvressont par ailleurs accomplies par les huit membres consti-tuant autant de sphères. A chaque membre correspondentdes signes Calamât') par lesquelles on reconnaît ceux qui l'ontemployé à ses œuvres spécifiques, ainsi que des demeuresspirituelles (manâzit) et des charismes (kammat} d'ordre sen-sible ou spirituel, témoins de l'approfondissement intérieurde son usage. On reviendra précisément sur cette questionde l'intériorisation des actes, sur laquelle repose l'essentieldu travail initiatique et donc le voyage intérieur. Mention-nons simplement, à propos de la vue, un passage importantsur les huit modalités de dévoilement: à propos de l'ouïe,l'écoute non seulement de la Parole divine mais de tous lesêtres du monde; à propos de la langue, un développementcapital sur la récitation du Coran, par le serviteur et parDieu. La sphère du cœur constitue évidemment le centre del'ouvrage, car le cœur est le point de départ et d'aboutisse-ment de toute orientation et voyage spirituels. Ce passagetraite des connaissances supérieures, de la hiérarchie initia-tique er de la relation entre le cœur et l'univers, puis de plu-

sieurs demeures dont le secret de la similitude entre Dieu etle monde, de l'ascension céleste et de l'héritage des prophè-tes dont sont gratifiés les itinérants vers Dieu, pour arriveren conclusion à l'idée que le cœur du connaissant, aprèsces voyages et ces ascensions, finit par devenir la Kaaba verslaquelle convergent les secrets divins. De voyageur, le cœurdevient le but du voyage. De même, le temps cyclique de lasemaine et des mois s'ordonne selon ce cœur, héritier de laprophétie et siège de toutes les manifestations des réalitésspirituelles et des présences divines.

Ce long chapitre s'achève par un retour à un discours beau-coup plus accessible à tout disciple, sur le cœur de l'invoca-teur. L'invocation (àikr) y est présentée comme le voyage paï-excellence, depuis la pratique des différentes formes de dikr,jusqu'à l'extinction de l'invocateur dans l'Invoqué, puis del'Invoqué dans l'Invoqué, car ce voyage est sans fin.

Les huitième et neuvième sphères sont traitées rapidementet l'ouvrage s'achève par quelques recommandations et unesérie de conseils extraits du Coran et intitulés Mawâqi1' al-nujûm al-Jurqâniyya. Pour Ibn "Arabï, la Révélation coraniquene cesse de ramener le voyageur vers son origine qui est lamême que celle de la Parole descendue sur le cœur.

Entre Dieu et le serviteur: assistance providentielle

et conformité à tordre divin

Le retour, à la fin du livre, à des conseils tirés du Coran an-nonce la conclusion des Fittubât al-makkiyya qui, elles aussi, seterminent par un chapitre de conseils inspirés du Coran etde la Sunna et par des invocations extraites de la Révélationou de la tradition prophétique. Cette conformité de l'écri-ture akbarienne aux modèles divin et muhammadien coïnci-de avec le premier fondement de la voie exposé au début desMawâqf. Selon ce dernier, rien n'est possible, à aucun mo-

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ment du voyage, sans l'assistance divine (tawfïq). Ce termed'origine coranique signifie le fait d'accorder les choses detelle manière que les conditions de la réussite soient réunies.Le serviteur deJDteu, ou le voyageur, se trouve alors en enaccord (muwàjaqa)23 avec la volonté divine, qu'elle s'exprimepar le Coran, la Sunna, la Loi ou sous un mode plus inté-rieur. Le mouvement qui entraîne l'adorateur et l'itinérantvers Dieu ne procède donc pas de sa propre décision maisde la mise en place par la providence ou la sollicitude divineCïnaya) des conditions nécessaires à ce départ. Le simpledésir d'être ainsi assisté par Dieu procède de cette assistance(Ja-inna iràdal al-tawfïq min al-tawfiq) (p. 12).

Dans sa forme la plus parfaite, l'assistance accompagne leserviteur à tout moment, dans «sa croyance, ses pensées,son secret intime, le lever de ses lumières, ses dévoilements,ses contemplations, ses entretiens intimes et tous ses actes»(p. 12). Le tawfïq est plus précisément défini comme «uneréalité spirituelle présente dans rame quand l'homme s'ap-prête à accomplir un acte quel qu'il soit et qui l'empêche decontrevenir à une limite fixée par la Loi, en accomplissantcet acte». Il est donc lié à l'observance de la Loi sacrée,à sa conformité avec elle (nmwafaqa) par opposition à soncontraire (mukâtafa) et, comme le rappelle le dialogue entrele Prophète et îblïs, il procède de la seule grâce divine.

Ces notions, simples en apparence, contiennent en réalitétoutes les étapes du voyage et les plus hauts degrés de l'ascen-sion, car aucune station ne peut être franchie sans le tctwftq,«clé de la félicité éternelle, guidant le serviteur vers le chemi-nement sur les traces prophétiques, le menant à l'acquisitiondes vertus divines». Il commence par l'apprentissage de laLoi et s'achève par la réalisation du tawbîd, de l'unité divine,non par soi-même mais par l'Unique lui-même. Le tawfïq sesitue donc du côté des œuvres que l'homme acquiert par5Qtl ptOptt effott, même s'il est assisté en cela par Dieu(Jamal, makâsib), tandis que son corolaire, la muwâfaqa, relève

de la science et des dons divin ('iltn, ma-wahib}. La consciencede cette assistance divine apprend à l'homme à reconnaîtrel'effet de la grâce, en lui-même, comme la reconnaissancede ses propres défauts, ou à travers les autres, comme 1 is-lam reçu par l'intermédiaire de ses parents (p. 17). On voitdonc quelles peuvent être l'efficacité et l'universalité d'unetelle prise de conscience, développant une constante pré-sence à Dieu, en soi-même et en toutes choses, à tel pointque seul le Pôle peut embrasser d'un même regard et d'unemême conscience l'efficience du tawfiq divin dans le monde

(p. 18).

Correspondances

Conditionnés que nous sommes par le temps et l'espace,nous avons du mal à concevoir le voyage autrement quecomme le déplacement d'un point à un autre, dans un tempsdonné. La Révélation "descendue" dans un langage humain,ainsi que le Prophète, s'adressant à tous, ne s'exprime pasautrement. Ibn £Arabî lui-même, se conformant au -modèleprophétique, parle de ses ascensions en termes d'espace, carl'expression des événements intérieurs est nécessairementmétaphorique. Toutefois le voyage intérieur est' d'une autrenature que celui des corps, même si l'analogie joue ici com-me ailleurs. En effet, de même que nous avons besoin denos jambes ou d'un véhicule pour voyager, le cheminementinitiatique requiert un moyen spécifique pour passer d'unétat à un autre, d'un plan de conscience à un autre. Le tawfïqjoue ici son rôle, car il signifie étymologiquement trouverun accord entre deux choses. Mais c'est la correspondanceentre deux plans ou l'affinité entre deux êtres (mimâsaèd) quirend possible le passage, par l'analogie d'une forme entredes plans différents. «Tout le livre, dit Ibn 'Arabï en parlantdes Msw£^r, repose sur la correspondance; il n'indique destation spirituelle, sans qu'il n'y ait en celle-ci la forme dontla correspondance ne t'y fasse parvenir» (p. 135). Au plus

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haut degré, c'est: ce qui rend possible la perfection humainepar analogie ou ressemblance (imidâhâtj entre la forme divineet humaine, grâce à laquelle s'exerce le tawfïq en toute chose(cf. p. 20). Sur le plan du cheminement initiatique, le prin-cipe de la correspondance trouve son illustration dans lelong passage de la 7eme sphère où sont énumérés les vertus etles charismes (haràmât) propres à chaque organe. L'intériori-sation du regard, par l'analogie entre l'œil corporel et celuidu cœur, aboutît à toutes les modes de perception, tels quele dévoilement (^kasf), la perspicacité (jirasa) et la contem-plation (îîmsâkada). Une vertu comme le scrupule (wara1^) estmise en relation avec le ventre, par le truchement de l'abs-tinence. C'est aussi le cas d'une entité spirituelle commel'archange Mikâ'il, traditionnellement connu comme chargéde répartir les subsistances octroyées par Dieu à chaqueêtre. De même, la nourriture, par correspondance, peut êtremise en relation, bien au delà de sa signification ordinaire,avec ce par quoi toute chose subsiste et, en dernier ressort,l'Essence absolue, ou encore avec les œuvres d'adoration etla pratique des vertus, considérées comme nourritures defélicité (voir pp. 119-20). La connaissance de cet organeexplique également la multiplication de la nourriture par lesprophètes et les saints. Le sexe, en tant qu'il appelle un par-tenaire masculin et féminin correspond à l'écriture du Ca-lame sur la Table gardée et donc à l'origine du monde et deslivres révélés, à la relation fécondante entre le maître et ledisciple ou à tout autre forme d'hymen spirituel. Il ne s'agitnullement ici d'une spéculation sur des symboles mais aucontraire de modes opératifs de transformation ultérieure.La capacité de certains êtres à marcher sur l'eau, à "replier"les distances ou à voler dans les airs n'est que le résultat del'avancée dans le monde suprasensîble (rnala.kût'). La corres-pondance s'effectue donc dans les deux sens: d'abord del'extérieur vers l'intérieur puis dans le sens inverse, à condi-tion que le charisme s'accompagne d'une science en rapportavec son domaine propre. Un miracle sans connaissance n'estqu'illusion. Ibn cArabï conseille à celui qui aurait le don de

marcher sur l'eau sans avoir acquis toutes les connaissancesrelatives aux secrets des eaux, de s'interroger sur la vertuqui lui a valu ce charisme et de prendre conscience de saréalisation imparfaite, de sorte que les deux plans, cognitifet sensible, soient en parfaite correspondance (voir p. 131).Il est clair que pour le Cheikh, les miracles n'ont de sensque s'ils apportent ou révèlent une science fondée sur lacorrespondance entre les différents plans et degrés de l'Etre.C'est ainsi qu'il évoque, à propos des charismes du cœur,certaines connaissances relatives à la hiérarchie initiatique,en vertu de l'analogie évidente entre le centre de l'être et lecentre du monde (voir p. 152).

Le cœur est par excellence le lieu de toutes les correspon-dances puisque l'Homme est un "noble résumé " (muhtasarsfltif) de tout l'univers et qu'il est, par analogie avec le Livre,le lieu du rassemblement de tout ce qui est épars dans lemacroscosme (pp. 72-3). Ces quelques exemples épars decorrespondances permettent de comprendre que le voyageintérieur n'est jamais linéaire mais cyclique, c'est-à-dire faitd'incessants retours sur sot-même vers une nouvelle étape.Pour cela, le voyageur ne peut se passer de guide jusqu'àce qu'il devienne son propre maître. Ibn 'Arabï ^appelle àplusieurs reprises la nécessité du maître, étant donné tousles risques d'illusion et de dispersion que risquerait à en-treprendre seul un tel voyage celui qui ne maîtriserait pas samonture, à savoir son âme (voir pp. 56 et 165). Lorsqu'ildit à propos des Mawàqic al~migiïm que ce livre dispense dumaître, tout en ajoutant aussitôt que le maître en a lui aussibesoin, il veut dire par là qu'il contient toute la science dela voie vers Dieu. Le maître véritable est celui, qui a réalisé,à partir de son propre cœur et par l'intermédiaire de soncorps et de ses correspondances, que dans «l'existence touteentière aucune chose n'est en harmonie avec une autre, niaucune chose n'est en relation avec une autre sans qu'en-tre elles deux existe une correspondance extérieure ou inté-rieure. Lorsque le sage, l'observateur attentif la recherche,

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il la trouve. On raconte que ï'imam Abu Hamid al-Ghazalï—Dieu lui fasse miséricorde—, l'un des chefs et des seigneursde cette voie, qui défendait et professait le principe de cor-respondance, vit-un jour à Jérusalem une colombe et uncorbeau attachés l'un à l'autre par sympathie réciproque. 11se dit que leur union était due à une correspondance entreeux. Il fit vers eux un signe de la main. Ils partirent en mar-chant et il apparut alors que chacun d'eux boitait (p. 96).Ibn cArabï cite aussi l'exemple d'Abû Madyan dont la pen-sée s'attacha un moment à autre que Dieu, Une personnemarchait alors à ses côtés. Il en ressentit de la gêne, jusqu'aumoment où il l'interrogea et s'aperçut que l'homme était unassociateur. Comprenant la correspondance entre sa penséeet cette personne, il la quirta (pp. 96-7). Seul un maîtrepleinement conscient de ce principe et de la vulnérabilitéfoncière de l'âme peut dans un tel cas se diriger lui-même.

Sur lu voie de la perfection

Si l'ouvrage s'adresse aussi bien au maître qu'au disciple,c'est qu'il ne cesse de donner accès à de multiples voies deperfection, à travers toutes les sphères de l'Etre. Le recoursau symboles des lumières célestes rappelle qu'à chaquephase de ce parcours circulaire et ascendant, le cœur reçoitd'innombrables sciences et connaissances. Ibn cArabï, à titred'exemple sans doute, fait le décompte vertigineux à proposde la demeure d.e la théophame du nom divin al-Samaà (lesustenteur universel) de tous les degrés et lumières que re-çoit celui qui en fait l'expérience. Personne, dit-il, n'a jamaisparlé de cette demeure dans laquelle on ne peut entrer sansjeûner, invoquer la nuit, en retraite de 20 à 30 jours, dansl'attente de l'inspiration sacro-sainte et du souffle insignedu Tout-Miséricordieux (al-wârid al-aqdas wa-nafas al-rabmânai-anfas). On se reportera à l'énumération extrêmement pré-

Cige et grandiose de toutes les modalités de connaissanceque reçoit celui qui est gratifié d'une telle théophame (voir

pp. 158-9). Ibn 'Arabi ne cherche pas à impressionner sondisciple et premier lecteur ni à lancer un défi à ses sem-blables. Il tient simplement à rappeler que la voie est faited'oeuvres et de dons et que les seconds sont sans communemesure avec les premières. Alors qu'il n'emploie pas encoredans ce livre, comme dans la plupart des textes de l'époqueandalouse, le terme d'Homme parfait ou universel (insankâmil), tous les éléments de sa doctrine de la sainteté sonten œuvre dans cet ouvrage, même s'il faudra attendre lesFutûhât al-makkiyya. puis les fums al-hikam pour que cette doc-trine s'exprime dans toute son ampleur.

La sainteté, ce sont tout d'abord des hommes qui ont par-couru avant l'auteur les voies de la perfection, qui ont plongédans les océans célestes et en ont rapporté les perles qu'ilnous retransmet. On a déjà signalé la place particulièrequ'occupent dans ce texte les figures, orientale et occidentale,d'Abû Yazïd al-Bistâmï et Abu Madyan. Il est significatifque ce soit Abu Yaztd qui révèle à l'auteur, dans une vision,qu'Abû Madyan a été investi de la fonction de qulh une oudeux heures avant sa mort (p. 152). Sahl al-Tastan tient luiaussi une place particulière dans ce plérôme des saints. Ibn'Arabï rapporte de lui cet enseignement qu'il fait sien: «Leserviteur n'est pas connaissant par Dieu tant qu'ion est passavant par Lui et il n'est pas savant par Lui, tant qu'il n'estpas une miséricorde pour les créatures. Sahl ajouta: le cielest une miséricorde pour la terre, l'intérieur de la. terre estune miséricorde pour ce qui est à sa surface, l'autre mondeest une miséricorde pour ce monde-ci, les savants sont unemiséricorde pour les ignorants, les grands sont une miséri-corde pour les petits, le Prophète — sur lui la grâce et la paix— est une miséricorde pour les hommes et Dieu — que sagloire et sa majesté soient proclamées — est très-miséricor-dieux pour toute sa création» (p. 27). Cette phrase ne résu-me-t-elle pas l'essentiel? Sahl enseigne le rapport hiérarchi-que entre la connaissance et la science qui sont obtenues parDieu et non par soi-même. La connaissance informe sur la

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réalité des choses, mais la science apporte en plus la connais-sance des relations entre les choses et les plans de réalité. Laperspective de la correspondance n'est-elle pas ici annoncée?Le saint est celui qui, comme al-Khadir, réunit les deux at-tributs divins qui embrassent toute chose: la science et lamiséricorde (c£ Coran 18: 65). Le saint est aussi l'héritierdes prophètes et du Prophète, jusqu'à devenir le "muharn-madien accompli" (^mvihâmmadî al-niukammal, p. 154). Cettedonnée fondamentale parcourt tout l'ouvrage comme toutel'œuvre akbarienne. La citation de Sahl suggère également lecaractère englobant de la sainteté, tout comme la Révélationembrasse toute la réalité dans sa double dimension divineet créaturelle. C'est pourquoi il importe, comme Ibn 'Arabïle conseille à son lecteur, de connaître tous les aspects duCoran, tels que les révèlent ses divers qualificatifs, ainsi quetoutes les formes de récitation (titâwa) que seul peut vérita-blement réaliser le serviteur total ou universel (al-cabd al~kutti)(pp. 87-94). Seule l'unmersion dans le Coran et l'imitation(ittjhaT) du Prophète confère l'attitude appropriée en toutechose et dans l'ordre de la connaissance en particulier. LWflèoccupe également dans cet ouvrage une place importante,comme pendant à la notion de imiwâfaija, car il est le propredes savants par Dieu et des sages qui savent mettre toutechose à sa place. Remarquons enfin, la question de la sainte-té, dans cet ouvrage comme dans toute l'œuvre d'Ibn 'Arabï,étant inépuisable, que ce qui fait l'unité de ce livre aux direc-tions si multiples, c'est son auteur lui-même qui visiblementa embrassé et même dépassé l'ensemble des connaissancesqui provoque notre émerveillement, notre vertige et peut-être aussi un immense sentiment de faiblesse chez le lecteurqui aspire à goûter, ne serait-ce qu'à une toute petite part, dufruit de cet arbre.

Pourtant cette œuvre nous parle et nous touche. Elle agit en

nous et autour de nous. La raison en esc double. La fonc-tion du Maître, comme Ibn 'Arabï en a reçu l'ordre, est deconseiller. Ce devoir de conseil (nasïhaj découle d'un hérita-

ge et d'un devoir prophétique: transmettre le message (tablïghal~risâla), expression qu'il emploie à son sujet (p. 19) et pourqualifier tous ceux qui sont renvoyés vers les hommes dansla présence de la distinction (hadrat al-tafnq) pour aider leshommes à distinguer en eux-mêmes et autour d'eux ce quiest et ce qui n'est pas. Un tel homme est, du point de vue dela réalité essentielle, dans un parfait repos (^sakin) et, du pointde vue du monde, en mouvement perpétuel (mutalarrili) (p.39). La réalité de cet homme, comme le rappelle l'auteur,est inaccessible; il est le Soufre rouge et l'Elixir suprême(al-kibrit al~ahmar wa~l~iksïr al-aiHw) (p. 138), insaisissable etagissant. Ibn 'Arabï par ailleurs ne nous parle pas que dessaints du passé, mais établit au contraire un parallèle entreceux d'autrefois et ceux de son temps: Rabi'a al-'Adawiyya,Gunayd et Abu Yazïd d'une part et «à notre époque Abul-'Abbâs Ibn al-cArîf, Abu Madyan et Abu 'Abd Allah al-Ghazzàl (le successeur d'Ibn al-Wrïf à Almeria)» (p. 171).De ses contemporains, il parlera amplement dans le Rub al-quds rédigé en Orient pour faire connaître aux orientaux lavaleur des maîtres occidentaux. C'est dire que la saintetépour lui est toujours actuelle, aussi présente que la-Révéla-tion et la prophétie et que l'est aussi, ce livre sur lui en est lapreuve, l'auteur des Mawiîqf al-nugïim.