20100123_fradera_catalanisme

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  • 1

    Catalanisme : histoire dun concept

    Josep M. FRADERA

    Le catalanisme na rien dunivoque ni de transhistorique. Josep Fradera montre

    comment, de simple patriotisme faisant dans la premire moiti du XIXe sicle bon

    mnage avec le nationalisme espagnol, il ne sest tourn que tardivement en

    nationalisme, aprs divers avatars.

    Cet article est une traduction dextraits de Catalanisme publi dans La Ptria dels Catalans, Histria, poltica, cultura, Barcelona, La Magrana, 2009, p. 228-242.

    De tous les concepts utiliss pour dfinir les relations entre la socit catalane et

    lensemble espagnol socit et/ou tat , celui de catalanisme est, probablement, le plus

    difficile dfinir. Il en est ainsi dans la mesure o ce terme ne se rfre pas une conception

    ou une ide politique particulire, mais plutt une approche sentimentale et psychologique,

    individuelle ou collective, des Catalans lgard de leur pays et de tout ce quil reprsente. Il

    se rfre mme parfois ceux qui, ns hors de Catalogne, pensent partager ou partagent des

    motivations similaires. Toute prtention dfinir prcisment ce terme est par consquent

    condamne lchec, que ce soit pour des raisons hermneutiques ou conceptuelles.

    Cela dit, on peut clarifier considrablement le sens de ce concept par le biais dune

    approche mlant la fois la perspective historique et la thorie du nationalisme au sens large.

    Il est par exemple possible de cerner le moment prcis au cours duquel a pris forme lide

    nouvelle dune patrie propre dans la cosmovision catalane, et ds lors, celle de la ncessit de

    la dfendre et de llever par lempathie et le dvouement. Ce ne fut pas avant la deuxime

    moiti du XIXe sicle que, dans le contexte dun nationalisme espagnol partag par tous, des

    voix slevrent pour revendiquer une attention particulire la petite patrie. Lquilibre entre

  • 2

    le sentiment dappartenance lEspagne et lenracinement dans une ralit plus proche se

    manifesta dans plusieurs expressions, dont la plus connue, lEspagne est la nation et la

    Catalogne, la patrie , tablissait une hirarchie de sens vidente entre les deux appartenances,

    la connotation politique essentielle sorientant du ct de la nation politique qutait

    lEspagne. Aucun catalan navait de doutes sur ce fait dcisif jusqu la gnration du

    tournant du sicle. Ce fut prcisment dans le cadre de ce sentiment dobligation croissante

    envers le projet national espagnol que le besoin dun sentiment compensatoire, li la patrie

    originaire et historique, prit peu peu forme. Ces sentiments dappartenance furent favoriss

    par divers facteurs, parmi lesquels les suivants mritent considration : les facteurs

    conomiques la dnomme question protectionniste , bien plus ample que ce que le

    concept exprime , les facteurs politiques la faible importance de la participation politique

    catalane dans la vie de ltat et enfin, la sensation patente dune marginalisation des

    rfrences historiques ou littraires non castillanes au sein de la culture librale espagnole.

    Les dbuts du catalanisme patriotique

    Au cours de la dcennie de 1840, lun des fondateurs indiscutables du nationalisme

    espagnol moderne, Jaume Balmes, soutint avec une grande cohrence la thse de la ncessit

    dune politique catalane diffrencie. Balmes se rfrait une politique susceptible de

    dfendre les intrts industriels catalans, trs diffrents de lensemble des intrts

    conomiques espagnols en raison de lorientation de plus en plus agricole des exportations du

    pays. Au cours de cette mme dcennie et des annes 1850, une stratgie commune fut mise

    en place par divers groupes lettrs et politiques catalans de claire tendance librale, oriente

    vers la valorisation du pass, de la langue et de la culture catalanes. Faiblement politis dans

    ses stades initiaux, ce mouvement, qui culmina avec lorganisation de la plate-forme potique

    des Jeux Floraux en 1859 et dont le thoricien le plus ambitieux fut Manuel Mil i Fontanals,

    dfinit lensemble de la culture et de la langue rgionales sous le terme de catalanisme ,

    sans lui attribuer de sens prcis. Malgr cette limite et malgr ltroitesse du programme

    culturel dfendu, lide de rassembler les diffrentes branches de la culture pour exalter le

    pass historique et la ralit catalane se consolida au cours des dcennies centrales du XIXe

    sicle et continua saffirmer au cours des dcennies suivantes. Le mouvement dexaltation et

    de revalorisation du patrimoine littraire, culturel, archologique ou paysager sarticula autour

    dune srie de disciplines et de pratiques, individuelles et collectives, et les unifia en les

    dotant dun sens idologique commun. Le qualificatif de catalaniste fut ds lors toujours

  • 3

    plus attach la dfinition du profil culturel dentits ddies lexcursionnisme,

    larchologie et le chant choral.

    Politisation du concept

    Ce fut pendant le Sextennat Dmocratique (1868-1874) et la Premire Rpublique

    (1873) que lirruption dune srie de nouveaux groupes dans la politique catalane, bien

    quencore minoritaires, modifia le sens dun concept jusqualors dot dune signification

    culturelle et affective, mais dont la projection politique restait faible. Lusage politique du

    concept de catalanisme se produisit en gnral pour la premire fois pendant le Sexennat

    Dmocratique, et fut plus particulirement le fait de certains secteurs du rpublicanisme

    fdral. Parmi ces derniers, la figure la plus notable tait celle de Valent Almirall, qui

    commena le premier sloigner de la politique officielle du rpublicanisme fdral de

    Francesc Pi i Margall [prsident de la Ire Rpublique pendant un mois]. Ce dernier, catalan

    illustre tabli Madrid, stait efforc dorienter le modle dEtat libral hrit du libralisme

    modr des annes cinquante du XIXe sicle vers le fdralisme. Dans le contexte des dbats

    internes au fdralisme barcelonais, une petite entit dnomme Centre Catalaniste, la

    premire utiliser le terme catalaniste des fins politiques dclares, se constitua en

    1873. Aprs leffondrement de la Premire Rpublique, Almirall et ses allis prirent leurs

    distances avec lorthodoxie du parti fdral. Son groupe cherchait fonder un mouvement de

    classes moyennes autour dun projet que lon pourrait qualifier de catalaniste , dans le sens

    dun repli politique et sentimental vers la rgion qui situait la participation la politique

    gnrale espagnole en second terme. Lobjectif final de ce courant ne visait rien dautre,

    paradoxalement, que la recomposition de lunit pninsulaire sur des bases plurielles. Dans la

    sociologie particulire dAlmirall, ce projet sexprimait selon des termes diffrents de ceux du

    rationalisme galitaire du fdralisme, quil considrait dpass : Seule une harmonie entre

    lesprit castillan gnralisateur et le caractre analytique des rgions de lancienne

    confdration aragonaise peut dboucher sur la synthse dune nouvelle organisation de

    ltat, qui nous porte vers une vie politique et sociale diffrente et nous lve aux yeux des

    nations cultives . En 1882 et 1885 respectivement, la fondation du Centre Catalan et

    linitiative du Mmorial des griefs (Memorial de Greuges), signalrent le moment culminant

    de ce pari politique. Les divergences entre Almirall, fdraliste la nord-amricaine, et les

    groupes catholiques et modrment rgionalistes qui constiturent cette alliance ponctuelle,

    mirent fin cet usage, encore trs ouvert, du concept de catalanisme .

  • 4

    partir de l et jusquau dbut du XXe sicle, lide de catalanisme se rapprocha

    en gnral du sens strict de revendication de la culture et de la personnalit politique

    maltraite du pays, sans corollaire politique spcifique. Les groupes catalanistes se

    prsentrent en ce sens comme loigns de la politique pratique et des manipulations du

    systme de partis de la Restauration canoviste (mme dans ses versions rpublicaines en

    marge du systme dynastique)1, quils qualifirent doligarchique et de corrompu de manire

    rpte. La publication de Lo catalanisme (1886) de Valent Almirall, constitue la dernire

    tentative pour doter cet tat desprit assez diffus dune consistance politique, et pour rpondre

    par la mme occasion au dveloppement parallle dun rgionalisme de matrice catholique.

    Lexpression la plus propre du courant du catalanisme catholique se trouve dans un travail

    publi dans lintention explicite de freiner linfluence dAlmirall : La Tradition catalane

    (1892) de Josep Torras i Bages, vque de Vic. Dans cette uvre, le rgionalisme, en

    association intime avec le catholicisme, se prsente comme le bastion le plus sr contre la

    rvolution et la dissolution de la socit. Comme lvque Torras le signalait dans lun des

    chapitres de son uvre : La forme rgionale est, rptons-le, une extension de la famille, et

    se base sur elle : chaque rgion est une fdration de familles unies entre elles par des liens

    naturels trs troits, et qui viennent peut-tre toutes dune mme origine. Comment voulez-

    vous quune telle forme ne ft pas odieuse la Rvolution, dont lidal est labolition de la

    famille naturelle et chrtienne, et la constitution du phalanstre sous une forme plus ou moins

    nue ? 2

    Rgionalisme et nationalisme

    Alors que se dveloppait ce dbat idologique, deux concepts politiques, faonns

    pour provoquer un virage 180 de la politique catalane, firent leur entre en scne. Le

    premier tait celui de rgionalisme , qui prtendait donner de la cohrence la

    reprsentation et la dfense des intrts politiques catalans dans le contexte de la politique

    espagnole, le plus souvent selon des analyses orientes par le positivisme scientifique alors

    la mode. Le second fut celui de nationalisme . Ce dernier fut introduit par le groupe de

    1 NDT : Le conservateur Cnovas del Castillo, rdacteur de la Constitution de 1876, est considr comme lme du rgime de la Restauration (1875-1923/31) jusqu son assassinat par un anarchiste en 1897. Il met en place un systme dalternance pacifique et non dmocratique (turno pacfico) entre deux partis dynastiques (libraux et conservateurs). Les partis non-dynastiques (rpublicains, carliste puis catalaniste et socialiste) ne parviennent que rarement faire lire des dputs en raison des fraudes lectorales. 2 Josep Torras i Bages, La Tradicio catalana, Barcelona, Edicions 62, 1981, p. 87.

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    lassociation Jeune Catalogne, Enric Prat de la Riba en tte. Ce groupe se dclara

    explicitement nationaliste, sans prciser cependant quelle solution politique il considrait

    optimale ou viable pour les intrts de la Catalogne. La radicalisation idologique de ce

    groupe et le succs de la proposition dintervention politique quil formula pendant la guerre

    de Cuba et des Philippines, au cours des annes 1895-98, relgurent lide de catalanisme au

    rang qui lui avait t propre dans le pass : celui dune dfense gnrique des intrts catalans,

    en particulier en matire culturelle, et celui de la valorisation dun amour imprcis de la

    patrie. Le nationalisme naissant aspirait quant lui reprsenter de manire exclusive les

    revendications catalanes, marginalisant les autres expressions politiques enracines depuis des

    dcennies dans la socit catalane. La nation (et par l, le nationalisme), tait prsente

    comme lunique justification de laction politique, niant demble toute lgitimit aux

    diverses expressions de la politique librale des dcennies antrieures. Pour cette raison, et

    dans lobjectif explicite de marquer une rupture idologique, Prat de la Riba et Pere

    Muntanyola affirmaient dans leur Prcis de la doctrine catalaniste (Compendi de la doctrina

    catalanista), publi en 1894, que Ltat est une entit politique, artificielle et volontaire ; la

    Patrie est une communaut historique, naturelle, ncessaire 3. Une part importante de la

    politique nationaliste postrieure, en particulier pendant la premire dcennie du XXe sicle,

    sorienta vers une srieuse rupture sentimentale avec lEspagne (tat et socit) pendant que

    lon cherchait rformer le systme politique, dans la conviction que, si lon ny arrivait pas,

    la scession se trouverait pleinement justifie. Les implications de cette dernire hypothse ne

    furent cependant jamais vritablement discutes en profondeur.

    La Ligue Rgionaliste [parti nationaliste fond en 1901] et les groupes nationalistes les

    plus radicaux (ou moins conservateurs socialement) sorientrent donc vers une longue lutte

    lintrieur du systme politique espagnol de la deuxime Restauration [1898-1923]. Devant

    lampleur de la tche, la pratique culturelle simplement rcrative ou festive, identifie aux

    valeurs patriotiques actives par la rupture nationaliste du dbut du sicle, jouit dune grande

    marge dautonomie et de champ dactivit. Le catalanisme de sens diffus permit la survivance

    dun ample rpertoire dentits et dassociations, bien enracines dans les localits (ou dans

    les quartiers de Barcelone et des villes moyennes), au-del des disciplines de parti. Il faut en

    effet rappeler que, malgr les objectifs unanimistes initiaux, le nationalisme politique n lors

    de la crise de 1898-1901 stait divis par la suite. En dehors de la dsertion de personnalits

    3 Enric Prat de la Riba, Obra completa, Barcelona, Proa, 1998, vol. I, p. 218.

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    notables du noyau fondateur entre lesquelles on comptait par exemple larchitecte et homme

    politique Lluis Domnech i Montaner , la visite du roi Barcelone en 1904 provoqua le

    dpart du parti, tout juste constitu, du secteur le moins nettement conservateur, qui

    commena alors sa trajectoire longue et erratique aux marges de la grande baleine. Au cours

    de la deuxime dcennie du sicle, des figures comme le docteur Domingo Mart i Juli

    tentrent de rapprocher le catalanisme de gauche des perspectives socialistes, sans jamais

    parvenir vraiment senraciner socialement. Le rsultat de ces phnomnes de fragmentation,

    aussi minoritaires quils aient t, fut limpossibilit dune identification absolue entre le

    patriotisme catalan en gnral et le parti politique (la Lliga) fond au dbut du sicle.

    Au cours des annes immdiatement antrieures au coup dtat de Primo de Rivera

    (1923), les tensions lintrieur du nationalisme se manifestrent avec une force inusuelle. En

    marge des complications de la politique espagnole et du conflit social local, des vnements

    aussi divers que les Pques sanglantes irlandaises de 1916 et la Rvolution russe lanne

    suivante donnrent des ailes la prsence groupusculaire du nationalisme sparatiste. Aprs la

    dictature et lchec de la transition politique imagine par Francesc Camb au nom du vieux

    parti nationaliste, les courants nationalistes de gauche et rpublicains constiturent Esquerra

    Republicana ( Gauche Rpublicaine ) autour du vieux chef sparatiste Francesc Maci.

    Cette force politique de rassemblement devint le parti hgmonique en Catalogne pendant la

    Seconde Rpublique.

    Le catalanisme sous Franco

    Aprs 1939, les expressions politiques du nationalisme, du rpublicanisme et du

    mouvement ouvrier catalan furent vaincues et rendues illgales. Le catalanisme, en tant

    quexpression gnrique de certains sentiments et dun dvouement prpolitique au pays,

    occupa sous le rgime dictatorial de Franco un espace exceptionnellement ample et diffus

    dans la socit catalane. Le caractre extrmement oppressif du rgime franquiste lgard de

    tout ce qui pouvait sidentifier avec le nationalisme et le rpublicanisme catalaniste antrieur

    la csure de 1939 selon des modalits qui relvent dune authentique vengeance confra

    au catalanisme une aurole extraordinaire et une qualit didentification collective directe et

    de grande rsonance. Autour de lide de catalanisme slevrent les premiers efforts et

    tentatives de dfense de la personnalit et de la langue catalanes aprs la Guerre Civile. La

    difficult dinitiatives laspect revendicatif lmentaire, comme ldition des uvres de

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    lecclsiastique et pote Jacint Verdaguer ou ldition limite duvres au fort contenu

    religieux du pote Josep Maria de Sagarra, constitua un indubitable tmoignage des limites

    imposes par le franquisme la culture et la langue catalanes. Elles reprsentaient, en mme

    temps, des signes de continuit avec le pass, lintrieur du style et du ton du plus pur

    catalanisme culturel, cest--dire une certaine distance de la politique de partis.

    Paradoxalement cependant, la politisation de ces activits culturelles du catalanisme

    catholique dont une partie se situa, avec plus ou moins denthousiasme, aux cts des

    vainqueurs de la lutte civile tait comme produite lavance par laversion obstine du

    rgime franquiste envers toute manifestation qui rappela le pass immdiat. Un exemple

    notable des quivoques de cette priode est reprsent par lpisode de l intronisation de

    la Vierge de Montserrat, en mai 1947, premire manifestation publique de catalanisme

    et non pas de rsistance, comme on la dit parfois, puisquau fond une rsistance arme

    existait encore cette poque, mene par danciens soldats rpublicains de laprs-guerre.

    Le concept de catalanisme fut partir de l prfr tout autre pour dfinir

    lensemble htroclite dactivits culturelles et crypto-politiques de dfense de la culture et de

    la langue catalanes. Des personnes et des groupes de filiation trs diverse sy retrouvaient :

    catholiques et non catholiques, rpublicains et monarchistes, conservateurs et progressistes. Et

    plus important encore : dans les cnacles et les associations discrtement catalanistes

    conflurent des personnes et des groupes qui, pendant la Guerre Civile, avaient appartenu aux

    deux camps. En ce sens, le catalanisme de rsistance servit comme un lieu de rencontre au-

    del de la politique partisane et des frontires idologiques du pass, sans pouvoir dissoudre

    totalement les vieux antagonismes idologiques. Lcrivain et journaliste Josep Pla, situ sans

    complexes du ct des vainqueurs de la Guerre Civile, dfinit avec son efficacit proverbiale

    cette circonstance particulire lorsquil se rfre aux efforts de prservation de la langue

    catalane : Jappartiens une certaine tribu. Cette tribu occupe une certaine zone

    gographique, voit le monde sa manire, absolument personnelle, parle une certaine langue,

    pauvre et peu travaille, misrable (). Une littrature sous toutes ses formes est lesprit

    de la langue. Fondre la langue et le peuple, cest lui donner un esprit. Cest lobligation

    premire dun crivain. Cette tche est primordiale, et sil faut lui sacrifier trois gnrations, il

    convient de le faire imperturbablement .

  • 8

    Au cours des annes quarante et cinquante, les rfrents essentiels de cet tat desprit

    et de sentiments reposrent sur la capacit dinfluence de certains groupes et individus. En ce

    sens, et manire dinventaire, il est important de citer quelques cas : lextraordinaire travail

    de formation du pote Carles Riba dans le domaine priv, tout comme ses liens avec des

    potes et crivains du reste de lEspagne, par le biais de celui qui avait dtenu une importante

    charge de phalangiste, Dionisio Ridruejo (dport Llavaneres par le franquisme et

    traducteur, avec son pouse Glria Ros du Quadern Gris [Carnet Gris] de Josep Pla, ainsi

    que de notables potes catalans) ; limportance des tudes Universitaires Catalanes,

    clandestines, continuatrices de luvre dun Institut des tudes Catalanes supprim et

    dnigr, avec leur tte le vieil homme politique et architecte Josep Puig i Cadafalch ; les

    noyaux rsistants obstins dans le patronage dactivits culturelles dorientation catalaniste

    autour des avocats Maurici Serrahima et Josep Benet ; le travail extrmement important de la

    maison ddition Selecta, de Josep Maria Cruzet et de Josep Pla, catalans de Burgos lun et

    lautre, ou celui de Josep M.Capdevila avec la maison ddition Barcino. Il faut aussi

    mentionner limportant travail men terme par les amples milieux intellectuels de la

    diaspora rpublicaine, entre lesquels on peut citer la revue emblmatique des Cahiers dExil

    (Quaderns dExili), dite au Mexique par un groupe de jeunes artistes et crivains. Au cours

    des annes 1960, lobscur labeur que nous venons de mentionner spanouit en un rpertoire

    vari dactivits artistiques et littraires, dont lenracinement local rappelle en un certain sens

    la floraison associative du dbut du sicle. Grce au relatif affaiblissement rpressif du

    rgime, une bonne part de lactivit culturelle et littraire sarticula autour du dnominateur

    commun du catalanisme, lequel admettait nouveau des positions idologiques trs diverses.

    On ne peut ngliger la mention du mouvement musical dinspiration franaise de la

    Nouvelle Chanson , ou le cas du support massif au Barcelona Football Club (forc par le

    franquisme de changer lordre anglophone de son nom), la fondation dEncyclopdie

    Catalane et des ditions 62, le Club des Romanciers de Joan Sales, ou lexistence dun

    nombre considrable de publications culturelles permettant la rsurgence de ldition en

    langue autochtone. Il convient de mme de mentionner lapparition de nombreuses

    institutions ducatives, qui adoptrent (sans reconnaissance officielle) le catalan comme

    langue de lcole. Dans les annes 1970, lusage de la langue autochtone fut introduit de

    manire officieuse dans les universits catalanes et, de faon partielle, dans lducation

    publique et prive secondaire.

  • 9

    Le tournant nationaliste

    Entre les dcennies 1960 et 1980, point final de cette exploration, deux moments

    notables sont signaler dans les relations entre culture et politique dans lhistoire du

    catalanisme. la fin des annes 1960, une partie importante des cercles de gauche de

    rsistance politique au franquisme sloigna de manire significative de la rsistance

    catalaniste, et de lensemble de la culture catalane comme telle. Ce dracinement implicite ou

    explicite dnotait plusieurs choses, comme par exemple larrive la majorit dune

    gnration totalement duque dans lcole castillanise et frntiquement espagnoliste du

    premier franquisme. Il dnotait, en second lieu, la disparition des rfrences culturelles de

    ltape rpublicaine ou antrieure, encore vives pour les gnrations prcdentes. Ce

    phnomne se produisit paralllement la grande vague dimmigration des annes soixante,

    lorsque des millions de personnes nes hors de Catalogne arrivrent dans laire industrielle

    barcelonaise. En ce sens, les annes soixante et soixante-dix constiturent un moment

    essentiel de changement sociologique, et dintgration massive du monde catalan dans les

    circuits de la culture espagnole castillanophone de lpoque. Face ces avalanches politiques

    et sociologiques, le catalanisme culturel navait ni les antidotes idologiques ni la capacit

    institutionnelle adquate pour offrir un contrepoint oprationnel. Dans lensemble, les annes

    immdiatement postrieures au franquisme reprsentrent un moment essentiel de test de

    ltat de sant de la culture propre et du registre linguistique dans lensemble du monde

    catalanophone (comme cela arriva avec une intensit sans prcdent Valence et

    Mayorque). Il est important de souligner, sur ce dernier point, de quelle manire la rsurgence

    du valentianisme catalaniste driva au cours des annes soixante vers un pan-catalanisme de

    nouveau type. Dans ce processus, la figure clef fut celle de Joan Fuster. Si lcrivain

    valencien ne fut pas linventeur du concept des Pays Catalans au fort potentiel

    mobilisateur tout en tant trs simplificateur , il en fut lindiscutable vulgarisateur. Derrire

    ce concept tait dfendue lide de transformer et de rclamer le domaine linguistique du

    catalan comme espace dunit culturelle et politique, en faisant le plus souvent abstraction des

    profondes diffrences de tout ordre entre les parties censes le composer. Le bilan de ces

    annes de changement reste faire.

    Le second moment correspond la redfinition drastique que le catalanisme

    hgmonique produisit sur les relations entre politique et culture partir de la dcennie 1980.

    Une rupture explicite avec le catalanisme culturel et diffus pratiqu jusqualors, dans lequel se

  • 10

    retrouvaient de nombreuses personnes de sensibilits diffrentes, fut en effet signale par la

    fondation et lorganisation du parti Convergence Dmocratique de Catalogne autour de la

    figure indiscute de Jordi Pujol. Homme politique de profil nettement dmocratique,

    emprisonn par le rgime franquiste, Pujol accentua fortement le message ouvertement

    nationaliste en termes de pouvoir politique. La sorte didologie nationaliste de Pujol se

    dfinissait dans une continuit idologique forte avec les formulations du dbut du sicle,

    alors quelle sloignait des formulations du front populaire et socialement de gauche des

    annes trente. la question de savoir ce que signifiait tre nationaliste, le politicien catalan

    rpondait : Considrer que la Catalogne est une nation et que lEspagne est

    plurinationale 4, soulignant le ct politique de lquation. Le concept de catalanisme fut

    subordonn (phagocyt pourrait-on mme dire) par celui plus agressif de nationalisme ,

    une tiquette que le parti alors au gouvernement de la Generalitat considra en diverses

    occasions quelle devrait donner son nom lorganisation. De cette manire, la politique de

    parti, dfinie en des termes acceptables par le nationalisme ascendant, relgua nouveau le

    catalanisme culturel la socit civile dans le cadre dune hirarchie accentue. Le

    nationalisme de parti fond par Jordi Pujol ne fut certes jamais en conditions dimposer tout

    fait sa perspective idologique la socit catalane, dans la mesure o coexistaient des visions

    idologiques et identitaires trs diverses. Le fait que Convergence Dmocratique de Catalogne

    (en coalition avec le parti dmocrate chrtien Union Dmocratique)5 ait t le parti au pouvoir

    pendant tant dannes, une fois approuv le Statut dAutonomie de 1979, confra en revanche

    une valeur ajoute extraordinaire ses positions doctrinales, tout en expliquant galement les

    consquences profondes sur les limites de la culture promue depuis le pouvoir de

    lAutonomie. Par consquent, le grand changement politique de cette tape ne fut pas

    synonyme du triomphe des objectifs long terme du catalanisme culturel en tant que tel, ceux

    qui staient affirms de faon plurielle depuis les catacombes de lopposition un rgime

    dictatorial dune dure extraordinaire. En mme temps, le nationalisme qui gouverna la

    Catalogne pendant vingt-trois ans ne parvint jamais expulser du camp catalaniste le gros des

    forces politiques catalanes, en particulier de celles affilies la gauche socialiste et post-

    communiste. Le bilan de la lutte pour lhgmonie culturelle reste encore faire, tout comme

    4 Jordi Pujol, Ante un nuevo ciclo histrico, Barcelona, Generalitat de Catalunya, 1997, p. 40. 5 NDT : Convergence et Union (CiU), est issu de la coalition entre le parti nationaliste dmocrate chrtien Union Dmocratique de Catalogne (UDC), fond en 1931, et le parti nationaliste libral Convergence Dmocratique de Catalogne fond en 1974 par J.Pujol. CiU gouverne la Generalitat de la Transition 2003. Depuis 2003, la Generalitat est gouverne par le Tripartit, compos par le Parti des Socialistes de Catalogne (PSC), les nationalistes dEsquerra Republicana de Catalunya (ERC), et les verts dIniciativa per Catalunya verd (ICV).

  • 11

    celui de limpact de tout cela sur la population catalane dans sa pluralit et son htrognit.

    Reste aussi faire le bilan des effets sur la socit catalane des transformations sociales et

    dmographiques spectaculaires de la dernire dcennie.

    Traduit du catalan par Jeanne Moisand

    Publi dans laviedesidees.fr, le 26 janvier 2010

    laviedesidees.fr