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Nicolas Bouchaud : "Notre sociétéest malade"LE MONDE | 22.11.2013 à 10h53 • Mis à jour le 22.11.2013 à 11h09 |

Propos recueillis par Fabienne Darge

C'est l'un des acteurs les plus flamboyants du théâtre français, mais

Nicolas Bouchaud, à 47 ans, ne se contente pas de jouer les grands rôles

du répertoire (Danton, Galilée, le Roi Lear, Alceste) dans la troupe de

Jean-François Sivadier. Il aime, depuis quelques années, créer avec le

metteur en scène Eric Didry des spectacles en solo qui font mouche.

 Après La Loi du marcheur, formidable portrait du critique de cinéma

Serge Daney, qui a tourné pendant deux ans en France et dans le monde,

le duo récidive avec une autre figure forte et singulière : le docteur John

Sassall, médecin de campagne dans l'Angleterre des années 1960, et héros

d'un remarquable livre de John Berger, Un métier idéal . Entretien avec le

« docteur » Bouchaud qui, au printemps 2014, jouera aussi dans le

spectacle de notre collaborateur Nicolas Truong, Projet Luciole.

Lire : la critique (/culture/article/2013/11/22/mettre- des-mots-sur-les-maux-

du-corps_3518548_3246.html) de la pièce

Le comédien Nicolas Bouchaud. | JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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 Après le spectacle sur Serge Daney, pourquoi avoir choisi de

mettre en avant cette figure de médecin de campagne, à travers

le livre de John Berger ? Y a-t-il un lien entre les deux «

personnages » ?

Les liens sont nombreux. Ce qui m'a immédiatement séduit, chez Daney 

comme chez Sassall, c'est la manière qu'ils ont d'exercer leur métier, à la

fois très passionnée et anticonformiste. Ce sont des gens qui sont capablesde faire un pas de côté, en fonction d'un idéal.

Cet idéal est-il commun aux deux hommes ?

Il est très proche, contrairement aux apparences. John Sassall choisit de

travailler pour le Service national de santé, fondé en Angleterre en 1948, et

de partir dans le coin le plus reculé du pays, alors qu'il aurait pu faire une

carrière plus prestigieuse socialement. Il y a chez lui, comme chez Daney,

une haute idée de la notion de service public, qu'il s'agisse de la culture oude la santé.

De façon plus indirecte que Sassall, Daney est quand même issu, par le

 biais du grand critique des Cahiers du cinéma, André Bazin, de cette

mouvance de l'après-guerre qui partirait du programme du Conseil

national de la Résistance : on était alors dans un moment de l'Histoire où

l'Autre était une notion qui avait un sens. Je crois qu'on n'est plus dans ce

moment-là. Je suis assez effaré, par exemple, du temps qu'il a fallu à la

classe politique pour réagir enfin aux propos racistes tenus à l'encontre dela ministre Christiane Taubira…

On a pu voir la résurgence de cette figure du médecin,

récemment, dans « Perturbation », le spectacle de Krystian

Lupa d'après Thomas Bernhard, et dans « Tirez la langue,

mademoiselle », le beau film d'Axelle Ropert. Comment

l'expliquez-vous ? La société est-elle malade ?

Oui, ce que cela nous dit, c'est qu'on est perdu, qu'on n'a plus d'outils,qu'on a besoin de retrouver un rapport à l'autre qui soit un peu possible…

Que la société soit malade, ce qui s'est passé avec Christiane Taubira en

est le symptôme. Ce ne sont pas tant les propos racistes en eux-mêmes –

les racistes ont toujours existé. C'est l'absence de réactions qui est

symptomatique d'une faillite, d'une défaite de la pensée, du savoir

historique.

Et du coup le médecin… ?

Ces figures de médecin, dans les livres de Bernhard et de Berger, ou dans

le film de Ropert – ce ne sont pas n'importe quels médecins –, offrent une

exemplarité. Ce sont des gens qui prennent du temps pour écouter, qui ne

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sont pas dans le « présentisme » qu'on a tant dénoncé sous Nicolas

Sarkozy, mais qui continue, en fait.

Ce qui manque, aujourd'hui, et ce qui fait du bien quand on le retrouve,

c'est d'être face à des gens capables de s'extraire de la folie du temps

quotidien, et de dire : « Je vous écoute, allez-y, on parle. » C'est quelque

chose de très simple, mais de fondamental, et que la majorité des gens ont

l'impression de perdre en ce moment.

C'est lié à la façon dont le docteur Sassall exerce la médecine, en

rupture avec la mécanisation actuelle, dont John Berger montre

qu'elle était déjà fortement en cours dans les années 1960…

Ce qui est passionnant, dans le livre, c'est le parcours de Sassall. Au début,

c'est une sorte d'aventurier, que John Berger montre comme un héros de

Joseph Conrad. Ce qu'il veut, c'est sauver des vies, intervenir dans les cas

d'urgence. Puis Sassall change. Le déclic se fait chez lui le jour où il vasoigner un couple âgé qui vit dans la forêt, et où il découvre que la femme

est en fait un homme.

Ce jour-là, sans doute, il comprend l'insondable humain qu'exprime la

maladie, et qu'il lui faut changer radicalement sa manière de travailler. Il

 va devoir prendre chaque patient dans la globalité de sa vie. Et ce qui

l'intéresse, à partir de ce moment, ce sont les cas où les explications

habituelles ne s'appliquent pas.

Pourtant le docteur Sassall est un modeste médecin de

campagne, en contact avec toute la population, pas un psy. Il n'y 

a aucun jargon psychanalytique dans « Un métier idéal », tous

les « cas » sont abordés d'un pur point de vue humain, ce qui

rend le livre beaucoup plus universel...

Le docteur Sassall se transforme en une sorte d'« ethno-médecin », qui

considère que ce travail de « reconnaissance » de l'autre – le patient –

devrait être au cœur de toute démarche médicale. C'est sans doute le sensde cette phrase un peu mystérieuse qu'il prononce dans le livre : « Dans

une société un peu plus avancée que la nôtre, le médecin ne devrait pas

être considéré comme un artiste, mais comme un scientifique. »

Ce qu'il veut dire par là, c'est que ce processus d'imagination que doit

mener le médecin pour se mettre à la place du patient, de sa souffrance,

devrait être considéré comme faisant partie intégrante du métier, et pas

comme l'art particulier d'un médecin original.

 Y a-t-il pour vous quelque chose qui rejoint le théâtre, dans

cette démarche ?

Oui, bien sûr, de même qu'il est évident que la démarche de Sassall

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interroge celle de John Berger dans sa pratique d'écrivain. Pour le théâtre,

on peut établir de nombreux parallèles poétiques entre le patient et le

médecin, d'une part, et l'acteur, d'autre part. Au départ, l'acteur est le

malade : la plupart des grands rôles du répertoire sont des personnages de

fous. On joue des cas, quand même, on endosse leur folie, et ce n'est pas

anodin.

Il faut, pour pouvoir « se mettre dans la peau » de ces grands malades,mener un travail d'imagination qui ressemble à celui dont parle le docteur

Sassall. Et en endossant le manteau de la souffrance ou de la folie, en

s'approchant de cas comme le Roi Lear ou Richard III, on devient le

médecin, celui qui, en « reconnaissant » la souffrance, peut agir dessus…

Le théâtre soigne ?

Il y a quelque chose de cet ordre, oui. Mais, comme le docteur Sassall, le

théâtre agit de manière indirecte. Cette notion d'indirect est trèsimportante, c'est vraiment le sens de la « reconnaissance » ou de la «

recognition » selon Sassall. Et c'est ce qu'a magnifiquement traduit John

Berger : ses descriptions des « cas » de Sassall sont d'un tact infini.

Ce livre, c'est l'anti-esbroufe : une démarche très attentive, progressive, qui

entre petit à petit dans le cœur des choses. Alors oui, le théâtre peut faire

du bien. Je m'en rends compte, moi qui suis un « acteur de campagne »,

qui tourne beaucoup : c'est fou, la reconnaissance que peuvent renvoyer

les spectateurs.

Fabienne Darge