[revistasenfrancés] elmensajerointernacional - n°1125_del24al 30demayode2012

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3:HIKNLI=XUXZUV:?l@b@c@f@k; M 03183 - 1125 - F: 3,50 E Buenos Aires La Salada, fief de la contrefaçon Kaboul Les gentils flics et la cinéaste Majordomes Pékin recrute en Europe Afrique CFA : 2 600 FCFA - Algérie : 450 DA Allemagne : 4,00 € - Autriche : 4,00 € - Canada : 5,95 $CAN DOM : 4,20 € - Espagne : 4,00 € - E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £ Grèce : 4,00 € - Irlande : 4,00 € - Italie : 4,00 € - Japon : 700 ¥ Maroc : 30 DH - Norvège : 50 NOK - Portugal cont. : 4,00 € Suisse : 5,90 CHF - Tunisie : 4,50 DTU - TOM : 700 CFP courrierinternational.com N° 1125 du 24 au 30 mai 2012 France 3,50 € Université Des étudiants de plus en plus nomades Les Grecs Un peuple amer Pauvreté, euro, xénophobie : le pays joue son avenir dans les urnes le 17 juin.

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courrierinternational.comN° 1125 � du 24 au 30 mai 2012

France3,50 €

Université Des étudiants de plus en plus nomades

Les GrecsUn peuple amer

Pauvreté, euro, xénophobie : le pays joue son avenir dans les urnes

le 17 juin.

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n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Editorial

Sommaire

5 Planète presse8 Les gens11 Controverse

En couverture12 Grèce. Chômage, pauvreté :les Grecs vivent de plus en plus mal les mesures d’austérité dictées par l’UE, la Banque centrale européenne et le FMI. Les élections du 6 mai ont révélé une percée de la gaucheradicale et de l’extrême droite. Un gouvernement n’ayant pu être formé,la population votera de nouveau le 17 juin. Un vote jugé décisif pourl’avenir du pays. Et pour la zone euro.

D’un continent à l’autre 18 FranceRelations franco-américaines Vousprendrez bien un autre cheeseburger,Monsieur Hollande !Diplomatie Cette longue histoired’amour qui agonise

22 EuropeItalie Un passé terroriste prompt à resurgirPortugal Ricardo Chibanga “El Africano”, matador26 AmériquesCanada Amis touristes, venez goûter au printemps érable !Elections Obama peut-il déjouer la malédiction des urnes ?Argentine A Buenos-Aires,l’hypermarché de la contrefaçonSalvador Les Maras chantent la trêve et demandent pardon30 Asie Afghanistan Saba Sahar, la diva de Kaboul en tenue policièreChine Travailleuses du sexe version abattage 33 Afrique Libye Le pétrole, les tribus, les milices et un scrutin

34 Moyen-OrientPalestine-Israël Daniel Sallenave : “Rien ne m’a été épargné” Iran Israël ne nous fait pas peur ! Liban Le bide de la laïque Pride 36 Dossier Université Enseignement supérieur Le nomadismegagne la planète étudiante44 SciencesPharmacie L’homme qui tuait les moustiques avec son sang

Long courrier46 Portfolio A travers les mémoires de la traite négrière50 Musique Le hang, l’envoûtement par la percussion 51 Le livre Tatiana Niculescu Bran52 Tendance Nouveaux riches chinoisrecrutent majordome européen55 Insolites L’homme qui a planté une forêt de ses mains

24PortraitRicardo Chibanga “El Africano”, matador

22ItalieUn passé terroristeprêt à resurgir

46PortfolioSur les traces de la traite négrière

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Un air de déjà-vu

“Nous dirons que, si les puis-sances garantes de l’emprunt des60 millions apprécient comme ildoit l’être l’état réel des choses,elles peuvent, en continuant àuser de la bienveillance qu’ellesont toujours témoignée à laGrèce, sauver le pays dans leprésent et assurer sa prospérité

dans l’avenir, et dégager les garanties en recouvrantle montant de leurs avances.” C’est sur cette noteoptimiste que l’entrepreneur Casimir Lecomteconcluait en 1847 son Etude économique de la Grèce,appelant les pays créanciers (à l’époque, la France,le Royaume-Uni…) à se montrer généreux enversAthènes.Plus d’un siècle et demi plus tard, le même débatdéchire l’Europe entre, d’un côté, ceux qui sontpressés d’en finir avec le mauvais élève de l’Europe,prêts à appuyer sur le bouton “Grexit” (sortie dela Grèce de la zone euro), et, de l’autre, les partisansde plus de solidarité européenne. Entre les deux,Bruxelles tergiverse et, dans l’attente du nouveauscrutin grec, le 17 juin, Paris et Berlin ont redit leursouhait de voir la Grèce ancrée dans la zone euro.Certains y verront un message de bienveillance : ils’agit surtout d’une position dictée par le réalisme.Car une sortie de la Grèce de la zone euro entraî-nerait l’ensemble du continent dans une zone deturbulences incontrôlables : bank run, crise poli-tique, effet de contagion sur les dettes souveraines…Sur les ruines du Parthénon, le temple de l’euromenacerait de s’écrouler. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas un hasard si les architectes de l’union moné-taire ont pris le soin – ou le risque – d’éviter dementionner une telle option dans les textes fonda-teurs. Il ne s’agissait en rien d’un oubli : la questionde l’expulsion d’un membre de la zone euro a bienété abordée lors de la conférence intergouverne-mentale de 2001-2003, mais elle a vite été abandon-née. Revenue sur le tapis à l’occasion de lanégociation du traité de Lisbonne, elle est restéelettre morte. Exit l’“exit” : les pays membres de lazone euro, faute de pouvoir divorcer, sont condam-nés à s’entendre. Ils y ont économiquement intérêt :la Grèce et ses créanciers ont tout à perdre d’unscénario catastrophe. Reste la force des (mauvaises)habitudes. L’économiste Kenneth Rogoff a calculéque la Grèce était en cessation de paiement presqueune année sur deux depuis qu’elle a conquis sonindépendance, au XIXe siècle… Eric Chol

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� En couverture : Athènes, mai 2012. Photo d’Evi Zoupanos, Zuma/Réa.

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Planète presse

L’Actualité 200 000 ex.,Canada, bimensuel. “Le plus grand magazined’information francophonedu Canada”, libéral etinternational est lu par un Canadien francophonesur cinq. L’Actualité est un grand vulgarisateur qui tente de décrypter le monde et de rester à l’affût des nouvellestendances.Al-Ahram Weekly60 000 ex., Egypte,hebdomadaire. Ce qui ne peut être publié dans le quotidien arabophone Al-Ahram paraît dans cet hebdomadaire de langueanglaise, prétendent les mauvaises langues. Ses pages culturelles sont de bonne facture et il constitue une source de première valeur sur l’Afrique orientale.Asr-e Iran (asriran.com),Iran. Créé en 2007, de tendance conservatrice, le webzine publie denombreuses analyses de la politique intérieure et internationale de l’Iran.Bien qu’il soit proche dupouvoir, il est susceptibled’émettre des critiques,notamment sur la politiqueéconomique.Le Devoir 35 000 ex.,Canada (Québec), quotidien.Henri Bourassa publie en1910 le premier numéro du Devoir, en promettantd’en faire un journal“d’opinion” et “d’échanged’idées” pour raviver la fibrenationaliste des Canadiensfrançais. Aujourd’hui, ledernier quotidienindépendant du Québecjouit d’une solide réputation,même si sa diffusion estrestreinte. Plutôtsouverainiste.Dilema Veche 21 000 ex.,Roumanie, hebdomadaire.“Le Vieux Dilemme” est la version enrichie dumagazine culturel roumainDilema, fondé en 1993.To Ethnos 45 000 ex.,Grèce, quotidien. Titre de l’après-midi, au centre

gauche, sa parution coïncidapresque avec l’arrivée au pouvoir, pour la premièrefois en Grèce, duMouvement socialistepanhellénique (PASOK), en1981. “La Nation” appartientau groupe Tyletypos SA.Expresso 140 000 ex.,Portugal, hebdomadaire.Lancé en 1973 par un députésalazariste “libéral”, le premier journal modernepour Portugais cultivés a séduit par sa qualité et son indépendance. Sa principale originalitévient de son format, proche de celui d’unquotidien. L’“Express” est l’hebdomadaire le plus lu du pays.El Faro (elfaro.net),Salvador. “Le Phare” est un site d’informationpluraliste fondé en 1998.L’excellence de ses enquêtesde terrain constitue uneréférence. Les principalessignatures de la pressed’Amérique centrale et d’Amérique latine y collaborent. Financial News, Corée du Sud, quotidien. Né en 2001, ce titreéconomique est surtout lu par les milieux d’affaires.Ses rubriques sont lessuivantes : Bourse, Banque,Immobilier, Economieinternationale, Numérique,Industrie, Culture et Société.Al-Hayat 110 000 ex.,Arabie Saoudite (siège à Londres), quotidien. “La Vie” est sans doute le journal de référence de la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gaucheou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public.Ha’Aretz 80 000 ex., Israël,quotidien. Premier journalpublié en hébreu sous lemandat britannique, en 1919,

“Le Pays” est le journal deréférence chez les politiqueset les intellectuels israéliens.Mainichi Shimbun3 960 000 ex. (éd. du matin),1 660 000 ex. (éd. du soir, aucontenu différent), Japon,quotidien. Fondé en 1872sous le nom de Tokyo NichiNichi Shimbun, le MainichiShimbun est le plus ancienquotidien japonais. Il a prissa dénomination actuelleen 1943, lors d’une fusionavec l’Osaka MainichiShimbun. Centriste, le“Journal de tous les jours”est le troisième quotidiennational du pays par la diffusion.Nanfang Zhoumo1 300 000 ex., Chine,hebdomadaire. Le magazinele plus attendu de Chinepour ses enquêtes et ses reportages a souventdébusqué des cadrescorrompus et dénoncé des scandales, au point de déranger en haut lieu. Il subit régulièrement des rappels à l’ordre et des évictions dedirigeants, qui finissent par éroder son mordant.Ta Nea 77 000 ex., Grèce,quotidien. “Les Nouvelles”est un titre prestigieuxappartenant au puissantgroupe de presseLambrakis. C’est unquotidien de l’après-midi,proche du Mouvementsocialiste panhellénique(PASOK). Populaire et sérieux, il consacre ses pages à la politiqueintérieure et internationale,aux loisirs, au sport et aux petites annonces.La Nación 185 000 ex.,Argentine, quotidien. Fondéen 1870 par l’ex-présidentBartolomé Mitre (1862-1868), le titre est uneinstitution de la presseargentine destiné aux élites.Il présente une rubriqueinternationale de qualité quicontribue à sa réputation.La Presse 225 000 ex.,Canada, quotidien. Fondé en1884, le journal montréalaisse targue d’être “le plusgrand quotidien françaisd’Amérique”. Détenu par le groupe de presse Gesca, il se montre favorable aumaintien d’un Canada uni.La Razón 25 000 ex.,Bolivie, quotidien. Fondé

en 1990, La Razón est l’undes titres importants deBolivie. Ce quotidien libéralet proche du milieu desaffaires aborde unmaximum de sujets pourtenter de séduire un largepublic. Les cahierssupplémentaires sontcentrés sur le sport, le“people” et la culture.Rolling Stone1 200 000 ex., Etats-Unis,bimensuel. Créé en 1967,Rolling Stone a été le creusetdu nouveau journalismeaméricain. De ces colonnessont sorties de grandesplumes comme Tom Wolfeou Hunter S. Thomson, leprêtre du gonzo journalism.Cette bible des rockerspublie également desenquêtes de politiqueintérieure et des grandsreportagesLe Soir Echos, Maroc,quotidien. Ce titrefrancophone lancé en 2008par le groupe Almassae,dirigé par journalistemarocain Rachid Niny, traitede l’actualité nationale etinternationale et propose un cahier économiquequotidien. South China MorningPost 261 000 ex., Chine(Hong Kong), quotidien. Ce journal en anglais,proche des milieuxd’affaires de l’ex-coloniebritannique, effectue un bon suivi de la Chine, en particulier en ce quiconcerne l’économie et laChine du Sud. Depuis larétrocession de Hong Kongà la Chine (1997), les éditoriaux sont de plus en plus timorés.

Süddeutsche Zeitung430 000 ex., Allemagne,quotidien. Né à Munich, en1945, le journal intellectuel

du libéralisme de gaucheallemand est l’autre grandquotidien de référence du pays, avec la FAZ.La Stampa 400 000 ex.,Italie, quotidien. Le titre est à la fois le principaljournal de Turin et leprincipal quotidien dugroupe Fiat, qui contrôle100 % du capital à travers safiliale Italiana Edizioni Spa.Depuis quelque temps, La Stampa fait place à unegrande photo à la une, cequi lui a valu plusieurs prixde la meilleure une en 2000.Die Tageszeitung60 000 ex., Allemagne,quotidien. Ce titre alternatif,né en 1979 à Berlin-Ouest,s’impose comme le journalde gauche des féministes,des écologistes et despacifistes… sérieux.Veidas 6 000 ex., Lituanie, hebdomadaire.Newsmagazine généralisteindépendant, dont lesréférences sont Der Spiegel,Time et Newsweek,“Le Visage” estl’hebdomadaire préféré del’intelligentsia lituanienne.To Vima (tovima.gr) Grèce.Confronté à une forte baissede ses recettes publicitaires,le titre, propriété du groupede presse Lambrakis (Ta Nea, Tachydromos, etc.),a choisi la solution radicalequi consiste à arrêter son édition papier (tout en conservant sa versiondominicale). “La Tribune”devient ainsi un quotidienen ligne.De Volkskrant 310 000 ex.Pays-Bas, quotidien. Né en 1919, catholiquemilitant pendant cinquanteans, “Le Journal du peuple”s’est laïcisé en 1965 et estaujourd’hui la lecturefavorite des progressistesd’Amsterdam, bien qu’ils se plaignent beaucoup de sa dérive populiste.The Wall Street Journal2 000 000 ex., Etats-Unis,quotidien. C’est la bible des milieux d’affaires. Mais à manier avecprécaution : d’un côté, des enquêtes et reportagesde grande qualité ; del’autre, des pages éditorialestellement partisanes qu’elles tombent tropsouvent dans la mauvaisefoi la plus flagrante.

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Courrier international n° 1125

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Antoine Laporte, président et directeur de la publication ; Eric Chol. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal mai 2012 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 5

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Courrier international, USPS number 013-465, is published weekly 49 timesper year (triple issue in Aug, double issue in Dec), by Courrier InternationalSA c/o USACAN Media Dist. Srv. Corp. at 26 Power Dam Way Suite S1-S3,Plattsburgh, NY 12901. Periodicals Postage paid at Plattsburgh, NY and atadditional mailing Offices. POSTMASTER : Send address changes to CourrierInternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

Ce numéro comporte un encart abonnement broché sur les exemplaireskiosque France métropolitaine, un encart www.laturquielaplusbelle.comsur la totalité des abonnés France métropolitaine et un encartConnaissance des arts sur une sélection d’abonnés France métropolitaine.

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected] de la rédaction Eric Chol (16 98)Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Odile Conseil(web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), RaymondClarinard (16 77), Isabelle Lauze (16 54). Assistante Dalila Bounekta (16 16)Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), LucieGeffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias (Portugal, 16 34), Iwona Ostapkowicz(Pologne, 16 74), Marie Béloeil (chef de rubrique France, 17 32), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), SolveigGram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), MehmetKoksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Mélodine Sommier(Finlande), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas(Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine),Martina Bulakova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro,Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa(Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36),Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine)Amériques Bérangère Cagnat (chef de service Amérique du Nord, 16 14), EricPape (Etats-Unis), Anne Proenza (chef de rubrique Amérique latine, 16 76), PaulJurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu et Franck Renaud (chefs de service,Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asie du Sud, 16 51),François Gerles (Asie du Sud-Est), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin(Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service,16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35), Pascal Fenaux(Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie)Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (Maghreb,16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique du Sud) EconomiePascale Boyen (chef de service, 16 47) Sciences Anh Hoà Truong (chef derubrique, 16 40) Médias Mouna El-Mokhtari (chef de rubrique, 17 36) Longcourrier Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt Insolites ClaireMaupas (chef de rubrique, 16 60) Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz(chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36), Catherine Guichard (rédactrice,16 04), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Paul Blondé (rédacteur, 16 65),Mathilde Melot, Albane Salzberg (marketing)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 16 77), NatalieAmargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon(anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), CarolineLee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), JulieMarcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias (portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie TalagaRévision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau,Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, PhilippePlanche, Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Bernadette Dremière (chef de service), Catherine Doutey,Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, DenisScudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, CélineMerrien (colorisation)Cartographie Thierry Gauthé (16 70)Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication NathalieCommuneau (direc trice adjointe) et Sarah Tréhin (responsable defabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro Alice Andersen, Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Valérie Brunissen, Isabelle Bryskier, Chen Yan, SophieCourtois, Laura Diacono, Armel Gauthé, Clément Graeff, GabrielHassan, Nathalie Kantt, Francis Kpatinde, Gaïa Lassaube, VirginieLepetit, Elodie Leplat, Jean-Baptiste Luciani, Carole Lyon, FrançoisMazet, Valentine Morizot, Nicolas Oxen, Raoul Roy, Nicole Thirion,Florencia Valdés Andino, Maddalena de Vio

Directeur délégué de la rédaction chargé de l’internationalPhilippe Thureau-Dangin

Secrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NoluennBizien (16 52), Sophie Nézet (Partenariats, 16 99), Sophie Jan GestionJulie Delpech de Frayssinet (responsable, 16 13). Comptabilité : 01 48 8845 02. Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes aunuméro Responsable publications : Brigitte Billiard. Direction desventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale : Franck-OlivierTorro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane Montillet

Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91),Laetitia Nora (assistante, 17 39)Publicité M Publicité, 80, boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. :01 40 39 13 13. Directrice générale : Corinne Mrejen. Directrice déléguée : Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher([email protected], 13 97). Directrice de clientèle : Kenza Merzoug(kenza.merzoug @mpublicite.fr, 13 46), Hedwige Thaler([email protected],1407). Littérature : Diane Gabeloteau ([email protected]).Régions : Eric Langevin ([email protected], 14 09). Annoncesclassées :Cyril Gardère ([email protected], 13 03). Exécution : GéraldineDoyotte (01 57 28 39 93) Site Internet Alexandre de Montmarin([email protected], 01 53 38 46 58).Modifications de services ventes au numéro, réassortsParis 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146Service clients abonnements : Courrier international, Service abonnements, A2100 - 62066 Arras Cedex 9. Tél. : 03 21 13 04 31 Fax : 01 57 67 44 96 (du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures) Courriel : [email protected] d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Tél. : 01 57 28 27 78

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ne pas regretter sa chanson. Il ne compte pas présenter d’excuses, estimant qu’invoquerle nom d’un imam n’a rien d’une offensereligieuse. Le rappeur, indécis quant à son stylevestimentaire et son apparence, les cheveuxparfois hirsutes et portant de grandes lunettes,reste constant dans ses revendications prodémocratiques pour son pays d’origine.Ce n’est pas la première fois qu’il s’attaqueaux thématiques religieuses de manièreprovocante, rappelle la BBC Persian. La pochette de son album représente le dôme d’une mosquée confondu avec unsein de femme. Dans une de ses chansonsprécédentes, Mahdi, il affirme que l’imamcaché reviendra aider les pauvrestravailleurs iraniens dirigés par une castereligieuse privilégiée. Dans Naqi, la chansonqui lui vaut une fatwa, il ironise : “Hé, Naqi, vu que le Mahdi s’est endormi, c’est toi que l’on

appelle pour venir nous sauver.” Il fait aussi référence aux problèmesactuels de l’Iran, des difficultésgénéralement imputées à la mauvaisegestion du pays par le gouvernementd’Ahmadinejad : “Hé, Naqi, dis-moi oùsont passés les 3 000 milliards [en référence à un scandale financier révélé récemment en République islamique], dis-moi ce qui arrive au lac Orumieh [plus grand lacdu pays, dont l’assèchement s’accélère], et rapelle-moi comment s’appellait le dirigeant du Mouvement vert [Mir Hossein Moussavi, assigné à résidence depuis plus d’un an, à la suite des manifestations monstres qui ont suivi la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence].” Le rappeur satiriquecompte plus de 200 000 fans sur le réseau social Facebook, ce qui pèse lourd face aux quelquemille personnes ayant rejoint uneautre page appelant à son exécution.

Menacé de mort par une fatwa, commeSalman Rushdie

Les gens

Shahin Najafi

Rappeurimpie

Il paraît que le chanteur anti-islamique Shahin Najafi n’est pas content de la fatwa qui pèse sur lui ! On l’entend se plaindre danstous les médias internationaux ces jours-ci”,ironise le site iranien Shia Online.Shahin Najafi, un rappeur iranien

exilé en Allemagne, a vu sa tête mise à prix100 000 dollars par le site religieux etultraconservateur iranien il y a quelques jours. Son crime ? Avoir diffusé sur YouTube unechanson où il appelle un imam de l’islam chiite,la religion d’Etat en Iran, à sauver le pays de ses dirigeants actuels. Cette chanson, intituléeNaqi, a été jugée blasphématoire envers Ali Al-Naqi, dixième imam de l’islam chiite – les chiites iraniens estiment que douze imamsont succédé au prophète Mahomet, le dernierd’entre eux, le Mahdi, caché, reviendra à la findes temps. Le grand ayatollah Naser Makarem-Shirazi a lancé une fatwa semblable à celle qui a frappé l’écrivain indien Salman Rushdie en 1989 pour ses Versets sataniques. L’ayatollahSaafi Golpaygani, un religieux influent, a poursa part déclaré que “s’il a insulté l’imam, c’est unapostat”. Prenant ces menaces très au sérieux,Shahin Najafi vit à présent caché, et sous la protection de la police allemande. Dans uneinterview au Wall Street Journal, il confie : “J’ai encore du mal à y croire. Je n’ai que 31 ans, et toute la vie devant moi.” Né en 1980 à Bandare-Anzali, dans le sud de l’Iran, Najafi a étudié la sociologie à l’université, dont il a été expulsépour avoir un peu trop exprimé ses opinions. Il a quitté le pays en 2005 après avoir étémenacé par les services secrets pour s’êtreproduit lors de concerts clandestins. Malgré la menace qui pèse à présent sur lui, Najafi,cheveux longs tirés en arrière, bouc et moustache bien taillée, affirme, dans uneinterview vidéo accordée à la BBC Persian,

Warren Buffet,milliardaire et philanthrope américain� Observateur“C’est incroyable de voir à quel point les inégalitéss’aggravent sans que les gens réagissent.”(The Economist, Londres)

Tomislav Nikolic, �nouveau président de la Serbie� Elu“C’est la justice de Dieu”,a-t-il déclaré le 20 mai aprèsavoir battu au second tour leprésident en exercice BorisTadic. “Je serai le

Ilia Djous, porte-parole du vice-Premier ministrerusse Dmitri Kozak� Sobre“Les valeurs olympiquesne sont pas compatiblesavec l’alcool.”La prohibition sera de rigueur dans les quatrerésidences où vont loger les athlètes russes et l’ensemble de ladélégation officiellependant les JO de Londres.Les autorités russes veulentainsi améliorer lesperformances de l’équipenationale. (Kommersant,

Moscou)

Benyamin Nétanyahou,Premier ministre israélien� Puriste“Des infiltrés illégauxinondant le pays”, a-t-il dit à propos des réfugiés et des travailleurs migrantsvenus d’Afrique. “Si nous ne leur fermonspas l’accès, ils ne serontplus 60 000 commemaintenant, mais bientôt 600 000, et c’est une menace pour notre existence en tant qu’Etat hébreu et démocratique.”Israël compte 7,8 millionsd’habitants.(The Jerusalem Post, Israël)

Kazem Sedighi, ayatollahiranien� ScandaliséA quelques jours de la finale du concoursEurovision de la chanson, qui doit se tenir le 26 mai à Bakou, en Azerbaïdjan, ce dignitaire religieux a vivement critiqué le pays voisin pour avoir“dépensé des milliardspour accueillir cetévénement, qui n’estqu’une parade pour leshomosexuels”.(Fars News, Téhéran)

� Obert Gutu, vice-ministre de la Justicezimbabwéen� Philosophe

“C’est uneplaisanterie

de mauvais goût.” Il refuse, pour

des raisons financières, la proposition discutée au Sénat d’introduire des sex-toys dans lesprisons pour mettre fin aux pratiqueshomosexuelles. “Mieuxvaut manger queforniquer”, assure-t-il.(Radio NetherlandsWorldwide, Hilversum)

président de tous”,promet ce politiciennationaliste qui affirmeavoir changé. Selon lui, la présidentielle était“grandiose, digne des Serbes”.(Danas,Belgrade)

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R8 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

� Shahin Najafi.Dessin de Bertrams(Amsterdam) pour Courrierinternational.

Ils et elles ont dit

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ControverseCourrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 11

Faut-il réprimer le “printemps érable” au Québec ?

NONLa manière forte n’est pas la solution !En adoptant une loi d’exception pour faire taire la contestation étudiante, le gouvernement Charest se livre à un abus de pouvoir.

Le Devoir (extraits) Montréal

Le gouvernement Charest a choisi de dénouer la grève étudiantesur les droits de scolarité par la manière forte, suite logiquede sa gestion d’une crise qu’il n’a jamais comprise ni maîtri-sée. Son scénario était mauvais et la conclusion de l’histoirene peut qu’être lamentable. Nous la dénonçons. Les seuls motsqui peuvent qualifier la loi 78 adoptée le 18 mai par l’Assem-

blée nationale [lire contexte ci-contre] sont : abus de pouvoir. S’il fallaitune loi pour assurer les conditions d’accès à l’enseignement, rien ne jus-tifiait de suspendre les droits démocratiques fondamentaux de l’en-semble des citoyens québécois, tel le droit de manifester.

Pourquoi un tel excès d’autorité ? On ne peut que remarquer que,dans l’histoire du Québec et du Canada, deux Etats démocratiques dotésde chartes des droits et libertés qu’on porte fièrement à la boutonnière,la tentation autoritaire est présente dès que la tension sociale croît. Elleest le corollaire de la peur engendrée par la faiblesse des autorités enplace. Dans le cas présent, cette faiblesse a été démontrée par l’incapa-cité du gouvernement Charest à régler cette crise par le dialogue.

Le mépris à l’égard des groupes étudiants, qui a fait obstacle à desaines négociations de toutes parts réclamées, s’articule aujourd’hui dansune loi porteuse d’arrogance et d’une volonté affirmée de casser une crisedevenue hors de contrôle, alors qu’il s’agissait au départ d’un désaccordpolitique comme le Québec en a souvent connu. Pour les étudiants, cetteloi est une “déclaration de guerre”. Pour les groupes sociaux, c’est l’occa-sion saisie par l’Etat pour miner des droits fondamentaux. La contesta-tion juridique qui s’annonce sera vive.

L’idée d’une pause dans cette escalade insoutenable, par suspensiondes cours, eût suffi. Mais non. La dégaine est excessive : elle heurte deplein fouet des droits aussi cruciaux que ceux de l’expression et de lamanifestation, bafouant la démocratie. Elle déborde du cadre habituelde la dissuasion avec des amendes outrancières – pour des étudiants quidénoncent une hausse des droits [de scolarité] ! Elle menace l’existencedes groupes étudiants, leur nie tout rapport de force par voie de grèveen faisant du droit à l’éducation le principe suprême, écorchant du couple droit d’association. Elle incite à la délation. Elle fait des dirigeantsd’établissement des préfets de discipline. Elle exige des associationsqu’elles mettent au pas leurs membres. Elle confère aux corps policiersdes pouvoirs d’encadrement qui effacent, en définitive, la manifestationspontanée. Elle rend l’Etat omnipotent, lui conférant des pouvoirs exor-bitants qui flirtent avec le déni de droit. Ses imprécisions et son arbi-traire pourraient s’étendre à d’autres sphères. L’inquiétude et la méfiancese justifient pleinement.

Que faire maintenant que cette loi est adoptée ? Elle est la loi et il fautla respecter. Mais la résistance est possible. Des recours existent. Il y a lavoie des tribunaux, que prendront avec raison les associations étudianteset les groupes de défense des droits. Il y a celle de l’opinion publique, quiaura à se prononcer lors de la prochaine élection. Le gouvernement voudraalors défendre sa décision de hausser les droits de scolarité universitaires,mais il lui faudra expliquer pourquoi il a laissé un conflit si prévisible dégé-nérer en crise et n’est intervenu que lorsqu’il était trop tard.

Il y a une troisième voie, celle de la raison, que pourrait retrouver legouvernement Charest une fois retombée la tension qui prévaut aujour-d’hui. Négocier est toujours possible. Prendre cette voie et retirer laloi 78 montrerait que le Premier ministre, ses ministres et ses députésne cherchent pas à instrumentaliser le droit à des fins politiques, maisque leur préoccupation première est la paix sociale.Bernard Descôteaux, Josée Boileau, Jean-Robert Sansfaçon,Marie-Andrée Chouinard et Serge Truffaut

OUIUn bâton pour “terrasser le serpent” Face à la violence des manifestants, les autorités québécoises se doivent de réagir.

La Presse (extraits) Montréal

Dès la présentation du projet de loi spéciale devant permettrel’accès aux établissements d’enseignement, les critiques ontfusé de toutes parts. Le gouvernement Charest a-t-il, commele veut l’expression consacrée, employé un bâton de base-ballpour tuer une mouche ? Non, parce que ce que le gouverne-ment devait terrasser, ce n’est pas un insecte insignifiant mais

un serpent. Le serpent de la violence et du désordre – pis, celui de la tolé-rance, voire de l’encouragement de tels actes par des leaders d’opinion.

Car nous en sommes là : des commentateurs, des groupes, des politi-ciens justifient la désobéissance aux lois. “Le gouvernement a laissé pourrirla crise”, dit-on. En admettant que ce soit vrai, qu’est-ce que ça change ?Rien, au Québec, ne justifie le recours à l’intimidation, au vandalisme, à labrutalité. Certainement pas la hausse des droits de scolarité. Ni la haine dugouvernement Charest, que les Québécois pourront défaire d’ici quelquesmois s’ils le souhaitent. Devant un tel mépris systématique de la loi, le gou-vernement devait intervenir de manière décisive, comme l’ont fait dans dessituations similaires les gouvernements précédents.

La loi spéciale était donc nécessaire. Elle comporte trois volets. Le pre-mier suspend les cours là où se poursuit la grève et prévoit leur reprise à lami-août ; c’est une pause salutaire. Le deuxième volet empêche quiconquede bloquer l’accès des établissements d’enseignement. Le troisième vise àencadrer les manifestations tenues dans les lieux publics.

Nous aurions préféré que les deux dernières parties fassent l’objet d’uneétude plus approfondie. En effet, ils touchent à l’encadrement de droitsfondamentaux, matière délicate entre toutes. Les collèges étant désormaisfermés pour l’été, il n’y avait aucune urgence à adopter ces articles.

Le droit de manifester ne comprend pas celui de faire ce qu’on veutsur la voie publique. C’est pourquoi il est justifié d’exiger que les orga-nisateurs d’une manifestation fassent connaître leur trajet aux policiers.La loi 78 demande que les organisateurs avisent la police au moins huitheures à l’avance : ce délai nous semble excessif. Cela dit, le défaut derespecter cet article de la loi ne rendra pas la manifestation illégale ; sim-plement, les organisateurs s’exposeront à une amende. La légalité d’unrassemblement sera déterminée par la police locale. A Montréal, dans lamesure où le trajet sera fourni “au préalable de la tenue” de l’événement,même si c’est seulement quelques minutes auparavant, la marche pourraavoir lieu sans problème.

Au final, bien qu’imparfaite cette loi n’a pas du tout le caractère odieuxque certains dénoncent. Les étudiants et autres groupes sociaux pourrontcontinuer d’exprimer leur mécontentement dans les rues. Il ne s’agit pasde casser le mouvement étudiant, comme on l’a crié partout. Les jeunesQuébécois pourront continuer de défendre les causes qui leur sont chères ;seulement, ils ne pourront le faire en brimant les droits des autres ou enperturbant l’ordre public.

La Classe [Coalition large de l’Association pour une solidarité syndi-cale étudiante, une coalition ad hoc créée au début du mouvement de pro-testation] et le député Amir Khadir, de Québec solidaire [un parti de gaucheproche du milieu syndical et militant], ont évoqué la possibilité de déso-béir à la nouvelle loi. De la part de la Classe, un tel radicalisme ne nousétonne pas. Venant d’un parlementaire, c’est franchement scandaleux. SiM. Khadir ne croit pas au caractère sacré des lois adoptées par le Parlementoù il siège, qu’il démissionne. La loi 78 a été votée à l’Assemblée nationalepar 68 voix contre 48. Et elle ne serait pas légitime ?

Au Canada, lorsqu’une loi ne fait pas notre affaire, on s’adresse aux tribunaux. Au fil des ans, ceux-ci se sont révélés de farouches défenseursdes droits fondamentaux. Il n’est donc pas plus justifié de recourir à la déso-béissance civile qu’à la violence. André Pratte

Chronologie

Mars 2011Le gouvernementquébécois annonce sonintention d’augmenterles frais de scolarité.D’ici à 2017, les droitsd’inscription doiventpasser de près de 1 700 euros par an à quelque 3 000 euros.Août 2011 Les étudiantscommencent à se mobiliser.13 février 2012 Les associationsétudiantes votent la grève généraleillimitée.22 mars200 000 personnesdéfilent à Montréal. 27 avril Le Premierministre, Jean Charest,propose d’étaler la hausse des droits de scolarité sur sept ans au lieu de cinq.Début mai Un nouveau projetd’accord avorte, la mobilisation se poursuit.18 mai 2012 Le Parlementquébécois adopte la loi 78 qui met fin à la grève dans les universités,restreint le droit de manifester et prévoit de lourdesamendes pour les contrevenants.20 mai 300 personnessont interpellées lorsd’une manifestationnocturne à Montréal.21 mai La Classe(Coalition large de l’Association pourune solidarité syndicaleétudiante) annoncequ’elle ne respecterapas la loi 78.

� La une du magazinequébécois L’Actualité du mois de mai.

Voir aussi l’article page 26.

Page 12: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1125_del24al 30deMayoDe2012

12 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

En couverture

� Chômage, pauvreté : les Grecs vivent de plus en plusmal les mesures d’austérité dictées par l’UE, laBanque centrale européenne et le FMI. � Les élections du 6 mai ont révélé une percée de lagauche radicale et de l’extrême droite. � Ungouvernement n’ayant pu être formé, lapopulation votera de nouveau le 17 juin.Un vote jugé décisif pour l’avenir dupays, mais aussi pour la zone euro.

Les GrecsUn peuple amer

Page 13: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1125_del24al 30deMayoDe2012

Un employé des transports publics à Athènes a mis en application les idées du parti d’extrême droiteAube dorée… Reportage.

To Vima (extraits) Athènes

Il est une heure de l’après-midi sur laligne 13 du trolleybus à Athènes. Auniveau de la rue Akademias, un contrô-leur fait son apparition. Hasard de circonstance, deux jeunes sans doute ori-ginaires du Bangladesh sont du voyage. Et

ils n’ont pas de titre de transport – comme beau-coup d’autres passagers d’ailleurs. Mais la solida-rité est de mise : à la vue du contrôleur, quelqu’unleur donne un ticket non utilisé, et ils sont nom-breux à se ruer sur le composteur. En vain. Lamachine est déjà bloquée. Résultat, tous ceux quise sont précipités vers cet engin mauve un ticketà la main dans l’espoir d’éviter l’amende de75 euros, une somme astronomique en ces tempsde crise, repartent se rasseoir, la mine assombrie.

Mais le contrôleur ne se préoccupe que desdeux Bangladais, qui semblent terrorisés. Sesintentions ne sont pas bonnes, et cela se ressentaux premiers mots qu’il éructe. “Lève-toi et sors.Ici c’est la Grèce !” hurle-t-il. Puis il s’en prendviolemment aux deux hommes en les poussantvers la porte du milieu.

Les autres passagers en sont bouche bée.Ces mêmes paroles, prononcées en grec ancien,ont été utilisées par Nikos Mihaloliakos, secré-taire général du parti d’extrême droite ChryssiAvghi (Aube dorée), devant les journalistes quirefusaient de se lever quand il est entré dans lasalle de presse le soir des élections [le parti avaitobtenu près de 7 % des suffrages]. Une passagère

interpelle le contrôleur et lui reproche son com-portement. Elle n’est pas la seule : à l’arrêt sui-vant, devant le Parlement, place Syntagma, ilssont nombreux à descendre avec le contrôleuret les deux passagers en situation irrégulière.Juste à côté stationne un groupe de policiersantiémeute, comme d’habitude à cet endroit dela capitale où ont lieu la plupart des manifesta-tions. La femme dit qu’elle compte poursuivrele contrôleur en justice. Ce dernier tente de rallier les policiers à sa cause, mais ces dernierslui font remarquer que ce n’est pas à lui d’appliquer la loi ; ils lui conseillent aussi de surveiller son langage.

“Je suis fasciste. Je vote pour Chryssi Avgi, jeparle comme je veux et je fais ce que je veux”, hur -le-t-il. Puis, pendant une dizaine de minutes, ilse lance dans une violente diatribe contre les

immigrés en pointant dudoigt les deux Bangladaisde manière menaçante.D’autres personnes sontaccourues  ; de nom-breuses voix s’élèventcontre le contrôleur, luidemandant de se taire.Un chauffeur de taxitémoin de la scène luilance : “Tu devrais avoirhonte ! Le débat est clos, va-t’en !” C’est ce qu’il finitpar faire ; les deux Ban-

gladais repartent aussi, mais dans la directionopposée. Les passants, eux, discutent encorelongtemps de ce qui vient de se passer. Cethomme doit-il être poursuivi en justice ? Soncomportement doit-il être signalé à sonemployeur ? Cela s’est passé sur la ligne 13 dutrolleybus à Athènes… Anna Mitrou

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 13

“Comme pour un mariage raté, il vaut mieux disposer de règles qui encadrent un divorce inévitable et limitent le coût de la séparationpour les deux parties. Une sortieordonnée de l’euro seraitéconomiquement douloureuse. Maisune implosion lente de l’économie et de la société grecques serait bienpire.” Nouriel Roubini, économiste et consultant, The Guardian

Politique

Des Grecs de plus en plustendus au quotidien

2001  La Grèce est le douzième payseuropéen à intégrer la zone euro. Sespartenaires découvriront qu’Athènesavait dissimulé la réalité de l’état de ses finances, notamment de son déficit public.

2009 La note grecque dégringole. Le pays doit désormais payer desintérêts de plus en plus élevés à sescréanciers. C’est le premier plan d’austérité : augmentation desimpôts, diminution des salaires desfonctionnaires, gel des embauchesdans le service public. Aux électionsd’octobre, le gouvernement sortanten paie le prix : les socialistes du Pasok succèdent à NouvelleDémocratie (droite).

2010 A la crise financière s’ajoute la crise économique. Les deuxprincipaux secteurs de la Grèce, le tourisme et le transport maritime,sont particulièrement touchés. Le chômage monte en flèche. En avril, Athènes requiert l’aide du FMI et de l’UE en échange demesures draconiennes pour réduireles dépenses. Les Grecs sortent de nouveau dans les rues du pays.L’Espagne, le Portugal et l’Italies’inquiètent à leur tour.

2011 Malgré les plans d’austéritésuccessifs, la Grèce peine à sortir de la récession ; la dette continue degrimper, pour dépasser 150 % du PIB.Un deuxième plan de sauvetage est

approuvé par la troïka (UE, FMI, BCE)mais tous les indicateurséconomiques restent dans le rouge.Une possible sortie de l’euro est évoquée.2012 Les manifestations, de plus en plus violentes, se multiplient à travers le pays. Aux élections anticipées du 6 mai, les partis traditionnels sont durementsanctionnés par les électeurs, avec une percée de l’extrême gauche et des néonazis. Aucungouvernement ne pouvant êtreconstitué, de nouvelles élections sont fixées au 17 juin. Les 28 et 29 juin, les dirigeants européens se réuniront lors d’un sommetconsacré à la croissance.

Chronologie

Trois années de crise économique et politique

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� Un manifestant dans le centre d’Athènes.

Page 14: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1125_del24al 30deMayoDe2012

Dans trois semaines se tiendront de nouvelles élections législatives en Grèce. Après deux ans de crise, le pays qui a vu naître la démocratieest au bord de l’explosion, même si certains gardent l’espoir.

El País Madrid

La ruine est terrible. L’humiliation,pire encore. Les Grecs se sententréduits au statut de parias, harceléspar les créanciers, trahis par leurclasse politique. Cela fait deux ansque l’économie est asphyxiée, et la

situation ne peut que s’aggraver. La peur et la déso-lation, mélangées à une pointe d’espoir, malgrétout, et à l’audace irrationnelle de ceux qui n’ontplus grand-chose à perdre, sont aujourd’hui lescomposantes de l’état d’esprit des Grecs, à la veilledes élections du 17 juin. Si la panique des milieuxbancaires prend de l’ampleur, la place de la Grècedans l’euro pourrait ne pas tenir jusque-là. “L’échecdes élections du 9 mai, avec un Parlement qui n’a duréque 24 heures étant donnéson incapacité à gouver-ner, me laisse à penser quele pire est à venir. Devantnous, il n’y a que la peuret l’incertitude” : l’acteuret metteur en scènePanaiotis Durlis a faitpartie pendant sept ansdu Théâtre national deGrèce. Désormais, ce théâtre public n’existe plus,faute de fonds, et le comédien-fonctionnaire Durlisa été affecté à la Fondation de la ville d’Athènespour les sans-logis. Il prépare désormais des représentations théâtrales avec des chômeurs.“C’est une façon de les aider à garder leur dignité,explique-t-il, et de leur montrer qu’en travaillant onpeut s’en sortir.”

En couverture Les Grecs, un peuple amer14 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Témoignages

L’abîme est tout proche

Le pire n’est jamais sûr, maiscertains Etats et investisseurssemblent déjà s’y préparer.

La ruée bancaireGrâce aux prêts de la BCE, les banques européennespensaient ne plus avoir deproblèmes de liquidités. Maiselles découvrent aujourd’huiqu’un autre risque les menace :les retraits massifs desparticuliers. Le 14 mai, les Grecsse sont rués aux guichets pourretirer au moins 700 milliardsd’euros dans la journée. Quatrejours plus tard, les clients de la branche britannique de

l’établissement espagnol BancoSantander ont à leur tourrécupéré l’équivalent de250 millions d’euros. Si cemouvement, pour l’instantlimité, tournait à la panique etgagnait les pays les plus fragilesde la zone euro, les banquesseraient dans de sales draps. En Espagne, selon The WallStreet Journal, 30 % desdépôts peuvent en effet êtreretirés du jour au lendemain.Cette proportion atteint 21 % au Portugal et 48 % en Italie. Les banques françaises, belgeset italiennes ont déjà constatédes retraits.

Le retour à la drachmePour l’instant, les Grecs neveulent pas abandonner l’euro ;reste à savoir quel sera le résultat des élections du 17 juin. Mais, si les retraitsbancaires deviennent massifs,et si la BCE et le FMI ne viennentpas au secours du pays, les autorités devront gelerles dépôts bancaires et mettreen place un contrôle descapitaux, ce qui débouchera de facto sur une sortie de l’euro.Les banques britanniques s’y sont déjà préparées et le FMI planche sur la question,tout comme, semble-t-il,

le gouvernement allemand. Le retour à la drachme se ferait par surprise au coursd’un week-end, pronostiqueThe Guardian. La monnaieperdrait au moins 50 % de savaleur et le prix des produitsimportés (dont le pétrole)exploserait, tout commel’inflation. En revanche, le paysdeviendrait très bon marchépour les touristes étrangers, etles exportateurs deviendraientplus compétitifs, ce qui pourraitfavoriser la croissance. Reste le problème de la dette,qui, à défaut d’une sortienégociée et consensuelle avec

ses partenaires européens,resterait libellée en euros, et dont le fardeau s’alourdiraitconsidérablement.Logiquement, la Grèce devraitarrêter de la rembourser, quitte à rester à l’écart du système financierinternational pendant un bon moment. Voilà qui seraitfâcheux pour les banqueseuropéennes, qui détiennentencore 70 milliards d’euros de prêts en Grèce, mais aussi pour lescontribuables : la banqueBarclays estime l’exposition desEtats à 300 milliards d’euros.

Zone euro

Scénarios catastrophes

“L’austérité n’a pas marché et elle ne marchera pas. Cette décennie seraune décennie perdue pour l’Europe et les Etats-Unis, du fait de politiqueséconomiques défaillantes”. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, Business Week.

2010 2011 2012(1er trimestre)

Dépôts bancaires des résidents grecs (en milliards d'euros)

Retraits

140

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de 1 200 à 600 euros. Les malades doivent désor-mais payer leurs médicaments, en espérant quel’Etat leur en remboursera une partie un jour. Endeux ans, ce sont plus de 500 000 petites entre-prises qui ont mis la clé sous la porte. Les maga-sins sont vides. L’argent ne circule quasiment plus.

“Je suis convaincu que nous resterons dans l’euro,et j’accepte parfaitement l’obligation de rembourserles créances, mais il faut qu’ils nous laissent plus detemps, car, dans les conditions actuelles, notre écono-mie agonise”, estime Cleansis Tsironis, boucher etreprésentant des commerçants du marché cen-tral d’Athènes. Ses ventes ont chuté de moitiédepuis 2010. “Si la Grèce ne s’en sort pas, l’euro nonplus”, assène-t-il.

C’est aussi l’avis du kiosquier Tasos Boupa-los. “Il faut qu’on se bouche le nez et qu’on aille voterpour les deux partis traditionnels, le Pasok et NouvelleDémocratie, même si ce sont eux les coupables dudésastre : si les élections sont remportées par la nou-velle gauche populiste, celle qui rejette l’austérité, c’ensera fini de notre appartenance à l’Union européenne”,juge-t-il. Boupalos gagnait auparavant 2 000 eurosnet. Aujourd’hui, il ne gagne plus rien. “Chaquesemaine, je suis un peu plus pauvre et j’ai un peu pluspeur. Où cela va-t-il s’arrêter ? En arriverons-nous àne plus pouvoir nous nourrir ? C’est terrifiant.”

Il n’échappe à personne que l’euro est l’enjeudécisif. Et la préférence pour la monnaie euro-péenne reste majoritaire chez les Grecs. Mais pasà n’importe quel prix. Ils sont nombreux à rêverd’une victoire d’Alexis Tsipras, le jeune, charis-matique et populiste chef du parti de la gaucheradicale [Syriza], que les sondages donnentcomme probable vainqueur – rêvant aussi d’unmagistral coup de poker qui ressemblerait fort àun chantage : Tsipras menace de quitter l’euro,Angela Merkel prend peur et assouplit ses condi-tions, la Grèce respire et on s’achemine vers unerésolution de la crise. Ce qui pour l’heure sembleassez peu réaliste.

Le plan de sauvetage mis en place par l’Unioneuropéenne et le Fonds monétaire international,

Pour Panaiotis Durlis, la Grèce a besoin “detravail, de respect et de vérité. Et de baisser la tête, caron nous inculque depuis l’enfance de vrais délires degrandeur”, précise-t-il. Ils sont nombreux à pensercomme lui qu’une cure d’humilité serait béné-fique. En général, les Grecs se sentent eux-mêmesresponsables (en accusant aussi leurs hommespolitiques) des décennies de gaspillage, de clien-télisme public et d’endettement. Mais, après deuxans de contraction économique brutale, pas unne se sent capable de respecter les conditions dumémorandum, ce plan d’austérité imposé par latroïka des créanciers, à savoir l’Union européenne,la Banque centrale européenne et le Fonds moné-taire international.

Les salaires des agents publics ont subi descoupes claires. Après les excès d’autrefois (unchauffeur de ministère pouvait gagner 4 300 eurospar mois), on est passé à l’extrême inverse : lesenseignants du primaire ont vu leur salaire passer

Page 15: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1125_del24al 30deMayoDe2012

Au nom de la mémoire meurtrie de saville, l’“ancienne Jérusalem des Balkans”,le maire de Thessalonique déclare la guerre à l’extrême droite grecque.

Ta Nea (extraits) Athènes

Il est débordé par les appels. Depuis que Gian-nis Boutaris a déclaré le parti Chryssi Avghi“illégal” parce que nazi, le maire de Thessa-lonique est au cœur de la polémique. M. Bou-taris a insisté sur le fait que sa ville avait vécu“jusqu’à la moelle” les atrocités nazies pen-

dant la Seconde Guerre mondiale. L’armée d’oc-cupation y a anéanti 94 % de la population juive dela ville, qui comptait plus de 56 000 personnes.

Aujourd’hui, il ne comprend pas pourquoi, enGrèce, on tolère un parti qui serait déclaré illégal

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 15

1995 2000 2005 2012*

Evolution de la dette grecque (en % du PIB)

Surendettement

Sour

ce :

OCD

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n)

100

150

200

Antisémitisme

Thessalonique tient tête aux néonazis

en Allemagne. Au-delà de l’idéologie nazie, le maireestime que les idées de Chryssi Avghi sont d’au-tant plus dangereuses qu’elles se répandent commeune traînée de poudre à travers le pays. “Un tel com-portement ne peut être toléré. Avoir un parti néonaziqui siège au Parlement dépasse toute logique.”

Quand il parle, l’édile de Thessalonique seréfère beaucoup à l’incendie dans le quartier juifde Campbell le 19 juin 1931. Cet acte a été attri-bué à des organisations nationalistes qui ont cruà la rumeur que les Juifs avaient été impliquésdans les négociations avec la Bulgarie sur l’auto-nomie de la Macédoine.

Giannis Boutaris estime que le pourcentaged’Aube dorée aux élections nationales ne reflètepas son véritable potentiel de voix. “Les gens sontinduits en erreur par les actions que ces groupes mènentdans les quartiers sensibles : ils aident les personnesâgées et font peur aux immigrés. Je pense que leurpopularité est due à la crise économique. Partout enEurope, nous avons de tels phénomènes, et l’on devraits’en inquiéter”, dit-il.

Mais le parti a immédiatement répondu àGiannis Boutaris en lui expliquant qu’Aube doréen’était pas un groupe nazi. “Nous nous considéronscomme des nationalistes grecs, et toute autre référenceserait considérée comme diffamatoire et sera pour-suivie en justice”, indique leur communiqué depresse. Mais leurs pratiques violentes et lesannonces provocatrices effraient la communautéjuive de Grèce. De même que leur négation del’existence des chambres à gaz. “La république aété sérieusement atteinte. Nous devons respecter lesprincipes de liberté, de démocratie et d’humanité”, adéclaré le Conseil des Juifs de Grèce dans un com-muniqué. Pour l’instant, l’ennemi numéro un deChryssi Avghi ne sont pas les Juifs, mais les immi-grés clandestins. Fotini Stefanopoulou

A l’instar du député du Pirée, GiorgosGermenis, bassiste du groupe NaerMataron, l’extrême droite grecque a un faible pour le black metal.

Le score du parti d’extrême droiteChryssi Avghi (L’Aube dorée) auxdernières élections législatives a faitle tour du monde. Il était souventaccompagné d’une photo de GiorgosGermenis, dit “l’homme du gouffre”,député du Pirée et bassiste du groupede black metal Naer Mataron. Est-ce le “nouveau visage de la démocratie” en Grèce, comme l’a affirmé un grandmagazine international ? Les liens del’extrême droite avec ce courant musicalsont une réalité. Même si sur scèneGiorgos Germenis semble oublier qu’ilfait partie d’un parti politique qui a

recueilli 7 % des suffrages aux électionsdu 6 mai dernier… Lors d’un concert enoctobre 2007, une voix sortant du premierrang a hurlé “kaïada”, en référence au gouffre où les Spartiates jetaient les enfants, et c’est son surnom depuis.Une des chansons du groupe s’appelleL’Homme nouveau, et ses paroles disentà peu près ceci : “La création d’unhomme nouveau est une métaphysiqueidéaliste. En réalité, nous sommes en train d’aller vers une catastrophegénérale. Et des crimes de masse.”Giorgos Germenis, 31 ans, est aussil’homme à avoir hurlé “Debout !”en grec ancien à l’adresse desjournalistes présents à la conférence de presse victorieuse de son parti ausoir des élections. Il n’est pas un enfantégaré de la démocratie, bien au

contraire. Par son engagement néonaziil perpétue la tradition familiale. Aux dernières élections, son père étaitcandidat de Chryssi Avghi dans l’île de Céphalonie mais n’a pas pu être élu.Mais Naer Mataron n’est pas le seulgroupe à faire la synthèse entreextrême droite et black metal. SurInternet, on peut en voir des dizaines,arborant des tenues nazies, des croixanglicanes et les symboles dérivés de Chryssi Avghi. Ce parti publie aussides livres consacrés au “pouvoir blanc de la musique”, comme celui écrit parun député du parti originaire de Trikala,dans le nord du pays. “La jeunesseblanche a besoin de groupes quichantent avec honneur et sang”,peut-on y lire. Kostas Nikolaidis To Ethnos (extraits) Athènes

Néonazis

Une extrême droite très black metal

qui prévoit plusieurs centaines de milliards [d’eu-ros] de nouveaux crédits et une restructurationde la dette, ne suffit pas à empêcher la paralysieéconomique. Le flux d’argent s’est interrompu,dans l’attente que le pays ait un gouvernement etdécide s’il veut rester dans l’euro. Dans les caissesde l’Etat, il reste de quoi payer les salaires et lesretraites de mai, mais pas ceux de juin. L’abîmeest tout proche.

“Les gens du Nord veulent nous imposer leurrythme de vie et leurs valeurs, qui ne sont pas les nôtres :la Méditerranée fonctionne autrement”, proclameConstantin Papadakis, un vétéran du tourismequi réside en Crète, lors d’un déjeuner dans unbistrot d’Athènes. Certaines choses n’ont paschangé, malgré la situation épouvantable. Au bis-trot, après le repas, les rires et les chansons semettent à fuser, on porte des toasts à la Grèce, onprofère des épithètes peu charitables envers l’Al-lemagne et “le Nord”.

A côté de ceux qui s’en remettent à la cultureet à un choc Nord-Sud pour expliquer la situation,il y a ceux qui désignent le capitalisme commecoupable. C’est le cas d’Isabella et d’Arguiró, 22 ans, qui étudient l’architecture à l’Ecole poly-technique. “Le sacrifice des plus faibles fait partie dusystème capitaliste”, explique Isabella, qui refusede faire partie d’une “génération sacrifiée” sur l’au-tel du redressement économique. “Nous ne pou-vons pas céder à la tristesse et à l’anxiété que nousvoyons chez nous, poursuit-elle, nous devons penserque l’avenir, d’une certaine façon, sera meilleur quele présent.” Toutefois, les deux étudiantes n’ex-cluent pas d’émigrer après avoir obtenu leurlicence. “Dans une telle insécurité, il faut envisagertoutes les possibilités.” L’effondrement de la Grècea déjà provoqué des tragédies personnelles, dontdeux ont fait grand bruit. La première, en 2003,alors que la crise était plus morale qu’économique :le suicide de Roubini Stathea, responsable du déve-loppement urbanistique au gouvernement. Il alaissé une note où il exprimait l’espoir que sa mortserve à ce que les fonctionnaires soient “un peuplus travailleurs ; les politiques, un peu plus honnêtes ;les journalistes, un peu moins carnivores”. Une tra-gédie plus récente a eu lieu le 4 avril dernier, avecle suicide du retraité Dimitris Christoulas sur laplace Syntagme, épicentre de la contestation àAthènes. Christoulas s’est tiré une balle dans latête, tenant dans la main une note où il expliquaitqu’il préférait mourir plutôt que de fouiller lespoubelles pour manger. Enric González

Sur le w

eb

www.courrier

international.com

Un article à lire : Reportage au cœur de l’extrêmedroite à Athènes.

� Dessin de Côtéparu dans Le Soleil,Québec.

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Entretien avec Sofia Sakorafa,députée de Syriza, coalition de la gauche radicale, favorite aux élections du 17 juin.

La Vanguardia (extraits) Barcelone

Un poster de Hugo Chávez trônedans le bureau de Sofia Sakorafa,55 ans. Ancienne lanceuse olym-pique de javelot, elle a été le premier membre du Pasok à serebeller en votant contre le pre-

mier plan de rigueur, ce qui lui a valu l’expulsion.“Je ne pouvais pas rester dans un parti qui a viré àdroite et mené une politique néolibérale, en ruptureavec sa tradition et son programme”, s’indigne-t-elle.

Syriza est une coalition de groupesdivers, dont certains défendent la sortie de la zone euro. Ne devriez-vous pas être unis sur une questionaussi fondamentale ?Il est très sain que différentes opinions s’expri-ment dans un parti. Il y a beaucoup de courantsau sein de Syriza. On discute et, quand on décided’une ligne, tout le monde s’y tient.Jusqu’à quel point l’euro est-il une priorité pour Syriza ?Nous voulons rester dans l’UE et, de l’intérieur,changer l’équilibre du pouvoir, mettre fin auxdures politiques néolibérales décidées par un petitnoyau de responsables. Nous n’allons pas tolérerque la croissance de l’Allemagne ou de la Francese fasse aux dépens de la survie de la Grèce oud’autres pays, comme l’Espagne. Etre dans la zoneeuro ne saurait signifier qu’on sacrifie le peuple,que les gens meurent de faim. Aujourd’hui, laquestion n’est pas l’euro. Nous luttons pour sur-vivre. Et si rester dans l’euro signifie la destruc-tion de la Grèce, nous devrons en sortir.D’après un sondage, 78 % des Grecs pensent que le gouvernement doit tout mettre en œuvre pour que la Grècereste dans l’euro.

Je ne comprends pas comment on peut vouloirrester dans l’euro si le prix à payer est d’accep-ter un salaire à 200 euros par mois. Mais Syrizane va pas décider à la place du peuple. Si la situa-tion devient intenable et que nous pensons quele mieux pour la Grèce est de quitter l’euro,nous demanderons aux citoyens de se pronon-cer dans les urnes. Mais nous n’allons pas direune chose et ensuite, une fois au gouverne-ment, en faire une autre.Syriza dit que l’UE ne peut pas se permettre d’expulser la Grèce de l’euro,mais en Europe il y a de plus en plus de gensqui pensent que c’est la seule solution.On nous a dit que, si nous n’acceptions pas larecette de la troïka, nous allions mourir de faim,que, si nous sortions de l’euro, nous n’aurionspas d’avenir. Nous sommes menacés par des gensqui n’occupent aucun poste dans l’UE, commeSchäuble, le ministre des Finances allemand. Etchaque menace a été suivie d’un désastre. Rappelons qu’il n’existe aucun mécanisme pourexpulser un pays membre de l’UE. Comme onne peut pas nous chasser, on tente de nous pousser à partir.

Certains voudraient jeter à la poubelleles accords signés ?Nous ne disons pas que tout allait mieux avant.Nous aussi nous voulons des réformes, nousvoulons que le pays soit plus compétitif, quel’Etat joue pleinement son rôle, qu’il y ait uneméritocratie. Plus rien ne fonctionne. Les hôpi-taux sont en plein chaos, il n’y a pas de fonc-tionnaires pour collecter les impôts. Vous voulez aussi arrêter de payer les intérêts ?Nous demandons un audit international de ladette. C’est le peuple grec qui rembourse cettedette. On lui a dit qu’il était endetté, mais per-sonne ne sait ni comment on en est arrivé là, nice que nous payons vraiment. Il doit aussi y avoirune enquête politique : l’argent a-t-il été dépensécomme on l’a dit ? Tout doit faire l’objet d’unaudit, parce que le peuple grec a payé, ce peuplemême qu’on a accusé d’être fainéant, corrompu,de passer la journée à danser, alors que les statistiques montrent que nous sommes endeuxième position en Europe pour les heurestravaillées.Gemma Saura

En couverture Les Grecs, un peuple amer16 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Gauche radicale

“Il ne faut pas sacrifier les gens”

Le virage à gauche de la Grèce,incarné par Alexis Tsipras, le leader de Syriza, n’est pas si dangereux qu’on le dit.

Les paris sont ouverts : bientôtla Grèce pourrait quitter l’euro.Car le pays n’a pour l’heureaucun gouvernement. On prévoit déjà de nouvellesélections [le 17 juin]. De plus, le vainqueur annoncé de ceretour aux urnes serait AlexisTsipras, chef de file de la gaucheradicale, qui appelle à

un “moratoire sur la dette”et ne compte pas respecter lesaccords sur l’austérité conclusavec l’UE et le FMI. Une rébellionirrationnelle, qui fleure bon lechaos. Or, en réalité, si Tsiprasparvenait à arracher la majoritéen Grèce, cela pourrait êtreconsidéré comme une chance.Ce qui parle en sa faveur : il estjeune et incarne un changementde génération dont la Grèce a désespérément besoin. Il n’appartient pas à la vieillegarde des socialistes et des

conservateurs, qui souventsiègent depuis plus de trente ansau Parlement et qui sontresponsables de la ruine dupays. Il a un autre avantage, vupar beaucoup comme un défaut :il représente la gauche radicale.Comme Tsipras veut la justice,les électeurs comprendrontquand il leur dira que lesréductions budgétaires sontincontournables. Le fait quependant la campagne Tsipraspromette l’impossible auxGrecs, qu’ils pourraient tout

avoir en même temps – l’euro,de nouveaux transferts de fonds et leur vieil Etatclientéliste –, n’est pas unobstacle. C’est justement parcequ’il incarne leurs intérêts et leurs souhaits qu’ilsaccepteront, quand il leurdonnera des explications en tant que nouveau chef dugouvernement, que les réformessont malheureusementnécessaires. En outre, lesélecteurs de Tsipras exprimentun point de vue qui se répand

dans le reste de l’UE : à elle seulel’austérité ne suffit pas. Au boutde cinq ans d’une récessioninterminable, les Grecs ontbesoin de perspectives. Ce quine peut se faire qu’avec l’aide de l’extérieur. Maintenir lesGrecs dans l’euro ne sera certespas gratuit pour les Européens.Mais c’est justement en la personne de Tsipras qu’ilspourraient enfin trouver unpartenaire de dialogue fiable. Ulrike Herrmann, Die Tageszeitung Berlin

A la une

The Economist nefait pas dans la dentelle.Sous le titre “The GreekRun” (La course grecque,mais aussi un jeu de mots sur bank run,c’est-à-dire paniquebancaire ou course auxdépôts), l’hebdomadairebritannique présenteun billet de 20 eurosenflammé par la torcheolympique brandie par un athlète grec. Si les épargnants grecs se précipitent en massepour retirer leur argentde la banque, de crainted’un retour à ladrachme, ils risquentde provoquer ce qu’ilsredoutent : la sortie du pays de la zone euro,explique le magazine.

Nouveau leader

Tsipras, un partenaire fiable pour l’UE

� “Retour vers le futur”.Dessin de Schrankparu dans BaslerZeitung, Suisse.

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Les fonds spécialisés dans le rachatde dette bradée font des affaires.Redoutant un procès, Athènes a commencé à les rembourser.

The New York Times (extraits) New York

Fonds vautours 1 - Grèce 0. Le 15 mai,la Grèce a annoncé qu’elle avait rem-boursé 436 millions d’euros d’obli-gations souveraines arrivées àéchéance à des investisseurs quiavaient refusé l’accord historique

sur la restructuration de la dette du pays, concluen mars dernier. Cette décision n’a surpris per-sonne. Le gouvernement est en plein désarroi,les investisseurs répugnent à avoir partie liée avecla Grèce : ce n’est donc pas le moment d’aggra-ver les choses en ne remboursant pas ses dettes.

Mais ce qui est étonnant, ce sont les destina-taires de cet argent. Près de 90 % de la sommeont abouti dans les coffres de Dart Management,un fonds d’investissement enregistré aux îles Caï-mans, selon des personnes ayant une connais-sance directe de la transaction.

Dart est l’un des plus célèbres “fonds vau-tours” connus pour racheter les obligations endétresse de pays au bord de la faillite – et, quandils ne sont pas remboursés, pour attaquer les gou-vernements en justice afin de récupérer leurargent. Dart et un autre grand fonds vautour,Elliott Associates, ont perfectionné cette straté-gie lors des diverses crises de la dette qui ont surgien Amérique latine ces dernières années. [Cesfonds rachètent de la dette sur le marché secon-daire, où elle est échangée à un prix très inférieurà sa valeur nominale  ; ils refusent ensuite larestructuration de cette dette, puis exigent sonremboursement, à lavaleur nominale, pluséventuellement lesintérêts et des pénali-tés de retard.]

Après avoir rachetéle gros de ces obliga-tions à des prix qui,selon les traders, nedépasseraient pas 60à 70 cents par dollarde dette, Dart a dûengranger de jolis bénéfices, puisqu’il a récupéré100 cents par dollar. Voilà de quoi exaspérer lesbanques grecques et les autres institutions localesqui ont été contraintes d’accepter une perte de75 % sur leur portefeuille d’obligations grecques.

Dart a empoché le jackpot, ce qui pourraitpousser les fonds vautours à se montrer encoreplus agressifs si Athènes se voyait de nouveaucontraint de restructurer sa dette. Le succès deDart pourrait également être un signe encoura-geant pour les autres investisseurs qui ontrefusé le plan de restructuration et qui détien-nent aujourd’hui quelque 6 milliards d’euros

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 17

d’obligations grecques. Un autre remboursement,plus modeste, doit avoir lieu en septembre.

Le 15 mai, les autorités grecques ont soutenuque ce paiement était essentiellement lié au faitque le pays se trouvait sans gouvernement. Maisil est clair que la peur de voir Dart – ou d’autresdétenteurs d’obligations – attaquer immédiate-ment la Grèce en justice a aussi joué un rôle. Celaaurait en effet risqué d’assécher les fonds euro-péens de renflouement sur lesquels compte lepays pour garder la tête hors de l’eau.

“Ils nous ont surpris au moment où nous étionsle plus faibles”, constate Gikas Hardouvelis,conseiller économique du Premier ministre LucasPapademos, qui a participé au processus de déci-sion. “Mais cela ne préjuge en rien de futures déci-sions sur la question.”

La Grèce devrait voter à nouveau le mois pro-chain. Et, avec un nouveau gouvernement – sur-tout s’il comprend Alexis Tsipras, le ténor del’extrême gauche –, le pays va sans aucun doutedurcir son attitude vis-à-vis des investisseurs quiont refusé d’effacer une partie de la dette en leurpossession. Le pays pourrait se retrouver plusgénéralement en défaut de paiement si l’Europefinissait par lui couper les vivres.

Déjà, en Grèce, le remboursement de Dart etdes autres investisseurs fait l’objet de critiques,non seulement dans les rangs de la gauche maisaussi parmi les spécialistes du marché, qui pré-disent que cela va susciter la colère des milliersde petits porteurs grecs qui ont subi des pertesdans leurs propres portefeuilles d’obligations.

“Je pense que ça a été une grosse erreur de payerces types”, commente Jason Manolopoulos,gérant d’un fonds spéculatif grec et auteur deLa Dette odieuse [éd. Pearson/Les Echos Edition,mars 2012]. “Ça va juste donner plus de munitionsà la gauche pour attaquer les partis proeuropéens.”Landon Thomas

Dette

Les investisseurs vautoursfondent sur leur proie

� Dessin de Krollparu dans Le Soir,Bruxelles.

“Je n’ai pas l’intention de m’immiscerdans la campagne électorale grecque.Je peux simplement dire que la voiesur laquelle nous nous sommes engagés avec les Grecs doit être poursuivie. J’ai la conviction que ce sera une réussite.”Wolfgang Schäuble, ministre des Financesallemand, 20 mai, Bild am Sonntag

L’éditorialiste de To Vima appelle à l’unionnationale pour mettre un frein auxambitions hégémoniques de l’Allemagne.

Il y a encore des gens en Grèce qui persistentà ne pas voir ce qui se passe : l’Allemagne,devenue hégémonique, est à l’origine de tousnos maux. Le représentant du Parti socialistefrançais, François Hollande, a bien déclaré au sujet de la chancelière allemande qu’elle devait commencer à “comprendrequ’elle ne [pouvait] agir seule pour le destin de l’Europe”. Au même moment, le magazineallemand Der Spiegel a consacré sa une à la Grèce. Le titre “Adieu, Acropole”est accompagné de l’image d’une pièce de 1 euro en train de s’effondrer sur les ruinesde l’Acropole, et le magazine affirme que le pays doit quitter l’euro au plus vite. Cela résume bien la politique allemande, alors que de plus en plus de voix s’élèvent en Europe pour dire que le problèmede l’Europe n’est peut-être pas la Grèce,mais justement la politique de Berlin. En fait,l’Allemagne s’emploie à démanteler l’Unioneuropéenne, en s’en prenant d’abord à notrepays, auquel elle réserve le même sort qu’à la Yougoslavie dans les années 1990,mais en utilisant uniquement, cette fois-ci,des bombes économiques ! Même les Allemands désapprouvent cette politique pour leur pays, mais ils l’applaudissent quand elle estappliquée à d’autres ! Et nous, malgré toutcela, nous sommes incapables de nous unirpour mieux nous défendre. Nous sommesincapables de former un gouvernementd’union nationale qui pourra temporiseravant que la défense contre l’hégémonie de l’Allemagne ne s’organise en Europe. Car Athènes doit être dans le jeu lorsque les hostilités seront ouvertes contre Berlin :nous n’avons pas le droit de déléguer à d’autres notre défense. Le compte à rebours a commencé. Ne laissons pas notre pays devenir une deuxième Yougoslavie. Si nous nouslevons maintenant, tous ensemble, notre pays pourra être sauvé de la tempête.Georges P. Malouhou To Vima (extraits) Athènes

Coup de gueule

Unissons-nouscontre l’hégémonieallemande !

� Dessin de Burki paru dans 24 Heures, Lausanne.

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La nomination à des responsabilitésministérielles de Fleur Pellerin, qui est d’origine coréenne, estaccueillie avec fierté par la pressede Séoul. En témoigne cet articlelouangeur à souhait.

Financial News Séoul

�N om coréen : Kim Jong-suk [sonprénom signifie “Femme parfaite”]. Age : 38 ans. Fleur

Pellerin, abandonnée dans une rue deSéoul juste après sa naissance et adoptéeen France à l’âge de 6 mois, vient d’êtrenommée ministre déléguée chargée

des PME, de l’Innovation et de l’Econo-mie numérique par le tout nouveau pré-sident François Hollande. Il s’agit dupremier cas d’une personne coréennedevenue ministre dans son pays d’adop-tion. Son nom de naissance, Kim Jong-suk,nous la rend plus proche que celui de FleurPellerin, dont la prononciation n’est pasfacile pour les Coréens.

Cette nomination, elle ne la doit qu’àses mérites et certainement plus encore àses efforts personnels qu’aux sacrifices deses parents, probablement réels. Après avoirobtenu le baccalauréat deux ans plus tôtque les camarades de son âge, elle se formesuccessivement à l’Ecole supérieure dessciences économiques et commerciales

[ESSEC], à l’Institut d’études politiques deParis et à l’ENA. Après deux ans à la Courdes comptes, elle se lance dans la politique,en 2002. Lors de la campagne électorale deFrançois Hollande, elle a prouvé ses com-pétences en faisant partie du premier cerclede ses collaborateurs.

De la Corée du Sud, qu’elle a quittée àl’âge de 6 mois, elle n’a sans doute aucunsouvenir ; mais son apparence nous ditqu’elle est des nôtres, même si elle déclaren’avoir aucun sentiment particulier vis-à-vis de la Corée. La France n’étant pas laseule nation qui accorde de l’importanceaux PME et au numérique, Fleur Pellerindéclare s’intéresser au savoir-faire desCoréens dans le domaine des réseaux de

communication ultrarapides. Nous espé-rons qu’elle stimulera les échanges et lacoopération entre les deux pays.

Mais il y a une autre raison pourlaquelle cette nomination nous interpelle :nous sommes admiratifs de cette sociétéfrançaise qui privilégie les compétencesd’une personne plutôt que son origine eth-nique ou religieuse.

Le cas Pellerin montre que les menta-lités coréenne et française sont très diffé-rentes en matière de multiculturalisme.Les Corées doivent multiplier les effortspour rattraper le retard et éviter leserreurs. En plus d’être fiers de la ministreKim Jong-suk, il nous faut apprendre àdevenir généreux. Yu Kyuha

Gouvernement

“Femme parfaite”, une ministre française made in Korea

Relations franco-américaines

Vous prendrez bien un autre cheeseburger, François ?provoqua des boycotts à Kansas City et àDetroit. Dans le Maine, j’ai rencontré unéditorialiste de droite qui rêvait d’êtrefrançais pour rencontrer plus de femmes.Dans une vieille station- service du Texas,je suis tombé sur un restaurant proposantun menu franco-western : truite panée à lasauce au homard et “cow-boy coffee crèmebrûlée”. Ce n’est pas pour rien que le der-nier film de Woody Allen, Minuit à Paris,est aussi son plus gros succès.

Menu à la françaiseLa France est la deuxième économie de lazone euro. En Amérique, elle reste la prin-cipale influence culturelle européenne, neserait-ce que grâce aux vestiges de l’âged’or de la France. Mais cela peut s’avérersuffisant pour alimenter les bonnes volon-tés. L’Amérique va effacer l’ardoise de Hollande. Certes, nous rebaptisons nospommes de terre frites sur un coup de tête,mais nous sommes aussi relativementprompts à pardonner les offenses. A encroire les informations, à Chicago, les pré-sidents Obama et Hollande, ainsi que lesautres dirigeants du G8, auraient mangédes cheeseburgers. Peu avant, Hollandeavait lancé, lors d’une conférence : “Je nedirai rien contre les cheeseburgers, bien sûr.”Et Obama avait ajouté : “Les cheeseburgersvont très bien avec des frites.” Aujourd’hui,peut-être que même le fromage va rap-procher l’Amérique et la France. Rosecrans Baldwin*

* Rosecrans Baldwin est l’auteur de Paris, I Love YouBut You’re Bringing Me Down [Paris je t’aime, maistu me déprimes], qui retrace son année et demied’expatriation en France et qui vient juste d’êtrepublié aux Etats-Unis. Il est également le cofonda-teur du site Internet américain The Morning News.

dizaines d’entretiens que j’ai réalisés dans11 Etats, une personne seulement a faitréférence au fromage et/ou à des primates.

C’était par une nuit neigeuse, dans unbar de cow-boys mal éclairé d’une valléeperdue de l’Idaho. Autour d’une bière,j’avais déjà interrogé plusieurs hommesqui, tous, aimaient plutôt la France. Nousavions même discuté des points communsentre le cow-boy professionnel et le Pari-

sien moyen :  l’affirmation de son indépendance et le port de jeans

serrés. Puis un type, qui portaitun pistolet, m’a demandé siquelqu’un m’avait parlé des“singes capitulards” au cours

de mes entretiens. Je luiai dit que non. Il a alors répondu qu’il n’était passurpris, avant de m’expli-

quer qu’il avait toujourseu le sentiment que cetteexpression était devenue

célèbre à cause de lapresse, et non des gens.

Les relations franco-américaines, leur intensité etleur volume, ont toujours étéinfluencées par les médias.En 1798, suite au traitement

dans les gazettes del’affaire XYZ –  uneéchauffourée pour

une question d’argentqui dégénéra en guerre nondéclarée –, le public favo-rable aux Français se mit à

les mépriser. A la fin des années 1960, The New York Timessignala que le président Charles

de Gaulle était opposé à la pré-sence américaine au

Vietnam, ce qui

deux fois plus enclins à avoir une vision dela France négative plutôt que positive.

Aujourd’hui, cependant, les primatesde Willie sont épuisés, vidés, un clichééculé. Grâce, entre autres, à Sarkozyl’Américain, les sentiments sont au beaufixe. Un nouveau sondage, réalisé parGallup en février, montre que 75 % desAméricains ont maintenant une visionfavorable de la France.

FrancophilieEtant francophile et ayantrécemment vécu à Paris,j’ai décidé d’aller vérifierpar moi-même. Pen-dant deux semaines,en janvier, j’ai par-couru les Etats-Unispour demander auxgens ce qu’ils pensaientvraiment des Français.Et pas à n’importe qui :en Amérique, on recen-se 25  villes baptisées“Paris”. Je suis allé po-ser mes questions dansquatre d’entre elles, lesParis du Maine, du Ken-tucky, du Texas et de l’Idaho,ainsi que dans un casino deLas Vegas, The Paris, quis’enorgueillit d’abriter ladeuxième plus haute tourEiffel du monde.

Mes questions avaient essen-tiellement trait à l’humeurambiante. Mais je demandais aussiaux gens de citer au moins un artistefrançais vivant – 78 % des personnesinterrogées n’en ont pas été capables ;et les autres ont immanquablementcité des disparus. Mais au cours des

France

Si la “tournée américaine” du nouveau président françaiss’est si bien passée, c’est parce que les Américains ne considèrent plus les Françaiscomme de ridicules mangeurs de fromages depuis longtemps.

The Guardian Londres

�I ci, en Amérique, la France estconsidérée comme “notre plusvieille amie et alliée”. Et aussi

comme une nation de “singes capitulardsbouffeurs de fromages”. La première cita-tion est tirée d’un commentaire récentd’un porte-parole de la Maison-Blanche.La seconde vient de Willie le jardinier,dans un épisode des Simpson de  1995,quand il devient contre son gré le nouveauprofesseur de français à l’école primairede Springfield.

Le week-end dernier, on aurait eu dumal à imaginer les Simpson lors des som-mets du G8 [les 18 et 19 mai à Camp David,aux Etats-Unis] et de l’Otan [les 20 et21 mai à Chicago]. Mais il y a peu, c’eût étépossible, et même probable. En 2003, leprésident Jacques Chirac s’était opposé àl’invasion de l’Irak. En Amérique, l’affaireavait déclenché un véritable tollé. En guisede représailles, le Congrès avait modifié lemenu de sa cafétéria afin que les hambur-gers y soient servis avec des freedom fries,des “frites de la liberté” (par oppositionaux French fries, nom américain des frites),et les gros titres grouillèrent soudain desinges. Mais surtout, les relations franco-américaines se retrouvèrent au plus bas, sibas que, d’après un sondage Gallup réaliséau printemps 2003, les Américains étaient

18 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

� Dessin de Pismetrovicparu dans Kleine Zeitung, Autriche

Les

archives

www.courrier

international.com Humeur A lire sur notre site un autrearticle de Rosecrans Baldwin paru dans The New York Times :“Sarkozy, tu vas nous manquer !”

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20 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

La Roumanie est persuadéequ’elle a des relationsprivilégiées avec la France, maisce sentiment a été mis à mal par Nicolas Sarkozy. Un défi de plus pour François Hollande.

Dilema Veche (extraits) Bucarest

�L a seule mention de la Francesuffit aujourd’hui à réveillernotre contrariété. Habitués à

ce que notre “sœur aînée” nous sou-tienne presque inconditionnellement surle plan européen, nous n’étions psycho-logiquement pas préparés à ce qu’ellenous inflige une quelconque humiliation.Or toute cette tragi-comédie autour del’espace Schengen dure maintenantdepuis un an. Et si nous avons fini parnous rendre compte que la France n’étaitpas la seule à s’opposer à nous [les Pays-Bas, la France, l’Allemagne et trois autrespays ont mis leur veto à l’entrée de laRoumanie dans l’espace Schengen enjuin 2011], il n’en reste pas moins vraique Paris a donné le ton.

La politisation du traité de Schengen(qui, à la base, était d’ordre purementtechnique) est, de fait, la dernière mani-festation d’une attitude négative à l’égardde la Roumanie. Certes, notre entrée dansl’espace Schengen adviendra tôt ou tard– elle n’est que partie remise –, mais nouspâtirons longtemps de tout le tapagecausé par la France à propos des Roms[allusion aux vagues d’expulsions lancéespar le gouvernement Sarkozy à l’été2010], qui va durablement marquer notreimage politique au sein de l’Union euro-péenne (UE). Car, au-delà de la questiondes Roms à proprement parler (à laquelleles Français ont trouvé une “solution”complètement dépourvue d’inspirationet qui leur a attiré les foudres du mondeentier), c’est le message qui compte : Paris

France

a transmis au reste de l’Europe l’idée quela Roumanie n’était pas “en règle”, qu’elleétait incapable de résoudre ses pro-blèmes, voire qu’elle en créait pour lesautres pays de l’UE.

Des relations fantasméesC’est assurément vrai : nous savons bienque nous avons des problèmes. Mais ilsprennent une tout autre dimension lorsquela France se met à les pointer du doigt.Comme l’écrivait le politologue Adrian Cioroianu dans Dilema Veche, “il se passequelque chose d’étrange entre Bucarest et Paris– quelque chose qui ne remonte pas aux vingtdernières années, mais qui est sept fois plusancien. Au-delà de l’admiration que nous, fran-cophones, éprouvons pour l’Hexagone, la rela-tion sym-pathétique [sic] qui nous lie à laFrance fait partie de la tradition moderne rou-maine. Au cours des cent quarante dernièresannées, chaque fois que la France se portaitbien, nous nous sentions bien aussi ; lorsquenotre Ana [l’équivalent roumain de Marianne]

a perdu de ses couleurs, Marianne n’était guèreplus resplendissante. Cette solidarité franco-roumaine appartient à notre patrimoinecommun, politique et diplomatique.”

L’important n’est pas de déterminerqui a tort ou raison. Comme les Français,nous nourrissons une approche émotion-nelle des problèmes. Nous vivons dans lemythe de “relations privilégiées”. Et ce nonparce que nous avons scellé en 2008 un“partenariat stratégique” avec la France(nous en avons noué aussi avec l’Italie oules Etats-Unis), mais parce que c’est ce quenous apprenons à l’école, depuis des géné-rations. Tout Roumain a à l’esprit au moinsun stéréotype sur l’histoire d’amour franco-roumaine à travers les âges : le passage par

les universités françaises de l’élite rou-maine du XIXe siècle, initiatrice de la révo-lution de 1848 ; le soutien de la France àl’Union des principautés roumaines [l’actede naissance de la Roumanie, en 1859] ; l’influence de la littérature française surles écrivains roumains ; le souvenir que nosélites parlaient le français [au moins jusqu’àla Seconde Guerre mondiale], que le géné-ral Berthelot nous avait sauvés pendant laPremière Guerre mondiale [à partir de1916, le Français avait aidé à réorganiserl’armée roumaine, laminée par les troupesallemandes].

Changement d’identitéLa France n’est plus ce qu’elle était. Nousla percevons, d’une manière un tant soitpeu abstraite, comme un grand pays, fortet influent dans le monde. Or la Francede Napoléon III n’est plus. Ni même cellede Charles de Gaulle ou de François Mitterrand. La France sous Nicolas Sarkozy semblait désorientée et intro-vertie. Attendu comme un réformateuraprès les mandats ennuyeux et médiocresde Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy s’estbeaucoup agité et a irrité nombre de sescompatriotes : il avait le don de créer lacontroverse et de faire des déclarationsdouteuses. Sous son mandat, la pressefrançaise s’est perdue en commentairesdémoralisants et mélancoliques, dénuésde cet esprit fin qui faisait depuis desannées du journalisme français uneréplique vivante et sympathique dumodèle anglo-saxon.

Adrian Cioroianu, pour en revenir à lui,écrivait également que “la plus grandemenace pour la Roumanie ne [venait] plus dela propension de la France à se comportercomme un coq de village, mais de la tentationdes Roumains à se prétendre victimes de ‘dis-crimination’”. Le politologue prévenait :“Une telle vision ne favorisera pas notre inté-gration [dans l’espace Schengen] et ne feraqu’encourager des fantasmes ‘nationalistes’.”

Il semble que la France ait elle-mêmedes problèmes à reconfigurer son identité.Elle s’habitue difficilement à la mondiali-sation, plombe l’UE avec sa politique agricole coûteuse, veut continuer à jouerun rôle majeur dans le monde, mais ne saitplus comment. Nicolas Sarkozy, à samanière, a représenté la synthèse de cetétat confus dans lequel est plongée laFrance, qui a du mal à se faire à son nou-veau rang de puissance moyenne. De grandesœur, elle se retrouve finalement contraintede traiter d’égale à égale avec la Roumanie.

François Hollande, le nouveau prési-dent, sera-t-il différent ? Se montrera-t-ilun allié plus fidèle ? Il faudrait pour celaque la Roumanie, qui s’est toujours tour-née avec confiance et espoir vers sa “sœuraînée”, se libère un tant soit peu de soncomplexe de “petite culture” et de “démo-cratie imparfaite”. Mircea Vasilescu

Diplomatie

Cette longue histoire d’amour qui agonise

du mercredi 30 mai au dimanche 3 juin 2012. Courrier internationalet Presseurop sont partenaires de l’Institut français de Bucarestdans l’organisation de l’événement.

La France est l’invitée d’honneur de la septième édition de la Foireinternationale dulivre de Bucarest,Bookfest, qui se tiendra au Parc des expositions de Bucarest

Vu d’ailleursavec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 14 h 10 et 17 h 10

La vie politique française vue de l’étranger chaque semaine avec

“La France ne se fait pasà son nouveau rang de puissance moyenne”

� Dessin de Kichka, Telad TV, Jérusalem.

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22 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Les vives réactions provoquéespar le récent attentat à la bombe contre un lycée de Brindisi révèlent le climat de peur qui gagne l’Italie.

La Stampa Turin

�L ’attentat qui s’est produit le19  mai à Brindisi [sud-est del’Italie] est tellement fou que

nous espérions tous que le coupable soitjustement un fou [“l’acte isolé” perpétrédevant un lycée professionnel a coûté lavie à une lycéenne de 16 ans et blessé griè-vement cinq de ses camarades]. S’il s’agitbel et bien d’un acte terroriste [la ministrede l’Intérieur a déclaré le 22 mai que “l’en-quête envisageait toutes les hypothèses”, ycompris la piste terroriste], nous serionsen présence d’un terrible changement de ton en termes de criminalité organiséeou de terrorisme.

Jusqu’à présent, la Mafia et les orga-nisations de la lutte armée frappaient descibles précises – des hommes considéréscomme des ennemis – ou semaient la mortdans des banques ou dans des trains.C’était certes monstrueux, mais elles n’enétaient encore jamais venues à frapper uneécole pour tuer délibérément des étu-diants, presque des enfants. Et voilà quiserait encore plus monstrueux.

Mystères non résolusC’est pourquoi nous espérions tous quele coupable de l’attentat ressemble à lapuissance quatre à l’Unabomber italien[entre 1994 et 2006, celui-ci a commis unetrentaine d’attentats, notamment dans deslieux où se trouvaient des enfants, maissans tuer personne ; les enquêteurs n’ontjamais pu l’arrêter]. Autrement, si derrièreune telle horreur se cachait un dessein bienprécis et non un cerveau malade, nous pour-rions conclure que l’Italie est condamnée

Europe

à ne jamais être un pays normal. A cetégard, la première réflexion qui nous vientà l’esprit est la suivante : chaque fois qu’ily a une période de transition dans notrepays, quelqu’un essaie de se l’approprierpar le sang.

C’est ce qui s’est passé après 1968,quand certains avaient tenté de condi-tionner le changement avec des bombes,d’autres avec un parti armé. Durant cesannées-là, tout ou presque changea dansle monde occidental, des rapports sociauxjusqu’aux vêtements. Partout, des tensionséclatèrent. Mais il n’y a qu’en Italie qu’elleseurent un impact aussi tragique et aussidurable.

Aux Etats-Unis, on parle encore aujour-d’hui de la révolte de Berkeley, en 1964 [villede Californie, foyer de la contestationsociale des années 1960] ; à Paris, on nementionne qu’un seul mois [Mai 68] ; enAllemagne, le terrorisme est apparu et adisparu avec l’histoire sanglante de la bandeà Baader [groupe terroriste d’extrême

gauche]. Alors qu’en Italie cette période acontinué au moins jusqu’à la fin des années1980, et il reste encore toute une série demystères irrésolus.

Un pays anormalAutre élément : nous avons toujours untemps de retard pour comprendre ce quise passe autour de nous. Nous déchiffronsle présent avec les codes du passé. Il y adeux semaines, après l’agression du direc-teur adjoint du groupe industriel Ansaldoà Gênes [voir encadré], nous avons aussi-tôt pensé aux Brigades rouges, à la lutteanticapitaliste…

Des histoires qui remontent à trenteou quarante ans, alors que l’Italie et lemonde ont profondément changé et quede nouvelles colères montent : contre lafinance, contre les dernières frontièresdu progrès technologique, contre le cauchemar de la pollution et des catas-trophes nucléaires. Non seulement ellesmontent, mais, hélas ! elles alimententaussi quelques franges extrémistes etpotentiellement meurtrières. Le risqued’un nouveau terrorisme existe donc belet bien, ceux qui prétendent le contrairesous prétexte que le monde n’est plusdivisé en deux blocs font franchement unpeu pitié.

Toujours à cause de cette propensionà déchiffrer l’actualité avec les codes d’hierou d’avant-hier, nous avons commis l’er-reur de chercher un lien entre la bombede Brindisi et celles qui avaient exploséen 1992 et 1993, autre période de transi-tion. C’était alors la Mafia qui avait frappé– et ce dans le cadre d’une stratégie inno-vante pour l’époque. Mais, aujourd’hui,chercher à provoquer le changement avecdes bombes ne serait plus une nouveauté.

Si nous ne parvenons jamais à la normalité, c’est aussi parce que noussommes le seul pays au monde où les

prophètes du complot et du passéisme fontautant d’émules. Il est vrai qu’en Italie,depuis l’attentat sur la place Fontana àMilan en 1969 [qui marque le début desannées de plomb], nous en avons vu detoutes les couleurs. Mais soutenir − ouinsinuer, ce qui revient au même − quec’est le gouvernement Monti qui a posé labombe ou commandité l’attentat à Brin-disi pour détourner l’attention des Italiensde la crise économique et du problème desimpôts, voilà qui est une autre expressionde la folie, une folie qui n’a rien d’inno-cent. Et pourtant, ce sont bien des thèsesde ce genre qui ont circulé le 19 mai dansdans l’après-midi sur la Toile, sous leregard bienveillant de certains hommespolitiques, ou plutôt antipolitiques, en malde voix et de visibilité.

C’est l’Italie, quoi ! Un pays tellementanormal que nous en avons été réduits àespérer qu’il y ait véritablement un fou enliberté prêt à relier trois bonbonnes de gazà une minuterie, comme ça, pour le plaisir,sans arrière-pensées.Michele Brambilla

Des cocktails Molotov contre unbureau d’Equitalia (l’administrationfiscale italienne) à Livourne, le 12 maidernier, et une multiplicationd’attaques prenant pour cible de grands groupes industriels cesdernières semaines “ont replongél’Italie dans le cauchemar des annéesde plomb”, rapporte le Corriere dellaSera. La plus spectaculaire d’entreelles remonte au 7 mai dernier.Roberto Adinolfi, le PDG d’AnsaldoNucleare, une filiale du géant nucléaireFinmeccanica, s’est fait tirer dessus en plein jour, devant son domicilegénois. Blessé à la jambe, il est hors de danger. Toutefois, dès le lendemain,les enquêteurs ont souligné que tirerdans les jambes avec un Tokarev (un pistolet semi-automatique defabrication russe) rappelait les modesd’action du groupe d’extrême gauchedes Brigades rouges, dont une colonnegénoise, entre 1975 et 1979, avait viséquatre dirigeants d’Ansaldo.Le 17 mai, une grande manifestationde soutien à Roberto Adinolfi, à l’appel de la municipalité de Gênes, a réuni des milliers de personnes pour dire non au terrorisme.

Contexte

Le retour des années de plomb ?

� Dessin de Vlahovic, Belgrade.

Italie

Un passé terroriste prompt à resurgir

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24 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Europe

Originaire d’un quartier pauvrede la capitale du Mozambique,Ricardo Chibanga fut le premier torero noir. La star des années 1970 parcourtaujourd’hui le Portugal avec ses arènes démontables.

Expresso (extraits) Lisbonne

�L e cavalier tend sa main au forcado* et lui souhaite bonnechance. Ça sent le fumier et la

terre battue. La terre est rouge et l’hu-midité glaçante. C’est la nuit. Tout à coup,un tourbillon d’instruments à vent emplitl’air de musique. Une frénésie chaude etcontagieuse envahit l’arène illuminée.Les cavaliers se présentent, les forcadosfont de même, le public applaudit. L’émo-tion est palpable. Le taureau s’apprête àsortir du toril. Le voici. L’enceinte estpleine pour la seule corrida qui aura lieucette année à Lourinhã [ville située aunord de Lisbonne].

L’arène est démontable et appartientà un entrepreneur de Golegã [ville situéeà environ 130 kilomètres au nord de Lis-bonne, capitale du lusitanien, cheval derace utilisé dans les corridas], RicardoChibanga, âgé de 68 ans, qui arpente lesvilles et villages organisateurs de tourada[la corrida portugaise, sans mise à mortdu taureau]. Il fut le premier Noir à sevêtir de l’habit de lumière et à son époqueil toréa dans les plus fameuses arènesdu monde. “El Africano, matador”.

Début des années 1960. LourençoMarques [l’ancien nom de Maputo] enpleine période coloniale. Trois fois par an,les grands toreros de la métropole font levoyage jusqu’à la capitale mozambicaine.Un véhicule décapotable parcourt leslarges avenues de la ville pour annoncerles têtes d’affiche. Ricardo Chibanga, ungamin de 16 ans originaire de Mafalala, unquartier autochtone situé près de l’arène,ne résiste pas à la tentation d’aller les voir.Il n’a jamais rien vu de semblable. Pen-dant que ses amis jouent au football surun terrain vague et rêvent de devenir foot-balleurs, lui, sans savoir pourquoi, restescotché devant ce spectacle étrange etétranger à son monde, profondémentémerveillé par l’éclat des costumes.

Il traîne tous les jours dans les alen-tours, jusqu’à ce que le responsable del’arène le remarque avec un groupe d’amiset envoie tout ce petit monde dans leshôtels et sur les plages pour distribuerdes prospectus annonçant la corrida.Lorsque les toreros reviennent, quelquesmois plus tard, Ricardo fait enfin leur

connaissance. Lui et son ami CarlosMabumba sont présentés au toreroManuel dos Santos et à l’homme d’affairesAlfredo Ovelha. A presque 18 ans, les deuxjeunes, qui travaillent par intermittencedans le bâtiment, veulent partir au Portugal. Ils n’ont rien à perdre. AlfredoOvelha parvient à convaincre le gouver-neur général du Mozambique de les lais-ser sortir et s’engage à s’occuper d’euxpendant trois mois.

Part de mystère“Nous sommes arrivés un jeudi et, dès le len-demain, on est venus nous chercher pouraller participer à une vacada [corrida popu-laire] à Nazaré [ville située à 120 kilomètresau nord de Lisbonne]. On nous a donné desbaskets, un jean, et on nous a mis au milieudes vaches. J’étais complètement perdu.J’étais enthousiaste, je tombais, je m’échap-pais et les gens riaient. A cette époque, il n’yavait pas beaucoup de Noirs au Portugal,mais je ne le prenais pas mal. Je voyais çacomme un amusement”, raconte Chibangaen se souvenant de ce jour lointain del’été 1962. Ils ont passé trois mois à fairedes vacadas et finalement sont restés. “Ilssont allés vivre chez quelqu’un qui avait uneécole de tauromachie pour en apprendre lesbases”, complète José Tinoco, banderillerode Chibanga qui deviendra plus tard l’apo-derado [une sorte d’imprésario] de Chi-banga. Quand il pense à cette époque, leMozambicain se souvient surtout du froidinsupportable – qui l’obligeait à dormirhabillé avec plusieurs couvertures – et desa détermination inébranlable à devenirtorero. Après avoir appris les rudimentsdu métier et accompli ses deux ans de

service militaire, on lui trouve un apode-rado espagnol et Chibanga se retrouve àSéville. Son compagnon Carlos ne le suitpas. On n’entendra plus parler de lui. En1968, le novice – encore amateur – débutedans les environs de Madrid, à San Sebas-tián de los Reyes, pour sa première véri-table corrida. Le public apprécie. “Il y estretourné douze fois d’affilée. C’était un toreroqui attirait beaucoup de monde. Chibanga atoréé dans les plus grandes arènes du monde”,précise Tinoco.

Depuis qu’il avait décidé de se consa-crer à la tauromachie, Ricardo Chibangaavait un seul but : triompher dans sa spé-cialité en devenant matador. Le 15 août1971, il se présente aux arènes de la RealMaestranza de Caballería, à Séville, enprésence d’une équipe de la RTP [la télé-vision publique portugaise]. L’enjeu estde taille : le torero des colonies, symbolede l’empire portugais et de son succès [lePortugal a connu une dictature entre 1926et 1974], veut décrocher l’alternative [cor-rida qui sacre le jeune novillero matador].“Moi, un gars du Mozambique, du quartierde Mafalala, dans l’une des plus prestigieusesarènes du monde ! Ce fut le plus beau jourde ma vie”, reconnaît-il.

La réussite est au rendez-vous. Lesmouchoirs blancs surgissent dans les tra-vées, réclamant un trophée pour le mata-dor noir : une oreille de taureau. Il sortde l’arène porté en triomphe. Le soirmême, un dîner est organisé en son hon-neur avec des centaines d’invités. Le len-demain matin, il repart à Lisbonne pourune nouvelle corrida, mais comme mata-dor cette fois-ci.

Dans une vaste pièce de sa maison, àGolegã, où il vit avec sa femme et sa fille,qui vient d’avoir un enfant, la tête de tau-reau de l’alternative de Séville est accro-chée au mur, sans son oreille. Une autretête s’y trouve – sans ses deux oreilles –,celle du taureau de sa corrida de confir-mation aux arènes La Monumental deMadrid. Les murs sont recouverts de pho-tographies, d’affiches, de nombreux tro-phées qui rendent compte de la décenniede gloire du torero au corps marqué parla dureté du métier. Madrid, Barcelone,Torremolinos, Palma de Majorque,Nîmes, Béziers, Mexico, Macao, Jakarta…

Nous feuilletons les albums photo et lescoupures de presse : “Chibanga blessé parun coup de corne est dans un état grave” ;“Chibanga est dans le coma”… Un télé-gramme du Sud-Africain ChristiaanBarnard [auteur de la première trans-plantation cardiaque en 1967] lui sou-haitant bonne chance. Là, les moustachesde Salvador Dalí, grand aficionado. Et desarticles racontant la rencontre, dans lesud de la France, avec Pablo Picasso, quisouhaitait le connaître. Ricardo Chibangalui offre les trophées de sa dernière cor-rida : une oreille et la queue du taureau.Les journalistes prétendent que le maîtrelui aurait donné en échange un dessinavec pour dédicace : “Au Negrito, mata-dor”. Chibanga ne confirme pas, mais nenie pas non plus. C’est un homme qui asa part de mystère.

En 1972, il revient dans son pays pourtoréer. L’album de souvenirs quitte le noiret blanc pour la couleur. Il fait son retourdans le quartier de son enfance dans unedécapotable, et son imprésario lui donnedes pièces de monnaie à distribuer. Il estreçu comme un héros. Les photographiesse succèdent, montrant un Ricardo Chi-banga hilare, entouré de son peuple,transporté sur des épaules, la chemisedéchirée. Lourenço Marques, mon amour.

Après la “révolution des œillets” [le25 avril 1974], les corridas sont moinsnombreuses et Ricardo Chibanga se faitplus rare. Il faut attendre les années 1990pour le voir reprendre pied dans la pro-fession, lorsqu’il achète la première arènedémontable à un Espagnol et en faitfabriquer une autre de 3 000 places,pour les installer dans les villes dépour-vues d’enceinte taurine.

A genoux devant le taureau“Il avait du courage, mais aussi quelque choseen plus, affirme Tinoco. Quand il faisait letour de l’arène, il touchait le public, il le sen-tait. Il captait le regard des spectateurs. Onappelle ça le charisme. Et c’est pour celaque les gens l’adoraient.” Chibanga s’age-nouillait devant le taureau, un geste quicontribuait à sa notoriété et qui faisaits’enthousiasmer le public. L’image del’Africain paré de son costume de lumière,défiant l’animal du regard, à genoux surle sable, captivait les spectateurs présents.On disait que “Ricardo Chibanga, el More-nito, matador”, hypnotisait le taureauavant l’estocade finale. Ricardo, le mata-dor noir, hausse les épaules. Il n’aime pasdiscuter de ces histoires de superstition.Ana Soromenho

* Dans la corrida portugaise, huit jeunes gens,les forcados, se placent en file indienne face autaureau et déclenchent sa charge.

Portugal

Ricardo Chibanga “El Africano”, matador

Biographie

8 novembre 1947 : naissance à LourençoMarques, (aujourd’hui Maputo) la capitaledu Mozambique, dans une famille pauvrede sept enfants.1962 : il s’installe au Portugal, où il commence à prendre des leçons de tauromachie.1967 : il fait ses débuts en Espagne, à San Sebastián de los Reyes, près de Madrid,comme jeune novillero, sous le surnom d’El Africano. Il est le premier toreroafricain de l’histoire de la tauromachie.Le 15 août 1971, il passe son alternative(passage de jeune “novillero” à “matador”)dans les célèbres arènes de Séville. Il parcourt ensuite, avec succès, toutes les arènes d’Espagne, mais aussi de France, de Colombie et du Mexique.1972 : il revient dans son pays natal à l’occasion d’une corrida triomphale.1974 : il quitte progressivement la profession de torero, mais restera dans le monde de la tauromachie, comme entrepreneur.

“Moi, un gars du Mozambique, du quartier de Mafalala,dans l’une des plusprestigieuses arènes du monde !“

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Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 25

� Ricardo Chibanga avec son habitde lumière et la tête du taureaude son alternative à Séville.

JOSÉ

VEN

TU

RA

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� Dessin de Cost paru dans Le Soir, Bruxelles.

Etats-Unis

Obama peut-il déjouer la malédiction des urnes ?Conséquence de la criseéconomique, de nombreuxdirigeants occidentaux ont étédésavoués par leurs concitoyens.Les électeurs américainspourraient être tentés de suivrele même mouvement.

The New York Times (extraits)New York

�S ur sa première photo de groupeavec les grands de ce monde lorsdu sommet du G20 à Londres,

en avril 2009, le président Obama était toutsourire. Mais, à six mois de son éventuelleréélection, un bref coup d’œil à ce clichén’est guère rassurant.

La plupart des dirigeants qui étaient àla tête des grandes économies de la planètequand la photo a été prise ne sont plus enposte. Ils ont été victimes de la crise éco-nomique mondiale et de la colère des élec-teurs. Le Britannique Gordon Brown,l’Australien Kevin Rudd, l’Espagnol JoséLuis Rodríguez Zapatero, le Japonais TaroAso, l’Italien Silvio Berlusconi et le Fran-çais Nicolas Sarkozy ont disparu de la photo.Seuls deux dirigeants occidentaux présentsà Londres, l’Allemande Angela Merkel et leCanadien Stephen Harper, sont encore enposte aujourd’hui. A l’heure où Obama faitcampagne contre Mitt Romney, la ques-tion est de savoir si les forces qui ont balayétant de ses homologues sont également àl’œuvre aux Etats-Unis. Après la défaite deSarkozy, de nombreux observateurs se sont

demandé si Obama n’aurait pas des leçonsà en tirer. Certains ont avancé que les élec-teurs d’Europe et d’ailleurs rejetaient lesmesures d’austérité. Si les électeurs amé-ricains suivent le mouvement, cela pour-rait favoriser Obama face au candidatrépublicain Mitt Romney, qui appelle àdes réductions plus sévères des dépensespour enrayer la dette publique et le déficit. Obama, tout comme Hollande,préconise, afin de faire face à la crise éco-nomique planétaire, un compromis entrel’épargne et la relance.

Mais le message des électeurs dans lemonde entier est peut-être davantage l’ex-pression d’une colère envers les dirigeantssortants. Les équipes de campagned’Obama et de Romney se sont abstenuesde tout commentaire sur la défaite de

Sarkozy. Jay Carney, le porte-parole du pré-sident, s’est contenté de souligner que “lesconditions diffèrent d’un pays à l’autre” et arappelé les efforts entrepris par Obamapour équilibrer les intérêts en jeu dans lareprise économique. L’équipe de campagnede Romney, de son côté, vise à convaincreles électeurs que l’approche choisie par leprésident face à la récession est à la foiserronée et timorée. “Les Américains sontdéçus de voir que la politique de gauched’Obama n’a pas amélioré leur sort”, a récem-ment souligné Amanda Henneberg, porte-parole du candidat républicain. Alors,Obama rejoindra-t-il Sarkozy et les autresdirigeants mondiaux contraints plus tôtqu’ils ne le pensaient à une retraite post-récession ? C’est ce débat crucial qui endécidera. Michael D. Shear

Canada

Amis touristes, venez goûter au printemps érable !preuve de prudence à Montréal. Même siles manifestations se terminent bientôt,les nouvelles internationales ne le men-tionneront pas. Cela risque de nuire à lasaison touristique.

Alors, comment pouvons-nousconvaincre les touristes de venir ici, main-tenant que notre image idyllique a changé ?

Voici ma modeste proposition : capi-taliser sur notre image révolutionnaire.

Nos publicités touristiques présententactuellement Montréal comme le Paris del’Amérique du Nord. Nous devrions désor-mais nous vendre comme le Paris demai 1968, avec des publicités évoquant àpeu près ceci : “Revivez le Paris de 1968, lefameux été de la révolution dont tant de Pari-siens sont nostalgiques ! Comme dans vos sou-venirs, notre ville offre des manifs étudiantespassionnantes et des affrontements dans la rueentre policiers et étudiants gauchistes. Le toutdans un Quartier latin authentique ! Nousavons même des leaders étudiants charisma-tiques qui deviendront ministres un jour.Gabriel Nadeau-Dubois [l’un des deux porte-parole de la Classe] vous rappellera ‘Dany lerouge’, le célèbre leader étudiant parisien. Toutcomme Paris en 1968, nos manifestants étu-diants sont soutenus par les grands syndicats,qui espèrent ainsi renverser le gouvernement.Lors de votre séjour, vous aurez peut-être lachance de vivre une élection imprévue, ou mêmeune révolution ! Et n’oubliez pas votre télé-phone intelligent pour découvrir notre calen-drier des événements… sur le compte Twitterde la police de Montréal.” Josh Freed*

* Ecrivain, cinéaste et blogueur, Josh Freed publieune chronique régulière dans le quotidien anglo-phone de Montréal The Gazette.

négociation de divorce provisoire en criantà qui veut bien l’entendre : “J’ai gardé lamaison et la voiture, elle n’a eu que le chien !”

Vous pouvez aussi blâmer la directiondu Parti québécois, qui continue d’arbo-rer fièrement le carré rouge [symbole desmanifestants étudiants] même si ce sym-bole est désormais associé au vandalismede notre ville.

Ou les profs qui ont fait front communavec les étudiants histoire de revivre leurjeunesse et le temps des manifs contre laguerre au Vietnam – poussant ainsi leursétudiants à perdre un semestre alors qu’euxreçoivent un salaire complet. Peut-être que,maintenant que Line Beauchamp est partie[la ministre de l’Education a démissionnéde ses fonctions le 14 mai dernier], quelquechose peut être récupéré des débris destrois derniers mois. Quoi qu’il arrive, unedes victimes de tout cela est notre ville, quiaffiche un œil au beurre noir juste avant lasaison touristique.

Un avocat de Toronto m’a appelél’autre jour. Sa collègue – une ex-policière !– voulait savoir si c’était dangereux devenir à Montréal en tant que touriste,compte tenu de la contestation étudiante.J’ai reçu deux autres demandes de la sorteau cours des dernières semaines, une deColombie-Britannique et une de Londres.Nous, les Montréalais, savons que nous nevivons pas en Syrie, mais peut-être n’est-ce pas si évident vu de l’extérieur.

Notre “printemps érable” a fait l’objetd’articles dans des quotidiens de Grande-Bretagne, d’Italie, d’Espagne, d’Australieet de France. On a pu voir des affronte-ments entre nos policiers et nos étudiantssur CNN, Al-Jazira. Le consulat américainà Montréal a même émis une alerte pourinviter les citoyens américains à faire

gagnant moins de 60 000 dollars canadiens[environ 46 000 euros], les protégeant ainsides augmentations des frais de scolarité.Les élèves auraient pu déclarer victoirepour avoir permis au Québec de rester unmodèle des droits de scolarité abordablesen Amérique du Nord. Mais, au lieu de ça,certains ont préféré continuer la lutte desClasses. [Classe est l’acronyme de Coali-tion large de l’Association pour une soli-darité syndicale étudiante, une coalitionétudiante ad hoc créée au début du mou-vement de contestation.]

Vous pouvez également en vouloir augouvernement libéral, incapable de se taireaprès avoir négocié un accord à la mi-mai.Il ressemblait à un mari qui termine une

Amériques

Pour convaincre les visiteursétrangers de revenir à Montréal,en proie depuis plusieurs mois à des manifestations étudiantes,rien de plus simple ! Il suffit de capitaliser sur l’imagerévolutionnaire de la ville, ironiseun blogueur anglophone.

L’Actualité (extraits) Montréal

�C es temps-ci, je planifie mes sor-ties nocturnes au cœur deMontréal dans un style “guérilla

urbaine”. De mon balcon, je regarde versle centre-ville pour voir s’il n’y aurait pasune file de voitures de police allant dansla même direction, gyrophares allumés.Je scrute aussi le ciel à la recherche d’hé-licoptères. Je consulte ensuite le compteTwitter du Service de police de la villede Montréal [SPVM] pour en savoir plussur les manifestations en cours. “La manifa tourné sur Sainte-Catherine, vers l’ouest.Un sit-in commence au coin de Sainte-Catherine et de Metcalfe.” Puis je planifieune sortie ailleurs.

On a besoin d’un grand sens de l’hu-mour pour vivre près du centre-ville ence moment. C’est devenu une zone decombat pleine de manifestants, d’em-bouteillages, de travailleurs épuisés, d’en-treprises qui souffrent, d’étudiants entrain de perdre un semestre… et, parfois,de bombes fumigènes dans le métro. Quifaut-il blâmer ? Faites votre choix.

Vous pouvez blâmer les étudiants, quiselon moi ont gagné leur cause, il y a troissemaines, quand le Premier ministre JeanCharest a reculé et promis de revoir le pro-gramme de bourses pour les familles

26 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Voir aussi la controverse, p. 11.

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28 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

La “foire” de La Salada reçoit300 000 visiteurs et fait circulerl’équivalent de plus de 7 millionsd’euros par semaine. On y trouvedes vêtements et des produitsde grandes marques. Seul bémol : on soupçonne qu’ils sont contrefaits.

La Razón (extraits) La Paz

�L e royaume de la contrefaçonporte un nom dans la capitaleargentine : La Salada. Ce marché

qui démarre à l’aube tous les lundis, jeudiset dimanches accueille près de 300 000 per-sonnes et brasse près de 10 millions de dol-lars par semaine [7,8 millions d’euros]. Ony vend des vêtements de grandes marques,mais falsifiés – pour la plupart importésillégalement ou fabriqués et commercia -lisés par des Boliviens.

Notre guide nous a donné rendez-vous à 9 heures à Lomas de Zamora [dansla banlieue est], à cinquante minutesen taxi de l’avenue Corrientes, l’une desprincipales artères de Buenos Aires. Avecune ponctualité suisse, un véhicule à l’apparence d’une voiture de patrouillerepeinte arrive. Au volant se trouve Escóbar, un Argentin, qui nous invite poliment à monter.

L’histoire de ce marché a commencéentre 1991 et 1992, quand 36 Bolivienssont arrivés à Lomas de Zamora. Sur lestrottoirs, ils ont déballé des aguayos[tissus colorés traditionnels] sur lesquelsils déposaient des vêtements fabriquéspar eux-mêmes. La police les avait à l’œilet les Boliviens décampaient dès qu’ilsla voyaient. Une fois les agents partis,les vendeurs à la sauvette recommen-çaient leur manège. Aujourd’hui, pour-tant, La Salada est devenue intouchable.

“Un marché illégal ? Pas du tout. Audépart, c’était un marché clandestin, maisaujourd’hui tout est légal : nous payons desimpôts comme tout le monde. Associés, ven-deurs, tout le monde paie sa part… Nouspayons 70  000  dollars mensuels [soit54 700 euros] à la municipalité”, expliqueMery Saravia, une Bolivienne de 51 ansoriginaire de la ville de Potosí et qui a faitsien l’accent argentin.

Les Etats-Unis n’envisagent pas leschoses sous cet angle : l’année dernière,ils ont classé La Salada comme l’un desplus grands marchés au monde “du pira-tage, de la fraude et de la contrefaçon” ; un“paradis des mafias” où des “bandes crimi-nelles agissent en toute impunité et violentles lois sur la propriété intellectuelle”. Pourl’UE, ce marché est “le symbole mondial dela contrefaçon” et ferait plus de 650 mil-lions de dollars par an [soit presque509 millions d’euros] de chiffre d’affaires.Sur le trajet qui mène au marché, les gens

Amériques

sortent de chez eux pour proposer leurplace de parking. “La Salada profite à toutle monde”, commente Escóbar, le chauf-feur, avec une pointe d’orgueil. Lesklaxons ajoutent au chaos ambiant. “Lasécurité n’est pas un problème”, explique-t-il : plus de 300 vigiles privés et policiersassurent la sécurité à pied et en voiture.Pourtant, les acheteurs sont une cible dechoix pour les malfaiteurs. Le 16 avril, ungroupe de faux policiers a pris d’assautun minibus et dérobé 34 700 dollars [soit27 000 euros] aux passagers qui venaientà La Salada.Le marché est constitué de trois grandsespaces [Urkupiña, Punta Mogote etOcean] installés dans des hangars fermés.Chacun fait à peu près la taille de deuxstades de football. Les vendeurs étanttoujours plus nombreux, il est difficile dedonner un chiffre exact de la superficie,reconnaît Escóbar.

Guillermo Justo est l’un des “barons”de Punta Mogote. “Nous avons plus de

caméras de surveillance que les stades deBoca et River [les deux grands clubs de foot-ball] réunis”, lance l’Argentin. Les“patrons” de la foire sont à la fois boli-viens et argentins, mais la main-d’œuvreest surtout bolivienne et représente laprincipale source d’approvisionnementen textile : sur les 20  000  vendeurs,16 000 sont Boliviens.

Ici, le coût d’un stand est comparableà ceux des quartiers très aisés de BuenosAires. Le loyer mensuel varie entre 1 500et 3  000 dollars [soit entre  1  200 et2 400 euros]. Quand nous proposons àun vendeur de pantalons 100 000 dollars[soit 78 300 euros] pour sa “boutique” de3 mètres carrés, il refuse catégorique-ment : “Pour rien au monde !”

Dans les petites étagères sont surtoutexposés des vêtements de marque quisont des contrefaçons et, sur chaquestand, il y a deux ou trois vendeurs. Vousn’obtiendrez pas de remise, sauf si vousachetez en gros. On y trouve des vête-ments Puma, Lacoste et autres grandesmarques internationales ; des maillotsofficiels de la sélection argentine, desclubs comme Boca Juniors, River Plate,Real Madrid, FC Barcelone ; des basketsNike, Adidas, Reebok. Les articlessont proposés à la moitié de leur prixoriginal. Dans les allées voisines, on venddes CD, des parfums et autres objetspiratés.

Selon l’Association argentine de luttecontre la contrefaçon, plus de 80 % desproduits vendus à La Salada sont desfaux. Et, d’après la chambre de commerceargentine, la plupart des copies de vête-ments de marque proviendraient d’ate-liers de confection ou, dans une moindremesure, de la contrebande illégale.

“C’est une entreprise familiale. Nous tra-vaillons huit heures – ou dix, s’il le faut, noussommes nos propres patrons. Nous n’encou-rageons pas la contrefaçon, assure GuillermoJusto. Tous les quinze jours, un contrôleurpasse dans les allées pour vérifier les mar-chandises. Si on trouve quelqu’un qui venddes contrefaçons, on prend acte et on porteplainte…” Pour la Confédération argen-tine des petites et moyennes entreprises,ce marché noir représente un manque àgagner fiscal de 2,7 milliards de dollars[soit 2,1 milliards d’euros]. L’Associationargentine des marques et des franchisessignale que jusqu’à présent les coups defilet contre la contrefaçon se sont tou-jours soldés par des échecs. La contre-façon d’une marque déposée est passible

de trois mois à deux ans de prison, selonle droit argentin. Pourtant, La Saladacontinue ses activités sans être inquiétéepar les autorités.

“Elle est intouchable. Dans les faits, iln’y a pas de volonté politique de résoudrecette situation”, dit l’économiste en chefde la chambre de commerce argentine,Gabriel Molteni. La Salada aurait mêmeprovoqué la prolifération de petits mar-chés de ce genre à Buenos Aires, les “sala-ditas”, où sont revendus des articlesachetés à Lomas de Zamora.

Indifférents aux critiques, les admi-nistrateurs de La  Salada envisagentd’agrandir le site et même d’exporterleur modèle à l’étranger : à Miami, auParaguay et en Angola [en effet, CristinaKirchner s’est rendue en Angola le 17 maidans le cadre d’une mission commerciale,où figuraient, parmi les 200 entrepre-neurs argentins, des représentants deLa  Salada]. Ils se targuent d’avoir debonnes relations avec les gouvernementsargentin et bolivien [sur les murs desbureaux des patrons du marché, sontaccrochés des portraitsde Cristina Kirch-ner et Evo Morales].

Les acheteurs ne sont pas seulementargentins, ils viennent aussi de l’Uruguay,du Brésil, du Paraguay et du Chili. En casde petits creux, les restaurants sont làpour les accueillir et les vendeurs ambu-lants proposent des empanadas boli-viennes et argentines, des sucreries etdes rafraîchissements. Il y a même unechapelle consacrée à la Vierge d’Urku-piña, où ils peuvent aller prier.Erick Ortega Pérez

Argentine

A Buenos Aires, l’hypermarché de la contrefaçon

Les frères latinos

La Salada ne fait pas figure d’exceptionen Amérique latine. Les marchés Bahíaà Guayaquil (Equateur), San Andresitosà Bogotá (Colombie) et celui de Ciudaddel Este (est du Paraguay) sont les paradisde la contrefaçon de leurs pays respectifs.A Mexico, sur le marché Tepito, où l’onestime à plus de 400 les ateliers de produitscontrefaits, la nuit venue, ce sont lesmarchands d’armes qui prennent la placedes vendeurs.

� Dessin de Tioumine paru dans Kommersant, Moscou.

Retrouvez sur “Télématin” la chronique de Marie Mamgioglouaux côtés de Willliam Leymergie. A Buenos Aires, l’hypermarché de la contrefaçon.le samedi 26 mai à 9 h 5.

La Salada est intouchable :jusqu’à présent, les coups de filet visant les contrefaçons se sont toujours soldéspar des échecs

Page 29: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1125_del24al 30deMayoDe2012

Les deux principaux gangs qui déchirent le Salvador ontannoncé une trêve. Depuis, trois membres du Barrio 18 ont fondé, en prison, GangsterFury, un groupe de hip-hop qui appelle à la paix.

El Faro San Salvador

�L a musique s’ arrête et JoséAlberto Menjívar Quintanillaprend le micro pour conclure

le concert : “Ce message contribue à appor-ter la paix dans le monde, et dans notre pays,le Salvador. Nous allons apporter notre pierreà l’édifice et, peu à peu, nous finirons par yarriver.” Le public applaudit pour signi-fier sa satisfaction.

Jusque-là, rien d’anormal. Il ne seraitpas étonnant d’entendre de tels mots, untel message, à la fin d’une cérémonie oud’un concert de bienfaisance. Ce n’estpourtant pas le cas. José Menjívar Quin-tanilla purge une peine de soixante-dix  ans de réclusion pour un doublehomicide. Les deux chanteurs qui l’ac-compagnent sont également des détenus.Le scénario se déroule dans un coinobscur d’une cour de la prison de Que-zaltepeque (dans le département de LaLibertad). Et le public est composé deplusieurs centaines de meurtriers, devoleurs, de journalistes, d’extorqueurs,de violeurs, d’un ex-député et d’un évêque– une belle brochette. Voilà une scène quel’on ne voit pas tous les jours.

José Menjívar Quintanilla, qui a 25 anset est en prison depuis ses 19 ans, est lafigure de proue de Gangster Fury ; maisle groupe est aussi composé d’OscarAlirio Montano, 24 ans, et de Mario ArielHernández Aranda, 20 ans.

Ils sont tous trois membres de la fac-tion Revolucionarios del Barrio 18 et sontincarcérés au centre pénitentiaire d’Izalco(dans le département de Sonsonate).Début 2012, ils ont commencé à écriredes chansons. Ils ont choisi le rap, genreurbain par excellence, et ont déjà assezde morceaux pour sortir un disque. Cene serait pas surprenant s’ils y parve-naient. Ils finiront par être entendus.

Le mercredi 2 mai, le gang Mara Sal-vatrucha (aussi appelé MS-13) et les deuxfactions de la bande Barrio 18 ont publiéun second communiqué commun [lepremier, le 23 mars, annonçait unetrêve], dans lequel ils ont affirmé queles écoles étaient déclarées “zones depaix” et que le recrutement forcé desjeunes était terminé.

A la suite de cette déclaration, Gang-ster Fury a donné un miniconcert. Le troi-sième titre qu’ils ont joué était Madre mía,dédiée aux mères. La deuxième chanson,Niño pobre de la calle [Enfant pauvre de la

rue], évoque les familles à problèmes et lesenfants laissés pour compte – “Elle s’ins-pire des pauvres gens de mon cher pays, le Sal-vador”. Quant à celle par laquelle ils ontcommencé, intitulée Reflexión, elle abordele processus de détente qui a débuté le8 mars 2012, date à laquelle le gouverne-ment a accepté de transférer les principauxchefs de gang dans des maisons d’arrêt oùles mesures de sécurité sont moins strictes.C’est ce qui a déclenché la trêve entre lesdeux bandes et permis de faire baisser lenombre moyen d’homicides commischaque jour de quatorze à cinq.

Les paroles, qui sont pleines d’espoiret non dénuées d’autocritique, citent ouver-tement l’évêque des forces armées Mgr FabioColindres et l’ancien député Raúl Mijango[ex-commandant du Front FarabundoMartí de libération nationale (FLMN), gué-rilla de gauche devenue parti politique], quisont tous deux à l’origine de ce processus.Elles citent également le président de laRépublique, Mauricio Funes.

El Faro a assisté au concert de Que-zaltepeque, a enregistré les chansons grâceau magnétophone rudimentaire d’unjournaliste et peut ainsi en publier une,Reflexión, pour sa valeur strictement infor-mative. Nous nous sommes efforcés detranscrire les paroles, littéralement, maisquelques mots sont restés inintelligibles :

“Nous devons nous rappeler qu’on filait un mauvais cotonet le père Fabio est arrivé pour nous faire réagir,pour lancer un projet constructifet mieux vivre à l’avenir.C’est la parole de l’expérience,avec force, elle vient du ciel,elle fait éclater les chaînes de toute cette violence,main dans la main, mon frère, aie conscience,je te demande de ne pas nous juger,sois patient. […]Joe, Gangster Fury,

Nous sommes des gangsters et nous allons nous en sortiren semant le grain pour récolter la vérité,en faisant tomber les obstacles

qui nous empêchent d’avancer,je le fais pour mon peuple, qui veut vivre en paix,je le fais pour mon peuple, qui déteste le mal. […]Nous avons trempé dans ces affaires,les erreurs sont humaines, nous allons les effacer… […]Chers compatriotes de mon pays,El Salvador,nous vous demandons pardon pour avoir battu, pleuré et enterrévotre petit ange,pour les erreurs commises dans cette vie,nous savons maintenant que nous étions aveugles.”

Après le concert, l’évêque Colindres,Raúl Mijango et les trois membres deGangster Fury ont été filmés et pris enphoto pour la presse. Et l’ancien députéa fait une déclaration inattendue : “Nousallons les aider à enregistrer leur disque.Monseigneur l’évêque et moi-même nous yengageons…” Roberto Valencia

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 29

JOSÉ

CAB

EZAS

/AFP

� Des membres du groupe Gangster Fury lors d’un concert dans la prison La Speranza, le 7 mai 2012.

Salvador

Les Maras chantent la trêve et demandent pardon

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C’est probablement ce qu’a penséHarald Händel quand Saba Sahar est venuele trouver il y a quelques mois pour obte-nir un financement. Harald Händel vitactuellement à Berlin, mais jusqu’à la finde l’année dernière il était le porte-paroled’Eupol, la mission de police européenneen Afghanistan. Quand Saba Sahar lui aprésenté son projet, ils se sont accordéssur une chose : convaincre la populationque la police et l’Etat étaient dignes deconfiance. Il était temps de disposer d’unmodèle, un flic droit dans ses bottes.

Harald Händel a donc accepté de finan-cer le projet et a rallié les Allemands à lacause. Saba Sahar s’est occupée de trouverle nom de la série : Commissaire Amanul-lah, comme Amanullah Khan, le roi quiarracha l’indépendance de l’Afghanistanaux Britanniques, au début du XXe siècle.

Saba Sahar a signé le contrat à la mi-décembre 2011 : elle s’engage à réaliservingt épisodes pour la télévision publique

femmes et respecte les droits de l’homme.Il traque les terroristes et les fonctionnairescorrompus. C’est le meilleur commissairequ’ait jamais connu l’Afghanistan. Plus sur-prenant encore, il est sous les ordres d’unefemme, une super-policière du nom deMalalai, belle, intelligente et incorruptible.Cela ne lui pose absolument aucun pro-blème : il respecte les femmes et croit enl’égalité des sexes. Enfin une belle histoire :

progrès, Etat de droit, droits des femmes– tout y est. Un commissaire de fiction quiincarne tout ce pour quoi l’Occidentenvoie, depuis plus de dix ans, soldats,conseillers et argent, souvent en vain : l’idéen’est pas mauvaise.

la tête avec lunettes de soleil par-dessus,paupières bleu pétard, sourcils tatoués,lèvres rouge vif, un piercing à la narinegauche – comme on ne risque pas de voird’Afghane dans les rues de Kaboul. Unmélange de Nina Hagen, d’Angelina Jolieet d’Europe de l’Est.

Saba Sahar, 36 ans, est réalisatrice. C’estaussi l’une des actrices les plus connuesd’Afghanistan, ce qui, déclare-t-elle, n’estpas difficile dans un pays où il n’y a prati-quement pas d’actrices. La plupart sontrecrutées à l’étranger, au Pakistan ou enIran, et exportées comme des fruits exo-tiques. Les femmes de la profession n’ontpas bonne réputation en Afghanistan, etsont à peine mieux considérées que lesprostituées. L’histoire que tourne SabaSahar est en gros la suivante : un commis-saire de police mène l’enquête à Kaboul. Ilest jeune, respecte la loi – pardon, il adorela loi. Il n’accepte pas les pots-de-vin, nemenace pas, ne torture pas, protège les

La réalisatrice et actrice la plusconnue du pays prépare unesérie policière financée par les Allemands. Dans ce feuilletonidéaliste, les agents de policeont le beau rôle et les hommesrespectent les femmes.

Der Spiegel (extraits) Hambourg

�E lle me rend dingue”, avoue legénéral Qayem en regardant lafemme qui se tient debout dans

la cour enneigée. L’homme, qui commandedepuis quatre ans le commissariat de policede la zone 101 à Kaboul, porte un uniformenoir, la ceinture juste sous la poitrine, unétui à pistolet placé bien haut sur un ventreimposant. La femme s’appelle Saba Sahar.Elle est au commissariat pour tourner unesérie policière. Manteau de fourrure, bot-tines noires étincelantes, foulard rose sur

L’après 2014 La sortie du conflitafghan était au cœur des discussionsdu sommet de l’Otan qui s’est tenule 21 mai à Chicago. Incapablesd’assurer la pacification du territoire

en Afghanistan d’ici au retrait des troupes étrangères en 2014, lesalliés préfèrent désormais soutenirle financement des forces de sécuritéafghanes, qui devront seules

Asie30 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Afghanistan

Saba Sahar, la diva de Kaboul en tenue policière

LELA

AH

MAD

ZAI

� Saba Sahar donne ses conseils à Emal Zaki, l’acteur qui joue le commissaire Amanullah.

Sous les ordres d’une super-policièrebelle et intelligente

Page 31: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1125_del24al 30deMayoDe2012

garantir la paix et la sécurité de leurpays. En quittant l’Afghanistan, lesalliés vont économiser de l’argent :ils peuvent donc l’investir enéquipant et en formant l’armée

afghane, a commenté le présidentKarzai, dont les propos ont été repris dans le journal DailyOutlook Afghanistan. Le coût de ce financement devrait

s’élever à 4,1 milliards de dollars par an à partir de 2015, les Etats-Unis contribuant à hauteur de plus de la moitié de la somme et l’Etatafghan, de 500 millions.

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 31

afghane, Eupol à soutenir le projet poli-tiquement et le ministère des Affairesétrangères allemand à le financer, àhauteur de 270 000 dollars environ[213 000 euros]. Après tout, il s’agit d’unprojet éducatif. Händel a aussitôt publiéun communiqué : “Conséquence de cettesérie télévisée : le métier de policier est pré-senté comme passionnant et décemment payéet devrait ainsi susciter l’intérêt pour cetteprofession. A chaque épisode, le commissaireAmanullah et ses collègues font, par leur enga-gement et leur professionnalisme, la promo-tion d’une police moderne en Afghanistan.”

Une police analphabèteBien sûr, Saba n’ignore pas la réalité. Unpolicier afghan prend ses fonctions aprèsune formation de huit semaines seulement.Il perçoit 200 dollars [158 euros] par moispour un des boulots les plus dangereux aumonde. En 2011, 1 400 policiers sont mortsen service, soit presque quatre par jour.50 % d’entre eux sont plus ou moinsanalphabètes, et rares sont les institutionsdu pays aussi corrompues que la policenationale afghane. Dans un tel contexte,comment les agents de police pourraient-ils connaître la loi et la respecter ?

Un sondage sur la police réalisé en 2011auprès de la population afghane révèle que81 % des personnes interrogées se disentsatisfaites du travail de la police. Actuelle-ment, on compte 145 000 policiers afghans.Ils devraient être 157 000 d’ici à la fin 2012et n’auront plus besoin d’Europol à la mi-2013, date à laquelle est prévue la fin de lamission européenne.

Saba Sahar sait très bien que le com-missaire Amanullah est le héros d’une sortede conte de fées. Mais c’est peut-être cequ’il faut à l’Afghanistan. Un modèle devertu. Le commissaire est icarné par EmalZaki, qui n’est pas acteur de formation maiscaméraman autodidacte. Il a 28 ans, sonvisage est sympathique : voilà qui devraitsuffire pour incaner un héros jeune, intègreet généreux. Surtout, il est très accommo-dant, c’est son grand atout. Il accepte SabaSahar en tant que femme, réalisatrice et

semblé étrangement intacte, voire absur-dement calme. Pendant le voyage du retour,elle n’a cessé de se dire qu’il fallait qu’elletienne bon en Afghanistan – surtout ne pasabandonner, ne pas quitter le pays.

Saba Sahar symbolise le bien et le malde la situation. Les organisations occi-dentales financent ses films parce qu’ellespensent qu’elle incarne la femme afghanemoderne. Mais, à Kaboul, Saba Sahar sortle moins possible car elle craint de se faireagresser. Elle vit seule. Elle a obtenu ledivorce il y a quelques mois, au bout dequatre ans de lutte. Son mari a obtenu lagarde de leurs trois enfants. Elle a tentéde combler ce vide en en adoptant unetoute petite fille aux cheveux roux dontla mère est morte à l’hôpital en lui don-nant naissance.

Saba Sahar a depuis longtemps re -poussé les limites imposées aux femmesen Afghanistan. Quand on la voit ici, dansla cour enneigée du commissariat, on acependant du mal à imaginer qu’elle puisseêtre à la fois policière, actrice, réalisatrice,productrice, héroïne de films d’action,mère, mère adoptive. Et afghane.

Le général Ahmed Fahim Qayem dirigele commissariat où se déroule le tournagede la série. Il ne se montre pas spéciale-ment coopératif. Dans la police depuisquinze ans, il est maintenant à la tête d’uneunité d’élite, avec 600 hommes sous sesordres. Bien sûr, il est prêt à respecter laloi, mais, en tant que général, il estime qu’ily a des exceptions. En dernier recours, c’estlui qui fait la loi. Le droit, c’est bien ; le pou-voir, c’est mieux. Un principe que l’Occi-dent pensait pouvoir changer avec del’argent, des conseillers, des soldats… oudes séries télévisées.

Ce jour-là, Saba Sahar tourne jusqu’aucrépuscule. Parfois, elle pense à ce quiattend son pays. Peu importe commenttout cela finira, elle a connu bien desépoques : l’Union soviétique, les moud-jahidin, les talibans, Karzai. De quoi serafait demain ? Elle n’en sait rien, mais elleest prête à tout. Jochen-Martin Gutsch

Cette époque a été la plus heureuse de savie, confie-t-elle. En 2003, elle demande auministère de l’Intérieur l’autorisation demonter une société de production. Ellefonde Saba Film et devient la premièreproductrice du pays. Elle commence avecdes films comme Qanoon [“La Loi”] ouQasam [“Le Serment”]. Ce sont des filmsd’action maladroits à la Bollywood danslesquels elle incarne cependant un typeféminin impensable en Afghanistan : l’hé-roïne Rabia est policière, roule en moto,monte à cheval, maîtrise le kung-fu et saitse servir d’un flingue. L’Amérique a l’ins-pecteur Harry, l’Afghanistan Saba Sahar.En Afghanistan, aucune autre femme n’atabassé autant d’hommes. Saba Sahar par-court les villages avec un petit cinémamobile. Il faut que le message de ses filmsatteigne les endroits les plus reculés dupays : non, les femmes ne sont pas faibles.

Elle sort le moins possibleTout va à l’envers en Afghanistan. Kaboulcompte actuellement cinq cinémas, quandil y en avait plus de vingt dans les années1980. Les salles sont des trous sombres etenfumés. L’entrée coûte 1 dollar, le publicest exclusivement masculin. Les films vien-nent généralement du Pakistan et prati-quement jamais d’Afghanistan. Aucuneformation de comédien n’est assurée etAfghan Film, l’ancienne société de pro-duction nationale, a disparu. La porte d’en-trée du bâtiment est verrouillée, le hallcontient une vitrine couverte de pous-sière où repose le passé : un document dufestival de Pyongyang de 1990, le GoldAward d’un festival new-yorkais de 1976et d’autres choses encore. Les Soviétiques,qui voulaient faire de Kaboul le centre dela production cinématographique d’Asiecentrale, prévoyaient d’édifier une villedu cinéma. Mais ils ont perdu la guerre.

Il y a plus d’un an, Saba Sahar est alléà Berlin pour la Berlinale, où le réalisateurallemand Sebastian Heidinger présentaitun documentaire sur elle, TraumfabrikKabul [Kaboul, usine à rêves]. La ville lui a

patronne. Il n’y en a pas beaucoup, descomme lui, en Afghanistan. Zaki est éga-lement l’associé de Saba Sahar au sein deSaba Film, une société de production quioccupe deux petites pièces d’un bâtimentdélabré de Kaboul.

Saba Sahar a grandi à Kaboul. Noussommes dans les années 1980, en pleineoccupation soviétique [les Russes sont enAfghanistan de 1979 à 1989]. Saba Sahararbore le foulard rouge des pionniers [Orga-nisation des jeunes communistes, d’inspi-ration scout] et fait du théâtre à l’école.Remarquée à la télévision où elle présenteune émission pour enfants, elle est bientôtrecrutée par le service culturel du minis-tère de l’Intérieur, où les acteurs connussont employés. C’est le modèle soviétique :on est à la fois employé du ministère etacteur – un peu comme en Allemagne, oùl’on est officier de la Bundeswehr et spor-tif. Quand les Soviétiques quittent le paysen 1989, Saba Sahar est une enfant star,l’équivalent de Shirley Temple si l’on veut[l’actrice américaine commence sa carrièreen 1932, à l’âge de 3 ans]. Lorsque la guerrecivile éclate, Saba Sahar s’enfuit au Pakis-tan. Elle a 16 ans, son mari neuf de plus.

Elle reste deux ans à Peshawar puisrevient à Kaboul, pleine d’espoir. Mais enseptembre 1996, c’est au tour des talibansde s’imposer par la force. Des voitures équi-pées de haut-parleurs parcourent la ville,on annonce les nouvelles lois : les femmesn’ont pas le droit de sortir sans être accom-pagnées d’un homme de leur famille. SabaSahar retourne à Peshawar.

Après le 11 septembre 2001, de nou-veaux maîtres s’installent à Kaboul. Lajeune femme se retrouve bientôt dans lescouloirs du ministère de l’Intérieur enquête d’un nouveau départ. On lui proposede travailler pour le gouvernement, maiscette fois en tant qu’officier de police. Lepays a bien plus besoin de policières qued’actrices. Saba Sahar accepte. Aujourd’hui,elle a le grade de capitaine.

C’est pour elle une période d’étrangeeuphorie. “Je me disais : tout est possiblemaintenant. On construit un nouveau pays.”

� A l’intérieur du commissariat, Saba Sahar et son équipe de tournage.

� Le général Qayem a 600 hommes sous ses ordres.

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Mme Wu est née dans une région mon-tagneuse reculée de la province du Guiz-hou [sud de la Chine]. Durant son enfanceelle n’a pas fait d’études, et aujourd’huiencore elle ne sait même pas reconnaîtreles caractères de son nom. Elle s’estmariée et a eu des enfants, mais son marijouait à des jeux d’argent et fréquentaitles prostituées. De plus, il la battait. Unjour, elle en a eu assez et elle est partie enemmenant ses deux fils. Loin de sa régionnatale, elle a exercé différents boulots,donnant à manger aux cochons, travaillantsur des chantiers. Elle gagnait ainsi unecentaine de yuans par mois : pas de quoinourrir à leur faim ses deux enfants ! Ellea même envisagé de se jeter dans unerivière avec ses enfants pour mourir aveceux. Elle s’est ainsi esquintée au travailjusqu’à 30 ans passés. Un jour, une femmeoriginaire de la même région qu’elle l’aemmenée jusqu’à cette ville du Guangxi[province limitrophe du Guizhou]. Cen’est que lorsqu’elle a atterri dans ce petithôtel qu’elle a compris.

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Les clients défilent dans ces hôtels de passe pour à peineplus de 1 euro. Reportage dans le sous-prolétariat de la prostitution, au fin fondd’une province chinoise.

Nanfang Zhoumo (extraits)Canton

�L a pièce, en sous-sol, est trèssombre, sans fenêtre. On diraitune grotte humide. A 48 ans,

celle que pour des raisons de sécuriténous appellerons Mme Wu y passe toutesses journées à attendre le client.

Ce petit hôtel héberge trente à qua-rante “filles”, la plus âgée ayant 62 ans. Laplupart de ces travailleuses du sexe sontdes mères de famille quadragénaires d’ori-gine rurale. Les gens du coin appellent cegenre d’établissement des “boutiques à10 yuans [1,20 euro]”. Les clients sont sou-vent des petits vieux de la région ou despaysans migrants. Le prix de la passe varieentre 10 et 30 yuans. Pour cette sommedérisoire, ces travailleuses du sexe sansle sou bravent le risque de se voir infli-ger des amendes, d’attraper des maladieset d’être en butte au mépris.

Le chef-lieu de district où travailleMme Wu compte plus de 1 million d’habi-tants. On y trouve 3 ou 4 “établissements debains”, 40 à 50 “salons de massage” et unequinzaine de “petits hôtels” où se pratiquela prostitution. Dans ces petits hôtels, ilsuffit de payer 15 yuans [1,80 euro] pouravoir une chambre. Pour peu qu’elle soitavantagée par la nature et qu’elle ait de lachance, une fille peut gagner sans pro-blème 2 000 yuans [environ 250 euros]par mois en faisant de l’abattage, à raisond’une dizaine de clients par jour.

Aucun examen gynécologiqueToutes les filles sont d’accord sur unpoint : ceux qui viennent les trouver sontdes hommes qui réfrènent depuis long-temps leur désir  ; des personnes endéplacement ou des veufs ou célibatairesqui arrivent chez elles après avoir long-temps refoulé leurs envies. Pour s’assu-rer une clientèle, la plupart des fillesn’utilisent pas de préservatif, d’autantque ces “trucs” peuvent servir de preuvecontre elles ! [En Chine, la prostitutionest illégale.]

Mme Wu ne s’est jamais soumise àaucun examen gynécologique. Le prixd’une telle consultation, 30 yuans[3,60 euros], c’est ce qu’elle parvient àgagner, en courant le risque d’être arrê-tée, en réalisant 3 passes. Ses “heuresd’ouverture” : de 8 heures à 21 h 30. Ellene prend jamais de jours de congé, sauflorsqu’elle doit rentrer dans sa famillepour un événement particulier.

Asie

Quasiment toutes les fillesconsidèrent que, si elles sont

là, c’est parce qu’elles n’ontpas d’autre solution. Cesont des femmes de lacampagne, frappées parla pauvreté et le poidsdes traditions. Elles ontété poussées par uneénorme pression fami-liale, ayant besoin d’ar-gent pour scolariser leursenfants, pour construire

une maison ou pour fairesoigner un membre de leur

famille malade et hospitalisé…

Descentes de policeEn fait, une fois déduit leur loyer et

leurs frais de nourriture, il ne leur resteque quelques centaines de yuans chaque

mois. De plus, le prix des chambres va enaugmentant : il faut désormais compter 13à 15 yuans par chambre [1,60 à 1,80 euro].Même si elles occupent ces pièces vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elles cou-rent toujours le risque de se retrouverbrusquement sans rien, à cause des des-centes de police. Celles qui sont emme-nées au poste sont gardées en détentiondurant quinze jours la première fois ; encas de récidive, elles sont envoyées pourun an en camp de rééducation par le tra-vail et leur famille en est informée, sauf sielles peuvent s’acquitter d’une amende de3 000 yuans [360 euros]. Trois mille yuans,cela veut dire pour ces travailleuses des“boutiques à 10 yuans” réaliser 150 passes.Pour ces travailleuses du sexe qui ne rou-lent pas sur l’or, les amendes sont bienplus redoutables que la détention.

Mme Wu n’a pas fait exception : elle aété arrêtée à deux reprises. De nature peufrondeuse, elle s’est empressée de payerpour se racheter, 600 yuans [72 euros] lapremière fois et 3 000 yuans la seconde.“J’avais peur que mes fils s’inquiètent s’ils neparvenaient plus à me joindre par téléphone !”Cet argent, cela représentait deux mois detravail pour rien ! Elle a alors eu envie d’ar-rêter complètement. Mais en 2011 elle aconnu à nouveau des soucis : son fils aîné,qui n’avait pas assez d’argent pour se faireconstruire une maison, craignait d’êtreméprisé pour cela par sa belle-famille.Quant à son second fils, il avait mainte-nant 21 ans, mais sans argent commentpouvait-il trouver l’âme sœur ? Elle a alorsretourné le problème dans tous les senset a finalement décidé de repartir travailler.

Quoique sachant qu’elle pourrait biense faire arrêter un jour ou l’autre, Mme Wuétait tout sourire quand elle nous a reçus,car elle nous a expliqué qu’en août, dansla famille de sa bru, les truies allaientmettre bas et qu’elle allait rentrer pours’en occuper. Elle ne reviendrait plus ici !Zhou Hualei

Prostitution De 4 à 10 millions de femmes chinoises sont obligées de se prostituer, estime Human Rights Watch dans son rapport 2012. Ellesconstituent une populationparticulièrement vulnérable

Le mot de la semaine

“jinu”ProstituéeLa prostitution est sans doute l’un desphénomènes les mieux partagés dans le monde et dans le temps, et pourtantl’avènement de la Chine communisteavait mis fin à cette forme de négoce. Lapropagande, ainsi qu’une bonne partiede l’opinion publique mondiale, avait faitl’éloge de ce progrès en saluant laperformance du président Mao en faveurde la libération des femmes. On a comprisplus tard qu’elle s’était accompagnée dela confiscation de toute forme de libertéindividuelle, pour les femmes commepour les hommes. Dès le lendemain de la mort de Mao, la réforme libérale en matière économique conduisitrapidement à la libération des mœurs.Les prostituées sont donc de retour ! Il est compréhensible qu’après des décennies de tyrannie la populationaspire à la liberté spirituelle, matérielle et sexuelle. Ce qui se passe dans la têted’une partie des femmes est plusétonnant : elles courent après un marifortuné, pour se livrer sans gêne à uneoisiveté confortable. Depuis vingt ans, la tradition des concubines revient et le commerce de la chair se propage. Lesétudiantes, et même les lycéennes, sontattirées par ce “métier” facile et lucratif.Nombreux sont ceux qui interprètent cephénomène comme un progrès, car ils yvoient le retour de la liberté. D’autres lejustifient par une réaction à l’ascétismemaoïste. Dans un contexte de corruptiongénéralisée, où l’accumulation desrichesses par un petit nombre bafoue lesprincipes éthiques les plus élémentaires,comment s’étonner que le corps desfemmes devienne une denrée courante ?Ce reportage nous montre la misère de campagnardes laissées à leur tristesort, mais aussi le poids d’une sociététraditionnelle que l’on croyait balayéepar un régime communiste totalitaire.Chen Yan. Calligraphie d’Hélène Ho

en raison des politiques répressives du gouvernement. Le déséquilibredes sexes en Chine – plus de 118 hommes pour 100 femmes, selon le recensement de 2010 –nourrit également la prostitution et le trafic d’êtres humains.

Chine

Travailleuses du sexe version abattage

� Dessin de Curchod, Suisse.

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Afrique

élections.” Toujours est-il que beaucoup deLibyens en ont assez du CNT et, selontoute vraisemblance, voteront pour lesFrères musulmans. D’autant plus qu’ausein du CNT, qui s’est imposé sur la scènepolitique de l’après-Kadhafi, les figures lesplus connues sont d’anciens fidèles du dic-tateur qui ont du sang sur les mains. LesLibyens qui vivaient à l’étranger et qui sontrentrés au pays jouent un rôle clé dans sondéveloppement économique, social et poli-tique. Mais ils ont encore du chemin à fairecar ils connaissent mal les enjeux tribauxqui prévalent encore sur la scène libyenne.

Toutefois, une nouvelle classe poli-tique libyenne est en train de se consti-tuer ; elle semble se détourner du CNT etne souhaiterait pas le voir se maintenir

dans le nouvel appareil politique du pays.Comme pour lui lancer un avertissement,les Frères musulmans, en particulier,revendiquent une plus grande voix au cha-pitre dans le processus de prise de déci-sion de l’ère post-Kadhafi. Le CNT comptelui-même parmi ses membres de nom-breux sympathisants des Frères musul-mans qui sont convaincus que la nouvelledémocratie libyenne survivra même si denouveaux troubles éclatent à la veille desélections parlementaires. Le prochainscrutin pourrait donc être fatal au Conseil.

Deux raisons expliquent ce concert devoix de plus en plus discordantes. La pre-mière est la menace d’éclatement de lanation libyenne en une confédération detribus rivales appuyées par des milices

concentrées dans les zones urbaines. C’estle cas avec l’émergence récente, en Cyré-naïque, dans l’est du pays, d’un mouve-ment qui revendique l’autonomie de larégion, ce qui, à terme, pourrait débou-cher sur son indépendance [le 6 mars, prèsde 3 000 chefs de tribu, personnalités poli-tiques et membres de la société civileréunis à Benghazi ont proclamé la semi-autonomie de la Cyrénaïque. Au sein d’unsystème fédéral, la région disposerait deson propre conseil, doté de pouvoirs exé-cutif et législatif]. Les querelles sur l’ave-nir politique de la Libye ne sont pas prèsde prendre fin. Parmi les régions qui récla-ment leur part des revenus pétroliers, cellequi a les relations le plus tendues avec Tri-poli est la Cyrénaïque, qui possède les plusgrandes réserves de pétrole et de gaz natu-rel du pays mais qui est moins peuplée quela capitale et d’autres régions de l’ouestde la Libye.

La seconde raison de la montée dumécontentement est le dysfonctionne-ment des rouages de l’Etat. Dans de nom-breuses régions, le CNT est soit paralysésoit dominé par les milices locales. Durantla période d’enregistrement sur les listesélectorales, des violences ont ainsi éclatédevant des écoles où des électeurs s’ins-crivaient sur les listes électorales. Des mili-ciens à bord de pick-up s’en sont pris à desfiles de civils munis de leur carte d’iden-tité et plusieurs personnes ont été bles-sées dans les bagarres qui ont suivi. Sansoublier les miliciens armés qui soutenaientKadhafi, battus mais toujours présentsdans le pays.

Lors du prochain scrutin, le CNTrisque aussi de payer le prix de ses liensavec les Etats-Unis et l’OTAN. Les enjeuxsont d’autant plus importants que la Libyepossède d’immenses réserves pétrolières.Gamal Nkrumah

Libye

Le pétrole, les tribus et un scrutin

Repères Pour ce premier scrutin,prévu le 19 juin, après quatredécennies sous la dictature de Muammar Kadhafi, la Libye a ouvert du 1er au 21 mai quelque1 500 bureaux d’enregistrement,dont 220 à Tripoli pour

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 33

Les premières élections libresaprès la chute du régimedictatorial de Kadhafi doivent se dérouler en juin prochain. Undéfi pour le Conseil national detransition qui organise le scrutin.

Al-Ahram Weekly (extraits) Le Caire

�L a mutation rapide des rapportsde force en Libye va malheu-reusement compliquer la tâche

du Conseil national de transition (CNT)au pouvoir et qui s’efforce de mettre enplace une feuille de route pour assurerl’avenir politique du pays.

Les Libyens ont commencé début maià s’inscrire sur les listes pour l’électiond’une Assemblée constituante en juin pro-chain – le premier scrutin libre depuis lachute de Muammar Kadhafi [août 2011].Le pays compte 1 500 centres d’enregis-trement. “On constate que beaucoup de gensse sont présentés dès l’ouverture de l’inscrip-tion et ce signe positif réjouit tout le monde”,a déclaré le chef de la Commission élec-torale, Nouri Al-Abbar, lors d’une confé-rence de presse à Tripoli. Un grandnombre d’hommes d’affaires libyens etd’investisseurs étrangers espèrent que l’ar-rivée d’un nouveau gouvernement dissi-pera le pessimisme ambiant. Sur les200 sièges du Parlement, 80 seront réser-vés aux partis politiques et le reste revien-dra aux candidats indépendants.

“Nous ne comprenons pas l’organisationdes élections et la loi sur les partis politiques[adoptée le 24 avril et interdisant les for-mations politiques fondées sur des consi-dérations religieuses ou tribales]”, ontprotesté les Frères musulmans. “Elle peutne rien signifier comme elle peut signifierqu’aucun de nous ne peut participer aux

Les problèmes ont beau êtremultiples, il en est un qui sedétache par l’urgence :l’insécurité créée par les milices.Le Conseil national de transition(CNT) s’est assigné commetâche de trouver une solution au désarmement de plus de 200 000 hommes ayantcombattu les forces kadhafistesl’année dernière. Auto-improvisés combattants pourl’écrasante majorité d’entre eux,ils sont aujourd’hui toujoursarmés et hors de contrôle.Le CNT a d’abord essayé de les payer. L’opération étaitmanifestement destinée

à acheter une forme de répit,alors même que les esprits deschefs de milice commençaient à s’échauffer, contribuant à augmenter dangereusementla tension entre les différentsgroupes. Le CNT espérait sansdoute faire coup double, tentantpar là même d’asseoir unelégitimité qui lui faisait défaut .Problème, il a confié la distribution de ses subsidesaux milices elles-mêmes, ce qui a entraîné des pillages,des détournements et de laviolence. Le CNT a eu toutes les peines du monde à obteniren retour ce qui devait être sa

monnaie d’échange : récupérerles “sites stratégiquesgouvernementaux”, à savoir lesaéroports et les postesfrontaliers ; et encore ne les a-t-ilrécupérés qu’avec la contrainted’accepter que 8 000 milicienssoient engagés comme “gardes-frontières”, ce qui en dit long surla toute-puissance des groupesarmés. Les accrochages entretribus armées dans le Sud ontfait des dizaines de victimes,laissant le CNT impuissant àséparer les belligérants, dansune zone où n’existe ni police nijustice. Au Nord-Ouest, milicesarabes et berbères s’affrontent

sans que les forcesgouvernementales puissentintervenir, faute d’hommes et demoyens. A court terme, la seuleoption viable pour le CNT est de tenter d’intégrer ces milicesau sein des nouvelles structuresde sécurité. Dans l’urgence et àdéfaut d’avoir autorité sur elles,il s’agit de les fondre dans un système plus ou moinsstructuré, le temps de tenir les élections. C’est ainsi que le vice-ministre de l’Intérieur a annoncé, le 24 avril dernier,que “70 000 d’entre elles”étaient en passe d’être“recrutées par le ministère de

l’Intérieur”, précisant qu’un “trisuivrait” pour savoir “lesquellesgarder par la suite”. Desdizaines de milliers d’autres sontcensées rejoindre le ministèrede la Défense. Autrement dit, on commence par absorber unmaximum, quitte à compresseren douce ensuite. Car là réside le principal défi pour lesresponsables libyens : empêcherles milices de dicter leur propreloi électorale en influant par la violence sur les électeurs. Ce pourrait alors être un sérieuxdérapage vers l’inconnu.Amir Jalal Dz-Rider(extraits) Alger

Eclairage

Que faire des milices ?

� Combattants rebelles. “Y a du boulot pour moi ?” Gouvernement libyen de transition. Dessin de Paresh Nath paru dans The Khaleej Times, ERU.

les électeurs, et 13 autres pour les candidats à la prochaineAssemblée constituante. Sur une population de 6 millions d’habitants, on estime à 3,4 millions le nombre des électeurs potentiels.

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Pour avoir défendu les Palestiniens, l’écrivainefrançaise a été confrontée à des réactions d’une extrêmeviolence. Interview.

L’Orient littéraire (extraits) Beyrouth

�D anièle Sallenave est entrée le7 avril à l’Académie française.Dominique Fernandez, qui a

prononcé le discours de réception, a par-ticulièrement insisté sur le récit de sesvoyages en Palestine*.

Comment avez-vous ressentile discours de réception de Dominique Fernandez ?Dominique Fernandez a choisi de mettrel’accent sur trois dimensions de mon iti-néraire : ma formation à l’école publique,où ma mère, jeune institutrice, était enbutte à l’hostilité du maire du village, c’est-à-dire d’un élu de la République. On est àl’époque où l’école publique, surtout pourles filles, est combattue, et parfois vigou-reusement. A travers moi, Fernandez renddonc hommage à ma mère et à son action.Le deuxième pôle de son discours est lamise en évidence de ma réserve face aucommunisme autoritaire, et ce malgré masympathie pour et ma proximité avec lagauche. Enfin, il y a l’affaire de la Palestine– à laquelle j’étais sidérée qu’il accordeautant d’importance.Parlons donc de votre voyage enPalestine en 1997, des conséquencesde tout cela pour vous.

Moyen-Orient

J’ai été appelée par des fonctionnaires cul-turels en poste à Jérusalem-Est qui orga-nisaient une tournée pour des écrivainsdans les Instituts français créés après lesaccords d’Oslo, soit ceux de Jérusalem, deGaza, de Bethléem, de Ramallah et deNaplouse. Ces instituts étaient d’accès dif-ficile en raison de leur situation géogra-phique, et donc le fait même d’y aller m’afait traverser différentes zones, passer dezones sous contrôle israélien à des zonessous contrôle palestinien, faire l’expériencedes checkpoints, des files d’attente, etc. Enbref, j’ai été amenée à voir de près une réa-lité qui sautait aux yeux. Je n’avais, en yallant, pas de préjugé autre qu’un préjugéfondamental : celui qui consiste à penserque, le sujet étant délicat, il fallait se taire,celui d’une forte considération pour lessouffrances des Juifs dont la conséquenceétait que l’on ne pouvait critiquer Israëlaprès tout ce que les Juifs avaient subi. Enraison de cela, nous avons tous été amenés,sinon à l’autocensure, du moins à une pru-dence extrême, jusqu’à considérer que faceà l’horreur de l’extermination la Palestinepesait le poids d’un dégât collatéral. Per-sonne n’a fait pression sur moi, et tout lemonde dans les services consulaires a étéd’une grande réserve, mais on m’a montréles choses. J’ai vu et j’ai compris. Et ça neme faisait pas plaisir. Par exemple, ces pay-sans dont les olives sont mûres et doiventêtre récoltées et à qui on interdit d’accé-der à leurs champs pendant une ou deuxsemaines ; et quand on leur en donne enfinle droit, les olives sont pourries.

Le livre qui en a résulté est très douloureux, et je ne crois pas qu’il soit

excessif. Mais une phrase en particulier aenflammé les esprits de certains, celle oùj’écris que je ne suis pas pour le terrorisme,mais que “terrorisme” est le mot que l’ondonne à une forme de résistance à l’occu-pation. Lorsque le livre est paru, en 1998,Pierre Vidal-Naquet a écrit un magnifiquearticle saluant mon courage. Il a été le seul.

Je suis d’ailleurs retournée en Palestineen 1998. Je voulais aller voir ces 400 vil-lages qui n’existent plus, qui ont été rayésde la carte, mais où des Palestiniens conti-nuent à vivre dans les ruines, sans routes,

sans électricité souvent ; des habitants deskibboutz voisins se montrent parfois soli-daires et leur permettent un approvision-nement en électricité en tendant des filsdepuis leurs maisons. J’ai publié un articledans Le Monde pour raconter ce deuxièmevoyage. Là encore, j’ai été confrontée à desréactions d’une extrême violence ; j’aiperdu des amis de trente ans, j’ai reçu undéluge de lettres critiques ou insultantes.En 2002, à la suite à l’intervention israé-lienne dans le camp de réfugiés de Jenineet au reportage où l’on voit un soldat israé-lien dire qu’il a pris son pied en écrasantdes maisons au bulldozer, Edgar Morin,Sami Naïr et moi-même avons envoyé unetribune au journal Le Monde. C’est à la suitede cela que nous avons reçu une assigna-tion à comparaître pour “haine raciale et apo-logie du terrorisme”. Le procès a été gagnéen première instance, perdu en appel etgagné en cassation au bout de quatre ans.Mais il a été extrêmement lourd pour moi,y compris financièrement. Courriers ano-nymes en abondance, cartes postales obs-cènes, perte de contrats divers, rien ne m’aété épargné. Et c’est dans ce contexte éga-lement que s’est déroulée ma première can-didature à l’Académie française, et que l’onm’en a refusé l’entrée. Je pensais que la dis-crétion académique interdirait que ce sujetsoit abordé lors de ma récente réception,et c’est pourquoi je vous disais que j’étaisextrêmement surprise. Je crois que le dis-cours de Fernandez a beaucoup secoué.Propos recueillis par Georgia Makhlouf* Carnets de route en Palestine occupée(Stock, 1998).

Palestine-Israël

Danièle Sallenave : “Rien ne m’a été épargné”

Les graves discriminationssubies par les Palestiniens ne peuvent être assimilées aux pratiques de l’apartheid. C’est le point de vue de deuxchercheurs, un Israélien et un Palestinien.

Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

�N ous étions deux, un Israélien etun Palestinien, à nous rendrerécemment en Afrique du Sud

pour parler du Moyen-Orient. Pour des rai-sons compréhensibles, c’est de ce pays quesont lancées une grande partie des accu-sations taxant Israël de pays d’apartheid.Cela s’explique par le fait que nombre deSud-Africains, en particulier les Noirs, com-parent le traitement des Palestiniens par

Israël à l’histoire de leur propre pays enmatière de discrimination raciale. Dans desdizaines de réunions, nous avons entenducette accusation d’apartheid. L’apartheidn’existe pas à l’intérieur des frontières d’Israël [reconnues, de 1948]. Les Arabessont victimes d’une discrimination, maiscela n’a rien à voir avec l’apartheid. La com-paraison occulte les vrais problèmes.

A mesure que nous parcourions le pays,nous nous sommes aperçus qu’à l’évidenceles Sud-Africains ne connaissent généra-lement pas grand-chose au conflit israélo-palestinien. Mais ils ont de nombreux préjugés, nourris par les organisations féro-cement anti-israéliennes qui les manipu-lent – allant jusqu’à appeler à la destructionde l’Etat juif, à l’instar de la Campagne desolidarité palestinienne (Palestinian Soli-darity Campaign), du Conseil judiciairemusulman (Muslim Judicial Council) et

du Tribunal Russell [tribunal d’opiniondestiné à faire pression sur l’ONU]. Lessyndicats noirs ont joint leurs voix à cechœur hostile, et même certains Juifs.

Notre hôte était le Conseil des dépu-tés juifs sud-africains. Durant notre séjour,nous nous sommes rendus sur cinq campusuniversitaires et avons assisté à plusieursréunions publiques. Enfin, nous avons par-ticipé à des émissions de radio, notammentsur une station musulmane.

On nous a montré un courriel exhor-tant à manifester contre notre visite. Ceuxqui sont farouchement opposés à Israëlétaient visiblement furieux qu’un Israélienet un Palestinien s’expriment côte à côteen faveur de la paix. On entendait quelquescommentaires acerbes, comme celui, aussiridicule que méprisant, prétendant qu’Israël est “terrifié par quelques candidatsà l’attentat suicide”, ou encore celui quali-

fiant de “foutaise” la qualification d’orga-nisation terroriste attribuée au Hamas.

Parmi les autres mensonges que nousavons entendus, celui qui prétend que seulsles Juifs ont le droit de posséder ou de louer93 % des terres en Israël, et que les res-trictions sur le mariage (qui en fait sontdécidées par les autorités religieuses juives,musulmanes et chrétiennes) sont simi-laires à l’interdiction, dans l’Afrique du Suddu temps de l’apartheid, des mariages – etmême des relations sexuelles – mixtes.

Le Conseil sud-africain des Eglises aégalement fait une déclaration danslaquelle il apportait son soutien à laSemaine contre l’apartheid en Israël. Il yaffirmait qu’“Israël est resté le seul partisande l’apartheid, alors que le reste du monde apris des mesures de sanctions économiques, deboycotts et de désinvestissements pour impo-ser le changement en Afrique du Sud”. Ce qui

Israël

L’Etat hébreu n’est pas un pays d’apartheid

� Dessin de Cost, Belgique.

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Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 35

est absurde. Certes, Israël a maintenu leséchanges commerciaux avec l’Afrique duSud de l’apartheid – mais le monde entierfaisait de même, à commencer par les Etatsarabes pour les ventes de pétrole, maisaussi les Etats-Unis, le Royaume-Uni, laFrance, la Belgique, l’Union soviétique etbeaucoup d’autres pays d’Afrique.

Le mouvement BDS (Boycott, désin-vestissement et sanctions) défendbruyamment sa cause et trouve une caissede résonance dans les médias sud-africains.Durant note séjour, il a mené des actionsdans le cadre de la Semaine contre l’apar-theid en Israël. Mais il n’a pas trouvé unlarge écho parmi la population. Le mou-vement clame que plus de 100 universitésdans le monde ont participé aux manifes-tations, mais cela ne veut pas dire grand-chose : les Semaines contre l’apartheid sontorganisées depuis huit ans, et sur la cen-taine qui se sont tenues cette année, 60l’ont été sur des campus américains (surun total de 4 000 aux Etats-Unis).

Nous n’avions pas prévu ce que nousallions dire. Mais nous nous étions misd’accord sur plusieurs points. En premierlieu, nous avons évoqué avec pessimismeles perspectives de paix dans un avenirproche. En second lieu, nous avons, chacunde notre côté, fustigé nos dirigeants res-pectifs pour leur double langage et leurhypocrisie, pour leur manque d’audace etde vision. Nous avons dénoncé la multi-plication des colonies juives en Cisjorda-nie qui, selon nous, sapent les chances deparvenir à un accord de paix.

Nous avons insisté sur le fait que nousnous félicitons de l’intérêt manifesté pournotre partie du monde – mais nous avonsregretté que certains membres de mouve-ments de solidarité avec les Palestiniensn’aient jamais visité les territoires occupés[en Cisjordanie]. A notre avis, ils desser-vent ainsi la cause palestinienne à l’étran-ger, parce qu’ils agissent sans connaître lestenants et les aboutissants du problème,et aggravent la haine entre Arabes et Juifs.Ils n’aident pas à instaurer la paix.

Notre rencontre la plus curieuse a étécelle avec des Congolais qui nous ontdemandé d’expliquer pourquoi le conflitdans leur pays – qui a fait sans doute plusde 7 millions de morts – retient moins l’at-tention des médias d’Afrique du Sud etd’ailleurs que la lutte entre Israéliens etPalestiniens. Il nous était pénible d’écou-ter le récit interminable de viols et demeurtres. Mais il était difficile de sympa-thiser avec eux quand l’un des intervenantsen rejetait la faute sur les Juifs, qui, à l’encroire, contrôlent le monde et les médias.Benjamin Pogrund et Bassem Eid*

* Benjamin Pogrund est fondateur du Yakar’s Centerfor Social Concern à Jérusalem. Bassem Eid est direc-teur du Palestinian Human Rights Monitoring Group.

Liban

Le bide de la laïque PrideOrganisée à Beyrouth, l’unique“laïque Pride” du monde araben’attire pas les foules.

Al-Hayat Londres

�A u Liban, contre vents et maréesconfessionnels, les laïcs bran-dissent leur étendard en des-

cendant une fois par an dans la rue pourexprimer leurs revendications dans lecadre d’une “laïque Pride”. Parmi lessujets mis en exergue cette année : unCode de la famille déconfessionnalisé, uneloi pour la protection des femmes contrela violence conjugale, l’abrogation de l’ar-ticle 522 du Code pénal, qui ne reconnaîtpas le viol dans le cadre du couple, la sup-pression de la surveillance d’Internet, leréexamen de la censure des œuvres ciné-matographiques et théâtrales. Leurdéfilé ressemble généralement à unesorte de carnaval. Il y avait [le 6 mai]

tout au plus mille personnes. Beaucoupsont des militants du mouvement Laïcspour la citoyenneté, lancé en 2010. Lereste de la troupe venait de l’espace vir-tuel, l’appel à manifester n’ayant été lancéque sur les réseaux sociaux.

Le point de départ était le parc Al-Sanayeh, l’un des derniers jardins publicsde Beyrouth, dont les visiteurs sont prin-cipalement des pauvres qui n’ont que celieu-là pour se délasser [gratuitement].Collés aux grilles comme si les “laïcs”regroupés devant eux étaient des créa-tures exotiques, la plupart n’avaient pasla moindre idée des objectifs de la mani-festation. Pas question pour eux de larejoindre, quand bien même certaines desrevendications pourraient être les leurs.Ils avaient trop peur de perdre leur coinde pelouse dans le parc.

Le défilé s’est déplacé ensuite dansd’autres quartiers, au cri de : “Toi qui es surton balcon, viens retrouver ton peuple !” maisquelques habitants ont vertement exprimé

la mauvaise humeur que cette “Pride” leurinspire, qui s’est parfois traduite par desjets d’œufs. Les manifestants ont continuéleur chemin, espérant susciter plus d’en-thousiasme ailleurs, mais c’était chaquefois les mêmes réactions, et ils sont arri-vés à destination sans avoir été rejoints parun seul manifestant supplémentaire.

Comme d’habitude, les organisateursont évité le recours à d’autres moyens pourattirer du monde, étant donné que la laï-cité est un sujet polémique, voire un chiffonrouge, pour certains de leurs compatriotes.Pour les organisateurs, faire avancer leursidées nécessite de la patience et des effortsdans la durée, et ils estiment que le simplefait d’avoir montré qu’ils existent était déjàpas mal. Toutefois, on peut se demandersi cette démarche misant sur le long termeest vraiment la bonne, vu le nombre demanifestants qui s’arrêtaient devant lespanneaux publicitaires d’agences propo-sant une aide… à l’émigration.Adam Chamseddine

L’Iran discute cette semaine avecles grandes puissances au sujetde son programme nucléaire. Cet éditorialiste iranien ironise :en attendant, Israël menace,mais n’ose pas frapper !

Asr-e Iran (Téhéran)

�L e dossier du nucléaire iranien estdepuis longtemps posé sur lebureau de la Maison-Blanche. Et

cela fait autant de temps que la questiondes frappes préventives contre les instal-lations iraniennes par Israël y est étroite-ment associée. La propagande israélienne,à l’intérieur et hors du pays, a visé à fairepasser l’Iran pour “la menace numéro un pourla communauté internationale”. Mais, aprèstous ces efforts diplomatiques, médiatiqueset politiques, après toutes ces menacescontre nous, une seule question se pose :pourquoi donc Israël n’attaque-t-il pas ?

Si, malgré sa force militaire évidente,Israël n’attaque pas, c’est pour quelquesraisons bien simples. D’abord, Israël n’apas idée de ce que pourraient être lesconséquences d’une telle attaque, en Iranet dans tout le Moyen-Orient. En combiende temps Téhéran serait-il susceptible derépondre à une attaque de missiles israé-liens ? Est-ce qu’une réponse se ferait parle biais d’une invasion du nord du pays parle Hezbollah libanais ? Les Palestiniens deGaza se soulèveraient-ils ? Dans combien

d’endroits les feux s’allumeraient-ils  ?Ensuite, Israël sait très bien que l’Iran maî-trise à présent le cycle d’enrichissementde l’uranium et que nous avons atteint unpoint de non-retour. Dans le meilleur descas pour Israël, une attaque ne ferait queralentir notre programme nucléaire.

De plus, chaque fois qu’Israël s’estaventuré dans une guerre, le régime béné-ficiait d’une relative tranquillité sur lefront intérieur. Dans le cas d’une confron-tation avec l’Iran, la politique intérieureisraélienne pourrait elle-même devenirune scène de guerre. Si toute la classe poli-tique s’inquiète du programme nucléaireiranien, seuls Benyamin Nétanyahou, lePremier ministre, et Ehoud Barak, leministre de la Défense, sont réellement

partisans d’une action militaire. Lesdoutes exprimés par des personnalitéscomme Meir Dagan, l’ex-directeur duMossad, montrent à quel point il n’y a pasde consensus sur la nécessité d’uneattaque contre l’Iran au sein des élitesdirigeantes du pays. L’économie israé-lienne n’est pas non plus en mesure defaire face aux conséquences destructricesd’une guerre, comme le montrent les rap-ports rendus publics par la banque cen-trale et le ministère de l’Economie.

Enfin, il ne faut pas minimiser l’oppo-sition des Etats-Unis à toute action de l’ar-mée israélienne. Obama reste convaincuque l’issue sera diplomatique et que lemeilleur moyen de pression contre l’Iranreste les sanctions. Ali Ghaderi

Iran

Israël ne nous fait pas peur !

� Dessin d’Arend, Pays-Bas.

Furieux qu’un Israélienet un Palestiniens’expriment côte à côte

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36 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Dossier Université

Alberto Bernal a passé neuf moisen Allemagne dans le cadre du programme d’échangeuniversitaire européen.L’expérience lui a tellement pluqu’il a décidé de s’installer dans ce pays.

El País Madrid

�Q uand il s’est retrouvé à Stral-sund, une petite ville du nordde l’Allemagne, Alberto Bernal

était tout juste capable de dire “gutenAbend” [bonsoir]. A la fin de son séjour,neuf mois plus tard, ce n’était guèremieux. En revanche, il savait qu’il avaitvécu la plus belle année de sa vie – un sen-timent partagé par de nombreux partici-pants au programme européen Erasmus.

Il était tellement enthousiaste que, peuaprès son retour à Alicante, il est repartien Allemagne, cette fois pour de bon.

Alberto, aujourd’hui âgé de 28 ans, estl’un des 2,5 millions d’étudiants qui ontbénéficié de ce programme depuis sa créa-tion, il y a vingt-cinq ans. En 2010-2011,36 183 Espagnols ont reçu une bourseErasmus, ce qui place ce pays au premierrang de l’Union européenne, devant laFrance (31 747) et l’Allemagne (30 274).

Quand Alberto a fait sa demande de bourse pour l’année 2008-2009, ilcomptait aller au Royaume-Uni pourapprendre l’anglais. Mais son dossier n’apas été retenu et il a dû se contenter del’un des lots de consolation que se par-tagent les étudiants n’ayant pas obtenul’université de leur choix. Au final,comme c’est souvent le cas, il n’a pas étédéçu. “C’est une expérience incroyable !

� Dessin de Lobke van Aar paru dans Erasmus Magazine, Rotterdam.

Enseignement supérieur

Le nomadisme gagnela planète étudiante

Espagne

Le Peter Pan d’ErasmusJ’ai rencontré des gens de tous les pays, desfilles de toutes les couleurs. Quand je suisrentré en Espagne, je ne me sentais pas àma place. Je ne savais plus où étaient mesamis. J’ai senti comme un vide.” Ce senti-ment de vide s’explique également parl’absence d’une jeune fille en particulier,qui est aujourd’hui sa fiancée. Aprèsavoir passé deux mois à rechercher unemploi d’ingénieur, il a décidé de retour-ner en Allemagne, où il a fini par trou-ver un poste dans des conditions “bienmeilleures qu’en Espagne”.

L’avantage dont bénéficient les anciensétudiants Erasmus sur le marché du tra-vail n’est plus à démontrer, affirme XavierPrats, directeur général adjoint de la Direc-tion générale de l’éducation et de la cul-ture de la Commission européenne. “Maisce n’est pas le seul intérêt du programme. Noussouhaitons que ces bourses aient des effets

� Le système d’échangeErasmus – le plus connu desprogrammes européens – fêtecette année ses 25 ans. � Maisla mobilité n’est pas l’apanagedes étudiants originaires de notre continent. � Au Brésil,par exemple, le gouvernementcompte envoyer100 000 jeunes se former dans les meilleursétablissements de la planète.� Et, au Japon, la prestigieuseuniversité de Tokyo envisage de décaler sa rentrée pour faciliter les échanges avec l’étranger.

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positifs dans les universités, que ces dernièresse modernisent grâce à cette coopération.”

Erasmus, selon lui, présente un troi-sième intérêt, moins facile à quantifier. “Ilrenforce le sentiment européen. Il n’y a pas demeilleur antidote à la xénophobie et à l’excèsde nationalisme que la découverte d’une autreculture.” C’est exactement ce qui s’est passépour Alberto Bernal. “Les Allemands n’ontrien à voir avec l’idée que je me faisais d’eux”,reconnaît-il. Grâce au père d’une amie, ila pu faire quelques stages en entreprise.Cette première expérience professionnellelui a permis d’apprendre l’allemand.“Quand j’ai terminé mon stage, je faisaispresque partie de la famille”, raconte-t-il.

Le jeune homme a ensuite décrochéun emploi dans sa branche, mais, lorsquel’usine a été restructurée, il s’est retrouvésur le carreau. Aujourd’hui, la situationa changé. Si, à son arrivée en Allemagne,il était prêt à accepter n’importe quelboulot, désormais, “avec plus d’expérienceet une maîtrise totale de l’allemand”, il esten position de choisir et ne doute pasqu’en quelques semaines il trouvera dutravail.

Tout comme Alberto, le programmeErasmus évolue. En 2020, 5 millions d’étu-diants devraient en avoir bénéficié. Et, àpartir de 2014, il regroupera sous un mêmenom [Erasmus pour tous] l’ensemble desdispositifs centrés sur l’enseignement, laformation et la jeunesse : mobilité des étu-diants et des enseignants, formationprofessionnelle [programme Leonardoda Vinci], stages en entreprises, etc.

L’Espagne est aussi le pays préféré desétudiants Erasmus. En 2010-2011, le paysa accueilli 37 432 jeunes, dépassant de loinla France (27  721) et le Royaume-Uni(24 474). Alberto aimerait bien revenir unjour dans son pays, mais certainement pasdans l’immédiat. “Je rentrerai quand j’aurail’expérience suffisante pour trouver un posteimportant dans une entreprise”, affirme-t-il.Aujourd’hui, il se voit comme un ancienErasmus qui “n’a pas voulu que son rêve setermine”. “Je suis le Peter Pan d’Erasmus.”Même si sa vie en Allemagne n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’elle était il y a troisans et demi. Pablo Linde

l’étranger simplement pour partir. Si cela nemarche pas, étudier en Lituanie ne me poserapas de problème, assure-t-elle. Le souhaitde partir étudier à l’étranger caractérisenotre génération et cela n’a rien de condam-nable. La plupart des émigrants cherchentà obtenir la meilleure formation possible. Ilne faut pas critiquer ceux qui partent poursatisfaire leur soif de connaissance. Moi-même, tant que je suis jeune, je veux décou-vrir d’autres cultures, au-delà des frontièresde la Lituanie. Rester replié sur soi-mêmen’a aucun intérêt. Le monde est vaste.”

“Examinez les biographies des écrivainslituaniens, des artistes de l’entre-deux-guerres : celui-ci a étudié à Leipzig, tel autreà Rome ou à Saint-Pétersbourg. Nous en

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 37

Lituanie

Libres de s’expatrier !

1987 1996 2006 2012

Nombre d’étudiants Erasmus par an de 1987-1988 à 2010- 2011 (en milliers)

De plus en plus mobiles

0

50

100

150

200

250 231 410

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ce :

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sommes fiers, n’est-ce pas  ? Pourquoiaujourd’hui devrait-on se lamenter si nosenfants étudient à Cambridge, à Yale ou àla Sorbonne  ?” interroge BronislavasBrugys, directeur d’un lycée à Kaunas [ladeuxième ville du pays].

“Les frontières n’existent plus, noussommes libres. Cela me rend malade de jalou-sie de voir que nos enfants ont la possibilitéde partir à l’étranger”, avoue Vilija Priz-gintiene, directrice d’un lycée à Klaipeda[dans l’ouest de la Lituanie]. “Pour nous,c’était impossible.”

Le lycée de Vilnius fournit le gros deseffectifs de ces “émigrants universitaires”.Près d’un bachelier sur deux issu de cetétablissement s’inscrit dans une univer-sité étrangère. Mais le directeur, SauliusJurkevicius, est sceptique face au choix deses élèves. “Tous ne sont pas réellement moti-vés. Il y a un phénomène de mode, assure-t-il. Pourtant, les universités lituaniennes ontbeaucoup changé ces dernières années.” Mais,petit à petit, se réjouit-il, les étudiants enprennent conscience et réalisent que lesfacultés étrangères ne sont pas forcémentmeilleures. Karolis Vysniauslas

“Je prévois de rentrer au bout de trois ans ; mais, si tout se passe bien au pays de Galles, je n’aurai pas de raisonsde revenir”

Contrairement à leurs parents,les jeunes Lituaniens ontaujourd’hui la possibilité d’allerétudier dans le pays de leurchoix. Et ils en profitent.

Veidas Vilnius

�P rès de 22 % des bacheliers litua-niens ont l’intention de partirétudier à l’étranger, selon une

enquête effectuée par Veidas auprès desétablissements du secondaire. Voilà quiconfirme les résultats d’un sondage réa-lisé l’année dernière par l’Union des asso-ciations étudiantes, selon lequel 16 % desbacheliers les plus doués comptaients’expatrier.

S’il ne s’agit pas d’un phénomène demasse, la tendance est néanmoins très forteparmi les jeunes les plus brillants. Pour-quoi donc ces lycéens choisissent-ils des’inscrire dans une université étrangère ?

Andrius Burba, qui termine sa scola-rité dans un lycée de Marijampolé [dansle sud du pays], est rassuré. Il vient de rece-voir la confirmation de son inscription àl’université de Newport, au pays de Galles,dans une filière spécialisée dans la photo-graphie de mode et publicitaire. Seules demauvaises notes aux examens pourraientfaire capoter son projet. Mais les exigencesne lui semblent pas insurmontables : ildoit simplement passer avec succès troisépreuves et obtenir une note correcte autest international d’anglais Ielts.

La raison principale qui pousse lejeune homme à aller étudier au pays deGalles est l’absence de formation équi-valente en Lituanie. D’autres facteursjouent aussi un rôle : des prêts plus acces-sibles, des possibilités plus nombreusesde percer dans l’univers de la mode et,surtout, l’envie de découvrir le monde.“Ma grand-mère ne comprend pas pourquoije dois aller là-bas”, explique Andrius ensouriant. Il avoue toutefois qu’il seratriste de quitter ses amis, la ville qu’il asi souvent photographiée et le club dephoto qu’il a créé.

Le jeune homme ne compte pas resterau pays de Galles toute sa vie – du moinspour l’instant. “Je prévois de rentrer au boutde trois ans d’études. Mais je ne peux rienpromettre. Si tout se passe bien là-bas, jen’aurai pas de raisons de revenir”, explique-t-il. Dans sa classe de 24 élèves, 4 de sescamarades ont eux aussi l’intentiond’étudier à l’étranger.

A Vilnius, Gintare Smagurauskaiteentend elle aussi partir au Royaume-Uni.Un tiers des Lituaniens étudiant à l’étran-ger choisissent ce pays, essentiellementpour des raisons linguistiques. L’objectifde cette future bachelière : étudier la bio-chimie à l’université de Leicester. “Je n’aipas choisi cette université et cette spécialitéau hasard. Ce serait stupide de partir à

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Dossier Université

est légèrement inférieur au taux moyende l’Amérique latine, et nettement endessous de celui des autres pays du Bric[Brésil, Russie, Inde et Chine]. Les auto-rités comptent rattraper ce retard enaméliorant la qualification de la main-

d’œuvre – tout en sachant qu’il faudradu temps pour voir cette stratégie porterses fruits.

Les patrons brésiliens se plaignentdes difficultés pour trouver du person-nel qualifié. Le chômage n’a jamais étéaussi faible. Les jeunes diplômés de l’en-seignement supérieur gagnent 3,6 foisplus que les diplômés du secondaire, unrecord au sein de l’OCDE. Le personnelbien formé se fait particulièrement raredans les domaines scientifiques. Selonl’Institut pour la recherche économiqueappliquée (IPEA), un organe lié au gou-vernement, parmi les 30 000 ingénieursformés chaque année par le Brésil, beau-coup sortent d’institutions médiocres–  et en tout état de cause le pays enaurait besoin de deux fois plus. Aussi lesautorités espèrent-elles qu’à leur retourles étudiants, forts des idées neuves gla-nées dans leur université d’accueil, relè-veront le niveau des établissementsbrésiliens.

A l’étranger, les universités et lesgouvernements se jettent sur l’occasion.Les Etats-Unis se sont engagés à accueillir20 000 Brésiliens ; la Grande-Bretagne,la France, l’Allemagne et l’Italie en rece-vront 6 000 à 10 000 chacune ; les paysà la traîne se disputent le reste. Les Bré-siliens paieront la totalité des frais d’ins-cription. Les pays d’accueil espèrent qu’àlong terme ces relations seront mutuel-

Brésil

Bientôt 100 000 étudiants à l’étranger

lement profitables dans le domaine desaffaires comme dans celui des étudessupérieures.

“L’ampleur de ce programme et la rapi-dité de sa mise en œuvre sont sans précé-dent”, estime Allan E. Goodman, del’Institute of International Education,une organisation à but non lucratif quigère le programme pour les universitésaméricaines. L’université d’Edimbourg[en Ecosse] accueillera ses premiers Bré-siliens en septembre. Elle a déjà nouédes liens avec Petrobras, la compagniepétrolière publique brésilienne, et vaouvrir un bureau à São Paulo, son troi-sième après Pékin et Bombay, pour tirerparti de ce qui sera, espère-t-elle, unréseau de plus en plus fourni d’anciensétudiants.

Jusqu’à présent, peu de Brésiliensont étudié à l’étranger. Aux Etats-Unis,leur destination préférée, ils n’étaientque 9 000 l’année dernière (hors for-mation linguistique). Mais, une foisdiplômés d’une université étrangère, cesjeunes jouent un rôle très importantlorsqu’ils rentrent au Brésil. Dans lesannées 1960 et 1970, le gouvernementavait financé des thèses à l’étranger dansles domaines de l’exploitation pétro-lière, de l’agronomie et de la conceptionaéronautique. Le Brésil est aujourd’huil’un des leaders mondiaux dans ces troissecteurs. �

� Dessin de Lobke van Aar paru dans Huisvlijt, Pays-Bas.

Le pays mise sur les facultésétrangères pour former ses jeunes. L’objectif : améliorer la compétitivité de l’économie.

The Economist Londres

�S i Dilma Rousseff, la présidentebrésilienne, était présente auSalon des technologies de l’in-

formation et de la communication, le5  mars, à Hanovre, c’était pour pro-mouvoir les prouesses technologiqueset le marché informatique en plein boomde son pays. Mais elle en a aussi profitépour poser devant les photographes aucôté de jeunes compatriotes, des Brési-liens qui venaient d’entamer des étudesdans des universités allemandes grâceau nouveau programme gouvernemen-tal de bourses Ciência sem Fronteiras[science sans frontières].

D’ici à la fin 2015, plus de 100 000 étu-diants brésiliens – dont la moitié de doc-torants – auront passé un an à l’étranger,dans les meilleures universités du monde.Ils y auront notamment étudié la bio-technologie, l’océanographie ou l’ingé-nierie du pétrole, des disciplines que legouvernement juge essentielles pourl’avenir du pays. Le programme, qui coû-tera 3 milliards de reais [plus de 1 mil-liard d’euros]  ; sera financé pour unquart par les entreprises, le reste par lescontribuables.

Ciência sem Fronteiras constitue leprojet le plus ambitieux lancé par leBrésil pour faire passer son économie àla vitesse supérieure. Le taux de crois-sance du pays, qui tourne autour de 4 %,

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Argentine

La gratuité, ça paieLes universités du pays attirentde nombreux étrangers, pour la plupart des Colombiens.Ces jeunes sont séduits par un enseignement de qualité– et qui ne coûte rien.

La Nación (extraits) Buenos Aires

�C e n’est pas nouveau, l’Argentineest très prisée des touristesétrangers. Mais, désormais, elle

attire aussi les étudiants. Selon le minis-tère de l’Education, le pays accueille23 737 étudiants étrangers, dont 62 % àBuenos Aires. Un peu plus de 61 % sontinscrits dans des institutions privées.

La majorité de ces jeunes viennentd’Amérique latine, de Colombie en par-ticulier, et, dans une moindre mesure,d’Europe et des Etats-Unis. Ils suiventdes cursus de premier, deuxième et troi-sième cycles. Ce sont les MBA qui ont leplus de succès. Par ailleurs, le tourismeéducatif, qui englobe les cours d’espagnolet les leçons de tango, séduit égalementles jeunes du monde entier.

Bouche-à-oreille“A l’université de Palermo [à Buenos Aires],30 % de nos étudiants sont étrangers et cechiffre ne cesse d’augmenter : cette année, ilsétaient 2 % de plus, soit 3 500 à 4 000 per-sonnes en tout”, explique Gabriel Foglia,doyen de la faculté des sciences écono-miques. Cette institution a toujours vouluêtre tournée vers l’international. “L’uni-versité a mis en œuvre des stratégies de com-munication dans plusieurs pays ; nousorganisons des rencontres et des campagnespublicitaires. Mais notre principal atout estle bouche-à-oreille, grâce aux étudiants quisont satisfaits de leur expérience ici.”

Du côté de UBA  Internacional, lebureau chargé des relations internationalesde l’université de Buenos Aires (UBA)depuis 1987, on affirme qu’en 2009 il y avaitpresque 6 700 étudiants étrangers répar-tis dans les différentes facultés, soit 45 %de plus qu’en 2007. Ce chiffre continued’augmenter, ce qui confirme que cette uni-versité est la plus cotée de la région. “L’UBAa beaucoup de prestige en Amérique latine, elleest bien placée dans les classements interna-tionaux. Elle est attractive par la qualité del’enseignement, mais aussi par sa gratuité”,explique Matías Perdigurés, l’un des res-ponsables du bureau. Près de la moitié desétrangers qui choisissent l’UBA viennentde pays du Mercosur. Leurs domaines deprédilection sont la médecine, les sciencessociales et la philosophie.

Selon le classement établi par la Shan-ghai Jiao Tong University [dit “classementde Shanghai”], l’UBA est l’une des troisinstitutions les plus renommées d’Amé-rique latine, aux côtés de l’Universiténationale autonome du Mexique et del’université de São Paulo. Le Brésil dominetoutefois dans la plupart des palmarèsrégionaux. La dernière enquête réaliséepar la société spécialisée QuacquarelliSymonds place l’université de São Pauloen tête, devant le Mexique, l’Argentine etle Chili. Malgré tout, la barrière de lalangue est un facteur déterminant quiencourage les Latinos à préférer les éta-blissements argentins à leurs concurrentsbrésiliens.

Promouvoir la diversitéL’Universidad Argentina de la Empresa[UADE, privée] accueille elle aussi de plusen plus d’étrangers, originaires pour la plu-part de Colombie. “En 2009, on n’accueillaitque 50 Colombiens”, commente MercedesSan Martín, responsable des relationsinternationales. “Depuis, ce chiffre a aug-menté de 45 %.” De fait, les études sont trèscoûteuses en Colombie : même dans lesuniversités publiques, il faut payer des fraischaque semestre. “Les Colombiens sont sur-tout intéressés par la gratuité de l’UBA”,reconnaît Mercedes San Martín. Ils ontlongtemps préféré les Etats-Unis, mais lacrise économique a changé la donne.Désormais, cette destination est réservéeaux étudiants les plus aisés.

La proportion d’étudiants étrangers enArgentine (1,05 %) est dans la moyennedes pays latino-américains : supérieureà celle du Chili (0,90 %) et du Mexique(0,10 %), mais inférieure à celle de l’Uru-guay (2,20 %). A titre de comparaison, elleatteint 0,80 % en Espagne.

“La diversité enrichit le processus édu-catif, c’est ce que toute université cherche àpromouvoir. Accueillir des jeunes de toutesorigines ne peut qu’enrichir l’expérience uni-versitaire”, conclut Gabriel Foglia.María Sol Romero

� Dessin de Lobke van Aarparu dans NRC.Next, Rotterdam.

Seuls les Colombiens les plus aisés peuventétudier aux Etats-Unis

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Dossier Université

Décrocher un job d’été aux Etats-Unis, c’est l’idéal pour découvrir le pays… sauf lorsque votre employeurvous exploite.

The New York Times (extraits)New York

�R é a g i s s a n t à u n e v a g u e d eplaintes d’étudiants étrangersayant participé au Summer

Work Travel Program, le départementd’Etat a redéfini, fin avril, le type d’em-plois qui peuvent être proposés auxjeunes dans le cadre de ce programmed’échanges culturels.

L’été dernier, plusieurs centaines debénéficiaires de ce dispositif avaientmanifesté dans une usine de condition-nement du fabricant de chocolats Hershey’s, en Pennsylvanie : ils étaientaffectés à des tâches épuisantes, devaientsoulever de lourdes caisses, travaillaientsouvent de nuit et étaient isolés desouvriers américains. Après les retenues

sur salaire, il leur restait tellement peud’argent qu’ils n’avaient pas les moyensde visiter le pays, contrairement à cequ’on leur avait promis. [Certains de cesjeunes, originaires entre autres de Chine,du Nigeria, de Turquie et de Roumanie,n’étaient même pas rentrés dans leursfrais de visa et d’inscription au pro-gramme.]

La nouvelle réforme viseà “recentrer le programme surles objectifs culturels qui sont saraison d’être”, explique RobinLerner, chargé des échanges avecle secteur privé au départementd’Etat. Depuis une cinquantained’années , le Summer WorkTravel Program permet chaque étéà plus de 100 000 étudiants étran-gers de travailler jusqu’à trois mois, puisde voyager pendant un mois dans le paysavec un visa J-1. Les étudiants issus demilieux modestes ont ainsi la possibilitéde découvrir les Etats-Unis. Leur voyageest organisé par des associations amé-ricaines de parrainage, qui leur trouventun travail et un logement.

D’après le département d’Etat, “lacomposante travail du programme a tropsouvent éclipsé sa composante culturelle”,que le Congrès avait souhaité mettre enavant. Les nouvelles règles sont censéesapporter une réponse aux problèmes sou-

levés par les étudiants embauchés l’andernier par l’usine d’emballage Hershey’s.Ceux-ci étaient “regroupés pendant delongues heures dans certains secteurs de l’éta-blissement et effectuaient des tâches qui leurdonnaient peu (ou pas du tout) l’occasion decommuniquer avec des Américains”, relèvele département d’Etat. Ils étaient de plus

“exposés à des risques professionnels” et vic-times de “pratiques prédatrices en matièrede retenues sur salaire pour le logement”.

Conformément aux règles qui ont priseffet à la mi-mai, les étudiants étrangersne peuvent plus travailler de nuit, ni dansdes entrepôts ou des usines d’emballage.Les emplois qualifiés de “dangereux pourla jeunesse” par le ministère du Travail leursont également interdits. Enfin, ils ne peu-vent pas être employés dans les secteursdu jeu, des fêtes foraines, des massages oudes tatouages. Et, à partir du 1er novembre,ils ne pourront plus occuper la plupart despostes en usine ; les mines, la prospectionpétrolière et la plupart des emplois du bâti-ment leur seront également interdits.

Les organismes chargés de les parrai-ner devront en outre s’assurer chaqueannée auprès des employeurs qu’aucunétudiant n’a pris la place d’un salarié amé-ricain. Et les entreprises ne pourront pasrecruter de jeunes étrangers si elles ontprocédé à des licenciements au cours desquatre mois précédents. Julia Preston

Etats-Unis

Patron voyou recrute étudiants étrangers

Le Summer Work TravelProgram permetaux jeunes étrangers de travailler trois mois,puis de voyager pendantun mois dans le pays

� Dessin de Lobke van Aar paru dans Brabants Dagblad, Bois-le-Duc.

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Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 41

Exaspérés par la lenteur duCongrès, qui n’a toujours pas régléle sort des étudiants en situationirrégulière, des entrepreneurs leurapportent une aide financière.

The Wall Street Journal (extraits)New York

�Q uelques grandes figures de la Sili-con Valley [en Californie] ontdécidé d’aider financièrement

des jeunes sans papiers à faire des étudessupérieures et à trouver du travail auxEtats-Unis. Parmi elles figurent Jeff Haw-kins, l’inventeur du Palm Pilot, les fon-dations de la famille d’Andrew  Grove,cofondateur de la société Intel, et MarkLeslie, fondateur de Veritas Software.Quant à Laurene Powell Jobs, la veuve deSteve Jobs, cofondateur d’Apple, cela faitdes années qu’elle intervient dans cedomaine par le biais de diverses associa-tions d’aide aux jeunes de milieux défavo-risés. La Silicon Valley réagit ainsi aublocage par le Congrès du Dream Act. Si

Etats-Unis

La Silicon Valley soutient les futurs ingénieurs sans papierselle était adoptée, cette loi permettrait larégularisation des jeunes entrés illégale-ment aux Etats-Unis qui, après avoir ter-miné leurs études secondaires, s’inscriventà l’université ou s’engagent dans l’armée.

Ces philanthropes soutiennent Edu-cators for Fair Consideration (E4FC) uneorganisation à but non lucratif de San Fran-cisco qui accorde des bourses aux étudiantsarrivés clandestinement aux Etats-Unislorsqu’ils étaient enfants. Ces personnali-tés envisagent également d’aider les étudiants à décrocher des stages non rému-nérés, ce qui leur permettrait d’attirerl’attention d’entreprises susceptibles deles parrainer pour l’obtention d’un visade travail.

Grâce aux fonds ainsi récoltés, E4FCa pu engager des avocats spécialisés dansles questions d’immigration pour épaulerplusieurs centaines d’étudiants. “Avant, onse disait : ‘Aidons-les simplement à termi-ner leurs études à l’université’ en leur accor-dant des bourses”, se souvient Katharine Gin,une enseignante qui a créé E4FC avec unconseiller pédagogique. “Nous étions per-suadés que le Dream Act serait rapidement

voté et qu’il nous fallait seulement assurerla période transitoire.”

Ces derniers mois, la Californie, l’Illi-nois et l’Etat de New York ont voté des loisautorisant les étudiants sans papiers à rece-voir une aide financière. Dans treize Etats,les résidents en situation irrégulière béné-ficient, au même titre que les autres étu-diants, de frais de scolarité réduits dansles universités publiques.

Même s’il a compté des partisans dansles deux grands partis, le Dream Act n’ajamais été adopté par le Congrès. Il s’estretrouvé prisonnier du débat plus généralsur la réforme du système d’immigration.La dernière version du projet a été votéepar la Chambre des représentants en 2010,mais pas par le Sénat. Pour ses adversaires,cette loi reviendrait à amnistier les enfantsdont les parents ont enfreint la législationsur l’immigration. Surtout, elle encoura-gerait d’autres étrangers à entrer clandes-tinement dans le pays.

On estime que, chaque année, 65 000jeunes en situation irrégulière terminentleurs études secondaires aux Etats-Unis.La Cour suprême a protégé l’accès des

sans-papiers à l’enseignement public pri-maire et secondaire. Mais, ensuite, à l’uni-versité, leur situation se complique. Ilsn’ont droit ni aux bourses fédérales, ni auxprogrammes travail-études, ni aux prêtsbancaires pour financer leurs études. Ilsn’ont pas non plus le droit de travailler.

Les entreprises de haute technologieréclament depuis longtemps l’augmenta-tion du nombre de visas accordés à cer-tains candidats à l’immigration, comme lesinformaticiens. Lors d’une récente réunionorganisée par l’E4FC, un jeune homme de23 ans en situation irrégulière a exposé soncas aux bailleurs de fonds de l’association.Après avoir décroché une bourse, puis undiplôme d’ingénieur civil, il a reçu cinq pro-positions d’embauche en deux mois. Mais,comme ses papiers n’étaient pas en règle,les employeurs potentiels se sont rétrac-tés. Aujourd’hui, il est prêt à travaillergratuitement pour acquérir l’expériencenécessaire à l’obtention de la “professionalengineering license”, qui permet d’exercerle métier d’ingénieur. Mais, même à cesconditions, personne ne veut de lui.Miriam Jordan

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42 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

L’université la plus prestigieusedu pays souhaite déplacer en septembre sa rentréescolaire. L’objectif : faciliter les échanges avec ses homologues étrangères.

Mainichi Shimbun Tokyo

�T okyo Daigaku, l’université deTokyo, envisage de modifier soncalendrier. La rentrée des étu-

diants de premier cycle pourrait avoir lieuà l’automne, et non plus au printemps.L’institution a appelé onze autres grandesuniversités japonaises, dont celle de Kyoto,ainsi que le monde des entreprises, à par-ticiper au débat. La réforme devrait voirle jour dans les cinq prochaines années.

Nous ne pouvons que nous féliciterde voir une proposition aussi audacieuseémaner d’une université. Néanmoins, lesdéfis auxquels est confrontée Todai [dimi-nutif de Tokyo Daigaku] sont sans douteparticuliers. Chaque université doit réflé-chir aux avantages et aux inconvénientsd’un tel changement, en envisageant éga-lement la possibilité d’une double rentrée,au printemps et en automne.

“Internationaux et résistants” Un comité informel de réflexion de Todaia publié son premier rapport le 20 janvier.Parmi les avantages d’une rentrée enautomne, deux points ont été mis en avant :• faciliter les échanges avec les universi-tés étrangères en s’alignant sur les normesinternationales et, ainsi, mieux s’adapterà la mondialisation ;• maintenir les examens d’entrée au

Dossier Université

printemps afin de permettre aux étudiantsde profiter de la période de battement pourvivre des expériences variées.

Le sous-titre de ce rapport – “Des étu-diants plus internationaux et plus résis-tants” – reflète clairement les deux grandesthématiques chères à l’université de Tokyo.Examinons d’abord le volet international.En mai 2011, seuls 53 étudiants de premiercycle (soit 0,4 % des effectifs de Todai) et286 de deuxième et troisième cycle (2,1 %)étaient partis étudier à l’étranger. Quantaux étudiants étrangers, ils étaient 2 690(18,6 %) en deuxième et troisième cycle– dont la rentrée a déjà lieu à l’automne.Mais, en premier cycle (dont la rentrée estau printemps), ils n’étaient que 276 (1,9 %).

Aux yeux de nombreux étudiants, lecalendrier universitaire japonais (rentrée,examens d’entrée en deuxième et troi-sième cycle, entretiens d’embaucheorganisés en fin d’études) constitue uneentrave pour étudier à l’étranger. Le rap-port souligne que, dans le cadre d’unéchange universitaire, une rentrée ou dessemestres décalés engendrent des coûtset des délais supplémentaires. Il relèveégalement que près de 70 % des universi-tés dans le monde organisent leur rentréeà l’automne, cette proportion passant à80 % si l’on ne prend en compte que lesétablissements occidentaux.

Pour autant, la mise en place d’une ren-trée à l’automne se traduirait-elle immé-diatement par des échanges universitairesplus importants ? La situation actuelle desétudiants étrangers au Japon laisse penserque cette réforme n’est pas la panacée.D’après la Japan Student Services Organi-zation, une organisation indépendanted’aide aux étudiants, le Japon comptait

138 075 étudiants étrangers au 1er mai 2011,dont 93,5 % étaient d’origine asiatique. LesChinois, dont la rentrée est en septembre,étaient les plus nombreux (63,4 % du total),suivis par les Coréens (12,8 %), qui démar-rent l’année en mars. Ces chiffres mon-trent qu’il serait plus avisé de laisser lechoix entre une rentrée au printemps etune autre à l’automne.

Passons maintenant à l’aspect “résis-tance”. A Todai, l’uniformisation du profildes étudiants ne cesse de se renforcer.Selon une enquête effectuée auprès de1 456 étudiants, près des deux tiers d’entreeux sont issus d’établissements privés, quiregroupent le collège et le lycée. Récem-ment, un professeur de Todai m’a fait partde l’anecdote suivante : “Lorsque je pose àmes étudiants une question absurde comme :‘Quel est le destin de cette friandise ?’, ilsne formulent que des réponses d’une banalitédésespérante. Des freeters [néologisme fondésur l’anglais free (libre) et l’allemand Arbei-ter (travailleur), désignant les jeunes qui viventde petits boulots] répondraient sans doute deschoses bien plus intéressantes à une telle ques-tion. Mes étudiants manquent cruellementd’imagination.”

Ce phénomène s’explique certaine-ment par le bachotage des étudiants del’université de Tokyo, qui ont appris àdonner la priorité absolue aux notes. Afinde changer le profil type de ces étudiants,le rapport propose une liste de treizeactivités à effectuer durant la périodede battement, comme le bénévolat ou laparticipation à des échanges internatio-naux. Il s’agit, à travers ces expériences,de rendre les jeunes plus “forts et plus

résistants”. Ce plan peut-il s’appliquer auxautres universités ?

“La plupart de nos étudiants ont connudes échecs qui les ont rendus plus forts. Ce n’estpas le cas des jeunes de Todai, qui ont réussileurs examens d’entrée sans connaître de diffi-culté majeure et qui ont donc besoin de s’en-durcir”, confie le président de l’universitéWaseda, qui accueille généralement lesrecalés de Todai ou de l’université de Kyoto.

Ne pas être des moutonsLors de la conférence de presse organi-sée par la direction de Todai, j’ai demandési celle-ci allait mettre en œuvre sonprojet dans le cas où les autres établisse-ments ne la suivraient pas. Le présidentJunichi Hamada m’a répondu que le déca-lage de la rentrée ne se ferait pas sans leuraccord. Ces propos m’ont déçu, même sicette prudence s’expliquait certainementpar la crainte des répercussions qu’unetelle réforme pourrait avoir sur la sociétéjaponaise.

Si l’université arrive à former des étu-diants à la hauteur de ses ambitions, desindividus brillants, forts et ouverts sur lemonde, entreprises et organisations feronttout pour les recruter, quand bien mêmela fin de leurs études serait décalée. Si Todaiest sûre de son fait, elle n’a qu’à instaurerson système, quitte à être la seule à le faire.Quant aux autres universités, elles n’ontqu’à maintenir le statu quo si elles y voientplus d’avantages. Je le répète, il n’est pasquestion de suivre comme des moutonsl’université de Tokyo, mais plutôt d’enga-ger un débat constructif.Kenji Kimura

� Dessin de Lobke van Aar paru dans Brabants Dagblad, Bois-le-Duc.

Japon

Tokyo se met à l’heure mondiale

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44 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

En avalant une pilule spéciale,on pourrait empoisonner cesinsectes, vecteurs de maladiesquand ils piquent. Tel est le traitement radical proposépar un chercheur néerlandais.

De Volkskrant Amsterdam

�I ls sont posés sur l’extrémité deses doigts, sur ses articulations,sur ses poignets. Soixante-dix

moustiques tanzaniens affamés font unfestin sur la main gauche de Bart Knols. Laplupart des gens retireraient aussitôt leurmain de la cage en verre. Mais l’entomo-logiste Bart Knols reste tranquillementassis, plusieurs minutes d’affilée. Il connaîtd’autres chercheurs qui nourrissent ainsileurs moustiques. Bien sûr, on peut aussimettre un sac en plastique contenant dusang dans la cage pour que les moustiquespiquent dedans. Seulement voilà, il fautd’abord commander le sang et le transva-ser dans des sacs spéciaux : toute une his-toire. On a plus vite fait de glisser sa mainà l’intérieur de la cage. Et, quand on le faitsouvent, on finit par s’immuniser naturel-lement contre les substances irritantesqu’injecte dans le sang le moustique [dontla salive anticoagulante provoque uneréaction allergique chez l’homme].

Tous sont morts Une journée comme une autre dans lelaboratoire néerlandais In2Care ? Certai-nement pas. Car, une fois que Bart Knols,le directeur de cette société de Wagenin-gen, a retiré sa main, il ne faut pas plus d’unquart d’heure pour que les premiersmoustiques succombent. Tiens, en voilàun autre, ou plutôt une autre [seules lesmoustiques femelles piquent], qui meurt.Le corps gorgé du sang de Bart Knols,elle glisse sur la paroi de verre. En bas dela cage, elle contracte ses pattes et agite lesailes, ses mouvements se font de plus enplus irréguliers, puis elle meurt. “C’est doncaussi un moyen de s’attaquer à des maladies

Sciences

comme le paludisme, explique Bart Knols.Tuer des moustiques avec son propre sang estune nouvelle technique radicale.”

Au début de la matinée, Bart Knols aavalé un comprimé. Il refuse d’en donnerla composition précise : il est en attented’un brevet, ce que l’on appelle un procu-ring patent. Ce type de brevet permet d’uti-liser un médicament d’une autre manièreque celle pour laquelle il a été mis initiale-ment sur le marché. A force d’insister,j’obtiens de Bart Knols une précision. Leproduit est l’un des nombreux traitementsutilisés pour débarrasser les chiens de leurs

puces. La substance bloque le système ner-veux des puces, sans produire d’effet surles chiens. Quand Bart Knols en a entenduparler la première fois, il s’est dit : se pour-rait-il que ces substances soient égalementtoxiques pour les moustiques ? Et que sepasserait-il si, au lieu d’un chien, un humainavalait un tel comprimé ? Il a consulté desétudes médicales, entre autres, pour véri-fier si quelqu’un avait déjà tenté l’expé-rience. “Je n’ai trouvé qu’un article à proposd’un Chinois qui avait tenté de se suicider enbuvant un litre de ce produit, raconte-t-il. Iln’y est pas parvenu, donc cela m’a confortédans l’idée que ce produit n’était toxique quepour les insectes.”

Imaginez une annonce : on rechercheun volontaire prêt, à des fins expérimen-tales, à avaler un comprimé mystérieuxpuis à mettre son bras dans une cage rem-plie de moustiques vecteurs du paludisme.Bart  Knols se doutait bien que peu demonde répondrait à ce genre d’appel. Ilne lui restait plus qu’une solution : prendrelui-même le comprimé.

Bart Knols a survécu à l’expérience,mais pas les moustiques de son labora-toire. Toutes les heures, il glissait son brasdans une nouvelle cage. Les moustiquesvecteurs de malaria, les moustiques vec-teurs de la dengue  : tous sont morts.Bart Knols et son équipe sautaient de joiedans le laboratoire. Pendant dix-huitheures, Bart Knols a été un tueur ambu-lant de moustiques, puis le poison a dis-paru de son sang. A présent, il cherche uninvestisseur pour procéder à des essaiscliniques sur des centaines de volontaires,

pour que le médicament puisse aussibénéficier d’une autorisation permettantune utilisation par des humains. “Peut-être que Bill Gates pourrait s’y intéresser. Ilinvestit des millions dans la lutte contre lepaludisme, et ce comprimé peut être une nou-velle arme essentielle.”

Des chercheurs de l’université del’Etat du Colorado ont effectué desrecherches similaires et ont distribué descomprimés d’Ivermectine dans des vil-lages sénégalais. On utilise ce médica-ment en Afrique depuis des années pourtraiter certaines parasitoses. Il s’est avéréqu’il avait un effet sur les moustiquesporteurs du paludisme : ils ont vécu sixjours de moins. “Le moustique porteur dupaludisme ne vit en moyenne que deuxsemaines, donc c’est une nette améliora-tion. Mais, avec notre comprimé, le mous-tique meurt en une heure. Au moins, on estsûr que ce moustique ne peut plus conta-miner personne.”

Mais le comprimé de Bart Knols a ungros inconvénient par rapport à l’Iver-mectine : il n’a pas encore reçu d’agrémentpour une utilisation par des êtres humains.“Ce n’est pas parce que Bart Knols n’a pasressenti d’effets secondaires que cela vautpour tout le monde”, dit Henk Schallig,coordinateur de recherches et parasito-logue auprès du Koninklijk Instituut voorde Tropen [Institut royal des tropiques] àAmsterdam. “Je trouve l’idée extrêmementintéressante, mais comment administrer letraitement à des enfants et à des femmesenceintes ?”

Un médicament altruisteC’est surtout ce dernier groupe qui pré-occupe Henk Schallig. Il ressort en effetd’une étude effectuée en Gambie que lesmoustiques porteurs du paludisme mar-quent une très nette préférence pourl’odeur des femmes enceintes. Elles sontdonc en théorie le groupe cible parfait pourprendre le comprimé ; avec leur sang, cesfemmes pourraient très vite venir à boutdes moustiques porteurs du paludisme.“Mais le fœtus dans l’utérus est vulnérable. Cene serait pas la première fois qu’un médica-ment prometteur échoue au stade expérimen-tal car les risques sont trop élevés pour l’enfantà naître”, dit Henk Schallig. Et, pour que lecomprimé de Bart Knols soit efficace, toutle monde dans la zone atteinte du palu-disme ou de la dengue doit l’avaler. Sinon,il restera toujours des moustiques en vie.

Le comprimé serait un médicamentaltruiste : on protège les autres des infec-tions, pas soi-même. Les moustiques nemeurent en effet qu’une fois qu’ils vousont piqué. “Les campagnes de vaccinationpeuvent être très efficaces pour protéger devastes catégories de personnes contre lesmaladies. Mais, en l’occurrence, il s’agit làd’un comprimé que des personnes en bonnesanté doivent prendre chaque semaine,peut-être même chaque jour. Tout le mondeva-t-il vraiment s’y tenir ?” s’interrogeHenk Schallig.

En dépit de ces critiques, Bart Knolscontinue de croire en son comprimé. Car,même s’il ne sert pas d’arme de destruc-tion massive contre les moustiques, ilen imagine les applications, notammentpour lutter contre la dengue. Il s’agitd’une maladie virale qui se propage loca-lement. Souvent c’est le père qui l’attrapeen premier, puis la mère, les enfants, levoisin, et ainsi de suite. Les malades ontde la fièvre et de fortes douleurs articu-laires. “C’est une vilaine maladie, contrelaquelle on ne peut rien faire. Mais, dèsqu’un membre de la famille développe dessymptômes, un médecin pourrait lui pres-crire ce comprimé. Cela éviterait qu’un pèrecontaminé ne transmette la maladie à safamille. Quel père refuserait de le faire ? Moi,je n’hésiterais pas”, assure Bart Knols.Tonie Mudde

Pharmacie

L’homme qui tuait les moustiques avec son sang

� Dessin de Belle Mellorparu dans The Economist, Londres.

“Peut-être que Bill Gates pourrait s’y intéresser”

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Roumanie

Les nouveaux rich

es chinois f

ont leur marché en Europe —

p. 52

Le son magique

d’un nouvel instr

ument

de percussion

— p. 5

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Le photographe italie

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sur les traces d

e la tra

ite négrière —

p. 46

Le roman qui dévoile

les couliss

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glise orthodoxe —

p. 51

Long

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Portfolio

HangMajordomes

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Le documentaire photographiqueCham, de Nicola Lo Calzo, jeune Ita-lien vivant et travaillant à Paris, arriveà point nommé. On célèbre en Francele onzième anniversaire du vote de laloi du 21 mai 2001, plus connue sous

le nom de “loi Taubira”, reconnaissant la traiteet l’esclavage en tant que crimes contre l’huma-nité. Le photographe laisse aux historiens le soinde dénouer le fil du processus idéologique et reli-gieux qui a servi de socle, sinon de justification,à l’esclavage, notamment la sulfureuse légendede la malédiction de Cham, tirée des trois grandesreligions monothéistes et faisant du Noir un êtremaudit, donc inférieur et forcément apte à lacondition d’esclave. Nicola Lo Calzo préfère inter-roger les mémoires individuelles et collectives dequelques-uns des héritiers des rentiers de la traitenégrière. Il donne à voir leurs coutumes, leurscultures restées pour certaines intactes, en dépitde l’usure du temps. A partir de ces figures emblé-matiques et de quelques vestiges, il nous ques-tionne sur la place de ce patrimoine séculaire dansle quotidien des populations.

Nicola Lo Calzo explore, avec la complicitéde son objectif, la complexité d’une tragédiehumaine qui, après plusieurs siècles, est loind’avoir épuisé tous ses effets. Sur sa lancée, ilsuggère une lignée directe entre le commercetriangulaire, une entreprise industrielle désor-mais qualifiée de crime contre l’humanité, et lephénomène, tout aussi abject mais relevant d’unregistre différent, des mèdés et des vidomègons,ces domestiques ou employés de maison trans-formés en bêtes de somme taillables et cor-véables dans maints pays d’Afrique de l’Ouest.

Cette précision n’enlève rien à la qualité ni àl’originalité d’une œuvre qui n’est, aux yeux duphotographe, qu’une “première pierre pour contri-buer à une réflexion sur l’importance de ce patrimoineet, en même temps, pour tracer, à travers les images,

Portfolio

A travers les mémoiresde la traitenégrière

46 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

Belles, poignantes et d’une grande pudeur,les images d’un photographe italien sur l’esclavage colonial restituent la complexité d’une des plus grandestragédies humaines.

� Roger, dit “le fou du village”, unique occupant des ruines d’une maison de commerce d’huile de palme et d’esclaves datant du XIXe siècle, à Héwé (Bénin).

� Chez les Agoudas, les Afro-Brésiliens du Bénin, la mort est à la fois une menace et une protection (plage de Ouidah, Bénin).

Le photographe

Né en 1979 à Turin,Nicola Lo Calzo a étudié l’architecture,avant de se lancerdans la photo. Il choisit d’embléed’inscrire son travaildans une démarchedocumentaire à la frontière entre journalisme et photographie d’art,en portant uneattention spéciale auxminorités et aux sujetsrelatifs aux droits del’homme. Ses photosont été exposées enFrance et à l’étranger.Son travail a étédistingué à plusieursreprises. Il a reçu,entre autres, le prixHSBC pour laphotographie 2011, la Bourse du talentreportage 2010, le Magnum ExpressionAward 2009 et le grandprix SFR de laphotographie 2009. Ce travail a pu êtreréalisé grâce à lacollaboration del’historien béninoisNondichao Bachalou,et de Françoise Vergès,présidente du Comitépour la Mémoire del’histoire de l’esclavage.

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les évolutions de cette mémoire vivante, souvent impli-cite et incorporée, marquée par le tabou et le secretfamilial”. Prises au Bénin et au Ghana, belles, à lafois poignantes et d’une grande pudeur, ces imagessuscitent la curiosité et poussent à la réflexion.Le mobilier de la fratrie Godonou Dossou, pros-père marchand de Porto-Novo, la capitale duBénin, respire l’aisance, sinon la fortune d’antan.Tout comme ce tapis accroché au mur, derrièreSa Majesté Mito Daho Kpassènon, actuel roi deOuidah, l’un des principaux ports esclavagistesd’Afrique de l’Ouest.

Et si la photo du fétiche de la divinité Goupeut provoquer chez les non-initiés un haut-le-cœur, le portrait d’Honoré Feliciano de Souzaassis sur un lit à baldaquin rappelle que l’actuelchef des Agoudas, les Afro-Brésiliens du Bénin,est le descendant direct de Chacha Ier, l’un desprincipaux intermédiaires de la traite négrièredeux siècles plus tôt. Pour la petite histoire,Chacha Ier est le héros du célèbre roman de l’écri-vain britannique (aujourd’hui disparu) BruceChatwin Le Vice-Roi de Ouidah, porté à l’écran en1987 par Werner Herzog sous le titre Cobra Verde.

Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 47

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� Respirant la fortune d’antan, cette demeure appartient aux descendants de Davis Godonou Dossou, riche marchand de l’ethnie Goun, qui possédait ses propres esclaves domestiques (Porto Novo, Bénin).

Les escales béninoise et ghanéenne de NicolaLo Calzo s’inscrivent dans un voyage au longcours qui devrait l’emmener, d’ici à la fin de 2012et courant 2013, aux Caraïbes (Guadeloupe, Mar-tinique, Haïti et Cuba) et dans des villes euro-péennes, comme Nantes, Bordeaux, La Rochelleet Liverpool, qui ont construit leur prospéritésur le commerce triangulaire. Le photographenourrit même l’envie d’étendre son travail à laLouisiane. Son œuvre ne sera exposée, assure-t-il, que lorsqu’elle sera achevée.Francis Kpatinde, Courrier international

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48 � Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012

� Autel du culte de Mami Tchamba, le vaudou des esclaves, à Héwé (Bénin).

� Olivier de Montaguère Clément.Descendant d’Olivier de Montaguère,régisseur du fort de Ouidah pour le compte du roi de France Louis XVI. Originaire de Marseille, il organise le commerce des esclaves à partir de 1776entre Ouidah et les Antilles françaises. Il fonde une nouvelle famille au Bénin dont les descendants habitent toujours la concession de leur aïeul et pratiquent le catholicisme.

� Transe lors d’une cérémonie rituelle du culte Mami Tchamba, le vaudou des esclaves à Héwé (Bénin).

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Courrier international | n° 1125 | du 24 au 30 mai 2012 � 49

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� Sa Majesté Mito Daho Kpassènon, actuel roi de Ouidah et chef suprême du culte vaudou. Il est le descendant du roi Kpassé, fondateur de la ville, qui fut le premier à avoir des contactscommerciaux avec les portugais en 1580.

� Honoré Feliciano de Souza, actuel chef des Afro-Brésiliens du Bénin sous le nom de Chacha VIII. Il est le descendantdirect de Chacha Ier, un des principauxintermédiaires dans la traite négrièreentre le royaume du Dahomey et les Européens au début du XIXe siècle.

� Cellule pour esclaves récalcitrants, Fort William (Ghana). La ville d’Anomabu où se situe ce fort futun centre actif de la traite des esclaves. On estime à 500 000 le nombre de captifsdéportés vers les Amériques, dont 30 000 aux Antilles françaises.

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symphonique de Londres. Manu Delago et sonhang semblent être à l’aise dans tous les genresde musique, du jazz à la musique contemporaine,en passant par le rock.

Depuis toujours, Manu Delago savait qu’ilserait musicien : son père est percussionniste,compositeur et arrangeur. Enfant, il a appris àjouer des percussions et du marimba. Peu detemps après la création du hang, son père a décou-vert une démo sur Internet. Séduit par ce son siparticulier, il a voulu utiliser l’instrument dansun arrangement. Il a donc acheté un hang, queson fils est vite parvenu à maîtriser. “Il avait unson rare, magique, et tellement de possibilités, tantrythmiques que mélodiques”, se souvient-il. Mieux,il n’existait aucune tradition musicale ni aucunepartition. Manu Delago avait trouvé sa cause.

Continuant ses activités de percussionnistede jazz, il s’est inscrit à la Guildhall School ofMusic, à Londres, en 2007, puis a poursuivi desétudes de composition au Trinity College ofMusic. Entre-temps, il avait posté sur Internetune vidéo de qualité médiocre qui le montrait entrain de jouer son solo Mono Desire. Résultat : plu-sieurs millions de spectateurs. Le hang allait deve-nir sa carte de visite. “Je me disais que ça pouvaitmarcher à Londres : dans cette ville, il y a des milliersde grands percussionnistes, mais je savais que jeserais le seul à jouer du hang.”

Mono Desire lui a permis d’entrer encontact avec des musiciens du mondeentier. Après l’avoir écouté, Björk ademandé à Manu Delago d’écrireune partie hang pour son mor-ceau Virus. Puis, lorsqu’elle l’arencontré, elle a découvert qu’elle avait en face d’elle un per-cussionniste aux talents multiples.C’est ainsi que Delago est devenul’un des deux seuls musiciens à partager la scèneavec la chanteuse et son chœur lors de la tour-née mondiale Biophilia. Depuis, le titre a étéremixé et copié plus d’une fois. Il a même été uti-lisé en 2010 dans le spot publicitaire d’un anal-gésique, pour évoquer une sensation de bien-être.Et Mono Desire a permis à Manu Delago d’allerdans une kyrielle de festivals [voir ci-contre pourses prochains concerts en France].

Registre limité“Je ne pense pas qu’il existe un autre cas dansl’histoire où autant de personnes ont appris àjouer d’un instrument en regardant des inter-prètes sur des vidéos.” Manu Delago sait ceque c’est que de se sentir inspiré en regar-dant des batteurs légendaires sur You-Tube. Mais aujourd’hui c’est à sontour d’être imité. “Il n’y aucunmaître, aucune idole avant moi.Lorsque je vois des gens jouer mamusique, ça me donne envie de fairequelque chose de nouveau – j’ai l’im-pression que je dois faire avancer leschoses, je me sens responsable.”

La difficulté, quand on com-pose des morceaux pour hang, tientà son registre limité – à sept notes – età la variété des types de sons possibles.Delago possède quatre hangs, tous accordésdifféremment de sorte à couvrir une octave depiano. En général, il en utilise trois lorsqu’iljoue. Il a mis au point des systèmes de nota-tion. Il vient de sortir son dernier album, LivingRoom in London [chez Session Work Records,2012], reprenant ses compositions pour cordes,clarinette basse et hang, écrites pour son quin-tette éponyme.

A propos de son nouvel opus, Concertinogrosso, il déclare : “C’est un essai ludique sur unconcept de concerto baroque. Venant du jazz, j’aime

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Musique

Le hang,l’envoûtementpar lapercussionDe Björk à l’orchestre symphonique de Londres, tout le monde s’enflammepour le son magique de ce nouvelinstrument de percussion. Mais,attention, il n’est pas facile d’entrouver un. Explications du grandmaître du hang Manu Delago.

Financial Times Londres

Manu Delago, le plus grand joueurde hang au monde, pose l’ins-trument sur ses genoux. Celaressemble à un wok avec un cou-vercle cabossé. Puis il se lance.Des sons de cloches irréels

ondulent dans l’air, accompagnés par un batte-ment léger de percussions. La texture s’inten-sifie à mesure qu’il joue des accords à quatrenotes, puis il lèche ses doigts et les fait glissersur la surface du hang pour faire résonner lesnotes. Autour de nous, les gens sont hypnotisés.On a peine à croire que toute cette musique sortd’un si petit gong convexe.

Ni le joueur ni l’instrument ne sont depuistrès longtemps sur cette planète. Manu Delago,originaire d’Innsbruck, en Autriche, a 27 ans. Sonhang –  qui signifie “main” en dialecte bernois –a été inventé en 2000 par Felix  Rohner etSabina Schärer, les patrons de PANArt, à Berne,en Suisse. Ils menaient diverses expériences pouraméliorer les propriétés acoustiques de l’acierdurci – à l’origine pour fabriquer des steelpans[des instruments de percussion, inventés et véné-rés à Trinité]. Le couvercle convexe du hang estformé d’un dôme central entouré de sept pointsen creux, disposés en cercle, qui correspondentaux notes accordées ; la partie inférieure possèdeune ouverture ronde assurant la résonance. Lehang partage certaines qualités avec d’autres ins-truments de percussion, comme le steelpan, legamelan indonésien, le tabla et le ghatam (tam-bour en terre cuite) indiens, mais le son qu’il émetest unique.

Lorsque je rencontre Manu Delago, il revienttout juste de New York, où il a accompagné Björkau hang, aux percussions et au xylosynth [uncroisement entre xylophone et synthétiseur] lorsde sa tournée Biophilia. Il a déjà enregistré septalbums et collaboré avec des musiciens de jazzcomme Bugge Wesseltoft et Didier Lockwood,et des compositeurs comme Peter Wiegold etMilton Mermikides. Il a également formé un duoavec le clarinettiste Christoph Pepe Auer, ce quipar la suite a donné naissance au quintette LivingRoom in London (LRIL), dirigé par Tom Norris,compositeur et violoniste à l’orchestre

En concert

Les prochainesoccasions d’écouterBjörk accompagnée de Manu Delago en France se présenteront le 27 juin, au festivalde Nîmes, et le 30 juin,au festival Les Nuits de Fourvière, à Lyon.Manu Delago se produira ensuite en solo le 24 juillet au festival Un violonsur le sable, à Royan.Pour plusd’informations :manudelago.com.

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ni les complots, ni les chantages. En désignantson successeur de son vivant, le patriarcheentend garder un contrôle partiel sur l’Eglise etéviter qu’à sa mort le saint-synode ne dispose àsa guise de son titre. Or l’Eglise a besoin d’uneréforme morale : elle est confrontée au scandaledes évêques coupables d’avoir collaboré avec laSecuritate [la police politique du régime com-muniste], et le passé du patriarche lui-même estentaché d’actes de complicité, d’opportunisme,de soumission et de silence face aux crimes durégime communiste, sans compter les rumeurssur sa vie sexuelle (il n’aurait pas dédaigné lesplaisirs homoérotiques dans sa jeunesse).

Le conflit entre le vieux patriarche et sonpassé ainsi que la tension provoquée par sondésir de désigner son successeur et de voir lechantier de la cathédrale de la Rédemption-du-Peuple achevé [la construction de cette églisemonumentale au centre de Bucarest devrait êtreterminée en 2015] constituent l’essentiel de l’in-trigue, qui offre une perspective très crédible,quoique romancée, sur les coulisses impéné-trables de l’Eglise et les rapports de pouvoir ausein d’une hiérarchie ecclésiastique qui aspire àexercer une influence politique, mais est minéepar les intérêts privés, la corruption et la colla-boration [avec la Securitate]. L’Eglise a survécuau régime communiste en faisant des compro-mis inévitables, pense le patriarche, et, mainte-nant, dans les nuits rendues difficiles par lacanicule et les douleurs de la prostate, il se livreà de longs examens de conscience, au terme des-quels il se donne l’absolution. “Ils [les commu-nistes] ont démoli des églises dans la capitale, maislui, en silence, érigeait d’autres églises dans le pays…Communiste, pas communiste, l’Etat payait lessalaires des prêtres et des évêques, subventionnaitdeux instituts théologiques, envoyait même certainsjeunes théologiens étudier à l’étranger et faisait bar-rage à la perversion de la foi ancestrale par lesinfluences occidentales. Les gréco-catholiques [l’Eglisecatholique de rite byzantin a été interdite pendantla période communiste] et les sectes ont été quasi-ment anéantis au bout de trente ans d’interdiction.”L’Eglise était peut-être soumise, mais au moinsest-elle restée debout tant bien que mal. Et qu’ya-t-il de plus important que la survie ?

Au-delà des aspects politiques délicats et del’intrigue enchevêtrée, Tatiana Niculescu Branparvient à rendre le drame humain de cepatriarche parvenu à l’état de “vieil homme maladeet incontinent”. Le patriarche n’est pas seulementtourmenté par le passé, mais encore par lavieillesse, qui le prive de ses capacités physiqueset de son pouvoir hiérarchique, par la consciencede sa faiblesse et de sa déchéance. Accompagnéde son chauffeur, la seule personne en qui il aitencore confiance, Sa Béatitude contemple à l’hô-pital sa propre dégradation et constate avec éton-nement qu’elle a peur de la mort et qu’ellepréfère le pouvoir terrestre au salut céleste.

Fiction historique contemporaine, intégrantdans le récit un grand nombre de dates et de situa-tions réelles, Noptile Patriarhului brosse le por-trait sévère d’une Eglise orthodoxe qui n’a pasréglé ses comptes avec le passé et dont la hiérar-chie compte encore de nombreux membres cor-rompus, d’où ses incessantes luttes pour lepouvoir et sa longue crise morale et identitaire.Les discours des membres du clergé sont trèsvraisemblables, et Tatiana Niculescu Bran aréussi à maintenir cet équilibre de caractères,de sorte que la vérité, la justice et le bien sontrépartis entre tous les gens de l’Eglise, sansqu’aucun soit innocent. Reste à savoir commentla hiérarchie ecclésiastique répondra à ce gantque lui jette la fiction de Tatiana Bran Niculescu.Marius Chivu* Ed. Polirom, Bucarest, 2011. Pas encore traduit en français.

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Le livre

L’automne du patriarcheLuttes de pouvoir, manigances,compromissions en tout genre : l’Eglise orthodoxe roumaine en prend pour son grade dans le roman de Tatiana Niculescu Bran.

Dilema Veche (extraits) Bucarest

En général, les écrivains roumains nes’inspirent guère de la réalité, sispectaculaire soit-elle, comme s’il yavait une incompatibilité fonda-mentale entre la fiction et le réel.Pourtant, ces vingt dernières années,

l’actualité roumaine n’a pas été avare en per-sonnages et en événements dotés d’un poten-tiel narratif fabuleux.

Certains auteurs de fiction se sont tout demême emparés de la réalité ces deux dernièresannées, mais Tatiana Niculescu Bran est la seuleà s’inspirer exclusivement de faits réels. Sonlivre Spovedanie la Tanacu [Confession àTanacu], paru en 2006, est le premier roman dela littérature roumaine à traiter d’un fait diverset, en 2010, l’écrivaine a écrit une pièce dethéâtre qui traite du procès qui avait opposé lesculpteur Constantin Brancusi aux Etats-Unis,en 1927.

Son roman Noptile Patriarhului* [Les nuitsdu patriarche] a pour personnage principal lepatriarche sans nom de l’Eglise orthodoxe. Unchoix délicat, qui a incité la romancière à la pru-dence, qui lui fait préciser au début du livre que“les personnages et les situations sont, pour la plu-part, fictifs”.

Le patriarche, qui est âgé de 90 ans passéset souffre de la prostate, décide de désigner sonsuccesseur en la personne de son archevêquefavori. Mais la fonction suprême dans la hiérar-chie de l’Eglise donne lieu à des luttes en cou-lisses où ne manquent ni les groupes d’intérêts,

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Biographie

Diplômée en lettres et en journalisme,Tatiana NiculescuBran a travaillé à Londres, puis à Bucarest pour le service en langueroumaine de la BBC.Dans ses deuxpremiers romans,Spovedanie la Tanacu(Confession à Tanacu),paru en 2006, et Cartea Judecatorilor(Le livre des juges),publié l’annéesuivante, elle évoqueune affaire qui avaitdéfrayé la chroniqueen 2005 : la mort d’une jeune religieuse,crucifiée par un prêtreet quatre autres sœursqui voulaientl’exorciser. Le réalisateur roumainCristian Mungiu,Palme d’or au Festivalde Cannes en 2007, en a tourné une adaptation, Dupa dealuri (Au-delàdes collines), qui est présentée dans la sélection officiellecette année. TatianaNiculescu Bran vient de publier enRoumanie un nouveauroman, In tara luiDumnezeu (Dans le pays de Dieu), dontl’action se dérouledans la Corne de l’Afrique. Aucun de ses livres n’est à ce jour traduit en français.

chambouler la hiérarchie conventionnelle d’unorchestre, en donnant un solo à toutes les cordes, parexemple.” Pas de doute, une révolution du hangest en route. Mais l’avenir de l’instrument n’estpas acquis : devant ce succès, ses concepteurs, àBerne, ont réagi de façon controversée en ces-sant de produire le type de hang dont joue Delago.

Le nouveau “hang intégral libre”, lancé en2008, est accordé à sa hauteur naturelle, ce quin’est pas forcément idéal pour la musique occi-dentale ou les concerts, aussi est-il conçu pourêtre joué en solo. Pas facile de s’en procurerun : il faut déposer une demande écrite et, sivotre requête est jugée recevable (selon descritères vagues), vous recevrez un courrier vousannonçant que votre hang sera fabriqué. Aprèsde nombreux mois, vous serez invité à venir enpersonne le récupérer à l’atelier, la Hangbau-haus. Et il vous en coûtera la modique sommed’environ 1 600 euros.

RageSur les forums en ligne, les internautes fulminentde rage en voyant l’offre ainsi limitée, mais PANarts’oppose par principe à la croissance. D’autresfabricants d’instruments de musique n’ont pastardé à s’engouffrer dans la brèche – dans le res-pect, toutefois, des limites du brevet. Ainsi peut-on facilement acheter sur le Net des instruments“similaires”, notamment le halo et le dreamballrusse. Manu Delago, qui refuse de participer àtoute controverse, s’en tient à ce commentaire :“Je préfère vraiment le hang d’origine.”

La rareté de l’instrument joue peut-être enfaveur du musicien, mais on sent qu’il serait ausommet même si le hang se vendait par milliersen supermarché. Tandis que ses doigts tambou-rinent sur la surface de l’instrument, son visages’assombrit, et je suis de nouveau frappé par l’iro-nie de ces propos du producteur PANArt : “Lehang intégral libre est conçu pour les personnes quirecherchent l’équilibre et la paix intérieure dans unmonde qui peut être chaotique et troublant.”

Avec son emploi du temps de superstar et sacréativité énergique, Manu Delago est aux anti-podes de l’être méditatif – et c’est le plus grandespoir actuel pour l’avenir du hang. Helen Wallace

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South China Morning Post (extraits)Hong Kong

Le majordome en chef Stéphane Carlinet s’arrache au sommeil pourrépondre à l’appel téléphonique deson patron chinois. “Stéphane ?” s’en-quiert le richissime maître de maison,dans sa grande résidence londo-

nienne idéalement située.— Oui, Monsieur.— Veuillez annuler mon avion pour Zurich.— Bien, Monsieur.— Et, Stéphane…— Oui, Monsieur ?— Apportez-moi un Zinger burger [un hamburgeravec un filet de poulet pané].— Bien sûr, Monsieur, tout de suite.”Il est 4 heures du matin.

“Le problème, ce n’était pas d’annuler la réser-vation de l’avion”, explique ce Français qui, enquinze ans de métier, a travaillé pour plusieursclients extrêmement fortunés. “Quand on paie40 000 dollars l’heure [30 800 euros] la locationd’un avion privé, il y a toujours quelqu’un à l’aé-roport pour prévenir le pilote. Mais où donc allais-je trouver un Zinger burger à cette heure de la nuit.On en trouve au KFC, mais pas dans ce quartierde Londres à 4 heures du matin”, se souvient-ilen partant d’un grand éclat de rire pour souli-gner l’absurdité de la demande.

Stéphane hausse les épaules et fait mine decomposer un numéro de téléphone. “J’ai appelénotre cuisinière anglaise, qui était logée dans unhôtel à proximité de la maison [la famille du patronvoyage avec son personnel]. Et je lui ai dit  :‘Ramène-toi, le patron veut un Zinger burger.’Elle n’était pas contente, mais qu’est-ce que vousvoulez, c’est mon boulot de répondre à toutes lesdemandes de mes clients. J’ai dû me montrerinflexible. Elle a fini par en préparer un et je l’aimonté dans la chambre de mon patron.”

Tendance

Nouveaux riches chinoisrecrutent majordome européenA Pékin ou à Moscou, le comble du raffinement est d’avoir à son service un maître d’hôtel dans la grande tradition du butler anglais. Pour satisfaire une demande croissante, les formations à ce métier se développent un peu partout en Europe.

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Une promotionimpeccableL’école internationale des majordomes aux Pays-Bas

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“Mon client ne trouvait pas anormal d’annu-ler son avion hors de prix, ni de commander unhamburger très particulier à une heure pareille. Ils’est contenté de dire merci, se rappelle Stéphane.C’est vrai, être majordome n’est pas de tout repos.Pour moi comme pour le personnel de maison queje dirige. Cela fait partie de notre travail. Les richeschinois sont un peu plus exigeants que les autres,mais on doit être en mesure de résoudre tous les pro-blèmes et de satisfaire toutes les exigences, partoutet à toute heure.”

Le majordome révérencieux est désormaisun accessoire humain indispensable pour les nouveaux riches de Pékin, Shanghai etChengdu, mais aussi de Moscou, Saint-Péters-bourg et Novossibirsk. Ils ont peut-être deshalls d’entrée en marbre tape-à-l’œil, mais unmajordome professionnel d’origine européenneajoute une touche de raffinement et impres-sionne les voisins.

Les écoles de majordomes européennesreçoivent de plus en plus d’appels de Chinoiset de Russes riches et pressés qui sont à larecherche de majordomes à l’anglaise pour orga-niser leur vie quotidienne, impressionner leursinvités et satisfaire tous leurs caprices, à touteheure du jour et de la nuit. La demande excèdedéjà l’offre, et le nombre de millionnaires asia-tiques va doubler d’ici à 2015, pour atteindre2,8 millions de personnes.

Les majordomes au sommet de leur carrièrepeuvent prétendre à un salaire annuel d’aumoins 125 000 euros. Et puis il y a les avantagesen nature : un logement gratuit dans des rési-dences parmi les plus convoitées du monde, lapossibilité de voyager comme la jet-set et d’êtretémoin des problèmes de ces familles cinqétoiles, que seules des quantités extravagantesd’argent peuvent engendrer.

“Sereins, calmes et posés”“Absolument. Nous n’arrivons pas à satisfairetoute la demande, en particulier celle des clientschinois, qui est énorme”, confirme Sara Vestin,directrice de Bespoke Bureau, une école demajordomes qui a son siège à Londres. Cetteancienne jeune fille au pair suédoise a créé uncabinet de recrutement à Londres lorsqu’elleavait 22 ans. Depuis, elle a diversifié ses acti-vités et s’occupe désormais de former et deplacer des majordomes et des nounous qui par-lent le mandarin. Elle compte parmi ses clientsdes célébrités, des dirigeants politiques et deschefs d’entreprise.

“Un de mes clients est allé à Hong Kong et aparlé de mon entreprise à des amis. Je ne fais aucunepublicité, mais, grâce à ce client, j’ai été contactéepar trente-trois Chinois qui recherchaient des major-domes européens formés à l’anglaise, explique-t-elle. Les Chinois veulent imiter la façon occidentalede gérer son intérieur. Ils veulent ressembler auxriches occidentaux. Les Russes aussi.”

Marx, Lénine et Mao doivent se retournerdans leur tombe. Et l’on se demande ce quepense de tout ça le président chinois, Hu Jintao,lui qui a récemment déclaré que les pays occi-dentaux livraient une guerre culturelle contrela Chine.

“Les majordomes doivent apprendre à êtresereins, calmes et posés, mais surtout à garantirune discrétion et une confidentialité absolues”,explique Robert Watson, responsable de la for-mation à l’Association des majordomes anglaisprofessionnels. “Nous recevons beaucoup dedemandes de renseignements de Chinois qui nesavent pas quoi faire de tout leur argent. Ils se ren-dent compte que, lorsqu’on a dépensé 8 millions dedollars [6,1 millions d’euros] pour une villa avecdes sols en marbre, on a besoin d’avoir quelqu’unqui sache gérer une telle propriété.”

Former des majordomes pour le marché chi-nois n’est pas une mince affaire, admet RobertWatson. “Il y a une demande phénoménale enChine, mais, jusqu’ici, personne n’a trouvé le moyende former de façon satisfaisante des majordomeschinois et de changer la mentalité des employeursqui, pour l’instant, continuent de considérer lemajordome comme un domestique. Il faudra dutemps avant de parvenir à une situation de respectmutuel, qui est la norme dans les pays occidentaux.”

“Nous exigeons de nos élèves qu’ils portent latenue traditionnelle”, explique Robert Wennekes,qui dirige l’International Butler Academy auxPays-Bas et préside l’Association internationaledes majordomes professionnels. Début avril, ilest rentré de Chine avec les dernières recruesqui s’étaient inscrites à sa formation, qui duredeux mois et coûte 14 000 euros. Ce mois demai, il ouvre une succursale à Shenzhen [villeà la frontière avec Hong Kong] et, d’ici à la finde l’année, il prévoit d’ouvrir une école pourformer des majordomes chinois sur place. Ce sera le premier établissement de ce genreen République populaire.

Les bonnes manières“Le premier jour de la formation, je me présenteaux étudiants de manière solennelle, en tenue,raconte Robert Wennekes. Le lendemain, je lessurprends en arrivant en classe habillé d’une robede chambre enfilée à la va-vite, d’une humeur exé-crable. Ceux qui ne tiquent pas obtiennent en géné-ral leur diplôme avec d’excellentes notes. Ils ont toutcompris, ils sont capables de gérer sans problème lecomportement changeant et imprévisible de leursemployeurs. Ceux qui ont l’air surpris ne sont pasau bout de leurs peines, et nos formateurs non plus.”

“Il y a quelque temps, je suis descendu à l’hôtelSt Regis à Pékin et il y avait trois majordomes pours’occuper de ma suite, poursuit Robert Wennekes.Un soir, je suis rentré tard et j’ai demandé à l’und’entre eux de me préparer un club sandwich avecdes frites. Il m’a dit qu’il n’était pas autorisé àrépondre à ce genre de demande. Apparemment, ily avait des règles en matière de division du travail,et seul le personnel d’entretien, auquel j’ai dû faireappel, pouvait satisfaire cette demande. C’était aussiune question de pourboire. Avoir trois majordomesuniquement habilités à me servir du thé ? J’ai trouvéça ridicule. Le lendemain matin, je suis allé voir la

direction pour leur dire qu’il fallait remédier à cetteorganisation insatisfaisante. Ils m’ont écouté et jeme suis rendu compte qu’il y avait un créneau.”

Robert Wennekes n’est pas le premier, biensûr, à se plaindre de la qualité du service enChine, qui oscille entre l’excès d’attention et lanégligence coupable. “Je veux introduire la notionde service en Chine. Les Chinois n’attachent pasbeaucoup d’importance aux bonnes manières. Cequi les intéresse le plus, c’est la nourriture. Or lecontenu de l’assiette n’est pas tout. Avoir un per-sonnel souriant et pas des serveurs qui font la gueule,c’est important. Des toilettes propres et l’attentionportée aux détails aussi. Je n’ai pas l’intention deformer des laquais, je veux former des hommes etdes femmes capables de gérer une propriété pour deriches clients chinois”, conclut-il.

Parmi les anciens élèves de Robert Wennekesfigurent une femme majordome et son équipe,qui dirigent désormais un complexe de146  appartements de standing à Chengdu, dans la province du Sichuan.

“Je vais passer de plus en plus de temps en Chine,ce qui me plaît beaucoup. Il y a beaucoup à faire ici.Les employeurs ont besoin de personnes à qui ilspeuvent confier leur famille, leurs enfants : 99,9 %des chauffeurs au service de Chinois fortunésseraient congédiés sur-le-champ s’ils travaillaientdans un pays occidental”, explique-t-il.

“Un majordome m’a demandé ce qu’il devaitfaire après avoir surpris la maîtresse de maison,une célébrité, en pleins ébats dans la cuisine avecson amant”, me raconte Robert Wennekes, dansun nuage de fumée bleue. Je le prie de raconterla suite. “La maîtresse de maison a proposé aumajordome de se joindre à eux…”, ajoute-t-il, avantde faire une pause qui m’a semblé durer uneéternité, pour contempler le bout incandescentde sa cigarette.

Alors ? “Non, il ne s’est pas joint à eux. Je luiai conseillé d’oublier cet incident, de n’en parler àpersonne et d’user de discernement pour décider s’ilvoulait continuer de travailler dans cette maison.”Peter Simpson

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A la une

“A votre service : la demande chinoise de majordomeseuropéens dépassel’offre”. PostMagazine, lesupplément du week-end du quotidienSouth ChinaMorning Postde Hong Kong, faisaitsa une à la mi-avril sur un phénomène qui fait fureur chez lesmillionnaires chinois.En 2010, ils étaient 500 000 à posséder unpatrimoine supérieur à 10 millions de yuans(1,18 million d’euros),selon le Rapport 2011sur le patrimoine desChinois de la ChinaMerchant Bank et du groupe Hurun.Les fortunes africainessont elles aussifriandes de ce savoir-faire européen : le président du Gabon,Ali Bongo, vient de demander à uneagence de Glasgow de lui trouver unmajordome écossais,rapporte le quotidienThe Scottish Sun. Il offre un salaireannuel de 50 000 euros,exonéré d’impôts et tous frais payés.

Dresser le couvertLes élèves majordomes apprennent à organiser la table.

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Ecrire un e-mail en tapant sur des pâtesalphabet, faire de la musique avec desbananes ou jouer à Pac-Man avec un joys-tick dessiné au crayon  ? Tout cela estdésormais possible grâce à MaKey MaKey,un simple circuit imprimé qui transformepratiquement n’importe quel objet entouche de clavier d’ordinateur. “Ça marcheavec n’importe quoi d’un tant soit peu conduc-teur”, explique Eric Rosenbaum, cher-cheur au Massachusetts Institute ofTechnology (MIT). Dans sa forme la plussimple, le MaKey MaKey se branche survotre ordinateur avec une clé USB et vouspermet de réaffecter aux objets de votrechoix le contrôle de la flèche, de la barred’espace et du clic gauche de la souris.Pour transformer ces objets en touchesde clavier, il suffit de les relier au circuitimprimé avec un câble équipé de pincesélectroniques. On touche l’objet avec unautre câble relié au MaKey MaKey, ce quiferme le circuit et déclenche la touche“appuyer”. Il n’est pas nécessaire d’ins-taller de logiciel et les utilisateurs les plusavancés pourront réattribuer d’autrestouches et des mouvements de souris. EricRosenbaum et son collègue Jay Silverespèrent que leur système encourageratout un chacun à devenir plus créatif. New Scientist, Londres

Vous cherchez une formation rapide etqualifiante avec un emploi grassementpayé à la clé ? Suivez des cours deprostitution. L’Académie du plaisir, à Valence, est dans le collimateur de la justice espagnole : cette “école”proposait au grand jour une “formationprofessionnelle” au plus vieux métier du monde. Au programme : coursthéoriques et pratiques – histoire et

législation de la prostitution, positionsdu Kama-sutra, utilisation des sextoys, etc. L’établissementpromettait un travail “tout desuite” – une denrée rare dansune Espagne où un jeune demoins de 25 ans sur deuxest au chômage.L’Académie ciblaitd’ailleurs sonpublic endistribuantses tracts auxabords de l’université.Apprendre à vendreson corps pour sortir de la crise ? Les temps sontdurs au pays des Indignés. El Mundo, Madrid

Insolites

Transformez vosbananes en clavier

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A lui tout seul, Jadav Payeng a faitpousser une vaste forêt sur un banc desable de 550 hectares situé au milieu dufleuve Brahmapoutre. Le site comptedésormais plusieurs animaux dontl’espèce est en voie de disparition, dontau moins cinq tigres. Une femelle a eu deux petits récemment. L’endroitse situe à Jorhat, à 350 kilomètres deroute de Guwahati, et il n’est pas faciled’accès. Il faut quitter la voie principaleet prendre une petite route sur unetrentaine de kilomètres pour arriver aufleuve. Là, avec de la chance, on trouvedes bateliers pour passer sur la rivenord. Après 7 kilomètres de marche, onarrive près de chez Payeng. Les gens ducoin appellent cet endroit Molai Kathoni(“le bois de Molai” – d’après le surnomde Payeng). Tout a commencé en 1979. Des crues avaient rejeté un grandnombre de serpents sur le banc desable. Après le retrait des eaux, Payeng,qui n’avait que 16 ans, trouva le sitecouvert de reptiles morts. Ce fut letournant de sa vie. “Les serpents étaientmorts de chaleur, il n’y avait pasd’arbres pour les protéger. Je me suis

assis et j’ai pleuré sur leurs corps sansvie. C’était un carnage. J’ai alerté

le ministère des Forêts et leur ai demandé s’ils pouvaient

planter des arbres. Ils m’ontrépondu que rien ne

pousserait ici et m’ontdit d’essayer de

planter desbambous.

C’était durmais je

l’ai fait. Il n’y avait personne pour m’aider”,raconte Payeng, qui a désormais 47 ans.Le jeune homme quitta ses études et son foyer, et se mit à vivre sur le banc de sable. Contrairement à RobinsonCrusoé, il accepta volontiers cette vied’isolement. Et non, il n’avait pas deVendredi. Il arrosait les plants matin et soir et les taillait. Au bout de quelquesannées, le banc de sable est devenu un bois de bambou. “J’ai alors décidé de faire pousser de vrais arbres. J’en ai ramassé et je les ai plantés. J’ai aussi rapporté des fourmis rougesde mon village : les fourmis rougeschangent les propriétés du sol. J’ai étépiqué plusieurs fois”, raconte Payeng enriant. Bientôt, toute une série de fleurset d’animaux s’épanouirent sur le bancde sable, y compris des animauxmenacés, comme le rhinocéros à unecorne et le tigre royal du Bengale. “Aubout de douze ans, on a vu des vautours.Les oiseaux migrateurs ont commencéà arriver en masse. Les daims et le bétailont attiré les prédateurs”, déclarePayeng, qui s’exprime comme unécologiste chevronné. “La nature a crééune chaîne alimentaire : pourquoi est-ce qu’on ne s’y tient pas ? Qui protégeraces animaux si nous, les êtres supérieurs,nous nous mettons à les chasser ?”Le ministère des Forêts de l’Assam n’a entendu parler de la forêt de Payengqu’en 2008, lorsqu’un troupeau d’unecentaine d’éléphants sauvages s’y estréfugié après avoir ravagé les villagesvoisins. Ils ont aussi détruit la cabane de Payeng. C’est là que Gunin Saikia,conservateur assistant des forêts, arencontré Payeng pour la première fois.“Nous avons été surpris de trouver uneforêt aussi dense sur le banc de sable.Les gens du coin dont la maison avait

été détruite par les pachydermesvoulaient abattre ce bois, mais

Payeng leur a dit qu’il faudrait le tuer d’abord. Il traite les

arbres et les animaux comme sic’étaient ses enfants. Quand on a vu

ça, on a décidé de contribuer au projet,raconte-t-il. Payeng est incroyable. Ça fait trente ans qu’il est là-dessus.Dans n’importe quel autre pays, il seraitun héros.” Manimugdha S. SharmaThe Times of India (extraits)

Inde : l’homme qui a planté une forêt de ses mains

Le sexe ne connaît pas la crise

Criminels, a

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empreintes… auriculaires

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