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24 e CONGRÈS DU GRAAP CASINO DE MONTBENON - LAUSANNE Mardi 28 et mercredi 29 mai 2013 Actes

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24e CONGRÈS DU GRAAPCASINO DE MONTBENON - LAUSANNE

Mardi 28 et mercredi 29 mai 2013

Actes

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Remerciements

C’est avec reconnaissance et gratitude que nous adressons ici nos remerciements aux membres du Conseil scientifique de ce congrès, ainsi qu’au Comité d’organisation.

Conseil scientifique

• Judith Bovay - Professeure HES en travail social, EESP, Lausanne

• Nadia Gaillet-Minkov - Médiatrice cantonale, Bureau cantonal médiation Santé-Handicap, Vaud

• Jean-Michel Kaision - Directeur des soins au Département de psychiatrie du CHUV

• Yasser Khazaal - Médecin-psychiatre aux HUG, président de la SSPS

• Denis Müller - Professeur d’éthique, Universités de Lausanne et de Genève

• Colette Pauchard - Professeure de droit, EESP, Lausanne

• Mélanie Peter - Professeure en travail social, Haute Ecole de travail social

du Valais

• Dominique Quiroga-Schmider - Ancienne professeure, travail social, HES-SO, Genève

• Frédéric Vuissoz - Chef de l’Office des curatelles et tutelles professionnelles (OCTP),Vaud

Comité d’organisation

• Marianne Bornicchia - Avocate, ancienne tutrice générale du canton de Vaud

• Richard Joray - Directeur du Département de l’action sociale, Graap-Fondation

• Isabelle Montavon - Secrétaire congrès, Graap-Fondation

• Madeleine Pont - Présidente du Graap-Association

• Barbara Zbinden - Coordinatrice de la Coraasp

• Jean-Pierre Zbinden - Directeur général du Graap-Fondation

Les textes de cette brochure ont fait l’objet d’une transcription sur la base des enregistrements réalisés lors des deux journées de notre congrès ou nous ont été aimablement communiqués par les intervenants. Les versions les plus longues

sont publiées ici sous forme résumée.

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SommairePremière journée

Allocution de bienvenuePierre Chiffelle 2

Adapter la mesure de protection en fonction des besoins réelsde la personne: un défi réaliste? Béatrice Métraux 4

Quel esprit animait les porteursdu projet de la nouvelle législation?Noëlle Chatagny 9

Le critère du discernement, un élément clé du nouveau droitMartin StettlerDr Philippe DelacrausazClaire-Anne KünzlerColette Pauchard 20

Présentation de la «Charte des proches»(suite du Congrès 2011)Madeleine PontFabrice Ghelfi 31

Ateliers citoyens 2013Synthèse généraleBarbara Zbinden 36

La curatelle: une mesure sécuritaire ou solidaire?Wanda Suter 43

Tour d’horizon romand des mises en œuvre de la nouvelle législationAsuman Kardes 49

Quoi de neuf dans la relation avec le curateur?Frédéric Vuissoz 63

Atelier citoyen — VaudCuratelles 70

Travail social sous contrainte:Une relation d’équivalence est-elle possible?Guy Hardy 76

Deuxième journée

De nouveaux rôles pour les proches!Estelle de Luze 85

Atelier citoyen — GenèveProches 99

Professionnels de la santé: Quels enjeux, quels partenariats?Dr Philippe Rey-Bellet 103

Atelier citoyen — FribourgDispositions anticipées 110

Atelier citoyen — ValaisPAFA / PLAFA 114

Atelier citoyen — NeuchâtelContention, attachement 119

Atelier citoyen — JuraTraitements forcés 122

Droit de la personne en institution: Comment assouplir le cadre sans le perdre de vue?Anouchka Roman 125

À nouveau droit,nouveaurôle du travail social?

Judith Bovay 133

Un regard citoyen sur ces deux journéesJean-Marc Denervaud 142

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C ’est un réel plaisir de vous accueillirà l’occasion de ce 24e Congrès du Graap. Jusqu’à présent, il

appartenait à Mme Nelly Perey, présidentedu Graap-Association, d’ouvrir le congrès.Comme vous le savez probablement, c’estdésormais sous la forme juridique de lafondation que sont gérées les prestationsdu Graap.

Ayant personnellement à cœur l’intégra-tion et la défense des droits de ceuxauxquels la société ne donne pas toujourséquitablement la chance ni le rôle qu’ilsméritent, c’est avec conviction que j’aiaccepté d’assumer le rôle de président duConseil de fondation du Graap.

Si des changements de statut ont eu lieu,je vous rassure, l’association Graap subsiste activement. Elle centre son actionsur la défense des droits de tous ceux quisont susceptibles de bénéficier de nos services et garde toujours vivant l’espritd’entraide qu’elle a si bien incarné depuisses débuts. Je tiens aussi à préciser que la

collaboration entre l’association et la fondation fonctionne de manière aussiétroite qu’harmonieuse, ce dont nous nepouvons que nous en féliciter.

Je saisis ici l’occasion de saluer tout particulièrement la nouvelle présidente duGraap-Association, Mme  Madeleine Pont,qui a contribué activement à l’organisationde ce congrès. Je la remercie chaleureuse-ment, ainsi que Mme Nelly Perey, pour leurengagement et tout le travail accompli,respectivement en tant que directrice duGraap et présidente. À ce titre, elles fontaujourd’hui tout naturellement partie denotre Conseil de fondation.

De tout temps, le Graap a cherché à répondre aux besoins concrets et aux préoccupations pratiques et quotidiennesdes patients psychiques. C’est dans cetesprit que lors du Congrès  2012, leurs proches étaient au centre de nos préoccu-pations. Grâce à la collaboration de laCoraasp (Coordination romande des asso-ciations de patients psychiques), ce

Allocution de bienvenue

Pierre Chiffelle

Président du Conseil de fondation, Graap-Fondation

Première JoUrNée

Protection de l’adulte entre sécurité et liberté: quelle société voulons-nous?Actes du Congrès du Graap 2013

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de ce congrès. Mais nous chercherons avant tout à trouver dans cette matière les fondements permettant de mener uneréflexion sur le fonctionnement de notresociété et sur la vision que nous avons dutravail social et de l’insistance qui doitêtre assurée en pareil cas. Ce congrès vousproposera ainsi une pluralité d’éclairagesdans la perspective de placer cette nou-velle législation dans un contexte sociétalet d’esquisser ses incidences dans ledomaine des soins ou de l’action sociale.

Il s’agit donc essentiellement d’analyser les aspects concrets de cette nouvelle législation pour les personnes concernées, leurs proches et les acteurs sociaux sanitaires impliqués. C’est pourquoi lesateliers citoyens évoqueront aussi bien lesopportunités qui paraissent s’ouvrir que lesinquiétudes qui se font jour à ce sujet.

Je remercie très chaleureusement lesintervenants qui ont accepté de nous fairepartager leurs connaissances, leurs espé-rances et leur perception du thème quinous occupera lors de ce Congrès.

Notre gratitude va également aux trèsnombreuses personnes qui ont participé à la gestation de la thématique abordéedurant ces deux jours. Un merci tout particulier à la Coraasp et à ses membres,qui ont assuré l’animation des ateliers,ainsi qu’aux juristes qui les ont épaulés.

J’accueille aussi avec reconnaissance le vind’honneur offert par l’Etat de Vaud et laVille de Lausanne pour l’apéritif de clôturede ce congrès.

congrès avait alors innové en organisantdes ateliers préparatoires dans tous lescantons romands. De leurs travaux est néeune Charte romande des proches, adoptéepar les 23  associations membres de laCoraasp et qui sera remise aujourd’huimême aux autorités cantonales vaudoises.

Ainsi, fort de cette expérience, notrecongrès bénéficiera pour la seconde fois de l’apport d’ateliers citoyens venus de chaque canton romand. Je tiens àremercier ici tous les participants et lesorganisations qui ont travaillé depuisfin 2012 sur le thème qui va nous occuperces deux prochains jours.

Le nouveau droit de la protection de l’adulte, dont il sera donc largement question ici, interpelle directement le quo-tidien de toutes les personnes au bénéficedesquelles l’autorité a institué des mesuresde curatelle. Il représente aussi virtuelle-ment une expérience à laquelle chacunpeut être confronté. Nul ne sait en effet siun jour la maladie, l’âge ou les secoussesde l’existence ne nous propulseront pasdans une situation où nous perdrions, demanière temporaire ou durable, notrecapacité de discernement. C’est dire l’importance de réglementer de façon à lafois efficace et humaine toute prise dedécision pour autrui par autrui. La nouvellelégislation fédérale tend ainsi à introduireune diversification des mesures propres à fournir une protection adaptée, tout envoulant favoriser les capacités d’autodé-termination de la personne concernée.

Certains aspects juridiques de cetteproblématique seront traités dans le cadre

Protection de l’adulte entre sécurité et liberté: quelle société voulons-nous?Actes du Congrès du Graap 2013

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Je suis heureuse d’être ici parmi vous pour aborder la question très importante et très actuelle des

tutelles et des curatelles. Le Départementde l’Intérieur du canton de Vaud y travailleen ce moment et sa mise en place comportebien des difficultés que j’évoquerai avecvous.

En préambule, je tiens à remercierColette Pauchard, dont l’excellent articlesur la révision du droit de la protection desadultes, paru dans le numéro de septem-bre-octobre de la revue Actualité sociale,m’a aidé à préparer cette présentation.

Une société qui évolue

Pour rappel, le droit de la tutelle remonteà l’entrée en vigueur du Code civil suissede 1912. La seule modification qu’il aitsubie jusqu’à aujourd’hui a trait auxdispositions sur la privation de liberté àdes fins d’assistance. C’est dire si ce droit

devait être revu; ce d’autant que la société a beaucoup évolué au cours du 20e siècle, et plus particulièrementdepuis les années 1950, au lendemain dela Seconde Guerre mondiale.

Les liens sociaux se sont distendus et ontsubi des transformations. Les familles sontsouvent moins soudées, les contacts avecles voisins sont plus rares. Parallèlement,depuis mai 1968, on constate une montéede l’individualisme et un affaiblissementde l’autorité. La société est moins hiérarchisée, la liberté mise en avant.

À noter le progressif développement de l’Etat social qui, en Suisse, s’est principalement construit à partir desannées 1950, avec la constitution de diverstypes d’assurances (maladie, perte degain, chômage, maternité, etc.) 

Comme partout en Europe, nous assistonsnous aussi à un vieillissement de la population, avec une espérance de vie qui

Adapter la mesure de protection en fonctiondes besoins réelsde la personne: un défi réaliste?

Béatrice métraux Conseillère d’Etat (VD),Cheffe du Département de l’Intérieur du canton de Vaud

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est passée de 65 à 82 ans sur la période de1950 à 2012. Sur la même période, la partdes personnes de plus de 60 ans a doubléet représente aujourd’hui 23  % de la population.

Un modèle à revoir

Face aux changements profonds qui ontbouleversé notre société, le droit de latutelle de 1912 n’était plus adapté.

En 1996, le Conseil fédéral a chargé des experts de préparer un premier avant-projet de réforme, livré en 1998.Depuis là, il a été discuté, remanié, remisen consultation et le nouveau projet quien est sorti a été élaboré en 2006.

Sans grand changement, les chambres l’adopteront en 2008. Le projet prévoitune révision totale des articles 360 à 456.Son entrée en vigueur a eu lieu finalementle 1er janvier  2013, soit plus de 15  ansaprès l’avant-projet de 1996. Il sera pleinement applicable le 1er janvier 2016,date à laquelle toutes les anciennes mesu-res devront avoir été transformées. Nousdisposons donc d’un peu de temps pournous adapter.

Vers un nouveauparadigme

L’esprit du nouveau droit témoigne d’unchangement réel, d’une vraie évolution.C’est désormais la personne concernée parla mesure qui est au centre des préoccu-pations. L’objectif fixé est que chacun

puisse garder la plus grande autonomie et liberté personnelle possible. Le droit àl’autodétermination a ainsi été clairementinscrit dans la loi.

Une nouvelle terminologie a été appliquée, qui écarte toute expressionjugée «étiquetante» ou stigmatisante, cequi est réjouissant. On ne parle ainsi plusde «tutelle», mais de «curatelle», plus de«pupille», mais de «personne concernée».La «maladie mentale» et la «faiblessed’esprit» sont converties en «troubles psychiques» ou en «déficience mentale».

Codex – 2010 PAE

Une page s’est tournée et laisse place àune réelle prise en considération de lapersonne dans les termes utilisés et dansla possibilité de prévoir et de choisir poursoi. Mais, pour cela, le développement detout un arsenal juridique pour encadrerchaque décision a été nécessaire.

L’ambitieux programme de réforme judiciaire Codex 2010 du canton de Vauds’est terminé au 1er janvier  2013, avecl’entrée en vigueur de la Loi sur la protection de l’adulte et de l’enfant(LPAE). Pour en arriver là, de nombreusesétapes ont été nécessaires.

Parallèlement aux modifications législati-ves, adoptées par le Grand Conseil le29 mai 2012, deux comités de pilotage ontconjugué dès 2010 tous leurs efforts pourla mise en œuvre de ce chantier trèsimportant, avec à la clé plus de 30 séancesde travail.

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Par ailleurs, plus de 100 personnes ont étémobilisées et plus de 15 groupes de travailconstitués dans les services de l’Etat:Ordre judiciaire, Office du tuteur général(OTG) — désormais Office des curatelles ettutelles professionnelles (OCTP) —, Servicede protection de la jeunesse (SPJ), Servicede la santé publique (SSP), Service desassurances sociales et de l’hébergement(SASH), Service de la prévoyance et aidessociales (SPAS).

À l’instar du canton de Vaud, chaque canton suisse s’est préparé et organisépour mettre en œuvre le nouveau droit dela protection de l’adulte.

Quelles actions?

Cette révision touche un large public:outre les 11’000 personnes concernées etles quelque 4’300  curateurs privés, ontrouve bien sûr les avocats, les notaires,les médecins, les banquiers, les personnelsdes EMS, la police, le contrôle des habi-tants. La direction du projet Codex 2010s’est mobilisée pour que l’ensemble desacteurs se prépare. C’est Philippe Leuba,mon prédécesseur au Département de l’Intérieur, qui a mené cette vasteréforme.

Il s’agissait aussi de former les acteursopérationnels internes et externes, à savoir: les magistrats, les greffiers, le corps médical, les gestionnaires, les assistants sociaux, les curateurs, lespsychiatres, etc. En comptant l’ensembledes services de l’Etat concernés cumuléaux personnes touchées par cette réformeLPAE, plus de 1’000 journées de formation

ont été dispensées, notamment par laconférence des cantons en matière de protection des mineurs et l’École d’étudessociales et pédagogiques (EESP).

À relever aussi que plus de 16  soirées d’information ont été organisées pourinformer les curateurs privés, en collabo-ration avec l’OCTP, le Tribunal cantonal etl’EESP.

En termes de locaux, des travaux ont dûêtre entrepris. Ceux de l’autorité de protection ont été adaptés ou le seront prochainement. L’OCTP de larue  de  Mornex  32 va également subir des transformations, notamment pouraméliorer l’accueil.

Comme vous le constatez, c’est donc unimmense travail de formation, d’informa-tion et d’adaptation des infrastructuresqui a été mis en œuvre par le canton deVaud. Tout n’est pas terminé, mais nous ferons au mieux, avec les mo-yens nécessaires, pour que ces réformes aboutissent.

Quelles adaptations?

Compte tenu de la charge de travail supplémentaire engendré par le nouveaudroit, les effectifs en personnel de nombreux services ont dû être renforcés.

De nombreuses autres adaptations ont étéfaites. On relèvera d’abord que les justices de paix sont devenues les «autorités de protection». De plus, lareprise de l’article 97 de la Loi vaudoise

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d’introduction au Code civil (LVCC) sur laréforme des cas lourds du Conseil d’Etatdans l’article  40 de la Loi vaudoise d’application de la réforme du droit de laprotection de l’adulte et de l’enfant(LVPAE) attribue désormais les situationsnécessitant une prise en charge profes-sionnelle à l’OCTP. À noter que cettedernière remplace l’Office du tuteur géné-ral (OTG) dont la création remontait à1946. Le nouveau droit met ainsi un termeà l’institution du tuteur général par l’obli-gation de la désignation «ad personam»des curateurs. Si d’un point de vue légal,le tuteur général était alors le seul tuteurdésigné, il déléguait dans les faits la gestion des mandats aux assistants desoffices tout en gardant en personne laresponsabilité de l’ensemble des mandats.Leur nombre dépassait les 2’000 à la fin del’année 2012.

Autre adaptation: le nouveau code civil introduit des règles améliorant la protection juridique en matière de place-ment à des fins d’assistance. Seulsl’autorité de protection et les médecinsont la compétence de prononcer cesmesures. Le signalement d’un mineur en danger dans son développement s’effectue, quant à lui, simultanément àl’autorité de protection et au Service deprotection de la jeunesse.

Pour faciliter l’information des acteursinternes et externes, notamment du faitdes «mesures sur mesure» et de la dispa-rition de la publication de la restriction del’exercice des droits civils dans la Feuilledes avis officiels, un registre des mesuresde protection centralisée est en cours

d’élaboration et devrait voir le jour en2014. Dans l’intervalle, un fichier centraldes tutelles a été adapté afin de couvrirpartiellement les besoins en matière d’information des ayants droit.

Pour celles et ceux résidant dans un EMSou une institution, le nouveau Code civilaccorde plus de protection aux personnesincapables de discernement. Il instaure uncontrat d’assistance entre l’institution etle représentant de la personne protégée.L’assistance apportée à la personne doitfaire l’objet d’un contrat écrit de la partde l’établissement afin de garantir latransparence des prestations fournies. Ilintroduit aussi des mesures limitant laliberté de mouvement. La personne ou unproche peuvent en tout temps faire appelauprès du juge de paix contre une mesurede ce type.

On le constate, la protection de la person-nalité se voit renforcée et l’établissementchargé de protéger la personne incapablede discernement en favorisant ses relations à l’extérieur.

Est-ce facilement applicable?

Depuis le 1er janvier 2013, 11’000 mesurestutélaires en cours dans le canton de Vaudsont revues selon le nouveau droit. Vousimaginez sans doute quel impact celapeut avoir sur notre service. Le délai aété fixé à 3 ans, faute de quoi les mesuresdeviendront caduques. Si certaines d’entre elles ont pu être basculées de parla loi — les tutelles sont par exemple

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8 Protection de l’adulte entre sécurité et liberté: quelle société voulons-nous?Actes du Congrès du Graap 2013

automatiquement transformées en curatelles de portée générale —, de nom-breuses mesures devront faire l’objetd’un examen individuel de la part de l’autorité de protection.

Les pratiques devront progressivement s’a-dapter au nouveau droit de la protectionde l’adulte et de l’enfant, ce qui a aussides conséquences importantes sur lesautorités de protection.

Ce nouveau droit implique aussi un nouveau type de relation entre le curateuret la personne concernée. En effet, l’article  406 précise que le curateur sauvegarde les intérêts de la personneconcernée, tient compte dans la mesuredu possible de son avis et respecte savolonté d’organiser son existence commeelle l’entend. Le curateur s’emploie à établir cette relation de confiance.

Ces principes correspondent à ceux quisous-tendent l’aide sociale professionnellemoderne, mise en œuvre par les curateurset curatrices professionnels, qui sont très souvent confrontés à des dilemmeséthiques, entre respect de la liberté individuelle et nécessité de protéger lespersonnes concernées dans l’exercice quotidien de leur mandat.

Est-ce un défi réaliste?

Au vu de ce qui précède, on peut répondrepar l’affirmative, en tout cas pour ce quiest du cadre légal. La révision du droit dela tutelle a offert des instruments pourmettre en place de véritables mesures sur-

mesure, qui tiennent compte des intérêtsde la personne. Pour reprendre uneexpression de Mme  Colette  Pauchard,«l’ancien droit offrait du prêt-à-porter, lenouveau droit offre de la couture surmesure».

Dans le canton de Vaud, et c’est probable-ment la même chose dans les autrescantons, nous n’avons encore pas le reculnécessaire pour pouvoir dire si tout cela vamarcher concrètement. Mais avec lesmoyens mis en œuvre et notre volonté,tout porte à croire que ce sera le cas. Ils’agira là d’un immense progrès. Mais il nous appartient — je le répète — de nous donner les moyens d’en assurer laconcrétisation et de faire en sorte que lespersonnes concernées bénéficient d’uneprise en charge concrète, intelligente etcorrecte.

Au cours des premiers mois de 2013, desajustements nécessaires ont été faits et se poursuivront au fur et à mesure des expériences, des situations positivesou négatives. Le défi que nous lance cet-te réforme est à mes yeux réaliste,quoiqu’exigeant. Le Conseil d’Etat se rendcompte des besoins de nos différents services. Il est aussi en contact étroit avecle Conseil national à Berne, notammentsur la question de la nécessité de réduirele très grand nombre de tuteurs privésdans notre canton. Il y a donc une collabo-ration avec les institutions du Conseilnational et du Conseil des Etats pourinstaller cette réforme au mieux dans lecanton de Vaud et avec les moyens dontnous aurons besoin.

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9Protection de l’adulte entre sécurité et liberté: quelle société voulons-nous?Actes du Congrès du Graap 2013

La présentation de cette conférencem’a contrainte à opérer une analysedans le temps de l’évolution du droit

de tutelle pour mieux comprendre lecontenu du nouveau droit de protection del’adulte et de l’enfant.

En effet, un texte législatif qui, en 100  ans, n’avait pas été remanié devait avoir certaines qualités de baseincontestables et surtout correspondre à l’état d’esprit de nos autorités et dulégislateur.

C’est par un regard critique du passé quej’arriverai à vous montrer l’évolution denotre droit et quels domaines ont fait l’objet d’un changement. La jurisprudenceet de nouvelles lois de droit civil et admi-nistratif ont eu aussi un rôle important. Il y a eu quelques révisions et complé-ments du Code civil suisse (CC) au fil dutemps.

Je vais donc vous retracer quelques pointsmarquants dans cette évolution et vousindiquer quelles ont été les influences etles prises de conscience pour l’élaborationdu nouveau droit.

I. L’esprit du législateur de 1893 à 1912

Savez-vous que l’on doit notre ancien droitde tutelle à l’ingéniosité d’un seulhomme: Eugen Bucher? (1) On lui avaitconfié la mise en place d’un projet d’unification du droit civil. En 1898, le peuple a accepté de confier la compé-tence de l’unification complète du droitcivil à la Confédération (2).

L’idée était de récolter toutes les loiscontenues dans les codes civils cantonauxet d’en faire ressortir le fil rouge qui pouvait conduire à un consensus sur leplan suisse. Le code de 1902, entré en vigueur en 1912, est donc bien uneémanation des codes cantonaux. On avaitessayé de conserver l’esprit contenu dans ces codes afin de pouvoir faire passer l’entier de ce travail titanesque aux Chambres. Aucun référendum ne fut demandé. C’est donc une idée de centralisation qui domine: uniformité de la règle de droit et égalité dans l’application.

Quel esprit animait lesporteurs du projet de lanouvelle législation ?

Noëlle ChatagnyJuriste, ancienne tutrice générale, Ville de Fribourg

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Ce travail ne se fit pas sans heurts etsueurs. On reçut malgré tout les éloges denos voisins français par le biais d’undéputé, M. Chandé, «pour la sagesse et lamodération dont les députés suisses ontfait preuve dans cette discussion ducode».

On avait eu la sagesse d’associer à la causede la loi les opposants potentiels lors del’élaboration en les invitant dans les com-missions et en les consultant.

Les points à retenir: «le CC suisse estconçu pour le peuple, pour l’homme de larue. Les dispositions doivent être claires etparlantes pour tout citoyen intelligent etprofane.» (3)

Toujours selon Pierre Tuor (4), le CC de1912 est conservateur et progressiste. Il aun caractère moralisateur et sociologiquedans de nombreux principes. Il est le premier à créer et protéger les droits de lapersonnalité alors que le Code Napoléonne songeait qu’à protéger le patrimoine.

Il fait un effort pour rétablir les ménageschancelants, il cherche à améliorer lacondition de la femme dans le mariage etadmet l’intervention de l’Etat en droit dela famille. Il laisse par contre une largeplace à l’interprétation du juge, tant lesrègles sont parfois lacunaires sur certainspoints. Celui-ci va s’appuyer sur la coutume pour combler les lacunes, la doctrine et la jurisprudence.

Dans le domaine spécifique de la tutelle(5), le législateur fédéral de l’époqueréserve au droit cantonal de nombreux

points importants tels que la désignationdes autorités, leurs attributions, la procédure d’interdiction, la nominationdes tuteurs, la levée de la tutelle, lesresponsabilités.

Ceci explique aussi toutes ces disparitéscantonales que nous avons vécues ces dernières années. Les lois cantonales d’ap-plication contenaient une réglementationtrès étendue.

II. Le contexte social et son influence sur l’application de la loi

1. La capacité civile est l’élément-clépour prononcer les mesures d’interdiction:la prodigalité et la mauvaise gestionétaient déjà des notions connues dans laloi fédérale sur la capacité civile. On vadonc y ajouter l’ivrognerie et l’inconduite.

On a dans certaines villes voulu mettre desprostituées sous tutelle, voire prononcerdes internements (JT 1920, 614); la propa-gation des maladies vénériennes n’a pasété un élément suffisant pour le TF de l’époque. Il aurait fallu que s’ajoute une véritable menace pour la sécuritéd’autrui.

2. Les lois sur l’assistance prévoyaientdéjà l’internement pour les personnes àcharge, particulièrement paresseuses etsans volonté de s’améliorer.

On constate maintenant une prise de conscience par les autorités pour les

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11Protection de l’adulte entre sécurité et liberté: quelle société voulons-nous?Actes du Congrès du Graap 2013

internements prononcés entre 1939 et1975. Cette mesure administrative prononcée par des autorités soucieusesd’une certaine moralité et où la valeurtravail était portée aux nues a été largement utilisée, surtout de 1940 à1950. On a été extrêmement rigide enversles jeunes mères célibataires qui ont été souvent séparées de leur enfant. L’homosexualité a aussi fait l’objet d’uneanalyse moralisatrice et a conduit auxexcès que l’on connaît.

L’essentiel du contrôle judiciaire portaitsur le patrimoine et l’utilisation des bienset rarement sur la qualité de la prise encharge et la remise en cause d’unemesure.

Les voies de recours étaient ouvertes,mais les personnes souvent indigentes n’enfaisaient pas usage.

On parle maintenant des soins personnelsà apporter à la personne mineure et à l’interdit. Le tuteur occupe la place d’unparent défaillant (6) pour l’enfant; on parlera plutôt de protection et d’assistance pour les affaires personnellesde l’adulte que de soins personnels.

La relation de confiance n’était souventpas de mise et le tuteur était craint etpuissant. Pour mémoire, dans l’art. 268 duCC du canton de Fribourg de 1835, letuteur «était autorisé à corriger ou fairecorriger le mineur avec modération.»

En 1962, c’est le postulat d’Emil Schaffer,Conseiller national, qui invite le CF à engager un processus de travaux

préparatoires de révision du droit detutelle.

III. Politique gouvernementale1975-1979

Il était prévu de soumettre aux Chambresle projet de loi sur le mariage et le divorceen 1977 et de remettre à la prochainelégislature l’examen du projet de loi sur latutelle. Les règles sur l’internementdevaient être revues également.

Le Prof. B.  Schnyder, dans un exposé tenu lors des assises de l’association destuteurs officiels à Sion, en septem-bre  1974, exprimait déjà l’idée d’unerefonte complète du droit de tutelle et passeulement d’un toilettage (7). M. Schnyders’est appliqué à analyser à travers diverscritères le bien-fondé de cette éventuellerévision en parlant des sources de la vie etde ses réalités, des valeurs que nous défen-dons et des solutions en cas de conflitsd’intérêts, de l’ordre juridique et de sapraticabilité, des effets de pouvoir sur laloi. Il voyait le premier écueil en se posantla question de savoir:

• à quel domaine appartenait réellementle droit de tutelle: privé ou administratif?

• mille problèmes — diverses tâches etpeu de mesures (moyens);

• la complexité de l’aide;

• le pouvoir de l’argent.

Il n’imaginait une telle réforme possiblequ’avec une large consultation et la participation des acteurs du terrain, dontles tuteurs.

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M.  Gerd Spitzer (8) exprime des doutesquant à l’opportunité d’une telle révision.Il opposait les organisations des autoritésalémaniques et romandes et voyait malcomment opérer une adhésion globale. Ilrelève malgré tout l’importance de la subsidiarité de la mesure et de la coordina-tion entre les différents acteurs sociaux. Ilinsistait sur le rôle primordial de la familleet sur le fait que l’aide ne doit pas venir enpriorité de l’Etat.

Déjà, le Dr Francis  Meyer, juge cantonal à Fribourg, proposait en 1967 (9) une semi-interdiction dans le domaine desaffaires patrimoniales avec différentsdegrés (on se rapprochait de l’idée desmesures sur mesure).

Pierre Tercier (10) explique la surprenante réserve des auteurs en général sur la révision du droit de tutelle par le caractèreoriginal de la matière à cheval sur plusieursdomaines: les données sociologiques,psychologiques et pratiques qui échappentlargement au juriste.

Il insistait déjà sur «une collaborationindispensable qui doit exister entre lesorganes d’assistance et les organes de latutelle». On pourrait songer «à obliger lescantons à confier aux organes de tutelle lecontrôle de l’utilisation des biens remis auxassistés». Pour permettre un soutien au «gouvernement de l’existence et un soutien personnel et moral», il proposaitd’instaurer un office de coordination entretous les intervenants. Il voulait forger unsystème à la fois simple et souple, construità partir de quelques options fondamenta-les. Il avait déjà esquissé une proposition

de mesures sur mesure avec différentesgradations.

José Bovay (11), juge de paix, souhaitaitmaintenir la publication de la mesure avecmême une répétition de celle-ci tous les deux ans sur un fichier cantonal centralisé! Il élimine par contre l’importance du lieu d’origine. Son choix se porte plus sur la clarté d’un système que sur des institutions trop nuancées, mais plus en phase avec le principe de proportionnalité!

Au vu de ces diverses tendances de pensées, on se rend compte que lesannées 70 ont déjà été riches en réflexions.

On peut également citer les réticences àprononcer une mesure tutélaire pour lespersonnes privées de liberté d’un an ouplus (12).

IV. Mise en œuvre de laloi sur la privation de liberté à des fins d’assistance (dès 1981)

1. Les progrès

On vise à supprimer le système de l’internement administratif cantonal. Onintègre cette particularité dans le droit de tutelle en espérant apporter un respect des procédures et une certaineuniformité.

Le souhait est de protéger tous les patients internés sur une base nonvolontaire et de tenir compte de toute la

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complexité d’un problème qui va au-delàdu cadre juridique (13).

2. Les difficultés

L’analyse du critère juridique volontaire/nonvolontaire est réductif. La zone grise entrecapacité de discernement conservée et diminuée est réelle. La pression extérieure est souvent accentuée lors duplacement et stigmatise le patient qui,de ce fait, n’utilise pas son droit de recours, voire même renonce àdemander sa libération. L’autorité doitmotiver sa décision et effectuer uneenquête préalable approfondie.

Il existe un flou juridique lors de l’admission; la notification au patient(voire aux proches) n’est pas faite.

3. Le point de vue de la médecine

Qu’est ce que cette nouvelle législationa apporté au patient?

Le Dr Pauchard (14) estime que le princi-pal effet positif fut l’obligation pour lesautorités de motiver correctement leurdécision. Il fallait prouver qu’aucun traitement ou accompagnement ambula-toire n’était envisageable et que seul«cet» hôpital était l’établissementapproprié.

Le fait de pouvoir attribuer la compé-tence à d’autres offices appropriés (queles autorités de tutelle) en cas de périlen la demeure ou de maladie psychiquea été reconnu comme sensé par le corpsmédical.

Le fait de pouvoir donner la compétenceà l’établissement pour la libération estégalement salué.

Dans les faits, l’hôpital tend à libérer lepatient le plus vite possible.

V. Effets collatéraux de cette législation

1. Effets positifs

Suite à l’entrée en vigueur de cette loi,les établissements psychiatriques ontrepensé leur stratégie des admissions etsurtout ont revu tous les dossiers des patients stationnaires dans leurs établissements. Certaines personnes yséjournaient depuis plus de 20 ans et tantle pourquoi de leur placement que l’adéquation du traitement n’avaient plusfait l’objet d’une analyse. On est passé de650 lits à 450. On abandonne un lieu detype asilaire pour entrer dans l’aire d’unhôpital de soins avec un objectif d’accueilde courte durée et le souhait d’une priseen charge ambulatoire adaptée.

Cette évolution entre 1983 et 1988 anécessité des trésors d’imagination etd’énergie pour permettre aux travailleurssociaux d’accueillir ces personnes et lesinsérer dans un nouveau cadre de viesécurisant et adapté.

Certains cantons prévoient des articles deloi dans leur législation sur la santé pourcombler les lacunes sur le traitementforcé et instaurent le système du curateuraux soins.

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2. Effets négatifs

Comme les cantons avaient la possibilitéd’attribuer la compétence à d’autres offices appropriés, on voit naître une multitude de pratiques différentes et une impossibilité de coordonner certai-nes actions entre cantons. Les caissesmaladie couvrant en principe une hospi-talisation intra-cantonale ne facilitentpas la tâche des intervenants sociaux.

VI. Influences de laConvention européennedes droits de l’homme et de l’art. 8 Cst. féd.

Les articles  5 et 6 de la CEDH sur la détention injustifiée et le droit à un procès équitable ont fortement influencél’élaboration du droit actuel de mêmeque l’art. 8 CEDH sur le respect de la vie privée et familiale, du domicile et de lacorrespondance.

Déjà en 1991, M. O. Guillod (15) relèvel’importance du droit d’accès de l’intéressé à son dossier. Il s’étonne qu’à plusieurs reprises on refuse l’accès à certaines pièces du dossier(dont l’expertise médicale) au patientpour ne pas «susciter chez lui un état d’appréhension préjudiciable à sa santé». Selon lui, on devrait les communiquer comme les rapports du tuteur à son pupille, mais avec lesexplications et le doigté nécessaires(voir art. 449 b).

VII. Début des travauxpréparatoires de la révision du droit de tutelle (1993)

Le groupe d’experts est constitué de Bernhard Schnyder, Professeur à l’Univer-sité de Fribourg, Martin Stettler, Professeurà l’Université de Genève et ChristophHäfeli, Recteur de la Haute école socialede Lucerne. Ils doivent élaborer les lignesdirectrices et un catalogue des thèses envue d’une réforme complète du droitsuisse de la tutelle. Pour des questionsspécifiques, ils ont fait appel à d’autresexperts (16).

Le premier constat est que le droit suisse,en comparaison des révisions législativesdans les pays voisins, est éloigné desbesoins de notre réalité sociale.

Les experts ont mis le doigt sur trois carences (17):

• «La possibilité d’appliquer une mesureappropriée strictement limitée aux besoinsdu cas concret fait trop souvent défaut;

• la protection de la personne n’est passuffisamment valorisée;

• trop d’incertitudes quant aux effets desmesures sur l’exercice des droits civils et de la liberté d’action de la personneconcernée.

Que faut-il pour pallier ces carences?

• Une nouvelle organisation des autorités;

• les qualités et le statut de la personne del’assistant doivent être mieux définis;

• une attention portée à la procédure.»

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L’influence des experts consultés a permis de convaincre les trois experts d’inscrireexpressément que «l’audition personnelle de la personne concernée est la règle avant l’application de toute mesure» (voir art. 447).

On veut remplacer la notion de «maladiementale» et de «faiblesse d’esprit» par cellede «maladie psychique» et de «handicapmental». Les experts admettent égalementque, du fait que les «conditions de la privation de liberté liée à un traitement sontrégies par le droit fédéral, il paraît indispen-sable que celui-ci fixe également le cadrelégal de l’intervention médicale» (18). Onparle alors déjà du «consentement libre etéclairé du patient».

On tend déjà à vouloir mettre des sécurités et des garde-fous sur l’anticipationou la présomption du consentement. On veutque les traitements d’urgence soient accom-pagnés d’un PV et d’un plan de traitement(voir art. 433 – 436 CC).

Les discussions se cristallisent aussi sur le droit de la capacité civile et de la capa-cité de discernement. On envisage déjà une limitation possible de l’exercice de cettecapacité civile en esquissant des mesures surmesure.

VIII. Rédaction desrapports intermédiaires etpremiers avant-projets(1995-1998)

Le rapport a été discuté lors de journées àFribourg en septembre 1995.

Ces journées ont été riches en discussionset en commentaires. Elles ont suscitébeaucoup d’émoi au sein des travailleurssociaux. Ils étaient certes contents quel’on se soucie de leur qualité et formation,mais regrettaient l’ingérence accrue dansl’opérationnel par les autorités. Ils n’avaient pas saisi le besoin de transpa-rence que voulaient les experts et leurdésir de tendre vers une plus grande souplesse du droit en respectant l’autono-mie des personnes.

Les experts avaient souhaité égalementqu’un article prévoie que la Confédérationparticipe aux frais de formation des curateurs! (art. 147 AP I)

Ils avaient prévu également d’inscrire lesgrands principes qui prévalaient déjà dansl’ancien droit, à savoir l’autodétermina-tion, le droit à une prise en chargeappropriée, la proportionnalité et la subsidiarité. (art. 21-24 AP I)

Nous retrouverons le développement deces principes de base dans le droit actuel:

→ art. 388 al. 2 CC: favoriser l’autonomie;

→ art. 389 al. 1 CC: voir si les besoinsobjectifs de la personne ne peuvent pasêtre couverts par d’autres moyens ou solu-tions (subsidiarité);

→ art. 389 al. 2 CC: la mesure doit êtreapte à atteindre le but fixé (adéquation dela mesure; la mesure doit être nécessaired’où le principe de proportionnalité touten ayant mis en balance les effets de lamesure avec les résultats escomptés (19).

Cette ligne esquissée déjà par les expertsdans leur rapport de 1998 ne va pas

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changer. Ils ajoutent des réflexions pertinentes sur le respect du droit despatients et ouvrent le chapitre de l’assistance thérapeutique (20). Ils restentmalgré tout prudents quant à l’opportu-nité d’établir des règles de portéegénérale en droit des patients. Ils sontconscients que des traitements non volontaires existent dans le cadre ambula-toire et hors privation de liberté. Ils limitent donc le champ d’action auxpersonnes sous curatelle et à celles privées de liberté à des fins d’assistance.

On ouvre le débat sur le contenu du dossier médical (art.  206  AP  98) et laconsultation du dossier (art. 207 AP 98) eton tente de forcer les cantons à mettre en place les structures nécessaires à l’assistance thérapeutique par unart. 210 AP 98 sur l’équipement!

IX. Rapport et avant-projetde la commission d’expertssoumis à consultation (2003)

C’est en 1999 que le Département fédéralde justice et police confie à une commis-sion interdisciplinaire le mandat deprésenter un projet de révision du CC surla base des travaux des experts de 1995 à1998. J’ai eu la chance d’en faire partie,et par ce fait, mon impatience naturelle àvouloir résoudre les problèmes rapidementa été mise à rude épreuve avec raison.L’écoute des autres, la subtilité de notrefédéralisme, les attachements culturels,les théories et les pratiques sont autantd’éléments de richesse que de mûrisse-

ment de la pensée. Le temps, la discus-sion, l’approfondissement des questions qui fâchent ou froissent, permettent de construire un projet porteur par tous sur «presque» tout.

On a pu constater d’emblée une grandedifférence sur le plan organisationnel desautorités de protection. Le côté aléma-nique garde sa nature administrative alorsque la Romandie privilégie une autoritéjudiciaire à l’exception du Jura et duValais où l’influence des communes estimportante.

La Commission ne peut trouver de consen-sus à ce sujet malgré le souhait d’uneuniformité déjà dans l’art. 443 AP.

On a alors avancé les thèmes de profes-sionnalisme, d’interdisciplinarité et derégionalisation. On veut que l’autorité ait sous sa responsabilité un bassin depopulation de 50’000 à 100’000 person-nes (21).

Les grandes nouveautés que l’on peut rele-ver sont le mandat pour caused’inaptitude (art. 360  ss), les directivesanticipées (art.  370  ss) et la protectionaccrue de la personne résidant dans unétablissement médico-social.

Les experts avaient prévu le mandat pourcause d’inaptitude (art. 360 ss AP) et unmandat dans le domaine médical(art. 370 ss AP). Ce dernier a été critiquéet ne fut pas repris dans le projet final.

Dans la Commission, ces propositionsfurent saluées comme étant novatrices

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et respectueuses de la liberté et du choix de la personne. On a parfois fustigéle côté un peu élitaire du mandat pourcause d’inaptitude qui, par sa nature,nécessite déjà une certaine compréhen-sion et anticipation dans le monde desaffaires (on peut faire un parallèle avecle testament). Les directives anticipées,par contre, étaient déjà reconnues; lemérite de la Commission a été de les adapter dans une législation fédéralede façon à en vérifier la pratique(voir art. 370 ss).

En dehors de ces grands thèmes, la Com-mission a vécu des débats intéressants quimettaient en évidence les aspirations différentes des participants, qu’ils soientmembres d’autorités, agents directs sur le terrain, alémaniques ou romands,représentants d’associations ou théoriciensdu droit.

La suppression du système de l’autoritéparentale prolongée fut certes accueilliefavorablement (22). Le privilège accordéaux parents curateurs a soulevé quelquesremarques: fallait-il les dispenser d’em-blée (de par la loi) de faire un inventaire,d’établir des rapports et des comptes etde requérir le consentement pour cer-tains actes (23) (art. 420)?

Les praticiens avaient quelques doutessur cette dispense accordée sans un véri-table droit de regard. La sagesse a vouluque l’on laisse l’Autorité décider de cetteopportunité.

L’abandon de la publication de la mesurea aussi montré les craintes des assistants

sociaux qui voyaient dans cette mesureune assurance accrue dans la sécurité des affaires. Après réflexion, on peut constater que l’effet était illusoire et lerésultat plus stigmatisant qu’efficace (24).

Les membres de la Commission furent trèssensibilisés aux domaines touchant à la santé. Des débats portèrent sur les distinctions entre santé psychique et physique. Certains voyaient mal la différence que l’on accordait entre lessoins psychiques et somatiques et lavolonté présumée du patient. On a doncélaboré une loi beaucoup plus respec-tueuse du droit des patients en mettantdes jalons très protecteurs en procédure,en valorisant le rôle du représentant enmatière médicale, en instaurant le système de la personne de confiance lorsd’une PAFA (art. 432). Celle-ci sera asso-ciée à l’élaboration du plan de traitement,par exemple en cas de troubles psychiques(art. 433 al. 1 et 2).

M. Meier (25) critique le fait que le légis-lateur fasse l’amalgame entre l’absencede capacité à saisir la nécessité d’un trai-tement et l’incapacité de discernement.

Les membres de la Commission souhai-taient que les cantons désignent en plusde l’autorité de protection des médecinsayant des connaissances particulières pourordonner des PAFA. Certains s’étaientrendu compte que l’on s’appuyait parfoissur le médecin de garde (généraliste) ou le médecin de famille pour prendre unetelle décision. Mais cette idée ne fut pasretenue et les cantons désignent le (oules) médecin(s) de leur choix.

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Je ne vais pas m’appesantir sur les «mesures sur mesure» en tant que telles.Il faut pourtant signaler l’existence d’une«curatelle d’accompagnement». Elle asurpris plusieurs membres de la Commis-sion lors de sa rédaction par son caractèrenon contraignant et sa finalité. Certainsestimaient qu’elle relevait des tâchesqu’apporte tout service social. D’autresont voulu mettre l’accent sur l’aide personnelle et le contact et pas seulementsur le côté gestion. Elle apporte en faitcette petite touche d’humanité que l’onpeut ajouter à chaque curatelle!

En 2006, projet et message du Conseil fédéral adressé à l’Assemblée fédérale

En 2013, entrée en vigueur de la loi

On peut dire que l’esprit de la Commissionfut respecté dans son ensemble à partquelques petites modifications, souventprocédurales.

X. Conclusion

Je pourrais encore soulever d’autres réflexions qui ont monopolisé notre Commission. Je pense que les divers thèmes abordés démontrent le souci du respect avant tout de la personneelle-même, de l’importance de la famille,de l’ancrage des grands principes, de la souplesse des formules, du respect des droits de l’homme. La part

patrimoniale de la prise en charge reste importante, mais elle a plutôt étéallégée.

On veut la transparence, on veut des décisions motivées, on peut associer la personne protégée aux décisions, auxrapports.

Toutes ces démarches vers une plus grandeautonomie auront pour corollaire un certain coût:

• la qualité de l’examen de la situation de la personne et l’enquête sociale néces-sitent un personnel qualifié;

• la remise en cause régulière du bien-fondé de la décision et de l’adéqua-tion de la mesure seront des enjeuximportants entre les autorités de protec-tion et les curateurs;

• le choix et la formation tant des autorités que des curateurs seront déterminants.

Ce nouveau droit sera un bienfait pour lespersonnes protégées, mais peut-êtred’une praticabilité relative pour lesacteurs qui le vivront de l’intérieur. Les années à venir nous le diront. Seuleune collaboration accrue entre tous lesintervenants sociaux fera de cet outil un mécanisme souple, adaptable et régulateur.

Notes de bas de page

(1) Pierre Tuor et H. Deschenaux, Le Code civilsuisse, éd. Polygraphique ZH 1942, p. 1 ss.(2) Pascal Montavon, Abrégé de droit civil, éd.Juridiques AMC, 2002, p. 4-5.(3) Pierre Tuor, p. 10 ss.

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(4) Pierre Tuor, p. 12 ss.(5) Pierre Tuor, p. 245 ss.(6) Pierre Tuor, p. 268.(7) Bernard Schnyder, RDT, 1975, no 2, p. 41-54.(8) Gerd Spitzer, RDT, 1977, no 1, p. 1-18.(9) Article non publié (Rapport du président de laChambre des tutelles).(10) Pierre Tercier, Vers une révision du droit detutelle, in: RDT, 1967, no 4, p. 121 ss.(11) José Bovay, La révision du droit de tutelle,in: RDT, 1977, no 4, p. 133 ss.(12) Arrêt de la Chambre des recours au Tribunalcantonal du canton de Vaud du 1er juin 1976.(13) Marco Borghi, Évaluation de l’efficacité dela législation sur la privation de liberté à des finsd’assistance, Pro Mente Sana, 1991, p.  84 ss.(14) J.P. Pauchard, Psychiatrie und Justiz, Pro mente Sana, St-Légier 1986, in: RDT, 1987,no 3, p. 98 ss.(15) Olivier Guillod, Les garanties de procédureen droit tutélaire, in: RDT, 1991, no 2, p. 41 ss.(16) À propos de la révision du droit suisse de latutelle (rapport 1995).(17) À propos de la révision du droit suisse de latutelle (rapport 1995), p. 49 ss.(18) À propos de la révision du droit suisse de latutelle (rapport 1995), p. 71.(19) Droit de la protection de l’adulte (Guide pratique), Copma 2012, p. 2-7.(20) API 98, p. 44 ss.(21) Meier/Lukie, Introduction au nouveau droitde la protection de l’adulte, Schulthess, 2011,p. 33.(22) RDT  2008 (autorités interdisciplinaires),message, p. 6652.(23) Idem,message, p. 6693.(24) Idem, message, p. 6653.(25) Meier/Lukie, op. cit., p. 330 ss.

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Le critère du discernement, unélément clé du nouveau droit

martin Stettler Professeur honoraire, Université de Genève

Dr Philippe Delacrausaz Médecin responsable du Centre d’expertises,Institut de psychiatrie légale, DP-CHUV

Claire-Anne Kun̈zler,Cheffe de projet, Développement des pratiquesprofessionnelles, AVASAD, Lausanne

Colette Pauchard Modératrice, professeure EESP, Lausanne

Colette Pauchard

Comme Mme Chatagny vient de l’exposer,la révision du droit de tutelle a pris beaucoup de temps. Il a fallu trancherentre de nombreuses propositions, mesurer l’ampleur des nouveaux droitsaccordés et les possibilités de les limiter.

Pour elle, «les deux concepts clés qui setrouvent au centre du nouveau dispositif

sont ceux de capacité civile et de capacitéde discernement».

La capacité de discernement est bien aucœur du droit de protection de l’adulte.Le titre de ce congrès, «Entre sécurité etliberté», en reflète les enjeux. Ensemble,autour de cette table, nous allons tenter d’examiner de plus près ce qu’est la capacité de discerne-ment, comment elle se détermine chez lapersonne et quelles en sont les conséquen-ces sur son existence.

Pour répondre à ces questions, nous enten-drons tour à tour divers professionnels,actifs dans le domaine du droit, de la psychiatrie ou du social. Autant d’éclairages qui nous seront précieux pour mieux saisir ce qu’est le critère dediscernement.

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Je laisse d’abord la parole au professeurde droit Martin Stettler.

Martin Stettler

Traiter du critère de discernement en unevingtaine de minutes ne sera pas choseaisée, tant cette notion est complexe et àcertains égards abstraite. Sans débattredes subtilités au niveau de l’interprétationde l’article de loi concerné, je vais tenterde vous donner un aperçu de la manièredont il est mis en pratique.

La notion de la capacité de discernementa été résumée de manière absolu-ment remarquable par Eugen Huber (1849-1923), juriste à l’origine du Codecivil: «Toute personne qui n’est pasdépourvue de la faculté d’agir raisonna-blement, à cause de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causessemblables est capable de discernementau sens de la présente loi.» Ce n’est quela qualification de certaines causes qui achangé.

On constate que la règle, ce n’est pas l’incapacité de discernement, mais lacapacité de discernement. Il faut donc

des circonstances bien particulières pourparler de son défaut.

À l’heure de la réforme du droit, que faitle législateur lorsqu’il n’a pas suffisam-ment d’esprit d’inventivité pour fairequelque chose de tout aussi convaincantou de mieux que ce qu’a produit EugenHuber? Il reste dans le statu quo, il maintient la norme. Bien que certains termes aient été changés, le principe debase édicté par Huber est maintenu.

Alors, comment expliquer toute cette agitation autour de la notion de discerne-ment? Pourquoi, au début du nouveaudroit, faire tout à coup figurer une trentaine d’articles concernant les person-nes devenues incapables de discernement?L’ancien droit de tutelle, lui, ne faisaitd’ailleurs aucune mention de la capacitéou de l’incapacité de discernement... Àcroire que l’on a su parfaitement s’en pas-ser. Comment expliquer ce changement?

Un peu d’histoire...

Il faut à mon avis revenir un peu en arrièreet prendre en considération l’essor desdroits dits «strictement personnels».Ceux-ci ont commencé à émerger trèstimidement à partir des années  1970.Lorsque la personne mineure ou la personne majeure privée de l’exercice desdroits civils revendiquait l’exercice auto-nome d’un droit, il y avait en principe unconflit avec les règles de la représentationlégale.

À cette époque, j’ai d’ailleurs vécu dessituations assez problématiques, lorsquedes adolescentes parfaitement capables

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de discernement demandaient à leurmédecin la prescription de la pilulecontraceptive. Mille précautions étaientalors nécessaires, que ce soit pour expliquer aux représentants légaux qu’ils ne pouvaient pas s’opposer vala-blement à la démarche de leur fille, qu’au regard de la nature et de la qualifi-cation du droit elle pouvait se passer de leur accord; tout en expliquant à la jeune femme que la question de lacontraception ne la concernait qu’elle et son médecin et non ses parents, bien qu’ils fussent encore détenteurs del’autorité parentale...

Au fil des années, ces droits strictementpersonnels se sont petit à petit développés en empiétant sur la sphèred’action — pour ne pas dire le pouvoir —du ou des représentants légaux.

Pour moi, cette évolution est très spectaculaire. Elle sera peut-être même plus importante dans ses effets concretsqu’on ne l’imagine aujourd’hui. La possibilité par exemple de pouvoir décider à l’avance de ce qu’on accepte ou refuse en termes de soins médicaux,voilà une faculté qui trouve clairement sa source dans l’extension des droits strictement personnels. Il en va de mêmepour toute démarche visant à faire valoirla protection de ses droits de la personna-lité. Sous réserve de rares exceptions,l’ensemble de ces droits strictement personnels dépendent d’une seule etunique question: la capacité de discerne-ment est-elle ou non donnée, autrementdit la personne a-t-elle ou non la facultéd’agir raisonnablement.

Ce dernier point rejoint le thème de ce congrès: jusqu’à quel point veut-on favoriser l’autonomie? À partir de quellelimite doit-on invoquer un droit de sécurité, de protection, tout en sachantque la société a un rôle de prévention àjouer? Le législateur a essayé de trouverun compromis entre les deux, mais il fautbien admettre que c’est l’autonomie qui aété la plus valorisée.

Pour en revenir aux directives anticipéesdu patient, ma propre perception en lamatière m’amène à me dire que si j’aitenté de gérer à peu près convenablementma vie, en vertu de quel droit on me priverait de la possibilité d’influencer éga-lement la dernière étape de mon existence. Ce qui relève des directivesmédicales anticipées, et même des mandats pour cause d’inaptitude ne mechoquent pas du tout et constituent pourmoi des avancées.

Les mesures appliquées de plein droit

Les mesures de plein droit s’appliquentdirectement de par la loi — sans aucunedémarche à faire — aux personnes incapa-bles de discernement, en matière de «représentation pour les affaires courantes», «le domaine médical» et la«sauvegarde des intérêts en cas de résidence en établissement médico-social».

A mon avis, dans neuf cas sur dix, si vous êtes avec un(e) époux(se), un(e) par-tenaire ou un(e) compagn(e)on qui a lemalheur de perdre peu à peu la mémoire,peut être même de glisser vers une

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maladie de type Alzheimer, vous allez toutnaturellement faire vous-mêmes un cer-tain nombre de démarches avant derecourir à l’aide de l’autorité de protec-tion.

Seulement, si vous n’avez pas pris la précaution de faire des procurations, ou sion part de l’idée qu’une procuration nevaut que tant que la personne conserve sacapacité de discernement, des problèmesrisquent de surgir. Alors, à quoi faut-ilrecourir? La représentation par le conjointou par le partenaire enregistré pour lesaffaires courantes de l’autre découleaujourd’hui directement de la loi et, encas de contestation, l’autorité de protec-tion se bornera à définir les contours dupouvoir de représentation dans une simpleattestation. La loi sanctionne une pratiquequi existe depuis longtemps sinon toujoursmais qui manquait de clarté quant à sesfondements juridiques.

Est-ce que ce besoin de représentationpour les affaires courantes ne concerneque les époux et les partenaires enregis-trés, alors que ces derniers restent encoreen nombre très limité? Les personnes ensituation de concubinage sont pour leurpart nombreuses et malheureusementécartées de l’affaire. Peut-être est-ce celaqu’il faudrait changer. Mais l’assimilationdes relations de concubinage relève d’unchoix d’ordre politique.

Une capacité de discernement «présumée»

Lorsqu’on parle en droit de «présomp-tion», cela veut dire qu’il y a toujours dela place pour prouver le contraire, à

moins qu’il ne s’agisse de l’un des rarescas de «présomption irréfragable». Cette présomption s’applique aussi en ce quiconcerne la capacité de discernement. Si,dans une situation normale, vous avezaffaire à une personne que vous neconnaissez qu’à peine ou pas du tout, vous êtes en droit de partir de l’idée quecelle-ci a la faculté d’agir raisonnable-ment. Il n’en va par contre pas de mêmesi l’état d’incapacité est patent. Face àune personne présentant un très fort tauxd’alcool dans le sang, inutile de s’interroger trop longuement sur sa capacité de discernement. En dehors deces cas extrêmes, la règle de la présomp-tion de discernement est absolumentfondamentale.

Une subtilité juridique existe en la matière: la personne n’est jugée incapable de discernement que si safaculté d’agir raisonnablement fait défautpour une des causes expressément prévues par la loi:

• Aptitude intellectuelle «qui n’existe quesi le raisonnement repose sur une saineappréciation de la réalité au vu desvaleurs généralement acceptées» (extraitde la doctrine).

• Aptitude volitive, soit la capacité «d’unepersonne d’agir librement, en se fondantsur l’appréciation qu’elle a faite» (extraitde la doctrine).

La colère, la jalousie ou l’envie peuventparfaitement faire perdre à une personnesa faculté d’agir raisonnablement, sanspour autant lui faire perdre sa capa-cité de discernement, ce qui veut dire qu’elle conserve, sur le plan

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juridique, l’obligation de répondre de sesactes.

Prenons l’exemple d’un mari qui surprendson épouse ou l’inverse, au moment où l’un ou l’autre est entrelacé dans les bras d’un(e) autre. Suivant les tempé-raments, cela peut engendrer une colèreà «en perdre la raison» c’est-à-dire la faculté d’agir raisonnablement. D’un point de vue juridique, la personnereste pourtant parfaitement capable dediscernement.

Je terminerai en disant que si l’on veuttirer le meilleur parti de ce nouveaudroit, il faut y entrer progressivement,avec la conscience que pour réellementl’intégrer, il faudra du temps. Ce tempsd’adaptation peut sembler un peu long,mais, si l’on tient compte qu’il a néces-sité vingt ans de travail, cela me paraîttout à fait acceptable.

J’ajouterai que ce nouveau droit me semble — pour une fois — plutôt enavance sur son temps. Il est à l’origined’un saut assez considérable, comme l’asouligné Mme Chatagny. Allons-y donc entoute tranquillité, ai-je envie de dire. Lefait que certaines personnes n’aient pasenvie d’intégrer le détail de cette notionde capacité de discernement ne lesempêchera nullement de vivre. Ceux quivoudront exploiter au maximum les possi-bilités du droit devront à mon senss’efforcer de trouver un minimum de lan-gage commun, d’où l’importance dedévelopper une perspective plus interdis-ciplinaire, d’harmoniser un peu nosterminologies et d’inciter les différents

acteurs à trouver une approche communede la notion de discernement et desmoyens d’établir le constat de son défautéventuel.

Colette Pauchard

Je remercie M. Stettler de cet exposé.

Ce que vous n’avez malheureusement paseu le temps de dire, c’est que la capacitéde discernement a deux composantes,celle de comprendre une situation et ses enjeux et celle de prendre une décision autonome, selon ses propres critères, sur la base de cette compréhen-sion. J’ajouterai aussi que le fait qu’unepersonne soit atteinte d’une maladie psychique ne dit a priori rien sur le faitqu’elle a (ou pas) la capacité de discerne-ment. Cette appréciation doit être faite de cas en cas. Elle peut changerselon les circonstances ou selon le type de décision que la personne est amenée àdevoir prendre.

À ce sujet, des questions se posent:

«Comment, dans le concret, fait-on cetteévaluation?

Qui peut évaluer si une personne est enpleine possession de sa capacité de dis-cernement ou pas?

Sur quels critères se fonder pour faireune telle évaluation et prendre des déci-sions qui toucheront l’exercice des droitsstrictement personnels?»

Je cède à présent la parole à Claire-Anne  Künzler qui, sur la base de son travail de terrain, va nous livrer sesréponses.

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Claire-Anne Künzler

En tant qu’intervenante et formatricedans les centres médico-sociaux (CMS), ce que je vais partager ici avec vouss’inspirera de situations concrètes vécuestout au long de mes vingt années de pratique professionnelle.

Le cœur de l’intervention sociale en CMSrepose sur la construction d’un partenariatavec la personne, avec qui l’on négocie et définit les prestations, les interven-tions, les décisions auxquelles elle veut s’astreindre ou se conformer ou vers lesquelles elle souhaite s’orienter.

Le quotidien des travailleurs sociaux estfait de toute sorte de situations, parfois complexes, qui mettent en jeu des questions liées à la capacité de discerne-ment de la personne. C’est le cas parexemple, lorsqu’une personne qui pourraitbénéficier de prestations complémentairesou d’une aide individuelle refuse catégori-quement de les solliciter. Cette décisionest-elle prise avec discernement ou pas?Est-elle raisonnable ou pas? Une autre personne, elle, se montrera de moins enmoins assidue dans la gestion administra-tive, voire complètement défaillante,

n’ouvrant plus son courrier, laissant lesfactures s’accumuler dangereusement.«Oui, oui, je vais m’en occuper», dira-t-elle. Mais, le temps passe et rien nechange. Ce comportement est-il simple-ment momentané ou s’inscrira-t-il sur la durée? La personne a-t-elle encore les capacités et les ressources pour gérer elle-même son administration?Existe-t-il une explication satisfaisante àson problème?

Autre situation très courante: une personne sollicite elle-même un conseil del’assistante sociale en raison de gros fraisdentaires. Mais, après investigation, il s’avère que cette femme vit avec sa filleet que cette dernière, bien qu’ayant unemploi, ne paie ni une partie du loyer ni même ses factures d’assurance. La générosité de la mère obéit-elle à un gestevolontaire, c’est-à-dire réfléchi et choisiavec discernement? Ou est-ce une négligence de sa part? D’autres enjeux,peut-être moins visibles, doivent-ils êtrepris en considération?

Encore un autre exemple: assez fréquem-ment, des personnes refusent qu’on fasseappel à leurs médecins, alors qu’elles ontclairement des blessures infectées, voirepurulentes. La peur du monde médicaldomine souvent leur décision et les risquespotentiels sur la santé sont simplementignorés ou niés. Dès lors, faut-il prendreles devants?

Enfin, dans de nombreux cas de figure,c’est l’inconstance des décisions qui pose problème. «Oui, bien sûr, je veux bienaller manger, partager un repas au centre

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de jour et accepter une aide au ménage.»Mais, une fois les assistants sociaux partis,les promesses tombent dans l’oubli et la personne ne se rend pas au centre de journi n’ouvre sa porte à la femme deménage.

Chacune des situations présentées ci-dessus va générer chez le travailleursocial une forme de tension: la personnequi fait ses choix est-elle en train d’exer-cer sa liberté en toute responsabilité ou bien est-elle fragilisée par une maladieou un événement qui l’empêche d’agir raisonnablement?

Les premières questions à se poser sontalors: est-ce que la personne est en étatde vulnérabilité? Si la réponse à cette dernière question est affirmative, elle nepas suffit pas en elle-même à déduire qu’ily a perte de discernement.

Une deuxième série de questions est doncnécessaire: comment la personne prend-elle ou a-t-elle pris sa décision? Commentargumente-t-elle pour expliquer son choix?Qu’est-ce qui l’empêche de modifier soncomportement?

Comme mentionné plus haut, le principaloutil de l’assistant social résidera dans ladiscussion. Il ne s’agit pas de parler pourparler, bien évidemment. La conversationmettra en scène des habiletés de dialoguerelativement importantes, puisqu’il s’agitde faire en sorte que la personne seraconte, expose ses motivations et offreun regard sur sa compréhension de lasituation. Lors de cette démarche, l’assis-tant social devra se défaire de tout a

priori, de tout jugement sur ce qui est raisonnable ou sur ce qui ne l’est pas, pourchercher à comprendre ce qui habite lapersonne et la manière dont elle-mêmes’inscrit dans la réalité. Tient-elle comptede tous les éléments présents dans saréalité ou omet-elle certaines choses? A-t-elle la capacité d’introduire d’autreséléments ou arguments face à ce qu’ellevit? En somme, est-elle capable d’envisa-ger d’autres alternatives? A-t-elle lapossibilité de se projeter dans le futur,d’anticiper ou d’imaginer les conséquen-ces de sa situation? Parvient-elle à semettre à la place de son entourage?

On le constate, le travailleur social disposede plusieurs questions types qui l’aiderontà déterminer comment se construit le raisonnement de la personne.Il va de soi que de telles évaluations ne sefont pas en une seule rencontre. Il est en effet essentiel prendre le temps, derépéter les questions d’une fois à l’autreafin de vérifier si les réponses se modifient ou pas, s’il y a évolution et prise de conscience ou si certaines résistancesdemeurent.

Un tel processus est fait d’ambivalences,dans le sens où aucun choix n’est d’emblée clairement bon ou clairementmauvais. Il faut constamment peser lesavantages et les inconvénients de chaqueoption. Reste qu’à travers et au-delà decette évaluation, l’assistant social a lapossibilité de faire l’hypothèse suivante:«Oui, la personne a tout son discerne-ment. Néanmoins, les conséquences deson comportement lui valent de risquer unavis d’expulsion de son logement ou

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autres.» Pour autant, le travailleur socialne va pas s’en laver les mains et la laisserlivrée à elle-même. Il va continuer sonintervention et, surtout, ne pas l’abandon-ner une fois qu’elle sera confrontée auxrésultats de sa propre décision.

Si l’incapacité de discernement est proba-ble, deux options se présentent àl’assistant social. Soit il estime que sonintervention suffira à garantir des mesuresde protection de la personne, car celle-cilui fait confiance, accepte son aide et iln’y a donc pas de contrainte à exercer àson encontre. Soit il se heurte à un refusabsolu d’être aidé et doit alors solliciterdes mesures de protection de l’adulte.

Le travailleur social fait souvent face undilemme: ou bien il favorise l’autodéter-mination de la personne en la laissantprendre des risques, ou bien il la protègeau risque même de la limiter elle-même etde diminuer sa propre confiance en elle.Ou bien il en fait trop ou pas assez… D’où l’importance pour l’intervenant socialconfronté à de tels dilemmes de ne pas rester seul, mais de solliciter d’autresexpertises, d’autres compétences, pour-quoi pas issues aussi d’autres professionsvoisines. Le travail d’équipe prend alorstoute sa valeur.

Pour terminer, je soulignerai qu’être assis-tant social n’est pas dans une posturefacile. À la fois, celui-ci doit exercer uneresponsabilité bien particulière, qui tiennecompte de la relation souvent asymétriqueentre lui et la personne qu’il rencontre.Et, en même temps, respecter ses propreslimites en terme de compétences, de

façon à impliquer la personne suivie afinqu’elle retrouve, conserve ou maximiseson autonomie et son sens des responsabi-lités; ce qui exige de faire valoir sespropres droits, mais également d’assumerses propres devoirs.

Colette Pauchard

Je vous remercie de cette présentationrichement illustrée et qui tient compte des difficultés et des défis que pose auxtravailleurs sociaux la problématique de lacapacité de discernement.

Vous avez évoqué la nécessité de recourirà des expertises. Qu’entend-on exacte-ment par là? A-t-on forcément besoin d’unexpert issu du monde médical, c’est-à-direlégitimé à la fois par son institution et parla société? Le Dr Philippe Delacrausaz, àqui je cède à présent la parole, nousapportera peut-être une réponse.

Dr Philippe Delacrausaz

Le temps qu’il me reste est un peu limité,mais je souhaite commencer par un retourrapide sur la notion de capacité de discer-nement. Au fond, le juriste que nous avonsentendu la définit comme la «faculté

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d’agir raisonnablement». Qu’est-ce quecela veut véritablement dire? Qu’est-cequi est raisonnable, pour qui et à quelmoment? Pas sûr que le regard du juge surcette question soit le même que celui l’assistant social appelé à faire une évaluation, ou que celui du médecin ou dupsychiatre.

À mon avis, les représentations en lamatière diffèrent les unes les autres,notamment en raison de nos identités professionnelles et de la manière dontnous envisageons ce qui est sensé pournous ou pas.

Prenons un exemple qui m’avait passable-ment surpris: plusieurs personnes m’ontsollicité pour qu’une patiente, âgée de85 ans et résidant en EMS, soit mise sousneuroleptiques. Raison invoquée? Selonplusieurs témoins, elle présentait de multiples troubles du comportement.Après investigations, j’ai réalisé que cettedame tenter de charmer une autre pensionnaire âgée de 92 ans et dont elleétait tombée amoureuse. Je précise quema patiente avait passé sa vie à êtreamoureuse d’autres femmes. Au fond, celadérangeait beaucoup de gens qu’une telleunion puisse avoir lieu; et en particulier la famille de la dame en question, qui était «victime» de ces avances-là. Voilà pourquoi beaucoup souhaitaient la mettresous neuroleptiques.

Comment juger de ce qui est raisonnableou pas dans une telle situation? Sur quellebase? Idem, lorsque l’adolescent prend desrisques pour s’affirmer dans la vie et ent-rer dans l’âge adulte.

Selon le droit, au final, la personne estconsidérée comme raisonnable, à moinsqu’elle ne souffre de troubles psy-chiques ou d’un certain nombre d’autres affections. En somme, ce que l’ondemande au médecin, c’est d’évaluer si la personne présente des pathologies psychiques. Tous les débats autour duDSM-5 — qui vient de sortir — nous donnent une idée de toute la complexitéde poser un diagnostic qui mette tout le monde d’accord. Ce d’autant plus que le nombre d’«étiquettes psy» a explosé, ce qui amène certains à dire que plus de la moitié de la popula-tion serait porteuse d’un troublepsychique. En d’autres termes, être enbonne santé psychique ne sera bientôtplus la norme.

Continuer d’agir raisonnablement en présence ou non d’un trouble psychiquedevient encore plus difficile à détermi-ner. Et, au fond, à force précisément de médicaliser toutes les difficultés de la vie, de poser des diagnostics psychiatriques à tout va, le risque estgrand de solliciter toujours plus et surtoute sorte de sujets les avis desexperts.

En tant que médecin ou psychiatre et particulièrement en tant qu’expert, la question de ce que l’on consi-dère comme étant raisonnable ou pasdoit être absolument posée. La sciencepeut-elle nous y aider? Rien n’est moinssûr. À mon avis, c’est à la communautéscientifique elle-même de questionnerses critères qui déterminent si oui ounon, un trouble psychique est présent.

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À partir de là, comment faire lorsqu’il ya ordre d’évaluation pour cause de trou-bles psychiques? Sans doute faut-ilprivilégier l’approche pluridisciplinaire àcelle strictement scientifique.

Aujourd’hui, toute sorte d’instruments,d’outils de mesure nous aident à donnerfinalement une apparence scientifique auxévaluations menées. En parallèle, onremarque une tendance toujours plusnette de la part de la justice à s’appuyersur des avis scientifiques, d’experts, pourprendre ses décisions.

À mon avis, l’essentiel est de ne pas perdre de vue que l’évaluation doit sefaire au cas par cas et qu’au fond lesapports véritablement scientifiques sontrelativement limités en la matière. Et jepense qu’effectivement que le recours àune expertise psychiatrique ne devraitêtre que l’exception et en aucun cas larègle. L’expertise doit ainsi se cantonneraux situations où, manifestement, il y avraiment un doute sur l’existence ou pasd’une pathologie. Celle-ci doit par ailleursêtre déterminée clairement.

En la matière, le nouveau droit civil donneaux autorités de protection une plusgrande marge de manœuvre. Auparavant,dans le cadre de l’article 369 en particu-lier, les mesures de mise sous tutelle ousous curatelle pour des raisons psychiquesdevaient faire obligatoirement l’objetd’une expertise. Le juge de paix n’avaitalors pas le choix.

De même, il devait demander une exper-tise pour supprimer cette mesure, lorsqu’il

estimait que celle-ci n’était plus nécessaire. En ce sens, le nouveau droit offre une bouffée d’air frais et produira — je l’espère — une diminutiondu recours aux experts.

Je reste cependant assez pessimiste... Latendance actuelle est d’attendre toujoursplus de la science et les experts ontencore de beaux jours devant.

Par rapport à maintenant la délicate question de la capacité de discernementet de la possibilité de décider à l’avancede ce que l’on accepte ou refuse en termes de soins médicaux, je rejoins ce qui a été rappelé précédemment par Mme Chatagny. Les médecins ont mis au point toute sorte d’instruments, d’échelles, qui permettent au fond d’ap-précier la capacité de la personne àconsentir à leur traitement. Cela génèreeffectivement une illusion de scientificitésur ces questions-là, en oubliant parfoisqu’au fond, les seuls moments où lesmédecins s’interrogent sur la capacité deleur patient à consentir aux soins, c’estquand ceux-ci ne sont justement pas d’accord avec les soins proposés. Cela n’arrive par contre jamais quand le patient est d’accord, ce qui revient — comme je le disais plus haut — à s’inter-roger sur la manière dont les uns et lesautres jugent ce qui est raisonnable oupas.

Colette Pauchard

Je remercie le Dr Delacrausaz de ce pointde vue lui aussi très nuancé. Une des idéesfortes qui semble se dégager et faire

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consensus ici tient dans la nécessairediversité sur le plan professionnel desintervenants qui, en cas de doute, doiventdéterminer si une personne est capable defaire valoir elle-même sa volonté ou pas.

Martin Stettler

Je tiens simplement à faire remarquer quele Dr Delacrausaz a essentiellement parlédes difficultés de définir ce qu’est uneaction raisonnable ou déraisonnable. Jerappelle que pour le juriste, ce qui est déterminant a trait à la capacité dediscernement. Il ne s’agit pas de savoir sice que l’on fait est raisonnable ou pas.

Si je suis atteint de gangrène, et que lemédecin me prévient qu’une opérationurgente est nécessaire à ma survie, je suisen droit de lui expliquer que je comprendstrès bien les conséquences de l’inaction,que j’ai consulté Internet à ce sujet, queje sais aussi que je n’aurai plus quequelques jours à vivre, et lui dire que jerefuse néanmoins toute intervention chirurgicale. Bien que pour le médecincomme pour le commun des mortels madécision paraisse tout à fait déraisonnable,le chirurgien ne peut que se plier à ma décision, prise en toute connaissancede cause. Ce qui est donc réellementdéterminant, c’est bien la capacité de discernement.

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madeleine Pont

En écoutant les conférenciers tout à l’heure, une phrase de l’ethno-psychiatre Tobie Nathan — dont je

lisais un des ouvrages hier soir — m’est revenue en tête. Il dit à peu près cela:«Les seuls succès que je peux comptersont moins dus à mes techniques profes-sionnelles qu’à la passion avec laquellej’étais engagé dans la résolution d’uneproblématique vis-à-vis de laquelle je mesentais concerné.»

Je me retrouve tout à fait dans ces mots.C’est le même esprit qui nous a animés,Barbara Zbinden et moi, tout au long de

l’élaboration de la Charte des prochesdont je vais vous parler ici.

Pour commencer, j’aimerais dire quec’est un honneur et une grande satisfac-tion pour moi d’être la porte-parole de plus d’une centaine de personnes,proches, professionnels de la santé,patients psychiques. Toutes ont participéde près ou de loin à l’élaboration decette charte dont le principe est deposer un partenariat entre les acteurs dudomaine de la santé mentale. Je les enremercie chaleureusement.

Je souhaite aussi remercier tout particu-lièrement le Comité scientifique de ceCongrès du Graap  2013, qui a décidéd’intégrer dans son programme la remisede cette Charte à M. Fabrice Ghelfi, chefdu Service des assurances sociales et del’hébergement (SASH) et en charge duprogramme vaudois de soutien aux proches aidants.

Le cadre de ce congrès me paraît finalement tout à fait approprié pour

Présentation de la «Charte des proches»(suite du Congrès 2011)

madeleine PontPrésidente du Graap-Association

Fabrice GhelfiChef de service, Service des assurances sociales et de l’hébergement (SASH), Vaud

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cette remise, puisque la nouvelle loi de protection de l’adulte prévoit unereconnaissance accrue du rôle des proches et cherche à renforcer l’espritde solidarité et de partenariat entre lesacteurs concernés, principes qui figurenten très bonne place dans notre Charte.

Je me souviens du jour où Richard Joray,responsable et directeur de l’actionsociale au Graap, et moi-même avonsrencontré M.  Ghelfi pour la premièrefois. C’était en 2010 et il s’attelait alorsà l’élaboration d’un programme à l’in-tention des pairs aidants. Naturellement,il souhaitait savoir ce que le Graap fai-sait pour les proches de patients psychiques. Nous lui avons raconté que,dès sa création en 1987, notre associa-tion s’était mobilisée pour dénoncer le regard culpabilisant qui réduisait lacause de la maladie psychique au comportement des parents, plus spécifi-quement des mères. Dans nos cours depsychopathologie, je me souviens quel’on parlait alors de «mère schizophréno-gène» pour expliquer l’origine destroubles de certains malades… Il y a21 ans, fort de ses membres et avec lesproches concernés, le Graap organisaitd’ailleurs un congrès annuel avec pourtitre: «Les proches, quel rôle?»

La conversation avec M.  Ghelfi s’estpoursuivie et nous avons souligné que lesproches n’avaient pas uniquementbesoin d’aide, mais aussi de reconnais-sance, notamment au niveau de leurscompétences. Sur cette base, ils souhai-taient participer pleinement au projetde rétablissement de leurs patients et

s’engager, plus largement, dans desactions visant à promouvoir la santémentale. C’est avec passion que nousavons décrit le rôle fondamental desbénévoles — dont beaucoup de proches— dans l’organisation de la Patrouille desSentiers, cette fabuleuse expérience où300  personnes, tout statut confondu,avaient pris part à une randonnée d’unesemaine dans le Jura.

Cette notion de partenariat engagé etcitoyen que nous avions évoquée devantM.  Ghelfi l’avait alors séduite. Et, pour preuve, la Patrouille des Sentiers de l’année suivante put bénéficier, pour la première fois, d’une subvention cantonale.

En fait, Richard  Joray et moi-mêmeétions heureux de constater que pourM.  Ghelfi et ses équipes, les prochesavaient non seulement besoin d’êtreaidés — pour mieux pouvoir aider à leurtour — mais qu’ils avaient également descompétences à faire valoir, ainsi qu’unpouvoir d’initiative et d’action sur notresociété tout entière.

M. Ghelfi a donc activement participé àfaire émerger certains articles clés decette Charte, comme les notions de partenariat et de solidarité.

À la fin de l’année 2010, nous le contac-tions à nouveau pour solliciter sonsoutien scientifique et financier pour leCongrès 2011, dont le thème était: «Etles proches dans tout ça? Oser en parle»C’est aimablement qu’il a déléguéMme Mercedes Pône qui, par sa partici-

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pation active et très créatrice, a contri-bué au succès de ce congrès.

Pour cette série de conférences, organi-sées en collaboration avec la Coraasp(Coordination romande des associationsd’action en santé psychique), nous avionspour la première fois mis sur pied, dans chaque canton, des ateliers prépa-ratoires. Ces derniers réunissaient aussibien les personnes concernées, que les professionnels du social et de lasanté.

Leurs travaux ont abouti, entre autres, àune première ébauche de cette charte etfait émerger quelques principes de base.Notamment que tous les acteurs engagésdans un projet de rétablissement de lasanté — personnes concernées et prochescompris — soient pris en compte dans le réseau d’aide et reconnus commeéquivalents. Par là, nous affirmons quechacun possède la même valeur sur leplan humain, ainsi qu’un pouvoir d’influence déterminant. Dans notreoptique, c’est le projet de rétablisse-ment qui est au centre despréoccupations, et non plus le patient. Etc’est sur ce point précis — je pense — quenotre charte est en avance sur la nou-velle loi de protection de l’adulte qui, elle — Mme  Béatrice  Métraux vientencore de le rappeler — remet la personne concernée au centre des intérêts. Nous saluons ce progrès réel,mais souhaitons aller plus loin.

Le dernier intervenant du Congrès 2011fut M.  Pierre-Yves  Maillard, chef du

Département de la santé et de l’actionsociale (DSAS), qui avait bien accueilli etsalué ce projet de Charte. Il nous avaitinvités à le peaufiner et à le diffuser,aussi auprès des autorités et des autresservices du canton.

Sous l’égide de la Coraasp, les atelierscitoyens romands ont donc poursuivi leurtravail qui a abouti, la semaine passée, àl’officialisation de la Charte des proches.Celle-ci se veut un outil pour mieux collaborer. Elle devrait nous aider aussi àélargir notre regard sur l’ensemble desintervenants impliqués dans une situationet à reconsidérer nos relations avec eux: le médecin, le patient sont-ils en fait comme je me les représente? Le proche, l’assistant social, sont-ils vraiment comme je me les imagine?

Pour symboliser ce changement de regardauquel nous aspirons à travers cetteCharte, j’ai le plaisir, M. Fabrice Ghelfi,

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de vous remettre, au nom des atelierscitoyens romands, un objet symbolique,à savoir ce mobile représentant deslunettes, qui a été construit dans les ateliers d’une institution membre de laCoraasp.

Fabrice Ghelfi

Je vous remercie de ce présent et de cetteinvitation à la remise officielle de ce document-charte, qui effectivement avaitété évoqué il y a deux ans avec le chef duDSAS, Pierre-Yves Maillard. Je salue aussitout le travail qui a été réalisé depuis 2011pour aboutir à ce texte.

Sans avoir eu le temps de le lire dans ledétail, j’ai saisi au vol quelques bribesqui m’ont paru tout à fait intéressanteset adéquates. L’idée de partenariatentre les acteurs qui se substituerait àl’attitude purement critique face au rôlede chacun me plaît tout particulière-ment. Cela rentre d’ailleurs dans le droitfil de ce que poursuit le canton de Vauddepuis plusieurs années, et de manièretrès concrète depuis 2011, avec sa politique de soutien des proches aidants.

Il est vrai que le Congrès du Graap 2011avait été une première étape dans cesens. Un autre congrès, axé sur une problématique plus large, avait eu lieusur le site de l’EPFL, peu de tempsaprès. Le canton avait saisi cette occasion pour donner les objectifs qu’ilentendait poursuivre en matière de soutien aux proches aidants. Tous nousavions en effet constaté les difficultésqui frappaient ces proches, que ce

soit au niveau de leur état de santé, deleur manque de reconnaissance dans lerôle qu’ils sont appelés à jouer. Et deconstater que bien souvent, lorsqu’ils sedécident à demander de l’aide, il estdéjà trop tard.

Sensible à leur situation, le DSAS a rapidement désigné une commissionconsultative sur ce sujet. Composée del’ensemble des acteurs concernés, ellese réunit maintenant depuis plus dedeux ans pour réfléchir à des solutionsefficaces pour les aider.

Il a fallu d’abord se mettre d’accord surla définition du proche aidant: qui est-il vraiment? Que fait-il? Dans quellesconditions? Avec quels risques pour lui?

Ont été retenus tout d’abord certainsprincipes cantonaux qui doivent gouver-ner l’action publique et l’actionassociative dans ce secteur-là. Puis, lesdomaines d’action jugés comme prioritai-res par le DSAS ont été choisis. Sans lesénumérer tous ici, relevons qu’y figurent notamment en bonne place lasensibilisation à la question des prochesaidants et la reconnaissance à laquelle ilsont droit.

Depuis 2012, le DSAS a d’ailleursinstauré une Journée des prochesaidants, qui, chaque année, aura lieu le30 octobre. L’édition 2012 fut un succès.Le 30  octobre prochain, cette actionsera reconduite, cette fois à Aigle. Nous espérons que ces journées sensibilise-ront la population à la question des proches et que cette thématique sera

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vraiment discutée et révélée au grandjour.

Car nous sommes tous — potentiellement —des proches aidants. Soit on l’a été, soiton l’est aujourd’hui, soit on le serademain. Forcément, un jour ou l’autre denotre existence, nous serons le proched’un être aimé qui a besoin de soutien.Les autorités publiques s’en préoccupentet le Conseil d’Etat a d’ailleurs inscritcette thématique dans son programme delégislature 2012-2017.

Nous collaborons bien entendu avec lemonde associatif et les partenairesconcernés afin d’élaborer ensemble despistes de solution. Il y aura bientôt deschoix d’ordre politique à faire, assuméspar les autorités élues.

Parmi les pistes explorées, il y a unereconnaissance financière des prochesaidants, le soutien plus actif aux groupesd’entraide, aux secteurs associatifs quis’engagent journellement dans cetteactivité.

Et, à ce propos, je dois dire que le Graapfait figure de pionnier, voire d’exemplesous certains aspects. En effet, c’est trèstôt que cette thématique a été intégréeà son action; de manière aussi très «communiquée», dirais-je, puisqu’elleest montée jusqu’aux oreilles de Pierre-Yves Maillard. Nous sommes ravisdu travail qui se déroule au Graap. Etcette reconnaissance s’exprime aussisous la forme de soutien financier à sesactivités qui — nous le savons — portentleurs fruits.

Alors, certes, la problématique psychiquene représente qu’un des aspects de lathématique des proches aidants. Maissachez que le DSAS va poursuivre sonaction et entend bien proposer aux édilespolitiques des pistes très concrètes d’amélioration dans ce domaine-là aussi.Un certain nombre de prestations existent déjà et bénéficient du soutiendu canton. Certes, ce soutien pourraitêtre plus grand. Mais, comme vous le savez, il n’est pas toujours simpled’obtenir des ressources, même si nousarrivons, sous forme de coups de pouceponctuels, à offrir une aide financièrepour des actions comme pour celle duCongrès 2011 ou celui de cette année.

J’aimerai conclure en revenant sur lemobile que vous m’avez offert tout àl’heure. Il est particulièrement bienchoisi et me fait tout de suite penser à la médecine chinoise. En gros, pour celle-ci, la maladie est un déséquilibre des fluxd’énergie. Finalement, lorsqu’on toucheà une des pièces du mobile, celui-ci va chercher à retrouver sa position d’équilibre, un peu comme si letraitement d’une maladie, psychique ouautres visait à rétablir les flux d’énergie.Et je trouve que l’image du mobile,même inconsciemment choisie, est toutà fait propice.

Je souhaite encore vous remercier devotre action et nous nous réjouissons dela collaboration entre le Graap, le DSASet mon service.

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C’est avec un grand plaisir que la Coraasp et ses organisations participent pour la deuxième fois, de

façon très active, à la préparation d’un Congrès du Graap. Comme lors de l’édition 2011, nous avons mis sur pied desateliers citoyens dont le but était de débattre d’une thématique particulière etde proposer des pistes de réflexion qui vousseront présentées au cours de ces deux journées.

Cette formule s’est avérée particulière-ment pertinente pour questionner lenouveau droit de protection de l’adulte.Certains participants ont ainsi acquis desconnaissances de base de cette loi, pourse sentir suffisamment prêts à en débattreavec des spécialistes et oser même, pourcertains, être assis dans cette salle aujour-d’hui. C’est réjouissant pour nous, carcette loi offre précisément aux plus dému-nis ou aux plus profanes des citoyensl’opportunité de mieux faire valoir leurdroit à l’autodétermination.

Pour nous tous, cette loi traite de notionsfondamentales, telles que la sécurité, le

libre arbitre, thèmes aujourd’hui largement relayés dans les divers débatsde société ou dans les médias, malheureu-sement souvent à l’occasion de certainsdrames.

Perte de sécurité, perte de liberté: desexpériences que certaines personnes oufamilles, confrontées à des capacités dediscernement ponctuellement perduesconnaissent bien. Elles ont donc des choses à nous apprendre sur la manièredont elles souhaitent que les profession-nels prennent soin de leur dignité lorsquecela arrive.

Leur présence dans cette salle est importante, car leurs expériences nousaident aussi à accroître nos aptitudes audialogue et à mettre plus d’humanité danstoute décision qui touche à la capacité dediscernement.

La voix des rapporteurs des ateliers seradonc avant tout celle de citoyens et de citoyennes qui ont pris le temps de s’in-terroger sur ce qui se passe dans nosexistences quand le contrôle de celle-ci

Ateliers citoyens 2013Synthèse générale

Barbara ZbindenCoordinatrice de la Coraasp (Coordination romande des associations d’action en santé psychique)

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nous échappe et sur la manière dont nousgérons ce temps de crise. Pendant les deuxjours de ce congrès, leurs témoignagesvont faire écho à la parole des spécialistesdu droit, de la médecine et des scienceshumaines en général.

Les patients psychiques et leurs prochessont des publics très concernés par cetteloi. C’est pourquoi la Coraasp s’était déjàimpliquée dans le processus de consulta-tion précédant son adoption. Nos membresretrouvent aujourd’hui, dans la versionactuelle du nouveau droit, des points deconvergence, de satisfaction, concernantleur positionnement d’alors. Mais ils relèvent aussi des manques. Toutes leurspropositions n’ont en effet pas pu êtreprises en compte. Certains ateliersévoqueront ces éléments de déception,quitte à ouvrir à nouveau des questionsfroissantes ou difficiles.

Comme de tels ateliers sont à présent proposés tous les deux ans à toutes lescatégories de public intéressées par lethème du Congrès du Graap, il me sembleutile de décrire brièvement leurs objectifset leurs modalités de fonctionnement.

Suite à l’appel à participation lancé dèsdécembre passé, des ateliers ont pu seconstituer dans chaque canton romand etréunir, en moyenne, entre 15 et 30 person-nes, toutes issues d’horizons trèsdifférents.

Il y avait ainsi des patients psychiques, desproches, des travailleurs sociaux, des soignants, des médecins, des étudiants ensciences sociales, des professeurs HES, etc.

Tous les participants ont eu l’occasion de se rencontrer et d’échanger dans des espaces communs d’humanité et donc — précisément — d’équivalence.Ensemble, ils ont évoqué des questionssouvent difficiles, soulevées par destémoignages poignants et qui ont permis à tous de prendre la mesure d’uneimpuissance commune et partagée face àcertains malheurs humains.

Un minimum de trois rencontres figurait à l’agenda de chaque canton. Celles-ciétaient animées par des travailleurssociaux, avec le concours de juristes pourles éléments techniques concernant ledroit. Globalement, la structure était lamême dans chaque canton.

La première réunion devait permettre àchaque participant de réfléchir à dessituations concrètes dans lesquelles il/elles’est trouvé(e) en difficulté pour assurersa sécurité ou celle de quelqu’un d’autreou pour faire valoir son autonomie oucelle d’un tiers. Cette question posée aux participants a permis de collecter des expériences et des réalités à la foissingulières et collectives.

Très rapidement aussi, des personnes onttémoigné de situations de crise, pendantlesquelles elles vivaient souvent une tension insoutenable, entre besoin desécurité et d’autonomie.

Il est également très vite apparu que l’ensemble des interlocuteurs présentsavait vécu ce type de dilemme, qualifiépar une des conférencières de ce matind’«éthique».

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Les animateurs en ont profité pour mettreen lien ces expériences de vie avec lamanière dont la loi envisage le respect dudroit à l’autodétermination. Des explica-tions de base de la loi ont été complétéespar des présentations plus précises, dontse sont chargés bénévolement des juristesque je tiens au passage à remercier trèschaleureusement.

Lors des secondes et troisièmes rencont-res, les participants étaient invités àporter une attention toute particulière à un domaine bien précis, différent d’unatelier à l’autre. L’objectif visé était d’ob-tenir, par regroupement et recoupage, unevision plus globale des problèmes qui seposaient.

Au cours de ces deux jours de congrès,chaque atelier va donc vous présenter uncompte-rendu de la thématique particu-lière qui a été examinée. Je vais vous entransmettre quelques éléments en guised’aperçu ou de mise en bouche.

À Fribourg, les participants ont débattu dela question des dispositions anticipées. Ilsse sont demandés s’il est humainementpossible de prévoir une perte de sa capa-cité de discernement. Comment fait-onpour imaginer qu’on puisse, un jour, neplus ni connaître ni vouloir connaître leseffets de ses propres choix? Et, en tantque profane, comment rédiger des dispo-sitions anticipées et se prononcer par cebiais sur un traitement médical? A-t-onvraiment les compétences requises? Sinon,comment et où apprend-on à développerun tel savoir-faire? Avez-vous déjà jeté un coup d’œil sur les formulaires-guides

que diverses organisations diffusent pour faciliter une telle démarche? Nous l’avonsfait et je peux vous assurer que les questions posées sont loin d’être simples.Ce constat conduit les Fribourgeois àémettre l’idée de se regrouper pour sepréparer à la rédaction de dispositionsanticipées.

Ils ont aussi beaucoup parlé du rôle dureprésentant thérapeutique et de son inté-gration dans une équipe de soin. Cettepossibilité de faire valoir par un tiers sesattentes en matière de soin semble déjàun processus en soi positif. S’il est difficilede se prononcer sur un traitement, celal’est tout autant lorsqu’il s’agit de se saisirde l’opportunité du mandat pour caused’inaptitude pour exprimer ses volontésquant à la gestion de son patrimoine et confier à un tiers le contrôle de sonappartement, par exemple. Dans ce dernier cas de figure, à qui donc faut-ilconfier toutes ses affaires? À une fiduciaire? À un proche? À un travailleursocial? Quels sont les critères de choix? Etest-ce que les choses ne sont pas encoreplus compliquées pour les personnes quivivent en foyer ou dans un EMS? Est-cequ’il vraiment possible de s’exprimer surla manière dont on veut être aidé,lorsqu’on est en face d’une équipe d’experts, d’infirmiers ou d’éducateurs?La garde des enfants a aussi soulevé des craintes chez les participants. Que sepasserait-il pour mes enfants en casd’hospitalisation non volontaire?

L’atelier du canton de Vaud s’est lui atteléà la question des curatelles. Commentfaire pour que celles-ci soient réellement

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utiles? Que faire pour que la personneconcernée soit regardée et considéréecomme un citoyen avec des droits, commeun partenaire ou mieux encore commel’acteur de sa propre curatelle? Ce changement de paradigme impliqueraitque la personne définisse elle-même cedont elle a besoin. Est-ce seulementréalisable? Les participants de cet atelierévoqueront les conditions-cadres et les moyens à mettre en place pour quecette belle intention ne soit pas que del’encre sur du papier, mais s’appliqueconcrètement.

La manière dont les travailleurs sociauxcomprennent leur rôle leur a aussi sembléprimordiale. Qu’ils exercent des fonctionsd’assesseur auprès des instances officiel-les, d’enquêteur social pour les nouvellesautorités de protection ou encore d’accompagnateur de vie, ils auront àcœur d’offrir des outils simples et pratiques pour que les personnes concer-nées puissent elles-mêmes évaluer leursbesoins en termes de soutien, de logement, de formation, de travail, de loisirs, de participation à la vie de larégion.

Ces travailleurs sociaux seront peut-êtreappelés eux-mêmes à avoir un jour unefonction de curateur. Seront-ils dès lorssuffisamment consistants pour pouvoir àla fois assumer la tension inhérente à une aide prononcée par d’autres — doncparfois contrainte — tout en veillant à ceque la personne puisse exprimer, mêmedans un cadre imposé, ses talents, sescompétences et manifester ainsi sonbesoin fondamental d’autodétermination?

Est-ce que dans certains cas ce même tra-vailleur social devra dénoncer un contextepour favoriser l’émancipation d’une per-sonne concernée?

Un autre élément important de la loi tientdans le pouvoir de représentation accordéaux proches, en cas de perte de la capa-cité de discernement d’une personne quin’aurait pas signifié par dispositions anti-cipées d’autres volontés de délégation.L’atelier genevois s’est justement inter-rogé sur la manière dont les prochesvivaient ce pouvoir de codécision que la loileur donne désormais. Est-il vraiment pro-fitable pour le proche? Ou, au contraire, lecontraint-il encore à davantage de char-ges? Quel impact réel sa parole a-t-elledans la prise de décision concernant untraitement médical? Comment peut-il faire valoir son expertisedans la vie quotidienne?

On a ainsi évoqué à Genève ce qu’il fautbien appeler le «métier de proche», unmétier sans diplôme, mais qui se forge aujour le jour et qui exige des compétencesdans des domaines les multiples. Cet atelier a relevé l’importance des program-mes de formation et de soutien à laposture de proche aidant ou de celle deproche militant et expert dans l’aménage-ment d’un environnement collectif plusbienveillant et plus équitable.

Écouter réellement les proches est évidemment d’une grande utilité pouraméliorer l’aide apportée aux patients.Mais pas seulement. Grâce à leurs obser-vations, à leurs recommandations, deschoses simples, mais essentielles seraient

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à même de prévenir des souffrances psychiques, malheureusement toujoursplus nombreuses, avec ou sans DSM. Lesproches sont donc utiles pour la sociététout entière.

L’importance du dialogue a aussi été rappelée. Il permet au patient ou au futurpatient, ainsi qu’à ses proches de vérifierensemble ce qu’ils souhaitent si une crisepsychique survenait. Le cas échéant,serait-ce vraiment au conjoint ou à sesparents que la personne veut déléguer lepouvoir de décider ce qui doit être fait?Peut-être serait-il préférable de comparti-menter les divers domaines relatifs à ladécision. La médication en est un, le typede structure socio-éducative un autre,tout comme la gestion du quotidien, l’aideà la supervision de l’appartement pendantl’hospitalisation, la garde des enfants, etc.On se trouve ici au cœur de l’adage bienconnu: «Il vaut mieux prévoir que guérir.»

Les discussions ont ainsi été particulière-ment animées à Genève. Ce d’autant plusque les enjeux au niveau politique n’étaient pas absents. Dans ce canton, les proches s’étaient en effet mobiliséspour être pris en compte par les nouvellesautorités de protection où certains d’entreeux siègent déjà en tant qu’assesseurs.

En Valais, les participants des ateliers sesont interrogés sur l’interdisciplinarité deces nouvelles autorités, amenées parfois àprononcer un placement à fin d’assistance(PAFA). Ce type de décision peut en effetêtre issu du domaine tant médical quesocial.

Cet atelier a relevé aussi que si le droitouvrait beaucoup de portes, il semblait enrefermer d’autres. En cas de PAFA, notentles participants, les directives anticipéesne sont plus contraignantes, mais seule-ment à prendre en compte. Le traitementnon volontaire y est donc à nouveau possible. Les participants ont donc cher-ché les quelques possibilités restantespour préserver l’autodétermination dansde telles situations.

Ils demandent que les établissementssoient tenus de recommander systémati-quement le recours à la personne deconfiance prévu par la loi. Cette disposi-tion est malheureusement peu connue.Les participants suggèrent également de faire de l’entretien de sortie — obliga-toire — une occasion de formuler desdirectives anticipées en cas de nouveauplacement.

L’atelier du Valais s’est aussi longuementarrêté sur la notion d’institution adé-quate. Pour eux, le minimum en termesd’adéquation devrait être le sens qu’unepersonne peut donner à un placement.Sans la prise en compte d’une trajectoirede vie, d’une histoire à la fois singulière etcollective, aucune chance que la personnene tire un quelconque bénéfice de son pla-cement. Le PAFA ne doit pas devenirl’unique solution lorsque tout s’écrouledans un parcours de vie et que plus per-sonne n’est présent dans l’entourage pourservir de bouée. En cela, le PAFA reflètebien souvent la perte de nos capacitéscommunautaires. Et de faire remarquerque notre société a dû inventer la «Fêtedes voisins» pour tenter de rétablir des

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liens de partage, d’amitié et de solidaritéau sein d’un quartier.

Pour réduire le nombre de PAFA, l’ateliervalaisan plaide en faveur de davantaged’actions collectives et communautaires,mais aussi d’informations sur les ressour-ces d’assistance existantes.

L’atelier neuchâtelois a quant à lui traitédu thème de la contention. Parfois, ontrappelé les participants, les explosions oules implosions de souffrance sont tellesqu’il devient nécessaire de contenir l’êtrequi en subit l’impact, de même que sonentourage.

À noter dans cet atelier la présence depersonnes concernées, de proches, d’unjuge, d’un directeur d’établissementmédical, d’un représentant de la police.Cette mixité, cette rencontre des uns etdes autres, en dehors d’une situation d’urgence ou d’un cadre institutionnelprécis, a clairement permis à tous les participants de discuter des mesures àprévoir en amont de la crise. Cela fut l’occasion aussi de se préoccuper des uns et des autres. À commencer par les patients qui ont exprimé leur souci vis-à-vis du stress des soignants.

Les participants prenaient petit à petit aussi conscience de leurs droits et de l’importance de leur expertise respec-tive pour se dire réciproquement lamanière dont ils envisagent la réponse à donner aux besoins de chacun, mêmelorsqu’il s’agit parfois — mais toujoursponctuellement — d’être contenu ou decontenir.

Le rôle du traitement dans ces momentsdélicats a aussi été abordé par l’atelierjurassien. Avec le regret qu’aucun profes-sionnel des soins n’ait pu être présent. Carcertaines pratiques hospitalières sont toujours mal vécues, que ce soit par les patients, leurs proches ou les profes-sionnels de l’ambulatoire. Par chance, des professionnels des soins à domicile,reconnus pour leurs qualités de présenceet d’écoute, ont pu être présents.

Cet atelier très riche a aussi évoqué lechemin à faire pour que cette nouvelle loi vive aussi à l’intérieur des murs del’hôpital. Les participants ne se sontd’ailleurs pas ménagés eux-mêmes, recon-naissant que leur déférence séculaire faceaux médecins relevait d’une attitude d’unautre âge et que l’autodétermination com-mençait lorsqu’on se considérait soi-même comme équivalent — et donccomme un citoyen responsable. La pireentrave dans ce processus réside donc enpremier lieu dans l’idée que l’on se fait de soi-même et de l’autre. Si l’on veutdonc que cette loi donne le meilleurd’elle-même, il faudra, de l’avis desJurassiens, multiplier nos efforts pour évoluer dans nos projections réciproques.

Il me reste peu de temps, mais un dernierpoint me tient à cœur: la formation des professionnels. Les patients présentsdans ces ateliers cantonaux demandenteux-mêmes que les professionnels bénéfi-cient de davantage d’espace pour réfléchiret s’outiller face aux situations difficilesqu’ils sont amenés à rencontrer. Il existed’ailleurs toutes sortes de formations post-grades pour les profes-

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sionnels en psychiatrie sociale et en santémentale.

À ce sujet, j’aimerais aussi préciser queces professionnels et les autorités qui parfois s’inquiètent de la mise en œuvrede la loi vont bénéficier de l’appui d’anciens patients psychiques en rétablis-sement. Certains ont en effet choisi defaire un cursus de pair-praticien en santémentale. Les personnes qu’une telle formation intéresserait trouveront desinformations utiles sur le site Internet del’École d’études sociales et pédagogiques(EESP) de Lausanne.

Je conclurai en prenant l’image du parapluie. C’est un objet qui peut d’unecertaine manière venir symboliser cesdeux jours de congrès. Comme pour lescuratelles, il existe des parapluies pourtous les goûts, de toutes les couleurs, detoutes les tailles, pliables, automatiquesou pas... Ils sont tous différents, mais chacun reconnaît au premier coup d’œilqu’il s’agit bien d’un parapluie. Mais, enêtes-vous si sûr? Est-ce qu’ils aident à mar-cher, à attraper quelqu’un? Est-ce qu’ilsvont réellement nous rendre la vie pluslégère?

Dans le pire des cas, le parapluie peutdevenir mortel, comme dans le film avecPierre Richard («Le coup de parapluie»,1980). Mais, il peut aussi être un moyen deprendre de la hauteur et voir la réalitédans sa globalité et dans sa possible légè-reté, à l’instar de Mary Poppins qui s’ensert sans gêne et sans retenue, avec uneélégance toute délicieuse, pour nous amener dans d’autres espaces. Des

espaces qui vont être explorés grâce auxateliers citoyens.

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Remerciements

C’est avec reconnaissance et gratitude que nous adressons ici nos remerciements aux membres du Conseil scientifique de ce congrès, ainsi qu’au Comité d’organisation.

Conseil scientifique

• Judith Bovay - Professeure HES en travail social, EESP, Lausanne

• Nadia Gaillet-Minkov - Médiatrice cantonale, Bureau cantonal médiation Santé-Handicap, Vaud

• Jean-Michel Kaision - Directeur des soins au Département de psychiatrie du CHUV

• Yasser Khazaal - Médecin-psychiatre aux HUG, président de la SSPS

• Denis Müller - Professeur d’éthique, Universités de Lausanne et de Genève

• Colette Pauchard - Professeure de droit, EESP, Lausanne

• Mélanie Peter - Professeure en travail social, Haute Ecole de travail social

du Valais

• Dominique Quiroga-Schmider - Ancienne professeure, travail social, HES-SO, Genève

• Frédéric Vuissoz - Chef de l’Office des curatelles et tutelles professionnelles (OCTP),Vaud

Comité d’organisation

• Marianne Bornicchia - Avocate, ancienne tutrice générale du canton de Vaud

• Richard Joray - Directeur du Département de l’action sociale, Graap-Fondation

• Isabelle Montavon - Secrétaire congrès, Graap-Fondation

• Madeleine Pont - Présidente du Graap-Association

• Barbara Zbinden - Coordinatrice de la Coraasp

• Jean-Pierre Zbinden - Directeur général du Graap-Fondation

Les textes de cette brochure ont fait l’objet d’une transcription sur la base des enregistrements réalisés lors des deux journées de notre congrès ou nous ont été aimablement communiqués par les intervenants. Les versions les plus longues

sont publiées ici sous forme résumée.

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La curatelle représente à la fois unemesure sécuritaire et une mesure solidaire, cela me semble clair. Par

contre, est-ce l’aspect sécuritaire ou solidaire qui doit primer? Comment trouverun juste équilibre entre les deux? Et surquels critères?

Un ancien juge de paix du canton de Vaud a rédigé en 1830 un petit manuel à l’attention de ses pairs. À l’époque déjà cetype de questions se pose, comme on peutle lire. Ce juge de paix se présente d’abordcomme le gardien de la paix publique,comme celui qui a un rôle de surveillant, degarant de la sécurité et de l’ordre. Maisapparaît aussi pour la première fois sous sa plume le principe de subsidiarité, qui lui donne le devoir moral de protéger, deprévenir avec douceur, même si la fermetéreste de mise.

Ce retour en arrière nous montre qu’il y adepuis toujours une tension entre l’aspectsécuritaire et l’aspect solidaire.

Avec l’ancien droit de tutelle qui a couru de1912 à 2012, on a connu pendant 100 ans le

système dit des «trois boîtes»: la tutelle, leconseil légal et la curatelle. Les personnesà protéger devaient entrer à tout prix dansl’une de ces «boîtes», quelle que soit leursituation particulière. Il n’y avait pas deplace pour du sur-mesure. Ce système a fonctionné, mais avec des limites trèsclaires. Toutes les autorités de protectionsont aujourd’hui heureuses — je le crois —de disposer enfin de plus grandes possibili-tés et de pouvoir se concentrer sur lesbesoins effectifs de la personne. Tout n’estcependant pas parfait, je vous le montreraitout à l’heure.

Le nouveau droit prévoit une gradation desmesures: de la simple curatelle d’accompa-gnement — avec un curateur qui joue enquelque sorte le rôle d’ami, de coach,d’inspirateur et n’a aucun pouvoir decontrainte — jusqu’à la mesure la plus sécuritaire qu’est le placement à fin d’assistance. Entre ces deux extrêmes, toutes sortes de variations sont possibles.

Des principes très clairs régissent le nouveau droit, dont celui d’autodétermi-nation. Avant même de réfléchir aux

La curatelle: une mesure sécuritaireou solidaire?

Wanda SuterJuge de paix de la Sarine, Fribourg

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mesures de protection, le législateur avoulu inviter les personnes concernées à s’occuper d’elles-mêmes elles-mêmes.L’idée est que celles-ci soient libres dechoisir ce qu’elles souhaitent, au-delàmême du moment où elle ne sont pluscapables de se rendre compte des effetsde leurs propres choix et donc de discer-nement. Deux instruments juridiques sontprévus pour permettre aux personnes defaire un choix durable, même en absencede leur capacité de jugement: le mandatpour cause d’inaptitude et les directivespersonnelles anticipées. Pour moi, il s’agitlà d’un réel progrès au niveau du droit.

Le nouveau droit contient aussi des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Le premier veut que la mesurela moins forte soit prise dans une situationdonnée. Illustrons cela avec un exemple:une dame, dont j’ai suivi le dossier, vivaitd’une rente AI et de Prestations Complé-mentaires. Malgré ses revenus très maigres,elle n’avait jamais rencontré de problèmesfinanciers. Souffrant d’une maladie chronique, elle a dû à un moment donnécommencer un nouveau traitement, beaucoup plus onéreux, mais qui calmaitses douleurs. Assurée sur le principe du tiersgarant, elle devait avancer l’argent de sessoins et se faire rembourser après coup.Pour une raison qui lui appartient, elle neparvenait pas à mettre ses factures dansune enveloppe et à les envoyer à son assurance. N’étant donc pas remboursée,elle n’a plus pu payer son loyer et ses autres factures. Elle nous a été signalée parle président du tribunal des baux, aumoment où sa régie demandait son expul-sion. À l’époque, on ne disposait pas comme

aujourd’hui d’une grande palette de mesu-res. Une demande de curatelle volontairelui a été proposée qui nous a permis de gérer sa situation financière. Enl’espace de moins d’une année, tout étaitréglé et on s’est rendu compte que cettedame, bien avant de rencontrer des problè-mes de médication avec les conséquencesfâcheuses qui ont suivi, était tout à faitcapable de faire ses paiements. Elle savaitdésormais le faire aussi avec son assurancemaladie. Sous le droit actuel, un accompa-gnement aurait été largement suffisant.

Cet exemple nous montre toute l’utilité depouvoir aujourd’hui reproportionner lesmesures. Le cas de la femme de notreexemple ne s’est pourtant pas arrêté là.Pendant des mois, elle n’avait pas osé direà son fils qu’elle avait un curateur. Le jouroù elle le lui avoua, il s’en scandalisa vive-ment et s’en plaignit auprès de nous. Nousl’avons invité avec sa mère pour en discuterdans le cadre d’une séance de justice de paix. Il a proposé d’assurer lui-même le suivi des factures. Nous avonspu dès lors appliquer le principe de subsidiarité et lever le mandat. Celadémontre bien que toute situation est évolutive, à l’image même de l’êtrehumain. Cette souplesse entre sécurité etsolidarité est importante pour nous. Il y aun moment pour agir fermement, et unautre moment pour tendre la main.

Quels sont les critères qui nous font pencher d’un côté ou d’un autre? La première chose dont on tient compte dansnos enquêtes, c’est bien sûr le type d’étatde faiblesse dont est atteinte la personne.Si celle-ci a perdu complètement sa capa-

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cité de discernement, une mesure extrême-ment large s’imposera. Toute une gradationexiste cependant au niveau du discerne-ment dont la perte ne peut être quepartielle. Les mesures à prendre serontalors différentes.

Le degré de protection dont la personne abesoin entre aussi en jeu. Certaines, bienqu’incapables de discernement, vivent eninstitution, bénéficient d’un soutien familial important. Dans ces cas, les inter-ventions de justice ne sont pas nécessaires.

La collaboration de la personne est égale-ment à prendre en considération. Si celle-ciaccepte de bon cœur d’être aidée et semontre transparente, on aura tendance à lui mettre des mesures moins fortes,même si cela n’est pas très objectif, je lereconnais.

C’est donc l’ensemble de tous ces élémentsmis ensemble qui va déterminer si labalance penchera plutôt du côté de la sécurité ou de celui de la solidarité.

Quels sont maintenant les intérêts en jeudans le choix d’une mesure? Il y a bienentendu ceux de la personne concernée,mais aussi de sa famille, de ses proches. Leréseau professionnel, composé du curateur,des institutions spécialisées, du personnelmédical, des éducateurs, etc., a aussi uneinfluence certaine. Sans oublier les tiersexternes: régie, voisins, employeurs... Maisj’aurais tendance à limiter l’influence deces derniers, même s’il n’est bien entendupas possible de complètement les ignorer.Les autorités pénales, la police jouent également un rôle important dans les

mesures de protection, puisque ce sont sou-vent eux qui signalent certaines situations.L’autorité de protection elle-même doitêtre mentionnée. Bien que s’efforçant d’être neutre et objective, elle reste composée d’êtres humains, par naturefaillibles.

La charge représentée par la personneconcernée pour les proches et les tiers, parfois, doit être prise en considération. Ilest important de le préciser. Cela estd’ailleurs mentionné à présent dans le Codecivil. Mais ce n’est pas le besoin de protec-tion de proches seuls qui peut justifier unemesure, on ne doit jamais l’oublier. Il arriveque certains d’entre eux nous appellent ounous écrivent sans arrêt. En dépit de cettepression, il faut absolument partir de lasituation de faiblesse et du besoin de protection de la personne elle-même. Lebesoin de protection de l’entourage doit,certes, être reconnu, mais il ne doit pasdevenir ce qui justifie la mesure.

De manière plus détaillée, nous constatonsque la personne concernée, en général,souhaite rester libre de faire ce qu’elleveut, ce qui se comprend très bien. Quantà l’entourage, quand le cas est réel, soit ilest usé et épuisé par la situation et réclamedes mesures fortes, soit il estime que toutva bien et ne veut qu’aucune mesure ne soitprise. C’est ce qu’on constate la plupart du temps dans notre pratique.

Les professionnels, les porteurs de mandat,eux, réagissent souvent à la confiance quis’établit, ou pas, avec la personne. Si cettedernière est peu collaborative, la mesurecontraignante tendra à être plus forte, cela

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peut se comprendre. Avec les curatellesd’accompagnement — ces mesures humai-nes —, je pense que pour les servicesofficiels de curateurs, elles sont difficiles àexécuter, car elles exigent beaucoup de temps. Solliciter ces servicesme pose donc quelques problèmes. Et, à cesujet, j’en profite pour lancer une proposi-tion aux associations: est-ce qu’elles ne devraient pas réfléchir à assumer elles-mêmes de tels mandats d’accompa-gnement? Elles font déjà, hors mandat, cetravail de conseil et d’écoute. Sous mandat,elles pourraient donner aux personnesdemandeuses d’un accompagnement lecadre clair dont elles ont besoin. Ces der-nières se référeraient à un curateur bienprécis pour toutes leurs questions relatives,par exemple, à la révision de leur rente AI.

Les autorités pénales et la police intervien-nent lorsqu’il y a eu délits, infractions,dénonciations, troubles de l’ordre et de latranquillité, etc. Ils doivent fréquemmentconstater que la problématique à laquelleils sont confrontés nécessite également uneréponse autre que répressive, éventuelle-ment sous forme de mesure de protectionde l’adulte ou de l’enfant. Les autoritéssouhaitent aussi souvent pouvoir être enquelque sorte déchargées d’interventionsmultiples chez une même personne grâce àces mesures.

L’autorité de protection de l’adulte, elle-même, est dans cette tension continueentre le respect de la liberté de la personneet ce qui est demandé par l’opinionpublique, ce tiers externe qui réclame sou-vent que l’on agisse vite et fermement parune mesure contraignante — avec tout ce

que cela peut comporter de non-respect del’être humain.

Voici maintenant un exemple pour illustrerle jeu de ces différents intérêts qui s’entre-choquent: Speedy Gonzales, père de troisenfants, souffre de schizophrénie et est aubénéfice d’une rente AI. En pleine procé-dure de divorce, il nous est signalé par sonépouse pour cause de harcèlement. Il refused’habiter le studio qui lui a été loué par sesparents et campe devant la maison de sonépouse. Il ne s’alimente plus et est dans un état d’hygiène déplorable. Incapable de gérer seul ses affaires adminis-tratives, il dépense la majeure partie de sarente en conversations téléphoniques avecdes voyants et autres médiums. Il ne veut ni mesure de protection ni soins psychiatriques.

Après ce bref descriptif de la situation, examinons quels intérêts sont en jeu:

S.G., lui, veut retourner vivre avec safamille, souhaite obtenir un travail dans l’économie libre, trouver un appartementlui permettant d’accueillir ses enfants endroit de visite. Il est sincèrement persuadéqu’il n’a besoin d’aucune aide.

L’ex-épouse et les enfants, eux, souhaitentne plus avoir peur d’être suivis dans la rue,d’être épiés derrière les fenêtres. Ils ontpeur de se retrouver seuls en face de lui etse font également beaucoup de souci pourson état de santé.

Quant aux professionnels, ils sont confron-tés à sa non-collaboration, à son refus detoute aide, à ses accès de colère, de

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violence et à ses hallucinations. Ils doiventaussi gérer les appels à l’aide de l’entou-rage et des proches qui leur demandentd’intervenir.

La situation s’est finalement soldée par unplacement à fin d’assistance. S.G. ne s’alimentait plus et menaçait de se suicider.L’entourage était également à bout denerfs. L’hospitalisation a été très chaotique,ponctuée de fugues. Par la suite, il aaccepté un suivi thérapeutique, mais refusait toujours tout médicament. Plustard, il a habité quelque temps chez sesparents qui ne l’ont vite plus supporté. Lasituation s’est à nouveau tendue.

Un ami de la famille qui travaillait dans ledomaine de la réinsertion a alors proposé del’emmener pour un été à la montagne et del’évaluer. Ce qui lui a fait le plus grandbien. L’ami de la famille est arrivé à la conclusion que S.G ne pouvait plus travailler dans l’économie libre et qu’ildevait être placé. S.G. a accepté d’aller enfoyer. Mais, très rapidement, il a refusé d’yrester, car il avait besoin d’indépendance.Il faut dire qu’il allait beaucoup mieux. Ona donc pu lui autoriser à louer un studio àproximité du domicile de ses parents chezqui il allait manger tous les jours à midi. Lasituation s’est stabilisée et il gère désor-mais sa vie relativement bien. Bientôt nousallons pouvoir examiner la levée de la cura-telle de portée générale qui avait étéprononcée.

Cet exemple illustre bien tous les intérêtsqui ont pesé sur les différentes décisionsque nous avons prises. La mesure la pluscontraignante a dans son cas été prise parce

que sa vie était en danger, mais aussi parceque son épouse et ses enfants pleuraient tous les jours. On a donc tenucompte de tous ces intérêts pour décider, àun moment donné, que l’aspect «sécurité»devait devenir prioritaire.

L’objectif du nouveau droit est d’adapter aumieux les mesures aux besoins de la personne. Cela passe par une définition précise des tâches du curateur afin de limi-ter le moins possible la liberté de lapersonne. Il s’agit là d’un exercice difficileet je dois reconnaître que nous avonsencore des progrès à faire qui viendrontprogressivement.

Chaque mesure devrait être réexaminée demanière régulière pour suivre l’évolution dela personne. De notre côté, nous devrionstoujours — dans la mesure du possible —faire pencher la balance du côté de lamesure la moins forte. À cette fin, nousavons besoin de temps et de moyens. En général, les signalements arrivent auxautorités de protection lorsque la crise adéjà explosé et qu’il ne reste plus qu’unchamp de ruines devant soi. Et là, souvent,une mesure un peu plus forte est à envisa-ger pour essayer de rétablir une situationnormale.

Le nombre de dossiers à instruire ne permetmalheureusement pas de passer trop detemps sur chaque situation. Ce qui nousamène parfois à ne pas voir certains éléments importants. Difficile d’agir dansun délai raisonnable en récoltant toutes lesdonnées et sans mettre de mesures tropfortes.

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Le danger qui nous guette finalement est dene pas respecter l’esprit de la loi. On préfère peut-être instituer une mesure quiest rapidement efficace et facile à exécuterplutôt que de respecter strictement ce principe de proportionnalité. Je crois qu’ilfaut avoir l’honnêteté de dire que nousn’arriverons pas toujours à appliquer ceprincipe.

Des phrases comme «mieux vaut prévenirque guérir» ou «la confiance n’exclut pas lecontrôle», on les entend, on les connaît eton doit s’en méfier. Elles sont en effetcontraire à l’esprit de cette loi, mais ellessont là, elles sont présentes, même dansnos esprits à nous.

Autre limite: le manque de temps et demoyens. Quand un curateur travaillant àplein temps doit suivre entre 80 et 100 per-sonnes, il est difficile de consacrer dutemps à chacun. Sur ce point, je crois quedes décisions politiques doivent être prisesafin que les porteurs de mandats soientmieux dotés. Il est important que ces derniers puissent prendre le temps néces-saire pour gagner la confiance despersonnes qu’ils sont censés soutenir. Sansleur confiance, difficile de collaborer. Sanscollaboration, impossible d’avancer.

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Le nouveau droit de la protection del’adulte (1), entré en vigueur le 1er janvier 2013, confère aux cantons

tant la faculté que l’obligation de légiférerdans certains domaines.

Nous verrons ici comment les cantons ont fait usage de ces compétences en particulier s’agissant des points les plusinnovants, marquants ou problématiqueseu égard aux droits des patients atteintsde troubles psychiques. Le droit applicableaux mineurs et les diverses probléma-tiques posées par le droit fédéral neseront pas abordés.

Nous allons donc successivement inven-torier les diverses lois cantonalesd’application, puis qualifier l’organisationde la protection de l’adulte telle qu’elleest mise en œuvre dans les différents can-tons. Ensuite, nous aborderons quelquesthèmes choisis, tels que les directives anti-cipées, la rémunération du curateur,certains thèmes du placement à des fins d’assistance. Enfin, nous termineronspar le droit et le devoir d’aviser l’autorité.

I. Lois cantonales d’application

La majorité des cantons ont choisi de légiférer en matière de protection de l’adulte par des lois cantonales, règle-ments ou ordonnances d’application,tandis que les cantons de Genève et du Valais ont révisé leur loi cantonaled’application du Code civil. Certains cantons ont également adopté des normesen matière de placement à des fins d'assis-tance (PAFA) et/ou précisé des règles enmatière de rémunération du curateur.Enfin, lorsque cela était nécessaire, la loisur la santé ou la loi sanitaire, selon la ter-minologie utilisée par le canton, ont subiquelques modifications pour correspondreà la teneur de la nouvelle loi.

II. Organisation de laprotection de l’adulte

L’organisation des instances compétentesen matière de protection de l’adulteappartient aux cantons, qui sont libres,

Tour d’horizon romanddes mises en œuvrede la nouvelle législation

Asuman Kardes Avocate, Pro Mente Sana, Genève

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BE Loi sur la protection de l’enfant et de l’adulte du 1er février 2012 (LPEA – RSBE 213.316)

Ordonnance sur la protection de l’enfant et de l’adulte du 24 octobre 2012 (OPEA – RSBE 213.316.1) Ordonnance du 19 septembre 2012 sur la collaboration des services communaux avec les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte et l’indemnisation des communes (OCInd – RSBE 213.318) Ordonnance du 19 septembre 2012 sur la rémunération et le remboursement des frais en matière de gestion des curatelles (ORRC – RSBE 213.361) http://www.sta.be.ch/belex/f/bsg.asp?mnuid=17&lang=f

FR Loi concernant la protection de l’enfant et de l’adulte du 15 juin 2012 (LPEA – RSFR 212.5.1) Ordonnance concernant la protection de l’enfant et de l’adulte du 18 décembre 2012 (OPEA– RSFR 212.5.11) Loi sur la santé du 16 novembre 1999 (LS– RSFR 821.0.1) Loi sur la justice du 31 mai 2012 (LJ– RSFR 130.1) http://bdlf.fr.ch/

GE Loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ – RSGE E 2 05) Loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - RSGE K 1 03) Loi d’application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC – RSGE E 1 05) Règlement fixant la rémunération des curateurs du 27 février 2013 (RRC - RSGE E 1 05.15) Règlement relatif aux juges assesseurs et aux juges suppléants du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant du 31 octobre 2012 (RTPAE - RSGE E 2 05.08) http://www.ge.ch/legislation/

JU Loi sur l’organisation de la protection de l’enfant et de l’adulte du 23 mai 2012 (LOPEA – RSJU 213.1) Ordonnance concernant la protection de l’enfant et de l’adulte du 11 décembre 2012 (OPEA – RSJU 213.11) Loi sur les mesures et le placement à des fins d’assistance du 24 octobre 1985 (LMPAFA – RSJU 213.32) Décret sur l’admission et la sortie des patients en établissements psychiatriques du 24 octobre 1985 (RSJU 213.322) Loi sanitaire du 14 décembre 1990 (LS - RSJU 810.01) http://rsju.jura.ch/extranet/common/rsju/index.html

NE Loi concernant les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte du 6 novembre 2012 (LAPEA – RSNE 213.32) Règlement du service de protection de l’adulte et de la jeunesse du 13 décembre 2000 (RSPAJ – RSNE 213.31) Loi de santé du 6 février 1995 (LS - RSNE 800.1) Règlement provisoire d’exécution de la loi de santé du 31 janvier 1996 (RSNE 800.100) Règlement concernant la protection des patients hospitalisés en milieu psychiatrique du 19 mai 2004 (RPP - RSNE 807.301) Décret fixant le tarif des frais, des émoluments de chancellerie et des dépens en matière civile, pénale et administrative du 6 novembre 2012 (TFrais) http://rsn.ne.ch/ajour/default.html

VD Loi d’organisation judiciaire du 12 décembre 1979 (LOJV – RSVD 173.01) Loi d’application du droit fédéral de la protection de l’adulte et de l’enfant du 29 mai 2012 (LVPAE – RSVD 211.255) Loi sur la santé publique du 29 mai 1985 (LSP - RSVD 800.01) Règlement concernant l’administration des mandats de protection du 18 décembre 2012 (RAM - RSVD 211.255.1) Règlement sur la rémunération des curateurs du 18 décembre 2012 (RCur- RSVD 211.255.2) Règlement sur le registre des mesures de protection du 18 décembre 2012 (RRMP- RSVD 211.255.4) Arrêté instituant le «Fonds des pupilles du Tuteur général» du 7 janvier 1949 (AF-PTu- RSVD 211.255.6) Arrêté sur l’Office du tuteur général du 19 octobre 1983 (AOTu- RSVD 211.255.5) http://www.rsv.vd.ch/rsvsite/rsv_site/index.xsp

VS Loi d’application du code civil suisse du 24 mars 1998 (LACCS – RSVS 211.1) Loi sur la santé du 14 février 2008 (LS - RSVS 800.1) Ordonnance sur la protection de l’enfant et de l’adulte du 22 août 2012 (OPAE - RSVS 211.250) http://www.vs.ch/Navig/legislation.asp?MenuID=4486&Language=fr

inventaire du nouveau droit cantonal de la protection de l’adulte

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dans le respect des normes fédérales,d’organiser les instances comme ils le souhaitent. Nous aborderons successive-ment l’autorité de protection de l’adulte (APA), l’instance judiciaire de recours,ainsi que l’autorité de surveillance. L’ap-pel au juge selon l’art. 439 CC sera, quantà lui, traité dans le chapitre consacré auPAFA.

1. Autorité de protection de l’adulte

L’APA est l’autorité de référence, compé-tente pour instituer une curatelle, choisirle type de curatelle ou prononcer un PAFA.Cette autorité doit être interdisciplinaire,collégiale et indépendante.

a) Interdisciplinarité

Le Message du Conseil fédéral (2) recom-mande aux cantons de nommer despsychologues, des médecins, des tra-vailleurs sociaux, des personnes qui ontdes connaissances en matière financièreou actuarielle. Toutefois, pour veiller àune bonne application du droit, l’autoritésera le plus souvent présidée par unjuriste.

Genève se démarque en reprenant sa pratique antérieure avec l’instaurationd’une règle prévoyant que lorsque l’APAtraite de causes portant exclusivement surla limitation de la liberté de mouvementdes personnes et sur le PAFA ordonné parun médecin, le président soit assisté d’unjuge assesseur psychiatre et d’un jugeassesseur membre d’une organisation sevouant statutairement depuis 5 ans aumoins à la défense des droits despatients (3). Ainsi, figurent au catalogue

des nouveaux juges assesseurs du TPAE,des membres d’associations telles que l’Association pour les personnes atteintesde troubles bipolaires ou de dépressions(ATB  &  D) ou l’association romande de Pro Mente Sana (PMS).

À titre d’exemple de ce que l’interdiscipli-narité pourrait apporter, PMS proposait,lors d’une prise de position, que l’autoritéintervienne dans sa composition ordinaire,avec un représentant des patients,lorsqu’elle statue sur une demande fondéesur l’art. 373 CC portant sur l’interventionde l’APA en cas de non-respect des directives anticipées.

b) Collégialité

L’autorité doit ensuite être collégiale, celasignifie que les décisions doivent être prises à trois membres au moins sauf dansles cas d’urgence; lorsque la question nerevêt pas de difficulté particulière ou pourdes questions d’efficience de procédure,un juge unique pourra prendre des décisions seul. Les diverses lois cantonalesprévoient les cas dans lesquels le jugeunique peut prendre ce type de décisions (4).

Le canton du Jura innove en proposant laprise de décision sans audience, mais parvoie de circulation (5): les trois membresofficiels, soit le président et les deux vice-présidents doivent avoir pris connais-sance du dossier, relire la décision et fairepart des modifications nécessaires.

c) Indépendance

Le droit fédéral laisse le choix aux cantonsd’adopter une autorité administrative ou

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judiciaire  (6). Une autorité judiciairerépond à l’exigence posée par l’art.  30al.  1  Cst.  féd. lequel prévoit que toutepersonne dont la cause doit être jugéedans une procédure judiciaire a droit à ceque sa cause soit portée devant un tribu-nal établi par la loi, compétent,indépendant et impartial, principe posépar l’art. 6 CEDH.

Or, si l’autorité de protection de l’adulteest une autorité de type administratif, lespersonnes pourraient avoir le sentimentd’une absence d’indépendance. Le cantondu Jura (7), le canton du Valais (8) ainsique le canton de Berne (9) ont à cet égardfait figurer dans leur loi d’application leprincipe d’indépendance des autorités.

En revanche, lorsque l’autorité est de typejudiciaire, la procédure revêtira un ca-ractère plus solennel, ce qui pourraitreprésenter parfois un obstacle pour lejusticiable. Toutefois, ce dernier pourraitaccorder une plus grande confiance dansl’autorité de protection, laquelle acquer-rait ainsi une légitimité plus importante entermes d’indépendance.

Les cantons pour lesquels le choix s’estporté sur une autorité de type administra-tif l’ont généralement fait car il n’étaitpas dans leur culture d’avoir des autoritéstutélaires judiciaires. On considère parfoisqu’il est moins stigmatisant d’avoir affaireà une autorité administrative. Si l’activitéde l’APA comprend un volet important surle plan juridique, il est un certain nombrede tâches qui ne relèvent pas de l’activitéjudiciaire proprement dite, telles que lanomination des curateurs, les instructions,

conseils et soutien aux curateurs, l’exa-men des rapports et l’approbation descomptes de curatelle; l’autorité assureraplus naturellement le maintien d’une certaine proximité avec le terrain, lesadministrés et les communes; son coût de fonctionnement est généralement inférieur à celui d’une autorité judiciaire;les membres sont nommés et non élus par le parlement, l’élection des jugesétant pour partie fondée sur des critèrespolitiques.

Notons aussi qu’à Genève, avant le 1er janvier 2013, la solution était adminis-trative pour les questions de PAFA,celles-ci étant réglées par la Commis-sion de surveillance des professions de la santé et des droits des patients. Or,cette commission est désormais intégréedans le nouveau Tribunal de Protection,qui siège directement à l’Hôpital psychia-trique du canton de Genève. Avant le 1er janvier  2013, la situation était moins intimidante pour la personneconcernée puisque les audiences avaientlieu devant une commission et non devantdes juges.

En résumé, les cantons de Berne, Jura,Valais ont opté pour des autorités denature administrative tandis que celles descantons de Fribourg, Genève, Neuchâtel, et Vaud sont de nature judiciaire.

Bien que l’on compte 4 cantons romandssur 7 ayant opté pour une solution judiciaire, à l’échelle fédérale, ce sont7  cantons dont le Tessin (Thurgovie, Schaffhouse) qui ont choisi cette solution

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!

BE (12) Kindes- und Erwachsenenschutzbehörden (ci-après KESB) Oberland West, Frutigen KESB Oberland Ost, Interlaken KESB Thun, Thun KESB Mittelland Süd, Münsingen KESB Mittelland Nord, Fraubrunnen KESB Bern, Bern KESB Oberaargau, Wangen KESB Emmental, Langnau KESB Seeland, Aarberg KESB Biel/APEA Bienne, Bienne APEA Jura bernois, Courtelary Burgerliche Kindes - und Erwachsenenschutzbehörde, Bern

FR (7) Friedensgericht des Sensebezirks, Tafers Justice de paix du cercle de la Broye, Estavayer-le-Lac Justice de paix du cercle de la Gruyère, Bulle Friedensgericht des Seebezirks, Murten Justice de paix du cercle de la Glâne, Romont Justice de paix du cercle de la Veveyse, Châtel-St-Denis Justice de paix du cercle de la Sarine, Fribourg

GE (1) Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE), Genève

JU (1) Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA), Delémont

NE (3) Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers, Neuchâtel Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers, Boudry Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz, La Chaux-de-Fonds

VD (9) Justice de paix du district d’Aigle, Aigle Justice de paix du district de la Broye-Vully, Payerne Justice de paix du district du Jura-Nord vaudois et du Gros-de-Vaud, Yverdon-les-Bains Justice de paix du district de Lausanne, Lausanne Justice de paix du district de l’Ouest lausannois, Renens VD Justice de paix du district de Lavaux-Oron, Cully Justice de paix du district de Morges, Morges Justice de paix du district de Nyon, Nyon Justice de paix du district de la Riviera-Pays-d’Enhaut, Vevey

VS (27) KESB Obergoms, Reckingen-Gluringen KESB Untergoms, Fiesch KESB Östlich-Raron, Mörel-Filet KESB Bezirk Brig, Brig-Glis KESB Mattertal KESB Saastal und Region Stalden KESB Schulregion Visp, Visp KESB Raron, Raron KESB Region Leuk, Susten APEA Miège, Mollens, Venthône, Veyras, Miège APEA de la Plaine, St-Léonard APEA Sierre, Sierre APEA Anniviers, Vissoie APEA Chermignon, Lens, Icogne, Montana, Randogne, Chemignon APEA Coteau, Savièse APEA Sion, Veysonnaz, Les Agettes, Sion APEA Hérens, Evolène APEA Coteaux du soleil, Ardon APEA Nendaz, Basse-Nendaz APEA Martigny, Bovernier, Martigny-Combe, Trient, Martigny APEA Les Deux Rives, Saxon APEA Fully, Charrat, Fully APEA Entremont, Sembrancher APEA St-Maurice, St-Maurice APEA Monthey, Monthey APEA Vallée d’Illiez, Troistorrents APEA Haut-Lac, Vionnaz

Liste des autorités par canton

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contre 15 cantons qui se sont dirigés versla nature administrative de l’APA.

d) Autorités par canton

Une grande disparité entre les cantonsexiste dans le choix du nombre d’APA: 12à Berne, 7 à Fribourg, une autorité seule-ment à Genève et dans le canton du Jura,tandis que le canton du Valais a réduit seschambres pupillaires à 27 APA.

En dépit de cette diminution, on peutcraindre que l’exigence d’interdisciplina-rité soit difficile à réaliser dans chacunedes autorités.

De plus, on peut se demander si, dans uncanton qui compte près de 300’000 habi-tants, on ne reste pas trop proche du tissusocio-économique entraînant un risque deconflits d’intérêts et de préjugés liés à laconnaissance hors dossier des personnesconcernées.

En ce sens, le canton du Jura a poussé jusqu’au bout le changement de logiquede son régime, puisque les 64  autoritésfondées sur un système de milice, ontfusionné pour donner lieu à une uniqueautorité avec siège à Delémont.

Ce choix tient au fait que l’APA a optépour un plus grand professionnalisme etune meilleure efficacité de la part de sesmembres, veillant à une pratique et unejurisprudence uniforme.

Sur le plan pratique, il n’y aura plus dediscussion quant au for de la procédure,soit quant à savoir quelle autorité va décider pour qui en fonction de son

domicile. Et surtout, il n’y aura plusqu’une seule autorité de référence pourles administrés et les autres services. Lecanton du Jura a également prévu de fairetenir ses audiences dans les autres districts, en fonction des affaires à traiter (10).

2. Instance judiciaire de recourset autorité de surveillance

Les décisions de l’autorité de protectionpeuvent être remises en question auprèsde l’instance judiciaire de recours. Ainsi,une décision portant sur un type de cura-telle ou la mesure de placement à des finsd’assistance prononcée par l’APA vont pouvoir être contestées.

L’autorité de surveillance veillera quant àelle au bon fonctionnement et à l’applica-tion globalement correcte et uniforme dudroit par les APA. La Conférence des cantons en matière de protection desmineurs et des adultes (COPMA) recom-mandait que les cantons attribuent lacompétence de l’autorité de surveillanceà l’instance judiciaire de recours. Certainscantons ont suivi cette exigence tandisque d’autres, en particulier le canton duValais, ont institué par le biais du Conseild’Etat, des inspecteurs qui sont soumis àdes règles détaillées. Ces inspecteurs ontpour tâche de surveiller également les Ser-vices officiels de la curatelle (SOC).

III. Les directives anticipées

Avant l’entrée en vigueur du nouveau droitde la protection de l’adulte, les cantons

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romands connaissaient déjà l’institutiondes directives anticipées (DA), un long pro-cessus qui a permis de gagner du terraindans la protection des droits despatients  (22). Il s’agit d’un documentrédigé à l’intention du corps médical pourinformer des traitements que l’on souhaiterecevoir ou pas. Certains cantons permet-taient d’établir les directives oralement,tandis que d’autres avaient déjà opté pourdes directives rédigées.

Compter les DA parmi les règles fédéralesest une grande nouveauté mais elles nepeuvent plus porter que sur l’aspect médical d’une situation. La prise encharge sociale, par laquelle on peut don-ner à une personne physique ou morale lepouvoir de s’occuper de ses affaires (rece-voir les courriers recommandés, effectuerles paiements, etc.), doit faire l’objetd’un «mandat pour cause d’inaptitude»,rédigé en la forme olographe ou authen-tique, ce qui rend les choses bien moinsfaciles. Plusieurs documents différentspeuvent être envisagés pour embrasserune multitude de problèmes, lesquels, s’ils

relèvent de divers aspects et donc visentdiverses finalités, proviennent d’une seuleet même cause: l’incapacité de discerne-ment de la personne concernée.

À noter encore que le nouveau droit deprotection de l’adulte atténue simultané-ment la portée des DA en cas deplacement à des fins d’assistance. Danscette circonstance, les directives antici-pées ne permettent plus de s’opposer à untraitement, puisque les DA sont seulementprises en considération (art. 433 CC). Lespatients psychiques auront donc de l’imagination à déployer pour tenter d’atténuer les effets de cette régressionde leurs droits.

Pour que les DA soient valables, le docu-ment doit émaner de la person-ne concernée et non de l’un de ses pro-ches; elles ne seront pas valables si la personne était incapable de discerne-ment au moment de la rédaction desdirectives. Enfin, les situations envisa-gées doivent être décrites clairement etprécisément.

!

Instance judiciaire de recours (CC 450) Autorité de surveillance (CC 441)

BE TPEA intégré à la section civile de la Cour suprême (11)

Direction de la justice, des affaires communales et des affaires ecclésiastiques (12)

FR Tribunal cantonal (13) Conseil de la magistrature (14)

GE Chambre de surveillance de la Cour civile de la Cour de Justice (15)

JU Cour administrative du Tribunal cantonal (16)

NE Cour des mesures de protection de l’enfant et de l’adulte du Tribunal cantonal (17)

Conseil de la magistrature (18)

VD Tribunal cantonal (19)

VS Tribunal cantonal (20) Conseil d’Etat (Inspecteurs) (21)

instance judiciaire de recours et autorité de surveillance

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À ce titre, au niveau des pratiques canto-nales, à l’heure actuelle, il n’y aurait pasplus d’enregistrement de DA recensé dansles hôpitaux que par le passé. Pour quecette institution devienne effective, unrôle important échoit aux soignants pour lapromotion de celle-ci auprès des patientsafin que l’information soit largement dif-fusée. Les patients, quant à eux, devraienten parler avec leur médecin et avec leurentourage pour pouvoir, par exemple, désigner efficacement unreprésentant thérapeutique.

L’uniformisation des DA donne lieu à unabandon des particularités cantonales.L’avenir nous dira si cette pratique uniforme répondra mieux aux intérêts despatients.

IV. Rémunération du curateur

L’art.  404  CC prévoit que le curateur adroit à une rémunération appropriée et auremboursement des frais justifiés; cessommes sont prélevées sur les biens de lapersonne concernée. S’il s’agit d’un curateur professionnel, elles échoient àson employeur (al.  1). L’autorité de protection de l’adulte fixe la rémunéra-tion. Elle tient compte en particulier de l’étendue et de la complexité destâches confiées au curateur (al.  2). Lescantons édictent les dispositions d’exécu-tion et règlent la rémunération et leremboursement des frais lorsque les sommes afférentes ne peuvent être préle-vées sur les biens de la personneconcernée (al. 3).

Lorsque la personne protégée est indi-gente, le paiement des curateurs incombeau canton ou aux communes  (23). Le canton de Fribourg (24) ainsi que le cantonde Berne  (25) prévoient la restitution des honoraires versés par le canton,lorsque la personne concernée revient à meilleure fortune ou que sa situations’améliore. À ce titre, il est à craindrel’effet désincitatif d’une telle mesure.

À Genève  (26), le tribunal désigne le service officiel, soit le Service de la pro-tection de l’adulte, lorsque la personneprotégée dispose d’une fortune globalenette inférieure ou égale à CHF 50’000.-et qu’aucun proche n’est susceptible des’occuper de sa situation, alors que le canton de Vaud (27) institue un plafond deCHF 5’000.-. Ce montant minimum laissecraindre une paupérisation et une fragili-sation de la personne concernée, carattribuer le mandat à un curateur aurapour effet de diminuer drastiquement une fortune qui, si elle est supérieure auminimum requis, pourrait être bien tropfaible pour la réalisation d’une gestionefficace d’un dossier.

Selon les compétences particulières oul’engagement extraordinaire du curateur,le montant peut être plus élevé, parexemple en Valais  (28). Tandis que le canton de Fribourg  (29) prévoit uneindemnité par acte, c’est-à-dire que leshonoraires ne sont pas fixés en heure maisversés selon un forfait.

En principe, le travail du curateur privénon professionnel est gratuit dans le canton de Genève (30), sauf si la situation

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de la personne protégée permet unerémunération.

Enfin, lorsque le curateur est un profes-sionnel (soit lorsqu’il est rattaché à un service social privé ou public), la rémunération échoit à l’employeur qui luipaie son salaire, quand bien même il estdésigné à titre personnel (31).

V. Le placement à des fins d’assistance

Le placement à des fins d’assistance (PAFA) remplace la privation de liberté àdes fins d’assistance de l’ancien droit.Il s’agit de la mesure la plus incisive qui vise à protéger une personne atteinte par exemple de troubles psychiques, lorsqu’elle a besoin d’assistance ou d’un traitement, qu’elle représente unecharge pour elle-même ou ses pro-ches et/ou qu’il existe une institutionappropriée (32).

1. Décisions prononcées par un médecin

Le placement à des fins d’assistance est enprincipe prononcé par l’Autorité de pro-tection  (33), mais en pratique c’estl’exception qui prévaut, soit le placementprononcé par un médecin (34).

Le droit fédéral laisse aux cantons le choix du type de médecin qui peut prendre cette mesure. Il prévoit égalem-ent que la mesure soit prononcée pour une durée maximum de 6 semaines,libre aux cantons de prévoir une duréemoindre.

Le texte légal interdit en outre aux can-tons de désigner d’autres professionnelsque des médecins. Par exemple, lespsychologues, psychothérapeutes ou lecurateur de portée générale (35) n’ont pascette compétence (36).

PMS recommandait que pour la protectiondes intérêts des patients, le médecin auto-risé à procéder seul à un placement soitspécialisé en psychiatrie. En effet, ces spé-cialistes sont plus à même de déterminers’il s’agit bien d’une maladie psychia-trique, alors qu’un non-spécialiste peutconfondre le cas qui lui est soumis avec,par exemple, un état de colère ne dérivantpas d’une véritable maladie psychique. Lanécessité d’un titre post-grade en psychia-trie été abandonnée en raison de leurfaible densité dans certains cantons.

a) Le médecin

À Berne (37) et Fribourg (38), le médecinhabilité à prononcer le placement à desfins d’assistance est un médecin autorisé àexercer partout en Suisse. Tandis que lescantons du Jura (39) et de Neuchâtel (40)prévoient que seul le médecin autorisé àpratiquer dans le canton peut prononcerune telle mesure.

Ces choix soulèvent certains problèmes.Par exemple, si un médecin bernois prononce un placement à l’égard d’un rési-dent du canton du Jura, alors que lecanton du Jura donne cette compétence àses propres médecins uniquement, le placement sera-t-il valable?

Dans le canton du Valais (41), les médecinsde premier recours, qui font partie d’un

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cercle de garde, sont compétents pourprononcer un PAFA. Le Valais a restreint lecercle des médecins habilités à prononcerune telle mesure aux personnes formées àtraiter les cas d’urgence. Cependant, pourqu’une mesure soit valable, le médecinn’est pas obligé de travailler en cette qualité, le fait qu’il soit formé au travaild’urgentiste suffit. Ainsi, lors de sa pra-tique ambulatoire, un médecin peutprononcer un placement, pourvu qu’ilfasse partie par ailleurs d’un cercle degarde.

Dans le canton de Genève (42), le médecindoit être au bénéfice d’une formationpost-graduée reconnue et être inscrit auregistre de sa profession, à l’exclusion desmédecins du service où la prise en chargehospitalière aura lieu. De même, dans lecanton du Jura, le médecin doit être indépendant de l’établissement danslequel la personne est placée (43).

Dans le canton de Vaud (44), seuls lesmédecins de premier recours, les médecins de garde (y comprisSMUR/REMU/REGA), les pédiatres, les psy-chiatres et les médecins-délégués ducanton sont autorisés par le Départementde la santé et de l’action sociale à pronon-cer des PAFA (45).

b) La durée

PMS a recommandé à plusieurs reprises delimiter la durée du placement à 20  ou 30  jours maximum. Nombre de délais de droit du travail ou de droit des assuran-ces sociales répondent à un schémaidentique, soit le délai de 30 jours. La Loisur l’assurance-invalidité autorisant la

communication d’un cas de maladie endétection précoce après 30 jours d’incapa-cité de travail, il devient quasimentimpossible dès ce moment-là de dissimulerà l’employeur les motifs psychiatriques del’absence au travail, ce qui rend, dans laplupart des cas, la continuation du contratde travail problématique.

Hormis le canton de Fribourg (46) qui faitusage de sa compétence en prévoyant unedurée de 4 semaines, les autres cantonsont adopté la règle fédérale des 6 semai-nes  (47) (40  jours pour le canton deGenève (48).

Ainsi, un problème similaire à celui évoquéplus haut se pose. Un médecin bernois quipeut prononcer un placement d’une duréede 6  semaines prononce-t-il pour cettemesure pour une durée moindre à l’égardd’un résident du canton de Fribourg, quiprévoit une durée maximale de 4 semaines?

2. Personne de confiance (49)

La personne de confiance est l’institutionla plus large prévue par le nouveau droit.Il peut s’agir aussi bien d’un proche, d’unmédecin traitant, du curateur, du manda-taire pour cause d’inaptitude, ou encoredu représentant thérapeutique désigné pardirectives anticipées (50).

Toutefois, la personne de confiance nepeut être un soignant qui travaille dansl’institution où est placée la personneconcernée. En effet, si la personneconcernée agit contre l’institution quiemploie le soignant nommé en qualité depersonne de confiance, le conflit d’inté-rêts sera manifeste.

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PMS recommande de mettre sur pied unsystème permettant, à toute personneplacée à des fins d’assistance, d’avoiraccès à des visiteurs extérieurs et bénévo-les. Les personnes souffrant de troublespsychiques sont le plus souvent isoléessocialement, de sorte qu’il arrive fréquemment qu’elles ne soient pasentourées de personnes de confianceissues de leurs cercles familiaux ou ami-caux. Il appartient dès lors au canton defaire en sorte que même les personnes lesplus défavorisées puissent avoir accès àune personne de confiance.

À Genève (51) par exemple, il existe lesconseillers-accompagnants, constitués enassociation et mandatés légalement pouraccompagner toute personne hospitaliséeen unité psychiatrique qui en fait lademande. Sur simple appel à la perma-nence, un conseiller accompagnant peutrencontrer la personne demandeuse, etceci pendant toute la durée de son hospi-talisation. Les conseillers-accompagnantssont indépendants de toute institution;leurs services sont gratuits et anonymes.

Le canton de Vaud connaît dans sa législa-tion les «organismes indépendants à butnon lucratif» (52) concrétisés par les«accompagnements des patients en établissement» (53). Cependant, le droitvaudois en la matière est resté lettremorte.

Dans le canton de Fribourg (54), à sademande expresse, un patient peut êtreassisté par un conseiller-accompagnantdans ses démarches auprès des profession-nels de la santé, du Réseau fribourgeois de

soins en santé mentale (RFSM) et des auto-rités qui ne peuvent refuser sa présence.Le rôle du conseiller-accompagnant est detrouver, si possible, un compromis entreles souhaits du patient et les exigences duRFSM. Il ne peut toutefois exercer aucuneforme de représentation. La Directiondésigne les conseillers-accompagnantsaprès avoir entendu les organismes indé-pendants à but non lucratif reconnus parle Conseil d’Etat, en vue de contribuer àl’accompagnement des patients en institu-tion.

La mise sur pied d’une telle institutionpourrait également s’inspirer des expé-riences positives réalisées dans cedomaine au Tessin, canton qui autorise lapersonne de confiance à se rendre sponta-nément à l’hôpital pour voir dans quellesconditions les personnes sont traitées.

3. Appel au juge

Le placement à des fins d’assistance prononcé par un médecin, par exemple,peut être remis en question en faisantappel au juge selon l’art. 439 CC.

Dans la plupart des cantons (55), la com-pétence de l’art.  439  CC revient àl’autorité de protection, ce qui paraîtnaturel puisqu’elle doit répondre à l’exigence d’interdisciplinarité et setrouve plus à même de trancher des questions complexes relevant parfois de lapsychiatrie.

Malgré cela, le canton du Jura (56) octroiecette compétence au juge administratif depremière instance, tandis que le canton duValais l’attribue à un juge spécialisé

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désigné par le Tribunal cantonal (57), soitle Tribunal des mesures de contrainte(58), un tribunal à vocation et à connota-tion pénale ce qui est contraire au principe de non-stigmatisation des personnes concernées, instauré par le nouveau droit fédéral. Cependant, à Genève (59), lorsque le Tribunal est saiside cette question, il doit s’entourer d’unjuge assesseur psychiatre et d’un jugemembre d’une organisation se vouant sta-tutairement depuis 5  ans au moins à ladéfense des intérêts du patient.

VI. Droit et devoir d’aviser l’autorité

La doctrine admet que l’on puisse informer l’autorité de protection anony-mement ou de tenir compte d’unsignalement donné par une personne inca-pable de discernement (60).

Ce signalement peut être fait par écrit oupar téléphone, ou encore oralement (61).Toutefois, à Genève (62) et dans le cantonde Vaud (63), le signalement doit êtredonné par écrit et indiquer l’identité del’auteur. Il peut être aussi fait par voieélectronique et doit également contenirl’adresse de l’auteur.

Si ces nouvelles règles garantissent dansle canton Genève et dans le canton deVaud une meilleure sécurité par rapportaux personnes visées par une mesure dePAFA, les autres cantons romands pour-raient connaître des signalements abusifset néfastes pour les personnes déjà fragi-lisées par leur condition.

En dérogation au secret de fonction, qui astreint à la confidentialité toute personne exerçant une tâche de droitpublic (art.  320  CP)  (64), l’alinéa  2 de l’art.  443  CC oblige toute personnequi, dans l’exercice de sa fonction offi-cielle, a connaissance d’un tel cas, d’eninformer l’autorité. Il s’agit d’une levéeautomatique du secret médical et du secret de fonction qui jusqu’au 31 décem-bre  2012 offrait au médecin ou aufonctionnaire une prérogative connaissantune importante procédure pour en êtredélié.

S’agissant d’une prescription minimale,les cantons sont libres de définir le cercledes personnes habilitées à signaler les cas de protection ou les cas dans lesquels les personnes peuvent faire lesignalement.

PMS suggère de renoncer à l’obligationfaite à l’autorité tenue à l’aide sociale de signaler tout fait pouvant motiver uneintervention. En effet, les personnes fragiles risquent d’éviter ces structurespar peur que des mesures soient pri-ses à leur encontre. Ainsi, il convient de ménager une marge de manœuvre à l’aide sociale avant qu’elle ne doive recourir à la contrainte socialecontre des patients psychiques dont la situation n’est guère comparable à celle d’un enfant soumis à des maltrai-tances. À ce titre, les cantons ont légi-féré en particulier dans le domaine dudroit des mineurs s’agissant de cettequestion.

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VII. Conclusions

Bien que l’on manque encore de reculaprès cinq mois de pratique, certains can-tons ont connu des bouleversementsmajeurs avec l’entrée en vigueur du nou-veau droit de la protection de l’adultetandis que d’autres évoluent dans la conti-nuité de leurs acquis.

Nous avons pu voir à travers cet exposéque certaines spécificités cantonalesdisparaissent avec l’entrée en vigueur de la modification du droit de la protec-tion de l’adulte. Néanmoins, pourcertaines questions, le risque d’inégalitéde traitement demeure entre cantonspuisqu’un médecin non spécialisé en psychiatrie peut ordonner une mesureincisive de manière hâtive alors que pour le même cas, un professionnel, quece soit en psychiatrie ou en médecined’urgence endosse seul la responsabilitéd’une telle mesure.

Sélection bibliographique

• COPMA, Guide pratique Protection de l’adulte, Dike, Zurich/St-Gall, 2012.

• Guillod Olivier, Droit des personnes, 3e édi-tion, Helbing Lichtenhahn, Neuchâtel, 2012.

• Guillod Olivier/Bohnet François (éds.), Le nouveau droit de la protection de l’adulte,CEMAJ, Helbing Lichtenhahn, Neuchâtel, 2012.

• Hatam Shirin, Directives anticipées: du nouveau sous le soleil, Lettres Trimestriellesn° 58, Pro Mente Sana.

• Leuba Audrey/Stettler Martin/Büchler Andrea/Häfeli Christoph (éds.), Protection de

l’adulte, Commentaire du droit de la famille,Stämpfli, Berne, 2013.

• Meier Philippe/Lukic Suzana, Introduction aunouveau droit de la protection de l’adulte,Schulthess, Zurich, 2011.

• Message de Conseil fédéral du 28  juin 2006concernant la révision du Code civil suisse (Protection de l’adulte, droits des personnes etdroit de la filiation), Feuille fédérale 2006 6635.

• Pelet Odile, Protection de l’adulte: le secretmédical ébréché, 28 juin 2012, Revue Reiso.

• Pichonnaz Pascal/Foëx Bénédict (éds.), Codecivil I, Commentaire romand, Helbing Lichten-hahn, Bâle, 2010.

Notes de bas de page

(1) Code civil suisse (Protection de l’adulte,droit des personnes et droit de la filiation),Modification du 19  décembre  2008, état au1er janvier 2013.(2) Message du Conseil fédéral, FF 2006 6635(6706).(3) Art. 103 al. 3 let. d. et art. 104 al. 3 LOJGE.(4) Art. 11 et ss LAPEA NE, art. 12 LOPEA JU, art. 6 LVPAE VD.(5) Art. 11 al. 2 LOPEA JU.(6) FF 2006 6635 (6706).(7) Art. 3 al. 2 LOPEA JU.(8) Art. 13 al. 1 LACCS VS.(9) Art. 2 al. 3 LPEA BE.(10) Art. 9 al. 2 LOPEA JU.(11) Art. 65 LPEA BE.(12) Art. 18 al. 1 LPEA BE, Art. 4 OPEA BE.(13) Art. 8 LPEA FR.(14) Art. 7 LPEA FR.(15) Art. 126 al. 1 let. b et al. 3 LOJ GE, art. 53al. 1 LaCC GE.(16) Art. 21 LOPEA JU.(17) Art. 19 LEPEA NE.(18) Art. 25 et s LAPAE NE.(19) Art. 8 LVPAE VD, art. 76 LOJV VD.

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(20) Art. 30 al. 4 LACCS VS.(21) Art. 16 LACC VS, art. 5 et ss OPEA VS.(22) HATAM Shirin, Directives anticipées: du nouveau sous le soleil, Lettres Trimestriellesn° 58, Pro Mente Sana.(23) Art. 10 al. 1 ORRC BE, art. 27 al. 2 LAPEANE, art. 11 al. 2 LPAE FR, Art. 8 OPEA JU, art.48 LVPEA VD et RCur VD.(24) Art. 11 al. 2 LPAE FR. (25) Art. 15 al. 2 OCInd BE.(26) Règlement fixant la rémunération descurateurs du 27 février 2013 (RRC - RSGE E 105.15).(27) Art. 4 RCur VD.(28) 31 LACCS VS.(29) Art. 11 LPAE FR, 8 et 9 OPAE FR.(30) Art. 8 RCC GE.(31) Meier Philippe/Lukic Suzana, Introductionau nouveau droit de la protection de l’adulte, Schulthess, Zurich, 2011, no 559.(32) Art. 426 CC.(33) Art. 428 CC.(34) Art. 429 CC.(35) Le curateur de portée générale remplacele tuteur de l’ancien droit lequel avait la com-pétence de prononcer une privation de libertéà des fins d’assistance (406 al. 2 aCC).(36) Leuba Audrey/Stettler Martin/Büchler And-rea/Häfeli Christoph (éds.), Protection del’adulte, Commentaire du droit de la famille,Stämpfli, Berne, 2013, art. 429 N 12.(37) Art. 27 LPEA BE.(38) Art. 18 LPEA FR.(39) Art. 35 LPAFA JU.(40) Art. 32 LAPEA NE.(41) Art. 113 LACCS VS.(42) Art. 60 LACC GE.(43) Art. 35 al. 2 LPAFA JU.(44) Art. 9 LVPEA VD, art. 57 LSP VD.(45) Directives du médecin cantonal à l’intention des médecins vaudois concernantles placements à des fins d’assistance (PLAFA)y compris mesures ambulatoires (état au1er janvier 2013).(46) Art. 20 al. 2 LPEA FR.(47) Art. 27 al. 3 LPEA BE, art. 32 LPAE NE, art.

57 LSP VD, art. 113 LACCS VS.(48) Art. 60 LACC GE.(49) Voir exposé de Mme Estelle de Luze pourplus de détails.(50) FF 2006 6635 (6700).(51) Art. 38 LS GE.(52) Art. 28 LVPAE VD.(53) Art. 20a LSP VD.(54) Art. 41a LS FR.(55) Art. 10 LAPEA NE, art. 67 LACC GE, art.3 al. 2 LPEA FR, art. 10 LVPAE VD, 66 LPEABE(56) Art. 59 LMPAFA JU.(57) Art. 114 al. 1 let. b LACCS VS.(58) Bulletin officiel du canton du Valais n° 52du 28 décembre 2012, p. 3146.(59) Art. 104 al. 3 LOJ GE.(60) Leuba, art. 443 N 11.(61) COPMA, p. 90, N 1.223.(62) Art. 33 LACC GE.(63) Art. 13 LVPAE VD.(64) Pelet Odile, Protection de l’adulte: le sec-ret médical ébréché, 28 juin 2012, Revue Reiso.

Pour toute information complémentaire

Vous pouvez contacter la permanencetéléphonique de Pro Mente Sana les lundis, mardis, jeudis de 10 h à 13 h

Conseil juridique: Tél.: 0840 0000 61

Conseil psychosocial: Tél.: 0840 0000 62

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Dans le canton de Vaud, on dénombrequelque 8’400 mesures de protectionde l’adulte. L’Office des curatelles et

tutelles professionnelles (OCTP) — dont j’assure la responsabilité — est en charge de20 % d’entre elles. Les 80 % restants sont actuellement confiées à des curateurs privés.Il faut savoir que ces répartitions sont trèséloignées des moyennes constatées dans lesautres cantons, où 70  % des mesures sont assurées par des professionnels et 30  % seulement par des privés (y compris les avocats, les notaires, les fiduciaires, etc.)

Si l’initiative Schwaab, décrite précédem-ment par Mme  Métraux, devait aboutir,notre canton aurait l’obligation de faire passer le nombre de 1’700 mandats actuel-lement assurés par des professionnels à plusde 6’000, ce qui nécessiterait la création de200 postes supplémentaires. Pour y parvenir,il faudra probablement beaucoup de temps.

Cadre légal du curateur

Cela dit, je vais à présent vous décrire lecadre légal qui définit ce qui est attendudu curateur. Je ne m’attarderai pas sur les

mesures dites «sur mesure» et sur le «prin-cipe de subsidiarité», points déjà largement abordés par les conférenciersprécédents.

Comme le dit l’article  400, le curateurdoit avoir non seulement certaines aptitu-des, compétences et connaissances, maisaussi de la disponibilité pour accomplir sestâches. Il ne serait ainsi pas adéquat deconfier des situations trop complexes àdes curateurs privés, qui n’auraient pasforcément tout le savoir requis. Ces derniers ont par contre l’avantage dedisposer de plus de temps que les profes-sionnels des services officiels de tutellequi sont chargés, en moyenne, de 60 man-dats chacun. Difficile dans ces conditionsde consacrer vraiment du temps aux personnes concernées. Cela est parfoissource de frustrations pour ces curateurs— et je ne parle pas des personnes concer-nées — et leur donne le sentiment de nepas exercer leur métier correctement.Soulignons à ce propos que l’autorité deprotection se doit de les épauler dans leurtravail et leur donner des instructions, des conseils et du soutien. Une bonne col-laboration entre l’autorité de protection,

Quoi de neuf dans la relation avec le curateur?

Frédéric VuissozChef de l’Officedes curatelles et tutellesprofessionnelles (OCTP), Vaud

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la personne concernée et le curateur lui-même est essentielle. Les proches, lafamille ont également un rôle à jouer. Demême que le corps médical qui est appeléparfois à prendre certaines décisions.

À ce sujet, il est important de préciser quela personne concernée peut elle-mêmeproposer un curateur. L’autorité de protec-tion donnera son aval, pour autant bienentendu que ce dernier ait la disponibilitéet les compétences requises. Rappelonsune particularité de notre canton: «Sous laréserve de justes motifs, la personne nom-mée est tenue d’accepter la tutelle.»

L’article  406 de la loi est essentiel, car il pose toute la méthodologie de travail du curateur: ce dernier «sauvegarde lesintérêts de la personne concernée, tientcompte, dans la mesure du possible, deson avis et respecte sa volonté d’organiserson existence.» Ainsi que l’affirme le nouveau droit, le curateur a devant lui unepersonne porteuse de souhaits, de désirs.Si sa capacité de discernement est intacte,il doit donc tenir compte de ses besoins et adopter une posture de collaboration.

Le curateur «s’emploie (aussi) à établirune relation de confiance avec elle (…)».Même s’il n’est pas toujours aisé de construire des liens de confiance, c’estdans cette démarche que le curateurdevra s’inscrire.

Comme Mme  Suter l’a expliqué tout àl’heure, les attentes de la part de famille,des proches, des politiques ou encore del’opinion publique peuvent être fortes. Le

rôle du curateur n’est pas de résoudre tou-tes les difficultés, mais, comme le dit lasuite de l’article  406, de «prévenir unedétérioration de l’état de faiblesse (de lapersonne concernée) ou à en atténuer leseffets». Dans certaines situations, il estnécessaire avant tout de limiter les problèmes, sans forcément devoir les fairecesser de suite. Notre travail s’établit surle long terme.

Le «respect de la volonté» de la personne,la «relation de confiance» à créer avecelle correspondent tout à fait aux principes qui définissent l’«aide socialeprofessionnelle moderne». Cette dernièreapparaît très clairement dans le messagedu Conseil fédéral qui souhaite inscrirel’action du curateur dans cette approche,avec tout ce que cela implique.

L’article suivant, le 407, affirme quelorsque la personne est capable de discer-nement, que c’est bien elle qui décide. Etcela même dans les cas où elle serait pri-vée — complètement ou partiellement —de l’exercice de ses droits civils. Le cura-teur devra dès lors adapter sa prise en charge à la situation particulière de lapersonne. À cette fin, il lui sera nécessaired’apprendre à travailler autrement etconsacrer plus de temps à chaque per-sonne, ce qui risque de poser quelquesproblèmes.

La personne est aussi reconnue par la loicomme dotée de «droits strictement personnels» (art. 407). Certains d’entreeux sont susceptibles de représentation, d’autres pas, et c’est au curateur, dansson action, d’en tenir compte. À noter que

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la frontière n’est pas toujours facile àdéterminer entre capacité et incapacitéde discernement. Cela peut être d’ailleurssource de désaccords, voire de tensions,entre les curateurs, les autres profession-nels et les personnes concernées.

La question de la gestion du patrimoinefait partie intégrante des curatelles donts’occupe l’OCTP. Privée de ses droits civils,la personne ne peut en effet plus gérerelle-même son argent. Tout acte financierpasse alors par le curateur. Ce dernier est fréquemment confronté à l’incompréhension, à l’hostilité et même à l’agressivité de certaines personnesconcernées qui ressentent cette restric-tion de leur liberté comme une blessure. Il est important à ce stade de préciser que le curateur ne fait qu’appliquer des consignes données par les autorités de protection. Il a laresponsabilité légale de la bonne gestiond’un patrimoine et doit en répondre; d’où parfois des prises de décision quidéplaisent.

À ce propos, ajoutons que le curateur doitmettre à disposition de la personne desmontants dits «appropriés» (art. 409).Qu’entendre par là? En principe, la règleveut qu’il y ait deux comptes bancaires:un premier où le curateur fait venir l’argent touché par la personne et unsecond où il verse de l’argent à libredisposition. Si, pour diverses raisons, lapersonne ne peut pas gérer ce secondcompte, la possibilité de venir chercherson argent à la caisse de notre service luiest garantie.

«Au moins tous les deux ans» (art. 410),des assesseurs au service de l’autorité de protection examinent si les comptesbancaires ont été bien tenus par le cura-teur. Ils lui posent aussi des questionsrelatives à certaines dépenses faites par la personne concernée. De tels contrôlesgarantissent la transparence vis-à-vis de lagestion de son patrimoine. Elle a d’ailleursdroit à tout renseignement relatif à son compte bancaire. À sa demande, la personne peut également recevoir unecopie de l’état de ses comptes (art. 410).Il ne sera par contre pas toujours facile delui expliquer la manière dont son argent aété géré, pourquoi certains montants sontentrés et d’autres sortis.

Comme dans le cas de la gestion du patrimoine, le nouveau droit dit qu’«au moins tous les deux ans le curateurremet à l’autorité de protection de l’adulte un rapport sur son activité et surl’évolution de la situation de la personneconcernée» (art 411). Par ailleurs, poursuitl’article, «il associe, dans la mesure dupossible, la personne à l’élaboration du rapport et lui en remet une copie à sa demande». Il s’agit ici d’un élémentnouveau pour les curateurs professionnelsdu canton de Vaud. Puisque désormais lesmesures doivent correspondre aux besoinseffectifs de la personne, il est donc néces-saire, ainsi que le prévoit la loi, deréévaluer régulièrement chaque situation.Ce mandat répond-il toujours à l’état de faiblesse de la personne? Est-ce quecelui-ci va lui permettre de tendre versplus d’autonomie? Autant de questions queles curateurs sont amenés à se poseraujourd’hui.

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Une des nouveautés pour notre servicetient aussi dans le devoir, «dans la mesuredu possible, d’associer la personne concernée à l’élaboration du rapport». Laquestion de l’appréciation de la situationoccupe à présent beaucoup plus de place.Les autorités de protection attendent queles curateurs donnent leur avis et fassentdes propositions. De telles démarches,pour qu’elles bénéficient réellement auxpersonnes concernées, exigeront une foisencore beaucoup plus de temps. Lesresponsables politiques doivent en êtreconscients.

À l’OCTP, depuis peu, une première appré-ciation se fait après quatre mois demandat. Le but? Pouvoir estimer si l’étatde la personne exige toujours telle ou tellemesure. Faut-il l’alléger ou au contraire larenforcer? Par la suite, cette opération se répète d’année enannée.

À ce sujet, la loi prévoit aussi, dans l’article  414, que «le curateur informesans délai l’autorité de protection de l’adulte des faits nouveaux qui justifient lamodification ou la levée de la tutelle».C’est donc un comportement éminemmentplus proactif qui est attendu des curateurs.

À noter au passage que la personneconcernée a la possibilité de faire elle-même une demande de modificationde curatelle. Le cas échéant, l’autorité de protection demandera l’avis du curateur, mais aussi celui d’autresintervenants concernés par la prise encharge.

Les curateurs font eux aussi l’objet d’uncontrôle serré, notamment au travers durapport périodique à fournir. Pour un certain nombre d’actes, ils doiventdemander le consentement de l’autoritéde protection (art. 416). Ils ont donc euxaussi des comptes à rendre. Peut-êtreserait-il bon de le rappeler de temps àautre aux personnes concernées qui, parfois, ont le sentiment que leur curateura tous les droits et fait ce qu’il veut.

À relever maintenant que le «consente-ment de l’autorité de protection del’adulte n’est pas nécessaire si la personneconcernée est capable de discernement».Par ailleurs, l’«exercice de ses droits civilsn’est pas restreint par la curatelle». Deplus, «elle donne son accord» (art 416).L’accent est mis sur l’autodétermination,sur la possibilité de faire des choix poursoi.

Les contrats passés entre la personneconcernée et les curateurs sont soumis àl’approbation de l’autorité de protectionde l’adulte. Il y a cependant, ici ou là, descurateurs qui abusent de leur position.L’autorité de protection en est consciente,raison pour laquelle son accord est requisen cas d’échanges financiers entre lesdeux contractants. Elle peut égalementdécider que d’autres actes (art. 417) doivent être soumis à son approbation. Desmesures sont ainsi prises pour limiter lamarge de manœuvre du curateur.

Le curateur n’a de rôle à jouer que dans le cadre du mandat qu’il a reçu. Lors-qu’une décision arrive dans notre service,le type de curatelle ou de combinaison de

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curatelles est déterminé, tout comme lesdomaines d’application concernés. Parailleurs, des tâches à effectuer «si néces-saires» nous sont attribuées. Par exemple,celle d’entrer dans le domicile de la personne en cas de besoin. Il faut donc,pour chaque décision, se montrer bienattentif à ce qui est exactement attendude notre service.

Autonomie et bienfaisance

Un grand défi se présente à nous pour cesprochaines années: celui de changer l’image du curateur tout-puissant, quipeut résoudre chaque problème. Sonaction se cantonnera à certains domainestrès précis, les personnes concernées gardant leur capacité civile dans les autres. Et cette capacité doit être mainte-nue coûte que coûte. Pas toujours facileface à la pression et aux attentes qui peu-vent peser sur nous.

L’intitulé de ce congrès illustre d’ailleursbien les dilemmes qui se posent entre,d’un côté, le maintien de la liberté, del’autonomie et de l’autodétermination, etde l’autre, le besoin de protection, debienfaisance et d’assistance. Les curateurssont régulièrement confrontés à de tellesalternatives.

La philosophie peut nous aider à y voir plusclair. Et notamment l’éthique développéepar le philosophe allemand Kant (1724-1804). Pour lui, l’autonomieest considérée comme une propriété constituante de l’homme, source de sa dignité. Ainsi, la personne autonome

raisonne, choisit ses propres valeurs et normes, conçoit des projets, prend des décisions et agit librement en accordavec ses décisions. L’autonomie est le fondement de la liberté de l’individu.

Le mandat confié aux services so-ciaux — et notamment aux curateurs —s’inspire d’un principe de bienfaisance.Son but? Protéger et défendre les droitsd’autrui, empêcher toute action ou suppri-mer toute situation qui puissent nuire et aider celles et ceux qui souffrent d’infirmités ou de difficultés.

Entre autonomie et bienfaisance, il y aparfois un conflit. Un code de déontologieaidera à fixer un certain nombre de règlesen la matière et pourra servir de point derepère pour les travailleurs sociaux.

Nous avons parlé de bienfaisance. J’aime-rai m’arrêter à présent sur la question du paternalisme qui souvent en découle.Plusieurs types de paternalisme doiventêtre distingués.

Le paternalisme que je qualifie d’«authen-tique» est illustré par le père qui imposesa volonté au petit enfant, car «il saitmieux que l’enfant». Ce dernier, encoreimmature, ne peut pas être considérécomme une personne complètement auto-nome. Par rapport à des personnes privéesde leur capacité de discernement ou en difficulté, on peut ainsi vite être tenté d’adopter la posture de «celui quisait ce qui est bon» pour l’autre, en sous-entendant que l’autre ne le sait pas. Dans certaines situations, cetteapproche s’impose malgré tout; dans

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d’autres, cela va clairement trop loin.John  Rawls (1921-2002), un philosophepolitique des plus importants, auteur en1987 d’un ouvrage intitulé «Théorie de lajustice», dit cela:

«Le problème du paternalisme méritequelques discussions puisqu’il concerneune liberté réduite. Dans la situation originelle, les partenaires admettentque, en société, ils sont rationnels etcapables de régler leurs propres affai-res… mais ils voudront se protégereux-mêmes contre le risque que leursfacultés soient altérées et qu’ils ne puis-sent pas rationnellement servir leurs intérêts comme dans le casdes enfants; ou par malchance ou acci-dent ils soient incapables de prendre lesdécisions qui conviennent… Dans ce cas,les partenaires adoptent des principesqui stipulent les conditions où les autressont autorisés à agir en leur nom et à nepas respecter leurs désirs présents si celaétait nécessaire.»

On constate effectivement que la sociétéprévoit un cadre, un droit de protectionde l’adulte et de l’enfant à destinationde celles et ceux qui ne sont plus capa-bles de prendre de décisions et desauvegarder leurs intérêts. Un tel dispo-sitif est nécessaire. Et, un jour oul’autre, c’est peut-être nous-mêmes quipourrons bénéficier de cette assistance.

Le paternalisme peut également se défi-nir comme l’«acte intentionnel de passeroutre les préférences ou les actionsconnues d’une autre personne et de jus-tifier cet acte en affirmant que l’on agit

pour le bien de la personne et pour lui éviter tout tort».

Le paternalisme implique bien une formed’ingérence. Et c’est vrai que le travailsocial a pu faire preuve — surtout par lepassé — d’un très fort paternalisme. Lenouveau droit relève qu’il existe des situations où un certain paternalisme estde rigueur, mais seulement sous certainesconditions.

À distinguer encore une forme de paterna-lisme que certains qualifient de «doux».L’intervenant agit alors pour des raisons debienfaisance (ou de non-malfaisance) dansle but de protéger la personne concernéede son ou de ses actions en grande partienon autonomes. Tel est justement le caslorsque la personne perd sa capacité dediscernement et ne peut plus être auto-nome. Son aptitude à agir librement est d’une certaine façon compromise; cequi veut dire que d’autres doivent prendrele relais. L’objectif visé par là est qu’aprèscoup, la personne concernée reconnaisseque ce qui a été fait pour elle constituaitle meilleur choix possible sur la base de ses propres préférences. Et c’est tou-jours cette optique-là qui devrait guidernotre action. Mais ce n’est pas toujourssimple.

Des droits et des devoirs

Pour finir, je souhaite évoquer la questiondes droits et des devoirs des curateurs.L’OCTP dispose d’une charte qui décrit ses missions et ses valeurs. En voici unextrait.

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«L’Office inscrit son action dans le cadredes droits humains fondamentaux exprimés dans la Déclaration universelledes droits de l’homme, la Conventioninternationale des droits de l’enfant et laConstitution fédérale. L’Office a commevaleurs clés la dignité de l’être humain etle respect de son autonomie. Dans un certain nombre de situations, l’autonomiede l’adulte peut entrer en tension avecson besoin de protection et créer desconflits éthiques. Il en va de même pourl’enfant capable de discernement. L’Officefavorise l’émergence et la résolution deces conflits éthiques afin de permettre auxresponsables de mandats de protection deprendre les décisions les plus justes et decontribuer ainsi à la justice sociale.»

L’OCTP reconnaît par réciprocité le mêmedroit à ses collaborateurs d’être traitésavec dignité, en ne tolérant aucune formede violence physique, psychique et verbale à leur égard.

Aux droits s’ajoutent bien entendu desdevoirs. Parfois, les personnes concernéesne sont pas d’accord avec nos décisions etl’expriment de manière très forte. Mais, sion prône la dignité humaine, celle-ci estvalable pour tout le monde.

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Sylvianne Nydegger

Pour nous ce parasol représente, et la pro-tection contre un soleil trop chaud et laliberté de choisir ou non de s’y abriter unpeu, beaucoup, tout à fait ou pas du tout.Comme devraient l’être les mesures decuratelle sous le nouveau droit.

La présidente du Graap-Association,Madeleine Pont et Me Marianne Bornicchia, avocate, ancienne juge de paix et ancienne tutrice générale ducanton de Vaud ont organisé et animé lestrois rencontres de l’atelier vaudois quiavait pour thème, la curatelle.

Une moyenne de 15 personnes, rassem-blant des patients souffrant de troublespsychiques et des proches, des

travailleurs sociaux, des curateurs privéset d’autres personnes intéressées par lesujet, a participé à ces rencontres.

Nous serons trois à vous rapporter sur lestravaux de cet atelier:

• moi-même, Sylvianne  Nydegger, mèred’une jeune femme adulte au bénéficed’une mesure de curatelle;

• Nicole Genet, qui me suivra, assistantesociale à la retraite et curatrice privée de plusieurs mesures différentes de curatelle;

• et finalement, Kurt Pfrender: proche etcurateur de son fils souffrant de troublespsychiques.

Je suis mère de trois filles dont la cadette a des troubles psychiques. Cette dernièreest maman d’une fillette de 5 ans. Depuisson divorce, l’année dernière, ma fille etson enfant sont allées vivre chez sa sœuraînée, déjà pour avoir un toit et pour faciliter l’éducation de l’enfant. Cette orga-nisation temporaire, en attente de trouverun appartement, a été acceptée par le SPJ.Ma fille cadette devait avoir un suivi psy-chiatrique qu’elle repoussait sans cesse.

Atelier citoyen - Vaud

Curatelles

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Elle avait besoin d’un soutien pour cesdémarches administratives et sa gestionfinancière. On discutait beaucoup, mesfilles et moi. Nous sollicitions aussi l’assistante sociale, le pédiatre, lepédopsychiatre, le médecin et aussi lamaîtresse d’école de ma petite fille. Celase passait plutôt bien. Mais c’était tout demême beaucoup de démarches, beaucoupde travail pour nous qui n’étions pas dumétier.

En octobre  2012, j’ai pensé à faire plusieurs conventions:

• une première entre l’assistance sociale,ma fille et moi pour qu’il y ait déjà unencadrement et des bases bien établies àrespecter pour la gestion de l’argent etdes paiements.

• Une deuxième entre ma fille aînée, mafille cadette et le SPJ pour le suivi pédagogique de ma petite fille, les relations avec le père et les questionsadministratives et financières propres àcette petite fille.

Tout ce que nous avons fait n’a pas ététoujours facile, ma fille cadette n’a pastoujours respecté la convention… Mais cequi est certain c’est que nous, la famille,nous avons pu maintenir, voire consolidernos liens.

Le 12 mai dernier, ma fille a rencontré lacuratrice qui a un mandat de représenta-tion pour elle. Cette mesure ne la privepas de l’exercice de ses droits civils, mais correspond bien à l’aide dont elle abesoin. Ma fille a accepté l’idée d’êtresuivie par un psychiatre et convenu avecsa curatrice de prendre un rendez-vous au

plus vite. La curatrice a pris contact avecma fille aînée et moi. Nous nous verronsle 7 juin prochain pour la passation descomptes.

Les informations que nous avons échan-gées lors de cet atelier vaudois m’ontbeaucoup apporté et ont contribué auchoix d’une mesure adéquate pour mafille. Les contacts avec Nicole et Kurt etbien sûr le Graap-Fondation m’ont aussibien soutenue pendant cette période oùj’ai assumé une sorte d’intérim.

Je ne peux qu’encourager les proches àdiscuter avec les membres du réseau et àfaire des propositions aux juges de paixpour soutenir leurs enfants qui ont besoind’aide.

Maintenant, je passe la parole àKurt  Pfrender qui va entrer dans desremarques plus générales, résultant des discussions de ces trois  rencontresd’atelier.

Kurt Pfrender

Je vais vous rapporter en quatre  points les remarques des participants de notreatelier.

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1) la curatelle devra être un outil pour maintenir, reconquérir ouconquérir son autonomie.

Nous avons salué l’esprit de la nouvelleloi qui va dans le bon sens, à notre avis: avec l’ancien droit, lorsque l’on parlait de mise sous tutelle, tout de suite on pensait à la perte de saliberté, de tous ses droits et à l’incapa-cité totale de prendre les responsabilitésinhérentes à la conduite de sa vie. Avoirune tutelle, cela signifiait la honte etl’humiliation.

La nouvelle loi, quant à elle, veut mettre l’accent sur le maintien et ledéveloppement des ressources de la personne concernée. Elle vise sa plusgrande autonomie possible. C’est unvéritable renversement de mentalité.Les quatre mesures de curatelle devien-nent des outils éducatifs dans les mainsdu curateur.

La grande question que nous avons soulevée: le curateur saura-t-il jouer ce rôle de formateur à l’autonomie?Aura-t-il le temps d’accompagner, decadrer les projets de la person-ne concernée, de l’aider à acquérir les outils pour réaliser son projet de vie? Car, on le sait très bien, il faut du temps et des compétences pour établir une relation de qualité qui permettra la transmission d’un savoir-faire et d’un savoir-vivre favorisantl’autonomie.

Un curateur privé pourra certainementassumer ce rôle «éducatif», car il auradéveloppé au fil du temps des liens

personnels très étroits avec la personnesous curatelle. Je doute par contre, si uncurateur professionnel — engagé par lajustice de paix et qui devra gérer de très nombreux dossiers — peut effective-ment assumer ce rôle éducatif (surtoutpar manque de temps).

Si souples que soient les différentes formes de curatelle, si des moyens pourexercer ces mandats ne sont pas là, lesavantages de ces mesures «à la carte»,pensées en fonction des besoins réels deprotection de la personne concernée,seront sans effets.

Comme l’a dit Sylvianne, il est importantque les personnes concernées, les proches et les travailleurs sociauxdeviennent proactifs au niveau du choixde la mesure et de son suivi.

2) Complexité de la curatelle de représentation / gestion

Ne sera-t-il pas trop compliqué pour un curateur, particulièrement s’il s’agit d’un curateur privé, de compren-dre ses obligations et ses droitsjuridiques au vu de la complexité possi-ble de la décision de la justice de paix?En effet, le mandat pourrait/devraitêtre nuancé et précis, donc, immanqua-blement complexe. Par exemple, lecurateur sera responsable de veiller surtel compte bancaire, mais pas sur le compte de chèque; il devra veiller sur les paiements mensuels, mais la personne concernée pourra faire ses achats sans contrôle, etc. Le chat va-t-il toujours pouvoir retrouver ses petits?

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3) Risque de surcharge de travail pourles juges de paix

Le législateur offre la possibilité de combiner les différentes formes de cura-telles entre elles. Au niveau de chaquetype de curatelle, le juge de paix pourrapréciser les domaines pour lesquels lecurateur sera responsable.

Cette grande souplesse offerte par la nouvelle loi va certainement provoquerune surcharge de travail pour la justice depaix, car cette dernière devra élaborerdes cahiers de charge très détaillés etprécis à l’intention des curateurs.

Il y a le risque d’une procédure plus longue au vu de la nécessité d’instruireplus complètement pour rendre une décision. Nous courrons également lerisque que des décisions peu nuancées (àla série) soient prononcées, par crainte dene pas suffisamment protéger la personneconcernée.

4) Le rôle du travailleur social

Cette nouvelle loi met en avant le maintien et le développement de l’autonomie. Ainsi, l’expertise des travailleurs sociaux joue un très grandrôle pour que l’intention du législateur nereste pas un vœu pieux. Le travailleursocial sait identifier les besoins et pourrasoutenir et accompagner la personneconcernée dans la formulation de l’aidedont elle a besoin et quasiment définir le pourtour de la curatelle qui va l’aider à maintenir, gagner ou regagner son autonomie. La définition de ces mesuresde curatelle à la carte offre au travailleur

social un outil supplémentaire pour motiver et mobiliser, encourager la personne concernée à reprendre les rênesde sa vie, l’amenant à identifier sesbesoins d’accompagnement et de soutien.

Nicole Genet va maintenant vous donnerun bref aperçu de son travail pratique sur le terrain et de ses expériences entant que curatrice privée s’occupant dedifférents mandats de curatelle etquelques recommandations en guise deconclusion.

Nicole Genet

Assistante sociale à Pro Infirmis, j’aiaccepté de continuer à suivre quel-ques personnes qui étaient «des pupillessous tutelle», comme on disait jusqu’à la fin 2012.

Il s’agit par exemple d’un couple endettéde près de CHF 30’000. J’avais pro-grammé un plan de désendettement totalsur 3 ans et, bien que bénéficiaires de l’AIet des Prestations Complémentaires, leursfinances sont maintenant nettement posi-tives. Ils ont même pu partir en vacances l’an dernier. Il s’agit là d’une curatelle dite «administrative». Les

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bénéficiaires se disent très rassurés ettranquillisés d’en bénéficier.

Un autre ancien client de Pro Infirmis a donné mon nom à la justice de paix. Pour cette personne, ouvrir soncourrier était impossible, ce qui rendait sagestion financière quasi impossible. Et,ainsi, de fil en aiguille, je me suis trouvéeà assumer le suivi de neuf anciens clients,dont un couple avec enfant. J’ai du plaisirà accompagner tous ces gens. Ils m’appor-tent beaucoup, cependant, je me rendscompte que le rôle de curateur «de portée générale» est nettement plusimportant qu’un suivi social, tel que jedevais l’assurer pour Pro Infirmis.

J’attache beaucoup d’importance aucôté relationnel et je dispose maintenantde plus de temps pour cela. Parfois, la curatrice ou le curateur est pratique-ment le seul être que fréquente unepersonne concernée, en dehors de son atelier protégé et de ses diversmédecins.

C’est certainement lié à la qualité de notre relation qu’une des jeunes femmes dont j’assure la curatelle m’appelle au secours un soir à 22 heures,après qu’elle se soit fait agresser. Il faut ensuite trouver le temps de pouvoir l’accompagner dans toutes lesdémarches à faire pour sa sécurité,dénonciation à la police, contrôle à lamaternité, etc.

Ou, encore, aider une jeune femme en proie à des désirs de grossesse ou, au contraire, d’avortement… Ce qui

repose à chaque fois des questions d’ordre éthique intéressantes à discuter,parmi les mille autres problèmes à résou-dre et qui ne sont, de loin pas seulementfinanciers.

Même si les rapports à rendre annuelle-ment à la justice de paix traitentessentiellement l’aspect financier, unecuratelle, quelle qu’elle soit, traite de la personne, de la personne dans sonensemble…

On ne peut décemment soutenir une personne en détresse administrative ou/et financière, en ignorant son histoire,ainsi ce soutien est rarement léger.Comme assistante sociale j’avais une centaine de clients dans l’année, mainte-nant, avec neuf mandats c’est largementsuffisant.

Au-delà de l’aide concrète indispensable,la curatelle doit être aussi éducative etpermettre le meilleur développementpossible de la personne concernée. Lanouvelle loi met l’accent là-dessus. Il estimportant que les services de curateursprofessionnels obtiennent et aient lesmoyens de faire ce travail éducatif.

Par ailleurs, pour les membres de notreatelier, nous estimons positif que des personnes privées puissent assumer descuratelles, mais il nous est apparu évident, au vu de la lourdeur et la complexité de la tâche, d’une part, et descompétences relationnelles que la pratique d’une curatelle implique, queces mandats doivent être librementconsentis par les futurs curateurs. Nous

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souhaitons vivement que le canton deVaud revoie la pratique à ce niveau-là,car, dans ce canton, on ne peut refuserune curatelle.

Conclusion et recommandations

En guise de conclusion, nous formulons lesquatre remarques suivantes.

1) Nous soulignons l’opportunité qu’offrela nouvelle loi de développer, encore plus,l’autonomie des personnes concernées.

2) Pour que cette opportunité soit effec-tive, il est important de veiller à ce que l’accompagnement des personnesconcernées soit sérieusement individua-lisé afin d’identifier et de formaliser leursressources et leurs besoins.

3) Pour que les intentions de la loi seconcrétisent en actes, les travailleurssociaux, les proches et les personnesconcernées devront s’habituer à interpel-ler, à prendre l’initiative de contacterl’autorité d’application — le juge de paixpour le canton de Vaud — pour lui fairedes propositions de mesures qui soient enlien avec les besoins effectifs d’une partet de faire évoluer la curatelle en fonction des acquisitions et des nouveauxsavoir-faire.

4) Nous souhaitons que l’autorité d’appli-cation veille à ce que les curateurs, lestravailleurs sociaux et les proches fassentdes propositions et n’hésitent pas à lesinterpeller pour que la mesure soit un réeloutil permettant à la personne concernéed’être le plus autonome dans la mesuredu possible.

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J’ai l’immense plaisir de vous annoncer,tout de go, que je ne suis pas tuteurprofessionnel en Suisse! Quand je

constate la multiplication des règlementsqui cadrent leur pratique, l’amoncellementdes tâches qui leur incombent, et en plusque tout cela doit se faire dans une relationnon violente, sereine, fondée sur les droitsde l’usager…! Je suis convaincu qu’ils sontcomme Prométhée, condamnés à devoirtout faire pour épauler certains êtres humains à garder toute leur dignité tout enétant punis de tenter de le faire.

J’ai lu votre nouvelle loi; elle est portéepar tant de belles intentions. Tout ce quej’ai entendu aujourd’hui sur l’accompa-gnement de la personne, sur le fait qu’onne peut pas empiéter sur ses droits, qu’ilfaut optimiser ses compétences, etc. Toutce discours est prodigieux! Je n’ai cepen-dant rien lu sur les moyens alloués à cesfins! Pourtant sans moyens corrects, lestuteurs, déjà débordés, seront réduits àfaire de l’«abattage»! Un «abattage cor-rect» qui, en surface, respectera toutes

les règles! Ce qui constituait le cœur deleur pratique, la relation humaine (et quinécessite du temps), disparaîtra.

S’il y a dans la salle de «vieux tuteurs»comme moi, vous savez que le plus impor-tant est la rencontre, que la personnerencontrée sache ipso facto que l’interve-nant respecte sa dignité, qu’elle prendrale temps de l’accueil et de l’écoute. Maiscela est-il encore possible???

Alors, «une relation d’équivalence est-ellepossible», pour reprendre la question quim’a été posée dans le cadre de ceCongrès? Partons de la Déclaration univer-selle des droits de l’homme: art 1: «Noussommes tous égaux en dignité et endroit». Le président d’ATD Quart Mondedonnait une définition particulière et tellement riche du respect de la dignité del’autre: ne jamais lui faire ce que l’onn’accepterait pas que l’on nous fasse ànous même. Ce qui m’amène à demanderaux tuteurs ici présents: souhaiteriez-vousvous-mêmes avoir un tuteur?

Travail socialsous contrainte: une relationd’équivalence est-ellepossible?

Guy Hardy Assistant social, formateur en approche systémique et en programmation neuro-linguistique,Bruxelles

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J’ai donné récemment une formation auxcurateurs de Genève. Chaque tuteur gère110 situations. On a dû mettre un énormevigile à l’entrée pour faire rempart, telle-ment il y avait de «pupilles» mécontents,qui gèrent la déshumanisation de la ren-contre par l’agressivité!

Aujourd’hui, c’est de ces personnes dontj’ai envie de vous parler, de celles et ceuxqui perçoivent la curatelle comme uneintrusion coupable dans leur vie. Il y en abeaucoup et — je dois le dire — cela meréjouit. Parce qu’au fond cette positionsignifie qu’ils n’ont pas encore renoncé àtoute dignité. Le jour où j’accepte quequelqu’un gère une partie de ma vie, j’accepte de ne plus être une personnebénéficiant de ce droit fondamental d’être libre et égal aux autres, en dignitécomme en droit.

Pendant des années, je me suis doncconsacré à aider ces non-demandeursd’aide. Et je voulais être perçu comme unaidant. Mon parcours personnel m’avaittant préparé à cela. J’étais le dernierd’une fratrie de six enfants. Mes parentsétaient des fous de l’aide: alors qu’il y avait bien peu d’argent à la maison, ilsaccueillaient toute sorte de personnes fragilisées.

Jusqu’à l’âge de 14 ans, j’ai connu cela.J’ai vécu cette situation avec parfois del’étonnement mais surtout du respect.Comme j’étais le dernier de la fratrie, etque la volonté de mes parents de m’aiderétait un peu étouffante, il m’a fallu trou-ver une astuce pour quitter le nid.

J’ai cherché un lieu de fuite qu’imman-quablement, ils verraient comme un lieude salut. Je leur ai proposé d’aller vivredans une communauté thérapeutiquetenue par un prêtre. Il s’agissait d’un lieufantastique où chacun, qu’il entende desvoix, ait tendance à s’automutiler, à êtreagressif… était perçu comme un acteur àpart entière de la communauté. Tout celapartait de l’idée de deux psychiatres,David  Cooper et Ronald  Laing, qui pensaient que la folie n’existait que s’il y avait des gens pour la créer. Nousvivions ensemble, ceux dits «patients psychiatriques», «délinquants», «couplesviolents», et ceux dits «normaux».

C’est un véritable rêve que j’ai vécu là-baspendant quatre ans. Vivre et échangeravec des personnes qui traversent parfoisdes crises d’angoisses extrêmement inten-ses ou qui expriment leur attachement de manière très singulière n’était pourtantpas tous les jours facile. Mais c’était tellement dense.

À 18 ans — et c’est peut-être le nœud duproblème —, j’ai voulu devenir un aidantprofessionnel, plutôt que de rester uncompagnon de vie. Du coup, je me suislancé dans des études d’assistant social.J’y ai appris des choses extraordinaires.Avant, je pensais par exemple que si ungamin volait une mobylette, c’était simplement parce qu’il avait un problèmede locomotion. À l’école sociale, on m’adit que cela provenait sûrement d’un problème de famille. D’ailleurs, je merappelle ce que le prof m’avait déclaré:«Tu sais, la mobylette est peut-être unsubstitut phallique qui permet au gamin de

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gérer la relation fusionnelle qu’il entre-tient avec sa mère tout en sachant que sonpère ne joue pas le rôle de tiers». J’étais bouleversé et aussi tellementséduit par ce pouvoir d’interpréter la viede l’autre.

Finalement, ce qu’on a cherché à m’incul-quer au cours de ces trois annéesd’études, c’est à me mettre dans une posture de pouvoir par rapport à l’autre, àqui j’avais le droit de poser toutes lesquestions que je voulais. Lui, par contre,n’avait que l’obligation de me répondre.

Lorsque j’étais devenu l’expert de sonproblème, je pouvais alors lui proposer desi bonnes solutions.

Sans que je n’en prenne conscience, j’ai appris ainsi ce qu’un Africain qui participait à une de mes formations m’aconfirmé en une seule phrase: «N’oubliejamais que la main qui donne est toujoursplus haute que la main qui reçoit». Aiderimposerait-il de facto une relation qui nesoit pas d’équivalence???

Pendant les premières années de mon acti-vité professionnelle, j’ai avant toutcherché à aider des gens qui ne voulaientaucune aide. Vu que je n’y arrivais pas,j’ai choisi de compléter ma formation enétudiant différentes techniques: hypnose,puis programmation neurolinguistique(PNL) pendant cinq ans et parallèlement lathérapie familiale.

En 1985, bardé de ces diplômes d’aidant,je profitais d’une opportunité et créaismon propre centre.

Je me rappellerai toujours la premièrefois que suis allé trouver le magistrat pourlui expliquer que je voulais créer un cen-tre d’aide en milieu ouvert (AEMO). J’aiproposé au magistrat un argumentairebien construit. Le juge s’est montré attentif et m’a proposé d’intervenir avecun type de familles que personne ne voulait. Ces familles se caractérisaient par un refus total d’aide. Elles niaientêtre responsables des situations de négligence grave, de maltraitance, parfoismême d’abus, etc. dont étaient victimesles enfants. Le genre donc de famillesdans lesquelles vous arrivez, en disant:«Bonjour, je suis là pour vous aider.» Et lespersonnes de rétorquer: «Nous ne vousavons rien demandé et n’avons d’ailleursaucun problème.» Sûr de mes multiplescompétences d’aidant, j’ai saisi lachance.

Je me suis entouré d’une équipe de personnes formées en thérapie familialeet ai créé mon propre centre. Le premiermandat qui nous a été confié concernaitune dame qui vivait dans une misèretotale. Elle ne se lavait pas, ne disposantpas d’eau courante. Elle vivait dans untaudis, à quatre dans un deux-pièces. Entant que responsable du centre, j’ai vouluassumer cette première mission et me suisrendu chez Madame. Je sonne, la portes’ouvre et, de suite, une odeur affreuse serépand. La dame me regarde et medemande qui je suis. Je la salue et luiexplique que je suis l’assistant social mandaté par le juge pour l’aider. Elle setourne vers ses enfants et dit: «Le“connard” est arrivé.»

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Je m’introduis donc dans son espaceprivé. (Les personnes pauvres savent bienque si on ne laisse pas entrer le travailleursocial, les choses vont mal tourner pourelles. L’article  12 de la Déclaration universel des droits de l’homme, à savoir«tous citoyens a le droit de préserver ses espaces privés de toute intrusion d’un agent l’état», ne les concerne pasvraiment).

Mais elle va me faire payer cette premièreintrusion, en me servant un café ou plutôtun liquide infect dans une tasse à la propreté plus que douteuse. Mais, pour luimontrer ma bonne volonté, j’ai tout bu.Durant ce supplice, Madame n’a pas cesséde m’insulter, de me dire que tout allait bien avec ses enfants et qu’elle n’avait aucun problème. Ses enfants vonts’agglutiner à elle. Mais elle va très vites’apercevoir que je suis atteint de la maladie de tous les aidants: le «grasping».À l’image du bébé qui s’accroche au doigtque vous lui tendez et ne le lâche plus, lesaidants s’accrochent! Pendant 40 minutes,je lui ai dit que je comprenais sa colèremais qu’elle avait peut-être besoin de soutien pour que ça aille mieux avec lesenfants, que j’étais là pour l’aider, etc.,etc. madame, sentant que je ne lâcheraipas va alors témoigner de sa connaissancefine des travailleurs sociaux: elle vademander quelque chose (seule stratégiepour avoir la paix avec quelqu’un qui veutabsolument vous aider). En tapant sur latable, elle a crié: «Si tu veux vraimentm’aider, file-moi une télé! Ça m’aideraavec les enfants.» Je m’attendais à tout,sauf à ça.

Pour lui montrer une fois de plus que j’étais différent des autres assistantssociaux, je suis revenu le jour suivant avecune télé sous le bras. Et elle m’a déclaré— ce qui m’a fait un plaisir fou — que jen’étais pas comme les autres. Nous avonspassé une heure à l’installer. Madameriait, les enfants gloussaient. Et moi,j’exultais.

En rentrant au bureau, j’ai pu annoncertrès sérieusement à mes collègues quel’«alliance thérapeutique» était en bonnevoie. Deux jours après, je suis retournéchez la dame. Elle m’a demandé de luiprocurer un divan pour que les enfantspuissent mieux s’installer devant la télé.

Cette dame (qui devrait donner des coursdans toutes les écoles sociales) avait toutcompris: deux jours après, elle me signalequ’elle aurait besoin d’un éducateur pours’occuper de ses petits le samedi matin,«parce ce que ce jour-là ils ne vont pasl’école». Puis, elle m’a confié qu’elletrouvait son logement un peu sale et souhaitait qu’une travailleuse familialepasse. «Et il n’y a personne pour lesdevoirs des enfants…» a-t-elle ajouté.Nous lui avons fourni tout ce personnel.

Dans certaines familles, nous avonsd’ailleurs réussi à faire entrer jusqu’à17 professionnels! Je ne vous raconte pasles réunions de synthèse, le nombre decolloques qu’il a fallu organiser, que cesoit avec le tuteur de madame, son psy-chiatre, ceux de son mari, l’instituteur desenfants, leurs éducateurs, la puéricultrice,le psychologue, etc. Et c’est là — je dois leconfesser — que nous avons commencé

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secrètement à témoigner d’un véritablemépris vis-à-vis des êtres humains quenous voulions aider et qui ne voulaient pasde notre aide. Fini leur droit au secret.

Nous n’étions pourtant pas des monstres.Non, des aidants voulant aider, plongerdans des situations de détresse, ne pouvant accepter notre impuissance.Faire, faire, faire… pour combler lavacuité de nos efforts.

Et nous n’étions cependant pas dupes denous-mêmes. Notre équipe allait de plusen plus mal. Un matin, aux valves du tribunal, une affiche me surprend. Elle annonce une conférence intitulée «La compétence des familles», donnée parle psychiatre Guy  Ausloos. J’étais avec un collègue et nous avons été pris decuriosité. Nous avons décidé de nous yrendre.

Sur place, nous étions à ce point agacéspar le discours de cet orateur que nousn’arrêtions pas de l’interrompre, de marquer notre ahurissement.

À la fin de la conférence, Guy Ausloos estvenu vers nous. Il avait bien perçu que lesdeux personnes qui l’avaient contreditsans arrêt étaient des travailleurs sociaux,lourdement en souffrance. Nous lui avonsparlé des résistances des familles, desinsultes continuelles, du sentiment d’êtreinstrumentalisé, etc., etc. Et Guy Ausloosnous a déclaré: «Tant que vous ne comprendrez pas que les résistances deces gens sont la preuve de leurs compé-tences, vous ne vous en sortirez jamais!»

Entendre de pareilles bêtises n’était pas acceptable pour nous. Comment pouvait-il estimer que les compétencesdes familles étaient de résister à desaidants aussi spécialisés que nous??? Pendant plus d’une heure, nous avonsargumenté, mais sans qu’il en démorde.Finalement, nous l’avons accompagné àl’aéroport et avons tenté à nouveau,durant le trajet, de le convaincre. Aumoment de passer la douane, il revint versnous et nous déclara: «J’ai une autre idée:la résistance des familles à votre aide neconstitue pas seulement une compétence.Ne serait-elle pas aussi un acte de légitimedéfense?»

Mon collègue et moi ne savions pas quoipenser de ce dernier échange. Commec’est souvent le cas dans une situation oùl’ego se sent blessé, nous avons passé le trajet du retour à dire tout le mal que nous pensions de ce psychiatre. Lelendemain, à la réunion d’équipe, nousavons parachevé de le descendre. Mais un drame se produisit deux jours après: Guy Ausloos me téléphona et meproposa de le rejoindre à Montréal pourtravailler à ses côtés pendant deux ou troissemaines.

Je n’avais jamais vu Montréal et me suisdit: «Pourquoi pas?» J’étais convaincuaussi que j’allais découvrir l’écart entre lebeau discours et la pratique. Dès mon arrivée, il m’a proposé de simplementl’accompagner partout où il se rendrait etd’observer.

Dès le premier entretien, j’ai remarquéque ce psychiatre n’était pas un menteur,

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qu’il faisait bien ce qu’il disait. Par contre,sa manière de travailler était radicale-ment différente de la mienne. On m’avaitappris au cours de mes études de tra-vailleur social à prendre en charge, àproposer des solutions face aux problèmes.Guy  Ausloos, lui, ne faisait absolument pas cela. Et les gens appréciaient le cheminement qu’il proposait.

Tous les soirs, nous discutions jusqu’à pasd’heure. Il me disait tout le temps: «Unefois de retour chez toi, demandez-vous, toiet tes collègues, ce qui se passe quand unepersonne sous contrainte doit accepter del’aide.» Un juge décide que telle personneaidera telle autre personne. Qu’est qui sejoue entre ces trois personnes?

Dès mon retour, mes collègues et moi-même, nous nous sommes mis à l’ouvrage. Pour expliquer notre chemine-ment, je vais recourir à la notion de relation de «double lien», créée par le psychologue et anthropologue Gregory Bateson (1904-1980). Trois condi-tions sont nécessaires pour qu’une tellerelation se produise entre deux personnes.

D’abord une relation de pouvoir entredeux personnes. Une personne a du pou-voir sur une seconde si elle peut exercerune menace. C’est évidemment le casdans la relation le tuteur/la personneconcernée. Le premier peut effectivementcommuniquer à son mandant tout refus d’obtempérer du second, avec pour conséquences un placement en hôpital psychiatrique, des coupes dans larente AI, etc.

Il faut ensuite que la personne détentricedu pouvoir énonce une «injonction paradoxale», c’est-à-dire une demande àlaquelle on ne peut se conformer parceque pour être conforme, on ne peut obéir.En voici un exemple:

— Sois autonome! — T’es sûr que je peux? — Absolument! Je te l’ordonne même.— Alors, ce soir, je vais aller claquer toutmon fric au casino! — Ce n’est pas vraiment ce que j’enten-dais par «être autonome».

Finalement, la personne dotée du pouvoirprésente ici deux discours contradictoires:d’un côté, elle pousse à l’autonomie, de l’autre côté, elle ne souhaite pas que la personne devienne autonome.Conclusion: l’autonomie ne se donne pas,elle se prend!

Cela me fait penser à des supervisions faites ici à Lausanne et qui m’avaientbeaucoup fait rire: les personnes concer-nées étaient devenues de vrais pupilles,totalement aliénées à leur tuteur, dont elles étaient devenues maladivementdépendantes. Je vous promets que lestuteurs n’étaient pas ravis.

Il existe une deuxième catégorie d’injonc-tion paradoxale qui intervient asseztypiquement dans les relations de couple:Y demande à X de faire quelque chosequ’Y aurait espéré que X fasse spontané-ment avant. «C’est quand mêmedommage qu’il faille te le demander!»répond Y quand X le fait enfin. Dès quevous voulez que l’autre veuille ce vous

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voulez qu’il veuille, vous le mettez dansl’incapacité de vous démontrer qu’il veutsincèrement ce que vous avez voulu qu’ilveuille. Parce que vous pouvez toujours lesuspecter de le vouloir parce que vous l’avez voulu.

Le tuteur voudrait ainsi que le pupillecomprenne que tout ce qu’on entreprendest fait pour son bien. On voudrait qu’ilveuille ce qu’on veut qu’il veuille…

Il y a deux moyens pour se tirer de tellesimpasses relationnelles:

• La rupture au sein du couple (homme-femme, tuteur-pupille, etc.) avec toutesses conséquences.

• L’utilisation de la métacommunication.Ce qui revient à énoncer ce qui est entrain de se jouer dans la relation. Si l’onreprend l’exemple du couple, il s’agiraitde dire au partenaire: «Est-ce que tu terends compte que quand tu me demandesde faire quelque chose, tu aurais espéréque je le fasse spontanément. Quand je nele fais pas, tu n’es pas contente, quand jele fais, tu n’es pas tout à fait satisfaitenon plus. Est-ce que si demain je faismieux semblant, tu pourras faire semblantque je l’ai fait spontanément?»

«Métacommuniquer» peut se révéler utile.Il existe cependant des situations dans lesquelles de telles tentatives peuvent seretourner contre la personne. Au sein ducouple de tout à l’heure, la réponse auraitaussi pu être: «Moi, je n’ai pas de problème! C’est toi! Je te conseille vrai-ment d’aller voir un psy!»

Il faut donc parfois recourir au premiermoyen, à savoir la rupture ou la fuite.

Mais, la situation ne le permet pas toujours non plus. «Si tu pars, je tue nostrois enfants!» Face à de telles menacesou face à quelqu’un qui, quoi qu’on fasse,n’est pas content, un des moyens de s’ensortir réside dans la violence retournéecontre l’autre ou contre soi-même. La per-sonne fera alors une dépression grave oudeviendra carrément insensible à ce quel’autre peut faire, se créant une carapace qui l’empêche de ressentir, doncde trop souffrir.

Je vous expose tout cela pour vous montrer que la position du juge ou dututeur peut être à l’origine de tellesinjonctions paradoxales. Lorsque lamanière dont une personne gère sa vien’est pas jugée correcte, qu’on estimequ’elle doit changer, le juge lui dit à peuprès cela:

«Je ne veux pas simplement que tu chan-ges, je veux que tu te changes. Leproblème, je le sais, c’est que tu ne changeras pas uniquement parce que moije le veux. Il faudrait que tu le veuillesaussi. Donc, je veux que tu veuilles changer.»

On est déjà ici en pleine injonction paradoxale. Mais, en plus, vient se grefferlà-dessus le recours au tuteur, nommépour l’aider. Si l’on poursuit la logique, leparadoxe devient alors:

«Je veux que tu veuilles de l’aide pour un problème que je dis que tu as, mais quetoi, tu ne reconnais peut-être pas avoir.Pour me montrer que tu veux l’aide que j’ai voulu que tu veuilles, il

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faudra que tu reconnaisses que tu as leproblème que tu ne reconnaissais pas quetu avais».

Dans les faits, il est impossible pour lesfamilles d’utiliser la métacommunicationafin de s’en sortir. La seconde optionserait de fuir l’aide des travailleurssociaux! Mais ceux-ci s’accrochent et leurclaquer la porte au nez comporte de nombreux risques.

La dernière fois que je suis allé au tribunal, j’ai dû sortir tellement tout celame rendait malade. Avant de vous racon-ter, je tiens à souligner que je n’en veux àpersonne. Moi, ce qui m’intéresse, ce nesont pas les acteurs, mais les logiques.

Voilà, il y avait devant ce tribunal unedame, avec trois enfants, qui disposait de 654 euros par mois pour vivre. Il a été décidé que ses enfants seraient placés parce qu’elle était pauvre! Logiquecomplètement folle, lorsqu’on sait que chaque enfant placé coûte 8’000euros par mois à la collectivité. La jeunejuge a dit cela à cette dame: «Je vous rendrai vos enfants quand vous aurez unemaison avec une chambre par enfant». Et cette dame, issue des milieux les plusprécarisés, se lève et crie à la juge: «T’esqu’une salope! T’as trouvé le moyen queje ne récupère jamais mes enfants.» Cesmots relevaient d’une forme de métacom-munication de qualité exceptionnelle.Pensez-vous que la juge l’ait compris? Non. La dame a quitté le tribunal avec, en plus, une poursuitepour outrage à magistrat. La juge a aussilancé: «On avait convenu qu’on allait

se revoir dans six mois, on se reverra dansun an!» Et on se demande pourquoi cettedame est allée se bourrer la tronche ensortant…

Le seule échappatoire dans ce jeu relationnel fou pour les pupilles (et lestuteurs qui veulent ne pas faire un burn-out) est de simuler!

Allez à 8 h le matin devant les bureaux du tuteur général au boulevard Georges-Favon. Les pupilles vous explique-ront comment simuler face à son tuteur etfaire semblant de vouloir ce qu’il a vouluqu’on veuille.

À ce sujet, j’avais animé une universitéd’ATD Quart Monde à l’attention desfamilles concernées. Le thème était:«Comment faire avec ses travailleurssociaux?» Au moment des questions, unparticipant s’est plaint: «Mon tuteur, lui, ilme garde pendant une heure et quart…»Et un autre de répondre: «C’est normal, tute laves!». J’en ai pleuré de rire.

En Belgique, nous avons aussi connu unchangement au niveau des définitions etdes terminologies. Ce qui était l’«aidejudiciaire avec les familles», désignationjugée trop forte, s’est adouci pour devenir l’«aide administrative». Pour sûr,pensait-on, cela allait réduire le nombrede dossiers à traiter. Résultats: le filetsocial s’est étendu beaucoup plus large-ment, atteignant des personnes qui,jusqu’alors, avaient été épargnées. Si bien que vous et moi pouvons aujourd’huiou demain nous retrouver devant un assis-tant social. Ce qui m’inquiète, c’est que

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des gens comme nous ne sont pas préparésà rencontrer des travailleurs sociaux.

Je vous conseille à tous de lire «Lafabrique des exclus». L’auteur y expliqueque si l’être humain a le sentiment que sesespaces psychiques sont envahis par lesautres, il va très vite dériver vers la folie.Je ne sais pas si vous vous apercevez decela ici en Suisse. Mais nous, en Belgique, dans les situations que nous suivons, les problématiques psychiquessont en train d’exploser. Je ne pense pasque cela soit simplement dû à la crise économique. Je pense que c’est aussi dû àla violence sournoise des sociaux. Ceux-cimultiplient les réunions entre eux,quadrillent les gens, quitte à trahir leurconfiance. Certes, on ne le fait pasméchamment, mais je souhaiterais vive-ment qu’on se rappelle cette règle d’or:«Respecter la dignité de quelqu’un, c’estde ne jamais accepter de lui faire quelquechose qu’on n’accepterait pas qu’on nousfasse à nous.»

À mon avis, la seule manière pour sortir del’impasse, c’est d’arrêter de vouloir aiderles gens; ou ne les aider plus que pour unechose: mettre fin le plus vite possible à lacuratelle qui pèse sur eux. Ce ne sont doncpas leurs problèmes que vous allez gérer,mais ceux qu’ils rencontrent avecquelqu’un qui a décidé de leur curatelle.Pour ce qui regarde leurs difficultés, faites-leur confiance! Donnez-leur desadresses où ils peuvent aller sonner eteux-mêmes demander de l’aide s’ils lesouhaitent. N’enfermez pas les gens dansleur problème! Ce qui donne un sens à la vie, ce ne sont pas le passé ou les

problèmes, mais les projets. Votre rôle detuteurs est d’apporter ce rayon de soleildans la vie des gens.

Références

Guy Hardy et coll., «S’il te plaît, ne m’aide pas!L’aide sous injonction administrative ou judi-ciaire», Paris, Erès, 2001.

Guy Hardy et coll., «Petit lexique pour l’usagedu travailleur social: conseils aux travailleurssociaux et aux bénéficiaires du travail social»,Lyon, Chronique sociale, 2006.

Guy Ausloos, «De la compétence des familles.Temps, chaos, processus», Toulous, Erès, 2013(1995).

Jean Maisondieu, «La fabrique des exclus», Mon-trouge, Bayard, 2010 (1997).

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De nouveaux rôles pour les proches!

estelle de LuzeDocteur en droit, maître assistante à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne

Deuxième journée

Le droit de la protection de l’adulteaccorde beaucoup de place aux proches en leur conférant différents

droits et devoirs. Les proches ne sont toutefois pas clairement identifiés dans letexte légal. Nous tenterons donc d’abordde déterminer ce que signifie ce terme enprocédant à une brève mise en perspectivehistorique. Nous passerons ensuite en revue les différents rôles que le nouveaudroit de la protection de l’adulte a prévupour les proches et examinerons de plusprès ceux qui nous semblent particulière-ment novateurs (1).

I. Qui sont les proches?

Dans le langage courant, le mot «proche»revêt usuellement un sens large. Il comprend tant les membres de la parenté que les amis et les connaissancesintimes qui se trouvent en dehors du cercle familial.

La Charte pour un partenariat entre lesacteurs du domaine de la santé mentale(voir p. 31) définit le proche comme celuiqui «fait partie du réseau naturel de lapersonne en souffrance psychique; tousdeux peuvent être liés par un lien deparenté ou d’amitié».

Qu’en est-il de la notion juridique du terme? Le Code civil ne propose pas de définition du mot proche, au contrairedu Code pénal qui dit: «Les proches d’une personne sont son conjoint, son partenaire enregistré, ses parents en lignedirecte, ses frères et sœurs germains,consanguins ou utérins ainsi que sesparents, frères et sœurs et enfants adop-tifs» (art. 110 al. 1 CP). Le terme «proche»n’étant pas à proprement parler une notionde droit pénal, cette définition ne permetpas de l’interpréter et de l’appliquer endroit de la protection de l’adulte.

Cette absence de définition dans le Codecivil doit être saluée au moins pour une

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raison: elle permet à ce terme de s’adapterà chaque situation concrète d’un casd’espèce. Une définition plus préciseapporterait une certaine sécurité, maislimiterait les possibles interprétationsdudit terme; le législateur civil a ainsichoisi de ne pas figer la notion de proche.

Il est toutefois utile, pour assurer unebonne application du droit, d’établir surla base de quels indices une personnepeut être qualifiée de proche ou pas. Àcette fin, nous allons brièvement rappelerl’évolution de cette notion en droit de latutelle.

1. Historique

En 1907, le droit de la tutelle ne compre-nait que deux dispositions légales faisantmention de la notion de «proche». Celle-ci était utilisée comme adjectif pourpréciser le rapport de communauté quidevait exister entre la personne concer-née et ses parents ou ses alliés (2).

En 1981, ce terme apparaît une troisièmefois dans le droit de la tutelle à la faveurde l’entrée en vigueur des dispositionsrelatives à la privation de liberté à desfins d’assistance (art. 397a à 397f aCC).C’est à cette date que la qualité de proche a été reconnue en tant que tellepour la première fois en droit de la tutelle(art. 397d aCC) (3). Selon la jurisprudencedu Tribunal fédéral et la doctrine, uneinterprétation large devait en être donnée: était un proche celui ou cellequi, en raison de ses qualités propres etde ses rapports étroits (de parenté ou d’amitié) avec la personne concernée,était en mesure de faire valoir les intérêts

de cette dernière (4), à savoir: lesparents, les frères et sœurs, les descen-dants, le conjoint et le concubin, letuteur, le médecin, l’assistant social, lepasteur ou toute personne reconnuecomme étant proche et qui s’occupe de lapersonne concernée par la mesure depuislongtemps (5). Selon les juges fédéraux, iln’était par ailleurs pas arbitraire de refuser cette qualité de proche à une personne morale qui ne revêtait pas, dansle cas d’espèce en tout cas, les conditionsde la notion de proche telles que définiesdans la jurisprudence (6).

Le premier pas pour une meilleure priseen considération des proches dans cedomaine du droit était fait et le droit dela protection de l’adulte a poursuivi lemouvement tout en l’amplifiant considé-rablement. À partir du 1er janvier 2013, leterme «proche» se multiplie dans le Codecivil, apparaissant dans seize articles différents du nouveau droit.

2. La notion de proche dans ledroit de la protection de l’adulte

Le Message du Conseil fédéral relatif audroit de la protection de l’adulte, ensoulignant que la définition du cercle desproches n’obéit pas à des règles strictes,renvoie à l’interprétation qui a été faitedu terme «proche» en droit de la tutelle(art. 397d al. 1 aCC) pour expliquer lanotion dans le droit de la protection del’adulte (7). Cette définition, qui sefonde sur l’étroitesse du lien qui unitdeux personnes, est satisfaisante pourdéterminer un cercle très large de proches. La doctrine s’en tient égale-ment à l’interprétation donnée de

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l’article 397d al. 1 aCC pour définir leterme «proche» et en particulier auxéclaircissements apportés par les jugesfédéraux en 2009.

Force est toutefois de constater que lelégislateur fédéral a prévu différents cercles ou différents sous-types de proches dans le droit de la protection del’adulte. Ceux-ci sont déterminés par lespouvoirs particuliers que le législateurconfère à certaines personnes. La défini-tion du proche au sens large ne reflète pas toutes ces catégories de proches et ilfaut par conséquent identifier les critèresretenus par le législateur pour déterminerle rôle de chaque proche en fonction deson statut particulier.

II. De quels rôles parle-t-on?

Le législateur a distingué différents rôlesque peuvent jouer les proches selon laqualité du lien qui les lie à la personneconcernée. Certains proches ne pourrontjouer un rôle que dans le droit procéduralalors que d’autres cumuleront différentesqualités de proches et donc différentsrôles.

1. Le rôle des proches dans la procédure

Lorsqu’il utilise le terme dans son acception la plus large, le législateur adonné au proche le pouvoir de contrôler la bonne application du droit et de requérir l’intervention de l’autorité deprotection de l’adulte lorsque cela s’avèrenécessaire. Nous qualifions ce droit de

«procédural», car il s’agit pour le proched’entamer une procédure ou, dans un sens plus large, d’intervenir auprès del’autorité de protection dans le but depréserver au mieux les intérêts de la personne concernée par la mesure de protection.

Font partie de ces prérogatives accordéesau plus large cercle de proches:

• La possibilité de requérir une interven-tion de l’autorité de protection de l’adultepour protéger les intérêts ou la volonté de la personne devenue incapable de discernement: art. 368 al. 1 CC (man-dat pour cause d’inaptitude), 373 al. 1 CC(directives anticipées), 376  al. 2 CC(représentation par le conjoint ou par lepartenaire enregistré), 381  al. 3 CC(représentation dans le domaine médical),385 al. 1 CC (mesure limitant la liberté demouvement dans un établissementmédico-social).

• La possibilité de requérir l’institutiond’une curatelle (art. 390 al. 3 CC) ou la levée de celle-ci lorsqu’elle n’est plusjustifiée (art. 399 al. 2 CC).

• La possibilité de formuler des souhaitsquant au choix de la personne du curateur(art. 401 al. 2 CC).

• Le droit d’en appeler à l’autorité de protection de l’adulte contre les actes ouomissions du curateur ou ceux du tiers oude l’office mandatés par l’autorité de protection de l’adulte (art. 419 CC).

• Le droit, pour les proches de la personnesous curatelle, de demander que le cura-teur soit libéré de ses fonctions(art.423al.2CC).

• Dans le domaine du placement à des finsd’assistance, les proches de la personne

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placée peuvent demander sa libération entout temps (art. 426 al. 4 CC).

• Toujours dans ce même domaine, l’undes proches de la personne placée doitêtre, dans la mesure du possible, informédu placement par un médecin et de la possibilité de recourir contre cette décision (art. 430 al. 5 CC).

• Dans ce domaine encore, les proches dela personne concernée peuvent en appelerau juge en cas de placement ordonné parun médecin, de maintien par l’institution,de rejet d’une demande de libération parl’institution, de traitement de troublespsychiques sans le consentement de lapersonne concernée, d’application de mesures limitant la liberté de mouve-ment de la personne concernée (art. 439 al. 1 CC).

• D’une manière générale, les proches dela personne concernée ont la qualité pour recourir contre les décisions de l’autorité de protection de l’adulte (art. 450 al. 2 ch. 2 CC).

Dans toutes ces dispositions, le prochejoue un rôle de contrôle et de protectionde la personne concernée par une mesurede protection de l’adulte. Dans cecontexte, la notion de proche doit êtreinterprétée largement afin de garantir aumieux les intérêts de la personne sous lecoup d’une mesure de protection (8). «Leproche est une personne qui connaît bienla personne concernée et qui, grâce à sesqualités et, le plus souvent, grâce à ses rapports réguliers avec celle-ci,paraît apte à en défendre les intérêts.

L’existence d’un rapport juridique entreles deux personnes n’est toutefois pas requise. C’est le lien de fait qui estdéterminant» (9). C’est donc dans le

domaine procédural que le cercle des proches est le plus large. Il comprend lesparents, les conjoints, les partenaires, lesenfants, les personnes liées par des liensde parenté, d’amitié, de confiance, lecurateur, l’assistant social, le médecin etmême, selon les situations, le banquier, lefiduciaire ou toute autre personne quiremplirait les qualités requises (10).

En fonction des rôles exercés par les proches, des sous-catégories se dessinentau sein de ce cercle très large de proches.Dans ces sous-catégories, les prochesbénéficient de droits et de devoirs parti-culiers qui peuvent se cumuler avec ceuxdont ils bénéficient déjà en faisant partiedu cercle de proches le plus large.

2. Le rôle des proches dans lesmesures personnelles anticipées

Le droit de la protection de l’adulte propose des institutions qui étaientjusqu’alors inconnues du Code civil suisse:le mandat pour cause d’inaptitude et sonmandataire (art. 360 à 369 CC) ainsi queles directives anticipées et leur représen-tant thérapeutique (art. 370 à 373 CC).

Le mandataire pour cause d’inaptitudepeut être une personne physique oumorale et peut être un proche ou ne pasl’être… alors que le représentant théra-peutique ne peut être qu’une personnephysique et sera très généralement unproche en raison des décisions à prendre,d’ordre médical, qui sont personnelles.Précisons encore qu’une seule et mêmepersonne peut cumuler la fonction demandataire pour cause d’inaptitude et dereprésentant thérapeutique.

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a) Le rôle des proches désignés manda-taires pour cause d’inaptitude

Lorsqu’une personne ayant le plein exercice des droits civils (11) rédige un man-dat pour cause d’inaptitude, elle charge unepersonne physique ou morale de lui fournirune assistance personnelle, de gérer sonpatrimoine ou de la représenter dans les rap-ports juridiques avec les tiers au cas où elledeviendrait incapable de discernement (art.360 al. 1 CC).

Le mandataire désigné peut être choisiparmi les personnes composant le cercle desproches ou en dehors de celui-ci. Le manda-taire peut tout à fait être une personnemorale et ne prendre connaissance du man-dat que lorsque la personne qui l’a rédigé, lemandant, devient durablement incapable dediscernement.

Si un proche est désigné mandataire pourcause d’inaptitude, il ne perd naturellementpas ses droits et devoirs liés à son statut de proche au sens large etacquiert en plus les droits et devoirs du man-dataire.

Que le mandataire pour cause d’inaptitudesoit choisi au sein du cercle des proches ouen dehors de celui-ci, ses droits et devoirs demandataire seront les mêmes; il est notam-ment tenu au devoir de diligence dansl’exécution de son mandat (art.365al.1CC).Les tâches dévolues au mandataire sont spé-cifiques à ce mandat et non pas à son statutde proche.

En résumé, si le mandataire est un proche, ilcumulera les droits et devoirs du proche avec

ceux propres à la fonction de mandataire alors que s’il n’est pas un proche, il ne sera titulaire que des droits etdevoirs propres à ce mandat.

b) Le rôle des proches désignés représentants thérapeutiques

Toute personne capable de discernement — lamajorité n’est ici pas une condition —peutdéterminer, dans des directives anticipées,les traitements médicaux auxquels elleconsent ou non au cas où elle deviendraitincapable de discernement. Elle peut égale-ment désigner une personne physique — lereprésentant thérapeutique — qui sera appe-lée à s’entretenir avec le médecin sur lessoins médicaux à lui administrer et à décideren son nom au cas où elle deviendrait inca-pable de discernement (art.370al.1et2CC).

Le représentant thérapeutique sera, le plussouvent, un proche de la personne qui rédigedes directives anticipées. Il ne s’agit toutefois pas d’une obligation et l’au-teur des directives peut naturellementchoisir de désigner n’importe quelle per-sonne physique en qualité de représentant.Dans la majorité des cas, le représentant thé-rapeutique cumulera les rôles accordés aucercle le plus large de proches avec les droitset devoirs qui lui incombent spécifiquementen sa qualité de représentant thérapeutique.

Si l’auteur des directives anticipées devait désigner un tiers en qualité de repré-sentant thérapeutique, ce tiers nebénéficierait que des droits et devoirs liés à sa tâche et non pas de ceux incombantd’une manière plus générale aux proches del’auteur des directives.

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3. Le rôle de représentation du proche dans les mesures appliquées de plein droit

C’est sans doute dans le domaine de la représentation de par la loi de la personne devenue incapable de discerne-ment que le rôle du proche est le plusemblématique.

Les mesures appliquées de plein droit sesubdivisent en deux catégories:

- la représentation de la personne incapa-ble de discernement par le conjoint ou le partenaire enregistré (art.374à376CC);

- la représentation de la personne incapa-ble de discernement dans le domainemédical (art. 377 à 381 CC).

Dans ces deux domaines, aussitôt qu’unepersonne devient durablement incapablede discernement, certains prochesexhaustivement énumérés dans le codebénéficient d’un pouvoir de représenta-tion qui leur permet de prendre desdécisions à la place de la personne incapable de discernement.

a) Représentation par le conjoint ou par le partenaire enregistré

«Lorsqu’une personne frappée d’une incapacité de discernement n’a pas constitué de mandat pour cause d’inapti-tude et que sa représentation n’est pasassurée par une curatelle, son conjoint ou son partenaire enregistré dispose du pouvoir légal de représentation s’il fait ménage commun avec elle ou s’il lui fournit une assistance personnellerégulière» (art. 374 al. 1 CC).

Les proches concernés par ce mécanismede représentation sont désignés très clairement dans la loi. Il s’agit uniquementdes conjoints — soit les personnes ayant conclu un mariage — et des partenaires — soit les personnes ayantconclu un partenariat enregistré — doncdes unions juridiques reconnues par le droit suisse. Les concubins sont en particulier exclus de ce mécanisme.

En plus de l’union juridique, le texte légalexige l’existence d’une «relation réelle»entre les personnes concernées (ménagecommun ou assistance personnelle régulière). Cette seconde condition permet d’éviter que l’effet de représenta-tion s’applique également pour descouples mariés ou liés par un partenariatenregistré mais qui n’entretiennent plusde rapports de couple à la suite d’uneséparation de fait par exemple.

Le pouvoir de représentation, qui naîtlorsque l’époux ou le partenaire devientincapable de discernement, porte sur les«besoins personnels et matériels» de lapersonne. Il s’agit de tous les actes juridiques habituellement nécessairespour satisfaire les besoins de la personneincapable de discernement; de l’adminis-tration ordinaire de ses revenus et de sesautres biens; si nécessaire, du droit deprendre connaissance de sa correspon-dance et de la liquider (art. 374 al. 2 CC).

Le rôle du proche est ici celui de représen-tant de son conjoint ou de son partenaireincapable de discernement. Le pouvoir dereprésentation prend naissance de par laloi, sans intervention de l’autorité de

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protection de l’adulte. Ces règles concré-tisent l’importance accordée par lelégislateur au conjoint et au partenaireenregistré et valorisent le rôle du procheen aménageant, d’une part, un véritablecadre juridique spécifique à leurs acteset en apportant, d’autre part, une sécu-rité pour les transactions juridiquesfaites au nom de la personne incapablede discernement.

b) Dans le domaine médical

Le législateur a prévu, dans le contextemédical, un rôle très important pour certains proches qui bénéficient d’unpouvoir de représentation «de par la loi».Tous les proches ne sont toutefois pas concernés par ce pouvoir; il s’agit uniquement des catégories de proches listées de manière hiérarchique etexhaustive à l’art. 378al. 1CC.

En premier lieu apparaissent les person-nes désignées dans des directives antici-pées et dans un mandat pour cause d’inaptitude (art. 378al. 1ch.1CC); cettepriorité accordée aux personnes choisiespréalablement par la personne devenueincapable de discernement est uneconcrétisation du principe d’autodéter-mination qui a une place prépondérantedans le nouveau droit. Vient ensuite le curateur qui a pour tâche de repré-senter la personne incapable de discerne-ment dans le domaine médical(art. 378 al. 1 ch. 2 CC) (12). La place ducurateur est ici justifiée par son rôle de protection de la personne incapable de discernement, même si elle peut surprendre dans la mesure où le curateura alors la préséance sur le conjoint.

Tout de suite après le curateur, c’estle conjoint ou le partenaire enregistréqui fait ménage commun ou quifournit une assistance personnelle régulière à l’incapable de discernementqui a le pouvoir de représentation(art.378al.1 ch.3CC). Suivent, dans l’ordre:

- la personne qui fait ménage communavec la personne incapable de discernement et qui lui fournit une assistance personnelle régulière(art.378al.1ch.4 CC);

- les descendants de la personne incapablede discernement s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière(art.378al.1ch.5CC);

- les père et mère de la personne incapa-ble de discernement s’ils lui fournissentune assistance personnelle régulière(art.378al.1ch.6CC);

- les frères et sœurs de la personne incapable de discernement, s’ils lui fournissent une assistance personnellerégulière (art. 378 al. 1 ch. 7 CC).

Les proches entrant en considération pourla représentation dans le domaine médicalsont énumérés exhaustivement par lelégislateur. Les autres membres de laparenté — grands-parents, neveux, parexemple — sont exclus de la liste et nepourront représenter l’incapable de discernement dans le domaine médicalque s’ils sont désignés représentants thérapeutiques dans des directives antici-pées ou dans un mandat pour caused’inaptitude ou s’ils sont nommés curateurs avec pouvoir de représentationdans le domaine médical par l’autorité deprotection de l’adulte.

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4. Le rôle des proches dans lesmesures prises par l’autorité

Le droit de la protection de l’adulte prévoit des mesures personnelles antici-pées, des mesures appliquées de pleindroit mais également des mesures prisespar l’autorité de protection lorsque lesmesures privées ou légales ne suffisentpas à protéger suffisamment une personne. À titre subsidiaire, dans le respect du principe de proportionnalité(art.389CC) et si les différentes conditions d’intervention de l’autorité deprotection sont réalisées, celle-ci peutdécider de mettre en place des mesuresqui peuvent, lorsque cela s’avère nécessaire, être imposées à la personnequi a besoin d’aide. Il s’agit des différen-tes formes de curatelles (art.390 à425CC) ainsi que du placement à des finsd’assistance (art.426à439CC).

Lorsque les causes et les conditions (13)d’institution d’une curatelle sont réalisées, l’autorité de protection de l’adulte peut décider de mettre en place ces mesures de protection. Rappelons icibrièvement que le droit de la protectionde l’adulte a abandonné la tutelle desmajeurs (14) ainsi que l’institution del’autorité parentale prolongée (15).

a) Le rôle du proche lorsqu’il est curateur

Lorsqu’elle doit choisir la personne ducurateur, l’autorité de protection de l’adulte peut choisir un proche ou une personne se trouvant en dehors du cercledes proches (16).

Outre leur pouvoir général en matière deprocédure dont nous avons parlé plus hautainsi que la possibilité qui leur est donnéed’émettre des souhaits lors du choix du curateur, les proches sont pris en considération de manière particulière lors-qu’ils sont eux-mêmes désignés en qualitéde curateurs.

La loi accorde en effet un statut privilégiéà certains proches appelés à exercer lafonction de curateur (17). Il s’agit d’unmécanisme qui ne s’applique que lorsquela curatelle est confiée au conjoint, aupartenaire enregistré, aux père et mère, à un descendant, à un frère ou à une sœurde la personne concernée ou à la personnemenant de fait une vie de couple avecelle. Si le curateur est l’une de ces person-nes et si les circonstances le justifient,l’autorité de protection peut dispenser en totalité ou en partie ce curateur de l’obligation de remettre un inventaire(art.405CC), d’établir des rapports et descomptes périodiques (art.410 et 411CC) etde requérir son consentement pour certains actes (art.416CC).

Pour pouvoir bénéficier de ce mécanisme,les proches doivent entrer dans la listeexhaustive de l’article 420CC. En dehorsde cette liste, la disposition légale n’estpas applicable, et cela même si le curateur est un proche au sens large.

b) Le rôle de la personne de confiancelors d’un placement à des fins d’assistance

Outre la curatelle, le législateur a prévu leplacement à des fins d’assistance commemesure prise par l’autorité. Dans ce

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domaine de la protection de l’adulte, lesproches au sens large ont, nous l’avonsdit, un pouvoir général de contrôle et desurveillance des intérêts de la personnesujette à la mesure de protection.

En plus de cette protection générale exercée par les proches au sens large, lelégislateur a prévu une protection spéciale exercée par la «personne deconfiance». Cette personne de confianceest spécifique au placement à des finsd’assistance et ne se retrouve nulle partailleurs dans le droit de la protection del’adulte. Il s’agit d’une personne qui peutêtre un proche, ou se trouver en dehorsdu cercle général des proches. Selon lestatut de la personne de confiance, ellepourra cumuler différents rôles.

La personne de confiance, qui sera généralement choisie parmi les proches,a des droits étendus: elle participe à l’établissement du plan de traitement(art. 433al. 1CC), a le droit de recevoirtous les renseignements essentiels relatifsau traitement médical envisagé(art. 433al. 2CC), doit recevoir par écritla décision du médecin-chef relatif à un traitement sans consentement(art.434al.2CC).

5. Les difficultés du nouveaudroit lorsque l’on parle de «proche»

La première partie de ce travail a permisd’illustrer la difficulté de parler des«proches» alors que cette expressioncomprend des cercles de personnes diffé-rents selon le domaine de protectionapplicable ainsi que selon les rapports

entretenus par une personne avec sonentourage.

Tous les proches ne bénéficient pas desmêmes droits et devoirs, raison pourlaquelle il est impossible d’établir uneliste des rôles conférés aux proches sanspréciser, à chaque fois, de quels prochesl’on parle exactement.

Notons encore que si le législateur a prévud’accorder des rôles particuliers à certains cercles de proches spécifiques, ila également, en application du principed’autodétermination, laissé la personnecapable de discernement libre de modifierl’étendue des cercles de proches, leurordre de priorité et les rôles qu’elleentend confier à des proches ou, aucontraire, à des tiers.

III. Ces rôles sont-ils vraiment nouveaux?

Si la place accordée aux proches dans le droit de protection de l’adulte est nouvelle, les rôles qui leur sont conférésne sont pas forcément tous nouveaux.

Avant l’entrée en vigueur du droit de laprotection de l’adulte et sous l’empire dudroit de la tutelle, les proches avaientdéjà, à certaines conditions, des pouvoirsen matière de surveillance et pouvaient recourir à l’autorité tutélaire (18). À partir du 1er janvier  2013, leur com-pétence en matière de surveillance desactes du curateur s’est toutefois notab-lement accrue et généralisée dans lecode.

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Nous avons choisi dans cette présentationde mettre en exergue trois domaines danslesquels les nouveautés nous semblent lesplus notables, il s’agit:

- de la représentation par le conjoint ou lepartenaire enregistré (art.374à376CC);

- de la représentation dans le domainemédical (art.377à381CC); ainsi que

- des allégements possibles prévus dans lescas de la curatelle confiée à des proches(art.420CC).

1. La représentation par le conjoint ou le partenaireenregistré

Avant l’entrée en vigueur du droit de laprotection de l’adulte, le conjoint ou lepartenaire enregistré de la personne incapable de discernement ne disposaitd’aucun pouvoir de représentation légalspécifique pour effectuer des actes aunom de l’incapable de discernement. Ilarrivait toutefois très fréquemment, enpratique, que les époux ou partenaireseffectuent différents actes juridiques aunom de leur conjoint devenu incapable dediscernement: paiement de factures, gestion des assurances maladies… Diffé-rentes institutions juridiques (19) étaientalors détournées de leur objectif premierpour tenter de contourner cette lacunelégale et donner une assise juridique à cesactes lorsque cela s’avérait nécessaire.

Le droit de la protection de l’adulte, grâceà la création de la représentation de par la loi en cas d’incapacité de discernement de l’époux ou du partenaire(art.374à376CC), a comblé une lacune etapporte une sécurité juridique bienvenue.

Lorsqu’une personne – époux ou partenaireenregistré – devient incapable de discerne-ment, son conjoint qui lui fournit uneassistance personnelle régulière a automatiquement le pouvoir de le représenter dans les domaines suivants(art.374al.2CC):

- actes juridiques habituellement néces-saires pour satisfaire les besoins de lapersonne incapable de discernement;

- administration ordinaire de ses revenuset de ses autres biens;

- si nécessaire, droit de prendre connais-sance de sa correspondance et de laliquider.

Pour les actes juridiques relevant de l’administration extraordinaire des biens,le conjoint ou le partenaire enregistré doitrequérir le consentement de l’autorité deprotection de l’adulte (art.374al.3CC). Encas de doute sur le pouvoir de représenta-tion et sur la portée de celui-ci, l’autoritéde protection de l’adulte statue(art.376CC).

Notons encore que ce système de repré-sentation peut être évité par les conjointsou partenaires qui ne souhaiteraient pas yêtre soumis s’ils rédigent un mandat pourcause d’inaptitude et désignent d’autresmandataires pour régler leurs affaires encas de survenance d’une incapacité de discernement.

2. La représentation dans le domaine médical

Avant l’entrée en vigueur du droit de laprotection de l’adulte, le droit fédéral necontenait pas de disposition relative à lareprésentation dans le domaine médical.

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La majorité des lois sanitaires cantonalesdonnaient au médecin la possibilité dedécider des traitements à prodiguer aupatient incapable de discernement, enrègle générale après avoir consulté sesproches (20).

Grâce à l’entrée en vigueur des articles377 et suivants du Code civil, lelégislateur fédéral a mis la législationsuisse en conformité avec la Conventionsur les droits de l’homme et la bioméde-cine (CDHB) (21).

Avec l’entrée en vigueur du nouveau droit,c’est le représentant thérapeutique, lecurateur avec pouvoir de représentationdans le domaine médical ou certains membres de la famille désignés par lelégislateur qui ont le pouvoir de déciderdes traitements médicaux pour la personne incapable de discernement(art.378al.1CC). Si ce rôle confié aux proches est à saluer car il permet dereconnaître l’importance que ces prochesjouent dans la vie du patient devenu incapable de discernement, il suscitenaturellement quelques craintes relativesau poids que peut représenter la respon-sabilité de prendre des décisionsmédicales pour une personne incapablede discernement. La crainte pourraitégalement être suscitée par d’éventuelsenjeux successoraux qui risqueraientd’influencer les décisions médicales… Ledroit n’a naturellement pas vocation àrépondre à tous les risques et tous lesvices, mais le législateur a tout de mêmeprévu quelques gardes fous en prévoyantune possible intervention de l’autorité deprotection de l’adulte, notamment

lorsque les intérêts de la personne inca-pable de discernement sont compromisou risquent de l’être (22).

3. Les allégements possibles prévus dans les cas de lacuratelle confiée à des proches

L’ancien droit de la tutelle prévoyait undroit de préférence des parents et duconjoint qui étaient choisis en priorité en qualité de tuteur (23) ainsi que la possibilité pour les enfants majeurs inter-dits d’être placés sous l’autoritéparentale de leurs père et mère au lieud’être mis sous tutelle (24).

Le droit de la protection de l’adulte ne conserve pas ces deux institutions.Lorsqu’une curatelle doit être instituée,le curateur sera librement choisi par l’autorité de protection qui entendra toutefois les éventuels souhaits de la personne concernée ou de ses proches(art.401CC). Les père et mère ne peuventdésormais plus que revêtir le statut decurateur.

Le nouveau droit prévoit toutefois, pourune liste spécifique de proches appelés àexercer la fonction de curateur (25), lapossibilité d’être dispensés en totalité ouen partie de l’obligation de remettre uninventaire, d’établir des rapports et descomptes périodiques et de requérir leconsentement de l’autorité de protectionde l’adulte pour certains actes(art.420CC). Le statut privilégié accordéaux proches de la personne sous curatellequi figurent à l’article420 du Code civilreflète la considération sociale accordée àla relation entre la personne sous curatelle

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et ses proches; ce statut est égalementfondé sur l’article 8 de la Convention euro-péenne des droits de l’homme (CEDH) quigarantit le respect de la vie privée et de lavie de famille.

Soulignons que l’autorité de protection de l’adulte n’est en aucun cas tenue d’accorder à ces proches les allégementsprévus par le droit, il s’agit uniquementd’une prérogative. Lorsqu’elle désigne un proche en qualité de curateur, l’auto-rité de protection reste par ailleurs tenue— comme pour tout autre curateur — desurveiller son mandat et devra être parti-culièrement attentive aux risques que leproche peut représenter pour la personneconcernée lorsqu’il est désigné curateur,en particulier en ce qui concerne les intérêts patrimoniaux de cette personne(26).

IV. Conclusion

Le législateur a été soucieux de donneraux proches des rôles et des fonctionsvariant selon la nature du lien qui les unità la personne soumise à une mesure deprotection. Certaines relations dont lemariage et la relation filiale sont privilé-giées alors que d’autres ne fondent la qualité de proche que dans des situations spécifiques. Chaque membre dela «communauté de proches» (27) trouveainsi son compte dans le respect aigu dela relation matrimoniale ou de partenariatenregistré et dans la pleine reconnais-sance de l’importance d’une relation devie ou de soins réelle.

Ces dispositions doivent, à notre sens,être saluées car elles confèrent aux pro-ches un statut — plutôt que des rôles —qu’ils n’avaient pas jusqu’alors au niveaudu droit fédéral. Il existe naturellementun risque que les proches soient dépasséspar ce statut lorsque la charge et lesresponsabilités deviennent trop lourdes àassumer et c’est sous cet angle que cesdispositions peuvent certainement prêterle flanc à la critique. Dans de tels cas defigure, c’est alors à l’Etat d’intervenir età l’autorité de protection d’instituer unemesure plus adéquate et mieux adaptée àla situation concrète (28).

Si, en pratique, le rôle du proche ne change pas fondamentalement avecl’entrée en vigueur du nouveau droit,c’est son statut juridique qui a évolué, quia été grandement renforcé et l’impor-tance de son rôle dans la vie de lapersonne soumise à une mesure de protection qui est valorisée.

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• Honsell Heinrich/Vogt Nedim Peter/Geiser Thomas/Reusser Ruth (éds.), Zivilgesetzbuch I,Basler Kommentar, Helbing Lichtenhahn, Basel,2012, (cité: BSK ZGB I-Auteur).

• Leuba Audrey/Stettler Martin/Büchler Andrea/Häfli Christoph (éds.), Protection de l’adulte, Commentaire du droit de la famille,Stämpfli, Berne, 2013.

• Meier Philippe/Lukic Suzana, Introduction aunouveau droit de la protection de l’adulte,Schulthess, Zurich, 2011.

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• Message de Conseil fédéral du 28 juin 2006concernant la révision du Code civil suisse (Protection de l’adulte, droits des personnes etdroit de la filiation), Feuille fédérale 20066635.

• Pichonnaz Pascal/Foëx Bénédict (éds.), Codecivil I, Commentaire romand, Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2010.

• Schwander Ivo, Die Stellung der Ehegatten im revidierten Erwachsenenschutzrecht, in: PJA2012 1701.

• Stettler Martin, La référence aux proches dansle droit actuel et futur de la protection des adultes, in: Pour un droit pluriel, Mélanges Jean-François Perrin, Genève, 2002.

• Tercier Pierre, Qui sont nos «proches»?, in:Famille et droit, Mélanges Bernhard Schnyder,Fribourg, 1995.

Notes de bas de page(1) Nous précisons en introduction que le but decette présentation est d’appréhender les diffé-rents rôles prévus par le droit de la protectionde l’adulte pour les «proches». Nous ne feronspas mention du «proche aidant» au sens littéraldu terme, celui-ci ne se retrouvant pas explicitement dans le texte légal.

(2) BSK ZGB I-HÄFELI, Art. 380/381 n° 4.

(3) L’art. 397d aCC avait le contenu suivant: «Lapersonne en cause ou une personne qui lui estproche peut en appeler par écrit au juge, dansles dix jours à compter de la communication dela décision.»

(4) Arrêt du Tribunal fédéral  5A_837/2008 du25 mars 2009, considérant 5.2. Voir également:Häfli, n°  2 ad art. 401, in: Protection de l’adulte, Leuba Audrey/Stettler Martin/BüchlerAndrea/Häfeli Christoph (éds.), Commentaire dudroit de la famille, Stämpfli, 2013; BSK ZGB I-Geiser, Art. 397d N 13.

(5) Arrêt du Tribunal fédéral  5A_837/2008 du

25 mars 2009, considérant 5.2.

(6) Idem.

(7) Message du Conseil fédéral, FF 2006 6635(6692).

(8) Steck, n° 24 ad art. 450, in: Protection del’adulte, Leuba Audrey/Stettler Martin/BüchlerAndrea/Häfeli Christoph (éds.), Commentaire dudroit de la famille, Stämpfli, 2013.

(9) FF 2006 6635 (6716). Voir également: Steck(n. 11), n° 24 ad art. 450.

(10) Idem.

(11) Soit une personne capable de discernement,majeure et qui ne soit pas sous le coup d’unecuratelle de portée générale (art. 17 CC).

(12) Il peut s’agir soit du curateur de portéegénérale (art. 398 CC), soit du curateur dereprésentation (art. 394 CC) avec pouvoir dereprésentation dans le domaine médical.

(13) Causes et conditions de curatelle: art. 390al. 1 ch. 1 CC «est partiellement ou totalementempêchée d’assurer elle-même la sauvegarde deses intérêts en raison d’une déficience mentale,de troubles psychiques ou d’un autre état de faiblesse qui affecte sa condition personnelle» etart. 390 al. 1 ch.  2 CC «est, en raison d’une incapacité passagère de discernement ou pourcause d’absence, empêchée d’agir elle-même etqu’elle n’a pas désigné de représentant pour desaffaires qui doivent être réglées».

(14) La tutelle des mineurs existe, elle, toujours(art. 327a à 327c CC).

(15) Voir l’art. 385 al. 3 aCC qui avait le contenusuivant: «Les enfants majeurs interdits sont,dans la règle, placés sous autorité parentale aulieu d’être mis sous tutelle.»

(16) Notons que le curateur peut égalementcumuler les fonctions lorsqu’il est, par exemple,désigné représentant thérapeutique (art. 370 al.2 CC) dans des directives anticipées tout enétant nommé curateur de représentation avec gestion du patrimoine (art. 395 CC) pours’occuper de gérer les biens de la personne

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concernée par la mesure de protection.

(17) Art. 420 CC: «Lorsque la curatelle estconfiée au conjoint, au partenaire enregistré,aux père et mère, à un descendant, à un frèreou à une sœur de la personne concernée ou à lapersonne menant de fait une vie de couple avecelle, l’autorité de protection de l’adulte peut, siles circonstances le justifient, les dispenser en totalité ou en partie de l’obligation de remet-tre un inventaire, d’établir des rapports et des comptes périodiques et de requérir sonconsentement pour certains actes.»

(18) Art. 420 al. 1 aCC: «Le pupille capable dediscernement et tout intéressé peuvent recourirà l’autorité tutélaire contre les actes du tuteur.»

(19) Devoir d’assistance et de fidélité (art. 159CC et 15 LPart); représentation de l’union conju-gale, respectivement de la communauté des partenaires (art. 166 CC et 15 LPart); administration des biens d’un époux, respective-ment d’un partenaire, par l’autre (art. 195 CC et 21 LPart); gestion d’affaires sans mandat (art. 419 et suivants CO).

(20) Guillod/Hertig Pea, n° 5 ad art. 377, in: Pro-tection de l’adulte, Leuba Audrey/Stettler Martin/Büchler Andrea/Häfeli Christoph (éds.),Commentaire du droit de la famille, Stämpfli,2013.

(21) Art. 6 § 3 CDHB: «Lorsque, selon la loi, unmajeur n’a pas, en raison d’un handicap mental,d’une maladie ou pour un motif similaire, la capacité de consentir à une intervention,celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisa-tion de son représentant, d’une autorité oud’une personne ou instance désignée par la loi.La personne concernée doit dans la mesure dupossible être associée à la procédure d’autorisa-tion» (RS 0.810.2). La Suisse avait mis la réservesuivante à cette disposition: «Jusqu’à l’entréeen vigueur de la loi fédérale sur la révision duCode civil suisse (Protection de l’adulte, droitdes personnes et droit de la filiation), l’art. 6,al. 3 [CDHB], s’applique sous réserve de la légis-lation cantonale qui confère la compétencedécisionnelle au médecin pour les personnesincapables de discernement qui n’ont pas dereprésentant légal.»

(22) Sur la problématique et le débat soulevé par la représentation dans le domaine médical,voir notamment: Guillod/Hertig Pea (n. 23),no 4 ad art. 378.

(23) Art. 380 aCC: «L’autorité nomme de préfé-rence tuteur de l’incapable, à moins que dejustes motifs ne s’y opposent, soit l’un de sesproches parents ou alliés aptes à remplir cesfonctions, soit son conjoint; elle tient comptedes relations personnelles des intéressés et de laproximité du domicile.»

(24) Art. 385 al. 3 aCC: «Les enfants majeursinterdits sont, dans la règle, placés sous autoritéparentale au lieu d’être mis sous tutelle.»

(25) Le contenu de l’art. 420 CC est reproduit àla note de bas de page 17.

(26) Sur la question et les problématiques liéesà la curatelle confiée à des proches, voir notam-ment: Häfli (n. 7), nos 3 ss ad art. 420; Messagedu Conseil fédéral, FF 2006 6635 (6693);Meier/Lukic, Introduction au nouveau droit de laprotection de l’adulte, 2011, nos 638 ss.

(27) Sur ce terme, voir: Stettler Martin, La référence aux proches dans le droit actuel etfutur de la protection des adultes, in: Pour undroit pluriel, Mélanges Jean-François  Perrin,Genève, 2002, p. 121.

(28) Voir notamment l’art. 390 al. 2 CC, applica-ble dans le domaine des curatelles: «L’autoritéde protection de l’adulte prend en considérationla charge que la personne concernée représentepour ses proches et pour les tiers ainsi que leurbesoin de protection.» et l’art. 426 al. 2 CC,applicable dans le domaine du placement à desfins d’assistance: «La charge que la personneconcernée représente pour ses proches et pourdes tiers ainsi que leur protection sont prises enconsidération.»

Mes remerciements vont au Prof. Martin Stettlerpour ses conseils et à Mme Valérie De Luigi, MLaw,pour sa relecture.

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Nous représentons l’association gene-voise «Le Relais». Avec la nouvelleloi, nous nous situons entre protec-

tion et liberté. Les parapluies que nous por-tons devant vous symbolisent nos positions personnelles vis-à-vis de ce nouveau droit.Pour ma part, j’ai pris la liberté de fermermon parapluie. D’autres le gardent ouvert.À chacun de faire comme il l’entend!

Je voudrais d’abord remercierMme Anne Leroy, qui a animé les atelierspréparatoires de notre association. Zlata,Georges et moi-même, Jean, sommes ceque l’on appelle des «proches». Tous lestrois, nous avons un enfant souffrant d’untrouble psychique. Notre présentationreflétera les différentes approches etréactions des proches face à cette nouvelle loi.

Pour la rendre plus vivante, cette synthèseprendra la forme d’un entretien, mené parAnne  Leroy, à qui je cède à présent laparole.

Anne: À Genève, vous avez le Tribunal deprotection de l’adulte et de l’enfant(TPAE). Pouvez-vous nous dire quelques

mots à propos de ce tribunal? Que représente-t-il? Et de qui est-il formé?

Georges: Effectivement, depuis l’applica-tion de la nouvelle loi fédérale, en 2008,les législateurs genevois ont essayé d’adapter au mieux ces nouvellescontraintes, en tenant compte de ce quiexistait déjà et en s’efforçant de maîtriserles coups liés à cette adaptation.

Aujourd’hui, le TPAE est en place. De nouveaux juges ont été engagés pour compléter l’équipe. Une partie des activités faite actuellement par le TPAEétait réalisée auparavant par une commis-sion de surveillance des professions de lasanté et par le tribunal tutélaire. Le travail est désormais effectué de façon unpeu différente, puisque des assesseurssont rattachés au tribunal. Précédem-ment, le juge prenait ses responsabilitésseul. Maintenant, pour la majorité desdécisions à prendre, il doit discuter avecdeux assesseurs. Ces assesseurs sont soitdes professionnels issus du monde social,soit des psychiatres ou des psychologues.Deux tâches principales sont attribuées auTPAE:

Atelier citoyen - Genève

Proches

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1. Les problèmes de curatelle, pour lesquels le juge s’entoure d’un psychiatreou d’un psychologue, ainsi que d’un repré-sentant du monde social, par exemple unassistant social.

2. Les hospitalisations non volontaires, lesPLAFA, pour lesquels le juge travailleconjointement avec un psychiatre, ainsique d’un représentant d’association qui,statutairement, a décidé de défendre lespatients.

Anne: Sauf erreur de ma part, Georges,vous en faites partie?

Georges: Oui, j’assume effectivement unrôle d’assesseur au sein du tribunal en tant que représentant d’association.J’interviens donc pour ce qui concerne les PLAFA. Mais je n’ai eu l’occasion de siéger qu’une seule fois pour l’instant.Contrairement à ce que craignait le législateur, il y a moins de demandes d’intervention qu’auparavant, de patientsqui veulent sortir de l’hôpital alors qu’ilsy sont placés contre leur gré, ou d’appelscontre cette hospitalisation. Il sembleraitque le corps médical a pris des dispositionspour que les gens acceptent plus facile-ment la situation. Une autre hypothèseavancée pour expliquer la rareté de cessituations réside dans le fait qu’il est assezlourd pour les patients de se trouverdevant un tribunal. Ils s’engageraient doncmoins facilement dans cette démarche.Dans tous les cas, je constate qu’il y amoins de demandes que précédemment.

Anne: Face au nouveau droit, quel est lesentiment des proches?

Jean: Moi, je dis que la nouvelle loi ne varien changer. On manque d’abord de recul.Tout dépend aussi des femmes et des hom-mes qui seront à l’origine de tellesdécisions. En effet, suivant la compositiond’un tribunal, celles-ci n’iront pas toujours dans le même sens. J’attendsdonc de voir.

Georges: Et bien moi je ne suis pas d’accord. Comme on l’a vu précédem-ment, les proches ont des possibilitésd’intervention supplémentaires par rapport à la législation précédente. S’ils leveulent, ils peuvent s’engager d’une façonbeaucoup plus importante dans le suivi et dans l’aide qu’ils apportent à leurs proches en difficulté.

Zlata: Il faut attendre un certain tempsconcernant la mise en pratique de cetteloi.

Anne: Quelles sont alors les attentes desproches?

Jean: Elles ont toujours été importantes.Il est peut-être plus facile maintenant d’être entendu, de demander par exempleune curatelle. Nous souhaitons être partieprenante de ce choix — comme c’est le cas maintenant —, mais ne pas êtreimpliqués directement. On préfère laisserfaire les professionnels et les responsableslorsqu’il s’agit de prendre des décisions.

Georges: Eh bien, je ne suis de nouveaupas d’accord. En tant que père, j’ai le sen-timent de savoir ce dont mon fils a besoinet je ne pourrais jamais déléguer ça àquelqu’un d’autre.

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Zlata: Nous, les proches, avons souventdes problèmes émotionnels avec les personnes concernées. Cela peut être unesource de conflit. Il est important quenous restions des parents, apportant notreamour, faisant des choses pour maintenirune relation familiale.

Anne: En tant que proche, quelles sont vospréoccupations dans ce contexte?

Jean: Nous en avons beaucoup, mais j’enciterai une principale: nous souhaitonsd’abord l’autonomie de la personneconcernée, qui doit mener sa vie d’adultede façon digne. Pour cela, elle doit trouver un lieu de vie à sa convenance, quine soit pas chez ses parents, car un jourceux-ci ne seront plus là! Il faut doncdiversifier l’offre en la matière, en créantaussi des lieux de vie plus au moins encadrés. Sur Genève, ceux-ci sontmalheureusement difficiles à trouver.

Georges: Là encore, je ne suis pas d’accord. Mon fils est bien chez lui, dansson foyer. Il est mieux auprès de ses proches, auprès de gens qui le connaissentbien et qui peuvent l’aider à se sortir decette situation difficile.

Zlata: Évidemment, à la maison, c’est pluséconomique, pour l’Etat. On responsabi-lise les proches dans ce domaine, ce quin’est souhaitable ni pour les personnesconcernées ni pour les proches.

Anne: Par rapport à avant, vous sentez-vous plus ou moins acteurs de la situation?

Jean: Avec la nouvelle loi, nous pouvonsplus facilement agir. Mais je ne le désirepas, car les expériences prouvent que cen’est pas souhaitable à long terme. Il fautresponsabiliser les professionnels du côtémédical et du côté social, avec si possibledes liens humains entre tous, tout enrespectant la volonté de la personneconcernée.

Georges: Et bien non. Comment laisser àquelqu’un d’autre le soin d’interveniralors que la loi, quelque part, nous obligeà le faire? On a vu des proches directe-ment concernés qui, en cas d’absenced’autre représentant, sont appelés à devenir eux-mêmes les représentants thérapeutiques.

Zlata: Il faut voir quel est l’intérêt de la personne concernée et, donc, l’encou-rager à rédiger des directives anticipées.

Anne: La place des proches, selon ce quevous venez de dire, sera donc plus facileou plus difficile à prendre?

Jean: Elle est plus facile. Enfin, on parlede nous, les proches! Pour preuve, laCharte des proches présentée hier.

Georges: Alors là, je ne suis toujours pasd’accord. En tant que proche, il est extrê-mement difficile de se faire entendre. Lessoignants savent, le médecin possède lesconnaissances et nous, les proches, venonsennuyer tout ce monde avec nos idées.Donc, ce n’est pas plus facile qu’avant.

Zlata: La famille doit souvent demander,faire des démarches... (Soupir)

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Anne: En qualité de proche, même deparents, comment voyez-vous le représen-tant thérapeutique? Un allié? Unconcurrent? Un partenaire?

Jean: Eh bien, j’accepte le représentantthérapeutique et je me débrouille selon lelien à créer avec ce représentant. Celadépend aussi du lien de parenté avec lapersonne concernée.

Georges: Pour ma part, je suis d’accordavec lui s’il est d’accord avec moi. S’iln’est pas d’accord, j’appelle le tribunal,et puis on trouve une solution.

Zlata: Maintenir la relation proche-repré-sentant thérapeutique... Je ne souhaite pasêtre impliquée directement, mais pouvoirparticiper tout de même au choix du repré-sentant thérapeutique, du curateur, etc.

Anne: À vos yeux de proches, le nouveaudroit représente-t-il un progrès social ou unvrai projet de société?

Jean: Je n’en sais rien. Comme je l’ai dit tout à l’heure, tout dépend de l’application de la loi par les hommes et les femmes qui vont prendre certainesdécisions et qui interviennent à tous lesniveaux dans cette loi.

Georges: Mais on est en Suisse, Jean! Laloi est appliquée et suivie! Les proches ontaujourd’hui plus de place, un rôle plusimportant à jouer.

Zlata: Espoir... On peut toujours espérerque cela soit un progrès, pour les procheset pour les personnes concernées.

Jean: Eh bien en conclusion, beaucoup dequestions se posent. Ce n’est pas facilepour les proches qui sont souvent épuisés,en difficulté, et qui doivent aussi être soutenus et aidés.

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C’est essentiellement dans une perspective clinique que je vais aborder ici la question du nouveau

droit et de ses enjeux.

À mon avis, ce cadre juridique ne devraitque peu changer nos pratiques. Une longue réflexion a en effet précédé samise en place. De plus, ce nouveau droitreflète aussi des évolutions de société etde pratiques qui sont bien présentesdepuis un certain temps déjà. En ce sens,il apportera une légitimité à certaineshabitudes déjà bien ancrées et nous obligera à y réfléchir.

Le domaine de la santé s’efforce actuelle-ment de mettre en place des procéduresqui tiennent compte de cette nouvelledonne. Il le fait en étroite collaborationavec les associations et les instances juridiques. Rien n’est encore achevé etbeaucoup de questions restent en suspens,comme je vous le montrerai.

En préambule, il me semble important detisser une analogie entre le cadre juri-dique et le cadre dit «thérapeutique»,pour reprendre un mot cher aux soignants.

Le cadre juridique, largement défini aucours de ce congrès, est fait à la fois de cequ’on appelle la lettre de la loi, sa formu-lation et l’ensemble des procédures quivont en découler, mais aussi de l’esprit dela loi, c’est-à-dire les valeurs qui vontsous-tendre cette formulation et auxquel-les il faut sans cesse se référer.

Le cadre en psychothérapie fait appel, lui,à la fréquence des entretiens avec le patient, aux modalités de la ren-contre, mais aussi à toute une série d’élé-ments externes, qui vont, comme c’étaitle cas pour le cadre juridique, condition-ner un certain processus, cette foisthérapeutique.

La nouvelle loi fait place, elle aussi, à uncadre un peu différent, qui va certainement influencer l’ensemble desprocédures en cours de mise en place etengendrer, à terme, des modificationsdans nos pratiques actuelles.

Si de nouveaux éléments encadrent nospratiques, la nouvelle loi elle-même estsoumise aux exigences du respect desdroits fondamentaux de la personne, tels

Professionnels de la santé: quels enjeux,quels partenariats?

Dr Philippe rey-Bellet Médecin-chef du Département de psychiatrie et psychothérapie du Valais romand

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que formulés dans la Constitution fédé-rale. Directement inspirés de laDéclaration des droits de l’homme, ilsabordent notamment la question durespect et de la protection de la dignitéhumaine, de l’égalité de tous les êtresdevant la loi, du devoir de non-discrimina-tion du fait notamment de l’origine, de larace, du sexe, de l’âge, de la langue, de lasituation sociale, du mode de vie, deconvictions religieuses, philosophiques,politiques ou encore du fait d’une défi-cience corporelle, mentale ou psychique.

Y figurent aussi la protection contre l’ar-bitraire, la protection de la bonne foi, le droit à la vie et à la liberté de la personne, notamment la liberté de mouve-ment — quelque chose de tout à faitcentral en psychiatrie —, le droit d’obtenirde l’aide dans les situations de détresse,ainsi que la protection de la sphère privée.

Si je prends la peine de rappeler tout cela,c’est parce qu’en tant que professionnelsde la santé nous sommes tous très occupésà établir de nouvelles procédures. Or, ilme semble qu’en psychiatrie comme enmédecine, on n’ait jamais résolu quoi quece soit à coup de procédures. Elles noussont utiles, elles donnent un cadre à nospratiques, mais c’est souvent en se réfé-rant à la clinique que nous allons pouvoirtrouver des solutions. Ces procédures for-ment le cadre — dont je parlais tout àl’heure —, qui devrait nous rappeler cons-tamment les valeurs auxquelles on serattache.

Avec cette nouvelle loi et ce nouveaucadre, le catalogue des mesures se

modifie: les changements ne se produisentpas seulement au niveau des dénomina-tions, mais aussi du pouvoir de prise dedécision, beaucoup mieux réglé dans lenouveau droit. Au niveau aussi de la protection des personnes incapables dediscernement qui vivent en EMS, du traite-ment de celles placées à des finsd’assistance en raison de troubles psy-chiques, qui restaient mal réglés àl’échelon fédéral. Dans le fond, toutecette adaptation législative a abouti à uncertain nombre de principes, mais aussi devaleurs auxquelles on doit se référer.

La première des valeurs était de promou-voir l’autodétermination de la personne,avec les divers instruments qui sont prévus dans la nouvelle loi, les mandatspour cause d’inaptitude, les directivesanticipées.

Une autre valeur s’est exprimée dans lerenforcement de la solidarité familiale, enmême temps que dans la réduction de l’intervention de l’Etat.

Il s’agissait aussi d’améliorer la protectionjuridique des personnes incapables de discernement, de flexibiliser les mesuresd’assistance personnelle et patrimonialeprises par les autorités de protection.

Au travers du nouveau droit, on a cherchéaussi à renforcer la protection juridiquedes personnes privées de liberté à des finsd’assistance (PAFA). Il s’agit là d’une ques-tion toujours épineuse qui contient de nombreux enjeux, tant avec les autoritésciviles qu’avec les proches, les patients ouencore les réseaux associatifs, mais aussi

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sur le plan clinique. À ce titre, il convientde s’y arrêter et d’examiner les choses deplus près.

À préciser d’abord que la question del’hospitalisation sur une base volontaire,elle, ne change pas et reste du ressort dela personne. À mon sens, cette modalitéd’hospitalisation devrait être la règle et lebut à atteindre sur le plan thérapeutique.Dans la majorité des cas, j’estimed’ailleurs que cela est possible.

La nouvelle loi a cet avantage qu’elle promeut très clairement la notion de par-tenariat — comme dans la question desdirectives anticipées — et cette valeurdevrait à mon sens nous engager à militeren clinique et dans le monde soignant enfaveur d’une diminution des PAFA ou del’utilisation beaucoup plus restreinte decette mesure.

Pour rappel, il existe deux catégories dePAFA: ceux décidés par l’autorité de protection de l’adulte et de l’enfant etceux décidés par le médecin. La responsa-bilité décisionnelle reste très lourde,puisque sur la base seule de son jugementclinique un seul médecin est autorisé àpriver une personne de sa liberté, mêmesi cela est temporaire.

L’article  426 précise les conditions duPAFA: «Une personne peut être placéedans une institution appropriée lorsque,en raison de troubles psychiques, d’unedéficience mentale ou d’un grave étatd’abandon, l’assistance ou le traitementnécessaire ne peuvent lui être fournisd’une autre manière.»

Cet article ajoute: «La charge que la per-sonne concernée représente pour sesproches et pour des tiers ainsi que leurprotection sont prises en considération. Lapersonne concernée est libérée dès queles conditions de placement ne sont plusremplies. La personne concernée ou l’unde ses proches peut demander sa libéra-tion en tout temps. La décision doit êtreprise sans délai.»

Les changements sont relativement impor-tants, on le constate. Précédemment, lesplacements tenaient essentiellementcompte de la situation de la personne. Icisont introduites non seulement la questionde la dangerosité pour la personne ou pourles autres, mais aussi la notion de lacharge pour les proches et pour des tiers.Ces modifications doivent être saluées,même si — comme on le verra — elles nesont pas dénuées de risques pour l’avenir.

Auparavant, la législation ne prévoyait pasde limitation dans la durée lors de la prononciation d’un placement par unmédecin. Elle se limite maintenant à sixsemaines. À relever que certaines associa-tions avaient pris position, estimant quecette durée était encore trop longue. À mon avis, l’essentiel est dans la limiteelle-même. Il ne sera plus permis désor-mais de garder une personne pendant desmois et des mois, sans réelle forme decontrôle.

La nouvelle législation autour du PAFAaborde aussi la question de la chargereprésentée par la situation pour les proches et pour les tiers et le besoin de lesprotéger. Je pense que cela est bénéfique

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pour les familles concernées qui, aupara-vant, recevaient trop souvent une réponsemédicale du type: «Pour le moment, nousne pouvons rien faire. La personne neveut rien et les critères pour la fairehospitaliser ne sont pas remplis!» Ducoup, on laissait aussi des personnes ensouffrance sans avoir de possibilité d’in-tervenir.

Mais cette disposition comporte aussi desrisques sérieux qui pourraient aboutir,dans leur mise en application, à des dérives sécuritaires. En effet, même si lapersonne concernée n’est pas dans unesituation de danger immédiat, elle pour-rait tout de même faire les frais,peut-être beaucoup trop précocement,d’une intervention autoritaire. Desdemandes de placement pourraient êtredéposées en prétextant de la chargereprésentée pour des tiers au nom d’unprincipe de sécurité. Les hôpitaux psy-chiatriques seraient dès lors utilisés pourprévenir une violence potentielle, audétriment des soins qui doivent rester l’unique rôle de ces institutions.

Ce point de la loi a donné lieu à de nombreuses concertations et ajuste-ments. Il faudra se montrer vigilant faceaux changements que ce cadre législatifinduira dans la pratique. Et garder à l’esprit que le rôle de la psychiatrien’est en effet pas de devenir le gardien de l’ordre social. Certes, elle a son mot à dire lorsqu’il est question de l’évalua-tion de la dangerosité, mais pas plus et pour autant que cela s’inscrive dans une évaluation plus large et pluridis-ciplinaire.

J’ai aussi parfois l’impression que nousautres médecins avons tendance, dansnotre pratique clinique, à oublier quelorsque nous prononçons un PAFA, noussortons très clairement de notre rôle desoignant, de professionnel de la santé pournous situer davantage dans une positiond’auxiliaire de la justice civile.

Et, dans le contexte d’un PAFA, nous nepouvons pas, en tant que médecins, nousfonder uniquement sur notre intention de soigner, de soulager, de faire du bien conformément à notre code de déontologie. Nous devons aussi rendreexplicite — et probablement que la nou-velle loi nous y aidera — ce rôled’auxiliaire de la justice civile qu’on cherchait à nous assigner jusqu’alors sansle formuler explicitement. Dans le champde la psychiatrie, tous les enjeux vont etdevraient être de nous libérer de cetteposition de contrôleur social dans laquellenous sommes mis de facto.

Comme mentionné plus tôt, il n’y avaitauparavant pas de réglementation sur ladurée du PAFA. Il existait des possibilitésde recours immédiats et tout au long de l’hospitalisation d’une personne, mais celles-ci étaient largement régies par les modalités d’application cantonale.Maintenant, tout se joue au niveau du droit fédéral où les autorités de protections de l’enfant et de l’adulte(APEA) sont l’autorité de recours. Lespatients ont désormais 10  jours, pourdéposer un recours, avec obligation pourles APEA de fournir une réponse dans les 5 jours.

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Cependant, dans la mise en application dece dispositif, il a été prévu que les APAE sebasent sur une expertise médicale. Ce der-nier point est problématique, à mon avis.Il aurait été préférable de parler d’«éva-luation médicale par un autre médecin»,plutôt que d’«expertise», puisque lesmédecins psychiatres qui sont appelés àdevoir se prononcer sur le bien-fondé d’un recours et d’une mesurede PAFA ne sont clairement pas dans lesconditions de pouvoir faire un réel travaild’expertise. Ils ne peuvent qu’uniquementfaire une appréciation approfondie dedeuxième avis de la situation.

Là aussi, il faudra veiller à ce que lesmédecins appelés comme experts puissentdonner un avis en toute indépendance parrapport aux psychiatres institutionnels qui,eux, ont pris la mesure concernée et cherchent à l’exécuter. Les choses sont entrain de se régler différemment suivant lescantons, mais nous sommes encore trèsloin d’avoir trouvé une solution satisfai-sante à ce problème. Celle-ci exigeraitégalement des effectifs et des moyens quinous font actuellement défaut.

Je pense que nous aussi, en tant quemédecins, devons disposer d’un ensemblede procédures et de règles pour ce quitouche notre rôle dans les PAFA. Je vousparle ici du cas du Valais, puisque noussommes là-bas en train de plancher activement sur ces questions-là.

À rappeler que le PAFA décidé par unmédecin est pris à un moment où la personne est incapable de discernement.Ce même médecin va alors se substituer à

la personne. À ce sujet, il serait peut-êtreaussi important d’établir une distinctionentre discernement et déni. Le premierrelève d’un état tout à fait temporaire parrapport à un acte donné et qui doit doncêtre évalué de manière différenciée. Ils’agit donc d’une notion très différente dudéni. Nous sommes beaucoup plus souventconfrontés au déni en psychiatrie, c’est-à-dire à la non-reconnaissance des troublespar la personne, mais qui ont tous unefonctionnalité psychique. Et le déni nepeut se traiter par la contrainte, ce quiserait faire fi de la vie psychique du sujet,de ses modalités défensives. Là se situenotre enjeu principal et peut-être moinsdans la perte de discernement.

Dans ce sens-là, lorsque la décision d’unPAFA est prise, il me semble tout à fait cru-cial que cette mesure soit limitée au strictminimum. La règle en la matière veutqu’un PAFA soit levé aussi rapidement quepossible. Pour moi, cela se compte enjours et non en semaines. Dans la majeurepartie des cas, on arrive à trouver unconsensus directement avec le patient,une base contractuelle. C’est là que sesitue tout l’enjeu thérapeutique.

Dans certaines situations, la personne restera en PAFA tout au long de l’hospita-lisation. Mais, là encore, la nouvelle loiinduit un autre problème, ou en tout casune question, à savoir celle des mesurespost-institutionnelles. Sous ce vocable secache, si l’on parle en langage courant,une obligation de soins ambulatoires. Cesmesures sont définies avec le plan de traitement comme une suite logique àcette mesure, dans l’optique d’éviter la

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récidive. Il s’agit à mon sens d’une formu-lation un peu malheureuse de la nouvelleloi. Peut-être le législateur, entendait-il la«récidive du PAFA»? Je l’espère, sinon nousserions en présence d’un mélange douteux, à la fois d’ordre juridique — larécidive d’un acte délictueux — et d’ordremédical — la récidive au sens de rechute.Un élément supplémentaire nous vientaussi de pays où des suivis obligatoires ontété mis en place. L’évaluation de tellesprocédures a montré très clairement leurabsence d’efficacité, de même qu’un coûtélevé.

Or, maintenant, lors d’un PAFA, si le placement dure jusqu’à la fin de l’hospi-talisation, nous sommes aussi tenus denous prononcer sur l’utilité ou non de cesmesures post-institutionnelles, et encoreplus dans le cas d’un PAFA décidé par lesautorités de protection. Il me semble qu’ily a là aussi un risque de dérive sécuritaireassez important qui doit nous pousser à laprudence et à la circonspection. Je nepense pas qu’il faille être dogmatique là-dessus et j’espère que la nouvelle loinous donnera quelques instruments pouréviter une telle dérive, qui nous ferait pas-ser du civil au pénal, ce qui est toujoursdramatique dans les situations de santémentale.

Dans certains cas, ici en Valais, nous n’avons peut-être pas été suffisammentattentifs aux conséquences de nos actes.En voulant trop bien faire, nous avonstransmis aux autorités de protection certaines mesures médicales qu’on préco-nisait face à quelques situations. Très vite,ce qui n’était que prescription médicale

s’est mué en ordre judiciaire à imposer àla personne.

Bien heureusement, ces erreurs de jeu-nesse nous ont sensibilisés au problème.Pour les médecins en institution, la règleest maintenant qu’il n’y a pas de mesurespost-institutionnelles. Les prescrire com-porterait un risque très grave et nous ne lefaisons plus. Si nous étions vraiment amenés à le faire, la décision serait discu-tée en Collège des chefs de service, auniveau du département. Y inclure aussi lesautorités civiles et les associations deproches serait également très important.

De telles situations demandent une position institutionnelle extrêmementclaire et ferme, qui doit aussi se référeraux droits fondamentaux de la personne.Nous sommes là avant tout pour soignerdes gens, également pour défendre etrespecter les droits de la personne et aussila liberté du sujet. C’est une chose quim’apparaît absolument essentielle. Lestroubles mentaux ont ceci de particulierqu’ils affectent non pas le discernement,mais souvent pour un temps, la liberté dusujet.

Une personne prise dans un épisode délirant perd momentanément sa libertéet notre travail, en tant que psychiatre,est de restaurer cette liberté. Il me sem-ble donc absolument crucial de se reporteraussi, dans l’application de la nouvelle loi,aux valeurs qui ont sous-tendu la mise enplace de ce nouveau cadre législatif.

Des enjeux variés se présentent à nous. Iln’y aura pas de réponses univoques, mais

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ce nouveau cadre devrait nous mettre encondition de nous interroger sur nos pratiques, comme je le disais au début dema présentation. Tout le tumulte créédans les institutions par ce nouveau droita l’avantage de nous ramener à la clinique, c’est-à-dire à notre travail fondamental de soignant.

Une autre chose m’apparaît très positivedans cette nouvelle loi: le renforcementd’une réelle pluridisciplinarité, d’un partenariat avec les proches, les associa-tions, les instances civiles. Ce qui étaitdéjà mis en pratique depuis longtempssera à présent formalisé et doté d’unevraie légitimité. Sur ce plan-là, je pensequ’on devrait prendre aussi des mesurespour que tous ces partenaires puissentêtre réellement là et aussi avoir un droit de regard sur les pratiques et lesdécisions des instances des institutionspsychiatriques.

Ce qui n’implique pas du tout à mon sensque nous autres médecins psychiatresarrêtions de prendre des décisions ou quenous nous défilions devant ces décisions. Ilnous faut au contraire prendre des positions cliniques plus fortes, nous engager plus en avant et ce nouveau droitnous y pousse probablement, mais, enmême temps, en maintenant un œil critique. Je pense que les partenariats quenous tissons avec chaque acteur pour-raient aussi jouer ce rôle très précieux degarde-fou pour la psychiatrie.

Pour terminer, je tiens aussi à dire quenous autres psychiatres arrivons à un pointoù notre rôle de soignants est remis

quelque peu en question. Nous sommesbeaucoup trop souvent sollicités pour donner des expertises sur toute sorte dechamps de la santé mentale. À mon sens,ce n’est pas notre champ premier. Nousdevrions être avant tout des experts en psychopathologie, c’est-à-dire en com-préhension de ce qui se passe dans laclinique du patient, et aussi en traitementpsychothérapeutique.

J’aimerais conclure en disant que le cadremédico-légal, tel qu’on peut le vivre dansle monde soignant, peut, s’il est mal com-pris ou utilisé, conduire à une paralysie dela pensée plutôt qu’à un progrès qui favoriserait nos pratiques quotidiennes. Ànous maintenant d’utiliser ce cadre pourgénérer un nouveau processus. Et j’espèreque ce nouveau droit sera une manière denous inviter à ce développement pourl’avenir.

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Les directives anticipées représententles volontés d’une personne capablede discernement. Elles permettent

d’exposer les soins par une situation donnée, de choisir un représentant théra-peutique et de définir des dispositions sociales.

L’AFAAP, l’Association fribourgeoise d’ac-tion et d’accompagnement psychiatrique,a organisé trois rencontres ouvertes aupublic. Ces séances ont été animées parAntoinette  Romanens, coordinatrice del’association, avec la participation d’Ariane Ayer, avocate spécialisée en droitdes patients, et Marc Fetter, infirmier enhôpital psychiatrique.

En moyenne, 18 personnes étaient présen-tes: professionnels, personnes concernéeset proches. Cette diversité nous a permisd’avoir de riches échanges et d’aboutir àun certain positionnement. Pour l’illustrer,nous allons, sous la forme d’une brèvemise en scène, vous présenter d’abord lesrisques liés aux directives anticipées, puisleurs champs d’application.

La scène se passe dans un hôpital psychia-trique avec une infirmière et unepatiente.

— Bonjour.— Bonjour Madame.— Installez-vous... Alors... Nous allonsréaliser un entretien d’entrée... Je vousinforme que je serai votre infirmière référente. Avant tout, avez-vous desdirectives anticipées? — Oui.— Les avez-vous avec vous? Où sont-elles?— Non. Je ne sais pas où elles sont. — Les avez-vous déjà envoyées une fois à l’hôpital? — Non.— De quand datent-elles? — D’une dizaine d’années, voire plus. — Vous ne les avez jamais mises à jour. — Non. Pourquoi les mettre à jour? C’estsi important? — Oui Madame, c’est très important,parce qu’elles doivent correspondre à la situation actuelle.— Aha… — Est-ce que votre médication a changédepuis 10 ans?

Atelier citoyen - Fribourg

Dispositions anticipées

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— Oui. Mais là, je suis fatiguée.— Oui, mais... Je suis désolée, mais… Vousavez notifié ces changements dans lesdirectives anticipées? — Non.— L’idée, c’est qu’on puisse suivre etrespecter vos souhaits dans la mesure dupossible.— Comment ça, dans la mesure du possi-ble? — Certains souhaits ne sont pas toujoursréalistes et réalisables. — En tous les cas, je veux une chambreseule et ne veux pas d’antipsychotiques. — Encore une fois, Madame, on ne peutpas vous le garantir, car, si vous faites unedécompensation psychotique, nous seronsobligés de vous en donner. Et puis, en cequi concerne la chambre, ce n’est pas unhôtel, Madame, mais un hôpital psychia-trique. — Ah! Mais je prends déjà tellement demédicaments! Je suis vraiment fatiguée.— Mais, j’ai besoin de savoir lesquels vous

prenez. — J’en ai environ quinze par jour.— Qui est votre médecin? Je le contacteraipour savoir quels médicaments vous prenez. Par contre, ce serait bien de lesréactualiser ou de les refaire. Je vousconseille également de toujours les avoiravec vous.— D’accord.

Deuxième cas de figure, toujours dans unhôpital psychiatrique.

— Bonjour. — Bonjour. Alors... Je vous informe quenous allons réaliser un entretien d’entrée.Je serai votre infirmière référente. Avanttout, avez-vous des directives anticipées? — Oui, je les ai. — Bien!— Elles ont été datées et signées par monreprésentant thérapeutique et mon méde-cin qui attestent de ma capacité dediscernement lorsque je les ai rédigées,

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c’est-à-dire la semaine passée. J’espèrequ’elles seront respectées. Je n’aimeraispas aller dans la chambre de contention,comme je l’ai écrit, ça me fait très peur.— Oui, alors nous allons les prendre encompte. Cela nous aide vraiment et nouspermet de personnaliser la prise encharge.— Est-ce que vous allez respecter monchoix de ne pas prendre certains médica-ments ou de ne pas faire certainesactivités? — Alors, je vais lire ce que vous avez mentionné afin de voir ce qui est possibleou non. Il est bien fait mention de la maladie dont vous souffrez, du type detraitement que vous prenez... Et je voisque vous êtes opposée à l’administrationd’Haldol et d’Akineton. Par contre, vousne vous opposez pas au Fluoxol et au Nozinan, même à hautes doses... De toutefaçon, on discutera ensemble de votretraitement.— Oui. — Je vois aussi que vous avez un historique de vos anciennes crises. C’esttrès bien. Vous avez bien décrit les étapesd’apparition d’une crise et les moyenspour y faire face. — Oui. J’ai aussi fait une liste de person-nes à contacter pour qu’elles soientinformées de mon état de santé: cellesqui doivent s’occuper de ma gestion administrative, financière, de mon chataussi. Par contre, j’ai aussi fait une listede personnes qu’il ne faut en aucun casinformer. — Vos directives anticipées sont claires etréalisables. Nous ferons notre possiblepour les suivre.— Merci d’avoir pris ce temps avec moi, je

me sens vraiment actrice et partenaire dela démarche de mon rétablissement. Jeme sens vraiment respectée et écoutée. — Merci.

***

Je voudrais d’abord remercier les actrices:Laurence, dans le rôle de l’infirmière,Sonia dans le rôle de la première patienteet Nathalie dans le rôle de la deuxièmepatiente.

Nous avons fait exprès de forcer un peu letrait de ces deux situations. D’unemanière générale, nous estimons que les directives anticipées sont une bonnechose. Elles permettent généralement deréaliser un partenariat entre la personneconcernée et le personnel soignant, touten amenant plus de clarté et de sécuritéaux deux parties.

Les directives sont aussi un excellent outild’affirmation de soi et permettent de revi-siter une crise et de prendre du recul parrapport à celle-ci. Nous pensons qu’elles offrent la possibilité au pat-ient d’être acteur et partenaire de ladémarche de son rétablissement.

Cependant, les directives anticipées com-portent certains risques. En effet, ladiffusion qui en est faite et leur accessibi-lité des directives anticipées peuventposer problème. Il faudrait les avoir toujours avec soi. La mise à jour des directives anticipées demande égalementune certaine rigueur de la part de la per-sonne concernée.

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Il nous semble aussi très difficile de choisirun représentant thérapeutique; la respon-sabilité morale, éthique et relationnelleque celui-ci endosse est lourde, il faut lesavoir.

Pour que les directives anticipées devien-nent un véritable outil de rétablissement,il faudrait sensibiliser et informer dechaque changement toutes les personnesqui y sont liées, notamment le personnelsoignant et les travailleurs sociaux. Il estégalement important de les vulgariserdans le but d’informer et les faire connaî-tre auprès de toute la population. Celapermettrait de démystifier la maladie psychique et de reconnaître le positionne-ment partenaire des personnes qui ensouffrent.

Vous pouvez trouver sur Internet des brochures sur les directives anticipées* àla sortie. Elles peuvent servir de supportsupplémentaire pour l’élaboration de cesdirectives anticipées. Je vous remercie devotre attention et n’oubliez pas votreparapluie!

Remarques et questions

Un intervenant dans le public

Je ne peux que remercier l’équipe de Fribourg et je profite du micro pour relireune définition qui, peut-être, nous glisseun peu des mains: «La santé mentale estun état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter lestensions normales de la vie, accomplir untravail productif et contribuer à la vie desa communauté. Dans ce sens positif, la

santé mentale est le fondement du bienêtre d’un individu et du bon fonctionne-ment d’une communauté.» C’est ladéfinition de l’OMS que je vous invite à liredans la brochure qui a été distribuée surles proches.

Une intervenante dans le public

À mon avis, les directives anticipées doivent venir de la personne concernée.Mais je me demande comment fairelorsque les personnes sont découragées,ne se sentent pas à même de le faire, n’osent pas demander de l’aide. Connais-sant plusieurs de ces personnes, j’airemarqué qu’elles ont des envies, des choses qu’elles ne veulent pas, des peurs,etc. Mais elles n’osent pas les exprimer et je ne les vois pas aller demander quoique ce soit à quiconque. Comment lesatteindre?

Antoinette Romanens

C’est en effet une des questions qui ontpréoccupé les 18  participants de notreatelier. Parmi eux, il y avait des éduca-teurs des institutions fribourgeoises qui sesont montrés très soucieux de la façon derépercuter l’information auprès des personnes qu’ils accompagnent au quoti-dien. Ils ont aussi relevé les risques deconfusion qui pouvaient survenir entre lesdifférents outils qui s’entrecroisent. Poureux, il était donc nécessaire de bien s’informer. Je pense qu’un immense tra-vail d’information reste à faire. Toutes lesinstitutions ne sont pas prêtes à travailleravec cet outil-là, ce qui doit changer.

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Ghislaine

C’est avec ce grand parapluie multicoloreque j’ai le plaisir de vous saluer. Pourquoiun tel objet? Jusqu’à maintenant, il servait essentiellement à se protéger ou àse cacher. Mais, avec la nouvelle loi, si onen a bien saisi le sens, le parapluie peutêtre refermé et devenir bâton de parole.

Les ateliers citoyens valaisans ont réunientre 15 et 25 participants, parmi lesquelsdes personnes concernées, des proches,des professionnels, des juristes, des curateurs, des travailleurs sociaux et desprofesseurs de la HES de Sierre. Tous n’ontpas pu venir aujourd’hui.

À mes côtés, se trouve d’abord Claire-Lise Cabane, présidente de l’Associationvalaisanne d’entraide psychiatrique(AVEP). Elle vous dira quelques mots surles réflexions menées par notre atelier.

Laissez-moi vous présenter aussi Angela etBaptiste. Tous deux sont étudiants à laHaute École de travail social de Sierre quiforme de futurs assistants sociaux. Actuel-lement, en fin de cursus, ils ont participé

à un module libre sur la nouvelle loi qu’ilsconnaissent bien. Ils vous présenteront lefruit de leur travail.

Pour ma part, je suis travailleuse sociale.Mais le temps presse et je cède tout desuite la parole à Claire-Lise.

Claire-Lise

Durant nos trois rencontres, nous avonsbeaucoup échangé, réfléchi et imaginé. Laquestion que notre atelier a plus spécifiquement examinée était la sui-vante: «Entre besoin de sécurité et besoinde liberté, quel peut être le meilleurusage possible du placement à des finsd’assistance (PAFA)?»

Pour y répondre, il faut déjà savoir que lePAFA intervient «quand tout s’écroule,dans un parcours de vie, et qu’il n’y a personne dans l’entourage pour accompa-gner ce moment de crise», si je reprendsles mots d’un des participants de notreatelier. Il nous est donc apparu crucial dechercher des pistes en amont du placement, afin d’éviter le recours à unetelle mesure.

Atelier citoyen - Valais

PAFA / PLAFA

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Pour nous tous, il est essentiel de militer activement en faveur d’actions collectives, de lieux et de moments derencontre, qui font sens dans notre quotidien. Nous mettons aussi l’accent surle travail communautaire pour restaurerles liens, pour tisser un réseau naturel de soutien ou mettre les personnes en contact avec des associations qui compensent l’isolement.

En tissant des liens entre isolement, protection et créativité, peut-être qu’aufinal ces mêmes liens vont se mêler, s’em-mêler, mélanger leur couleur. Dès lors nosinterrogations deviennent: Sachant que jefais partie d’une communauté, que fais-jequand l’un des miens va moins bien? Est-ce que je privilégie le virtuel auxréunions concrètes avec les autres? Dansquelle société ai-je envie de vivre? Dequelle société ai-je besoin?

Ghislaine

Cette dernière question revient aussi à sedemander: «De quelle autorité de protec-tion de l’enfant et de l’adulte (APEA)avons-nous besoin?» Nous en avons longue-ment débattu pour arriver à la conclusionsuivante: nous souhaitons disposer enValais d’une APEA dotée de vrais professionnels et dont la compétenceserait de proposer — dans un champ detension — des mesures efficaces pour ladéfense des intérêts de la personneconcernée.

En Valais, jusqu’à récemment, on dénom-brait presque 100 chambres pupillaires encharge de mandats! Souvent, la personneà l’origine d’une décision était un

ami d’école ou une connaissance. Cette proximité-là rendait les choses beaucoupplus difficiles pour tous. Nous voulons quece type de situation disparaisse à toutjamais!

Nous aimerions aussi que les processus dedécision soient plus clairs et que les personnes qui en sont chargées s’entou-rent d’assesseurs compétents. Comme l’aprésenté l’atelier du canton de Genève, il y a là-bas, parmi les assesseurs, des proches de personnes concernées. Nousaspirons à ce que cela soit également lecas en Valais.

Nous souhaitons par ailleurs que l’ensem-ble des assesseurs des APEA soit formé. Àl’heure actuelle, nous ne savons pas quiest chargé de ces formations et commentcela se passe. Pour l’instant, nous nedisposons encore pas de réponses claires àce sujet. Mais, ce n’est pas parce que lesateliers sont terminés que la réflexion,elle, ne se poursuivra pas.

Je redonne à présent la parole à Claire-Lise.

Claire-Lise

Notre groupe a exprimé un regret par rapport à la nouvelle loi. Si celle-ci metbien l’accent sur la manière de traiter les diverses questions d’ordre médical, financier ou administratif, elle pense peuou pas assez aux besoins sociaux ethumains des personnes concernées.

Si je serre aussi fort ce parapluie d’enfantici devant vous, c’est justement parce quecertains enfants ont été privés du droit de

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parole. J’en ai été personnellement affec-tée et c’est tout en pensée et en amouravec les enfants concernés que je sou-haite témoigner qu’eux aussi ontabsolument besoin d’être entendus et surtout crus.

Ghislaine

Nous nous sommes aussi beaucoup inter-rogés sur la manière dont les personnesplacées sont informées de leur droit dedisposer d’une personne de confiance. Surce point, il nous semble que la nouvelleloi ne donne pas de réponses tout à faitsatisfaisantes.

Autre idée suggérée par notre atelier: ledocument rempli lors des entretiens desortie d’un PAFA ne pourrait-il pas servirde base à des directives anticipées? Peut-être pourrait-on intervenir dans ce sensauprès des institutions concernées?

Nous avons aussi évoqué les lieux de PAFAdits «sociaux». Ils font partie d’une listequi existe quelque part, sans que nous ensachions plus. Quelles personnes sontaccueillies dans de telles structures? Comment fonctionnent celles-ci?

Je vais à présent vous lire un petit textepréparé par Mme  Mélanie  Peter, professeure HEVS et membre du comitéscientifique de ce congrès, qui s'ex-cuse auprès de vous de son absenceaujourd'hui.

«En tant que responsable de l’orientation“service social” de la Haute École de travail social du Valais, mais aussi commeancienne assistante sociale ayant fait

des expériences très diverses et assez souvent peu satisfaisantes dans l’accompagnement de personnes impli-quées dans un processus de demande demesures tutélaires, je me suis intéresséede près à la révision du droit de la tutelle.

Je me réjouissais des changements annon-cés et attendais avec impatience lemoment de pouvoir participer à la grandeaventure de la mise en œuvre de ce nouveau droit directement sur le terrain.

Hélas! Les années ont passé, j’ai quitté leterrain et me consacre maintenant à laformation. Mon rêve à ce niveau-là nes’est pas réalisé. Étant de nature plutôtoptimiste, j’ai analysé les choses sous unnouvel angle. Si je ne peux certes pluspratiquer ce nouveau droit sur le terrain,je peux par contre former et informer ceterrain sur le nouveau droit de protectionde l’adulte.

En Valais, le choix a été fait de maintenirdes autorités de protection administrati-ves communales, voire intercommunales.Ce qui signifie pour les travailleuses et travailleurs sociaux un travail de collabo-ration avec potentiellement 27 autoritésde protection différentes, donc autant demanières de mettre en pratique le nouveau droit. Je tiens tout de même àsouligner au passage qu’un effort certain aété réalisé, puisque nous sommes passés de 99  chambres pupillaires à 27aujourd’hui.

Le défi est de taille, pour y faire face, lestravailleuses et travailleurs sociaux ontbesoin d’une solide formation. La Haute

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École de travail social du Valais a décidéde tout mettre en œuvre pour former etinformer le plus de professionnels possiblesur ce nouveau droit. À titre d’exemple,nous avons organisé une journée profes-sionnelle bilingue sur cette thématique aumois de mai 2012 déjà.

La participation de plus de 300 personnesnous a démontré que le besoin de forma-tion et d’information était bien présent.En collaboration avec les trois autres hautes écoles romandes de travail social,nous proposons également une formationà la carte pour les institutions socio-sani-taires du canton. L’objectif est bien sûr defamiliariser les professionnels travaillantdans ces institutions avec ce nouveaudroit.

Mais surtout de les rendre attentifs au rôleimportant qu’ils ont à jouer dans la miseen œuvre de ce nouveau droit. Ils ont latâche de veiller au grain, comme on dit,c’est-à-dire veiller à une mise en œuvrerespectueuse des droits des personnesayant besoin de protection. Toutes ces bel-les valeurs qui sous-tendent ce nouveaudroit ne serviront à rien, si, par habitudeet commodité, on continue à faire commeon faisait avant.

Enfin, nous avons également sensibilisénos étudiantes et étudiants, les futurs travailleuses et travailleurs sociaux dedemain à l’importance de ce nouveaudroit. D’abord en leur donnant des coursbien sûr, en venant également à cecongrès avec une partie d’entre eux, enparticulier celles et ceux qui ont opté pourla notation au service social, mais aussi en

leur proposant de travailler cette thématique dans le cadre d’un modulelibre.

Après discussion et collaboration avec leService officiel de la curatelle (SOC) de Monthey, les étudiantes et étudiants décidaient de créer un flyer, qui expliquerait de manière simple et vulgari-sée les principaux chapitres de ce nouveaudroit, car ils se sont aperçus que lamatière était trop dense pour un flyer. Ilsont finalement opté pour la rédactiond’une brochure et je vais d’ailleurs tout desuite leur laisser la parole pour qu’ils vousen parlent.»

Angela

Comme l’a dit Ghislaine, nous sommesétudiants en fin de formation à la Haute École de travail social de Sierre, enorientation «service social», et nous seronsdonc, en tant que futurs professionnels,très bientôt confrontés à la réalité du ter-rain. Quel que soit le service oul’institution où nous travaillerons, nous serons amenés à accompagner lespersonnes concernées directement par ce nouveau droit, et nous devrons égale-ment collaborer activement avec lesdifférents acteurs de ce droit comme les curateurs, les autorités de protection,les mandataires privés et les psychiatres.

Comme la défense des intérêts et droitsdes personnes sera au centre de nos interventions, il nous a semblé importantde disposer d’un outil permettant d’informer au mieux et de manière simpleces personnes. C’est pourquoi nous avonsélaboré une brochure qui présente les

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différents changements apportés au droit de la protection de l’adulte au 1er janvier 2013.

Elle est divisée en différentes parties etaborde sous forme de questions-réponsesdifférentes thématiques, telles que lesgrands principes du droit de la protectionde l’adulte, les mesures personnelles anticipées, les mesures appliquées deplein droit, la protection de la personneincapable de discernement dans un homeou dans un EMS, les mesures de curatelleet les droits des personnes concernées par une mesure et le placement à des fins d’assistance en cas de troublespsychiques.

Nous avons également prévu un glossaireafin de définir un certain nombre de termes, tels qu’«incapacité de discerne-ment», «exercice des droits civils», etc.

Baptiste

Pour rendre cette brochure la plus acces-sible et la plus claire possible, nous avonseffectivement opté pour une présentationsous forme de questions-réponses.

Voici d’ailleurs une série de questionne-ments sur lesquels nous avons travaillé etque l’on retrouve dans ce document:«Qu’est-ce qu’un mandat pour cause d’inaptitude? De quelle manière dois-je lerédiger? Que se passe-t-il si mon manda-taire n’exerce pas de mandat pour caused’inaptitude? Si je devenais incapable dediscernement, quelles seraient les possibi-lités pour mes proches de veiller à mesintérêts?»

D’autres questions ont trait plus particu-lièrement au placement: «Qui a le droitd’ordonner un placement à des fins d’as-sistance? Qui décide de mettre fin à ceplacement à des fins d’assistance? Quefaire si je ne suis pas d’accord avec monplacement?»

Pour ce qui regarde les diverses curatelles,nous avons choisi d’illustrer nos proposavec des exemples concrets.

Cette brochure est gratuite et sera — théoriquement — disponible à la fin dumois de juin. Nous espérons qu’elle répon-dra aux questions que vous ou vos prochesvous posez.

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L a scène commence par les trois coupsannonçant le début de la pièce authéâtre.

La narratrice

Nous sommes le dimanche 26 mai 2013,9 h, à l’Hôpital des Coquelicots, au sein del’unité Pandora. Comme d’habitude, lesinfirmiers (M.  Martin, M.  Robert et Mme Valette) sont débordés. Les patientserrent dans les couloirs de l’unité.

— Toc toc toc toc— Oui, qu’est-ce que c’est?— Je peux vous voir? J’ai besoin de parler!— Désolé, on est complètement débordés.Il faut revenir vers 11 h.— Oooooooh c’est toujours la même choseici!

***

— Vous avez vu que Mme Bluet n’a pasvoulu prendre son Haldol ce matin? Elleest agitée!— Ah oui effectivement. On voit bienqu’elle est encore agitée. Mais je vaisaller le lui donner.— Bonjour Mme Bluet! Voilà votre Haldol!

— Je n’en veux pas, je ne suis pas agitée!Mon médecin m’a dit de ne pas prendred’Haldol.— Mais vous savez, ça ne va pas commeça. Notre médecin, lui, vous l’a prescrit,il vous faut le prendre… Ce sera ça ou l’isoloir…— Je ne le prends pas, je ne suis pas d’accord. Téléphonez à mon médecin!— Bon, alors ce sera l’isoloir!

***

— Elle n’a pas voulu le prendre. Messieurs, emmenez-la à l’isoloir s’il vousplaît!— Je ne suis pas agitée!!— Alors Mme Bluet, vous nous accompa-gnez?— Où ça?— Eh bien à l’isoloir!— Je ne veux pas y aller! Je ne suis pasagitée! Ce n’est pas juste!— Voilà. Il faudra enlever vos chaussures.— Non, je ne les enlève pas!— Bon, et bien on va vous les détacher.— Non! Vous ne me les enlevez pas!— Oh si…— Non, je ne les enlève pas!

Atelier citoyen Neuchâtel

Contention, attachement

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— Si. On va le faire gentiment. Il y a biende l’agitation.— Je ne suis pas agitée!— Mais non, mais non…— R’ garde cet imbécile, il ne sait mêmepas enlever une godasse!— Bon. Et puis cette ceinture... vous mela donnez?— Non merci!— Alors je la prends!

***

— Eh ben, me voilà belle maintenant! Jene comprends pas pourquoi je suis à l’isoloir! Mon médecin m’a dit de ne pasprendre l’Haldol. Ce n’est pas normal, jesuis révoltée! CE N’EST PAS NORMAL! C’estla crise!

Trois jours plus tard, Mme  Bluet, est toujours en chambre d’isolement.

— Bonjour Mme  Bluet! Comment allez-vous aujourd’hui?— J’en ai marre! C’est long, j’aimeraispouvoir sortir!— Mais oui, je vous comprends. Je voisque vous allez mieux, je crois que c’est le

moment. Je vais chercher vos affaires!N’oubliez pas ma ceinture de chasteté!

***

— Youpi! Youpi! voilà mes affaires!— Et voilà! Venez… — Eh ben, je suis contente de sortir, vousne pouvez pas savoir! Vous dites que lachambre d’isolement est thérapeutiquemais pour moi c’est la solitude, l’angoisse, la crise! Ce dont j’ai besoin,c’est de la chaleur humaine, du contact,de l’échange avec les autres!— Dans le fond, vous avez raison. Moi nonplus je ne suis pas à l’aise avec ça…Qu’est-ce que qu’on pourrait imaginer demieux? — Il faut supprimer la chambre d’isole-ment et l’Aquarium, pour qu’on soit tousensemble! — Eh bien pourquoi pas… Essayons!

La scène se poursuit sur un mode visuel:les murs de la salle d’isolement et de l’Aquarium (lieu où se tiennent les infirmiers, leur bureau vitré) s’écroulent,la fête commence, patients et infirmierssont ensemble, calmes et détendus!

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La narratrice

Cette scène nous a été inspirée par uneexpérience bien réelle, vécue récemment.La nouvelle loi mentionne de manièreexplicite les mesures de contention. Pournous, le meilleur usage de ces mesures,c’est la manière de les prévenir et de leséviter. Ce n’est pas l’isolement qui estthérapeutique, mais la communauté.

Cette pièce de théâtre vous a été présentée par l’ANAAP, l’Association neu-châteloise d’accueil et d’actionpsychiatrique.

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marie israël

J’ai le plaisir de vous présenter l’atelierdu Jura qui a été organisé par l’AJAAP,l’Association jurassienne d’accueil etd’action psychiatrique. Une associationpetite mais costaude!

Vanessa

Bonjour tout le monde. J’ai beaucoup dechoses qui me tiennent à cœur et que j’aienvie de partager avec vous. Mon témoi-gnage portera essentiellement sur lestraitements forcés que j’ai subis en clinique psychiatrique.

En tant que patiente, je suis vraimentheureuse d’être là, avec vous. Il y aencore peu de temps, je ne pensais pasêtre en vie parce que j’étais une personnesuicidaire. J’ai essayé de me suicider unedizaine de fois, et ai été hospitalisé unequinzaine de fois. Je reviens de loin, maisje suis contente d’être là.

Il est vrai que des moments en isolementet des injections ont été pour moi néces-saires pour me protéger de moi-même.Dans ce sens, et même si ça a été difficile

à vivre, je le comprends et je l’accepte.Mais ce qui me révolte, c’est que les professionnels ne m’ont pas crue concer-nant les souffrances que j’ai vécues, liéesaux effets secondaires des médicaments.Et ça, c’était vraiment terrible, vraimentpas possible.

Au fur et à mesure des hospitalisations, lesmédecins ont très souvent changé montraitement afin de trouver la meilleuremolécule pour moi. Jamais je n’ai étéinformée des risques, des bénéfices et deseffets secondaires des médicaments. À la longue, j’ai complètement perduconfiance en mes médecins. Ce n’étaitvraiment pas évident à vivre. Je trouveégalement dommage qu’en psychiatrie, onn’utilise pas assez les ressources dupatient. On est tellement infantilisés! Etje ne parle pas que de moi. Je l’ai aussiobservé autour de moi. Ce n’est vraimentpas bien.

L’atelier citoyen en vue du congrès a étéune opportunité de se retrouver entre professionnels et patients sur un mêmepied d’égalité. J’ai pu poser des questions

Atelier citoyen - Jura

Traitements forcés

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importantes à des personnes compétentes,notamment sur les directives anticipées etle consentement libre et éclairé. J’aiobtenu des réponses claires.

Nous avons aussi pu échanger autour denos expériences de patient ou de profes-sionnels de la santé. Entendre ce quel’autre avait à dire a été un moment enri-chissant... un moment rare... trop rare…

J’espère que cette nouvelle loi serarespectée, qu’elle apportera beaucoup etqu’elle ira dans le bon sens... C’est-à-diredans le sens de la personne, de la dignitéhumaine. J’espère aussi que les patientsseront correctement informés sur leursdroits, et sur leurs traitements.

J’attends une meilleure collaborationentre patients et soignants, où le rapportde force entre petits patients et grandsmédecins disparaîtrait enfin. J’espère detout cœur que les choses vont s’améliorer.

Encore une chose qui me semble importante et qui ne figure pas sur mafeuille: j’ai pu arrêter tous les traitements. Pendant des années, on m’aforcée à les prendre et ça n’allait pas.C’était toujours pire. Et maintenant, j’ai pu arrêter. Je suis encadrée bien sûre,je ne suis pas toute seule parce que ce serait trop dangereux. Et là, depuis bientôt sept mois, je m’en sors très bien. Bon, il y a toujours des hauts et des bas, mais franchement, je ne comprends pas très bien pourquoi on m’a forcée, je trouve cela un peu dommage.

marion Bonnemain

Les trois ateliers citoyens qui se sontdéroulés à Delémont dans le Jura ont étémarqués par les aspects suivants: premiè-rement, une très bonne ambiancegénérale et un respect mutuel de tous lesparticipants; deuxièmement, la richessedes échanges, tant du point de vue descontenus, que de la participation de chacun. Mais ce que l’on a regretté, malheureusement, c’était l’absence nota-ble des soignants. Seul le responsable dessoins à domicile était présent.

L’ambiance conviviale a permis que leséchanges soient équilibrés en temps deparoles et en variété des contenus. Lesthèmes abordés — l’introduction au nouveau droit de protection de l’adulte etles traitements forcés — n’ont pas empê-ché des digressions utiles et stimulantes,lesquels ont d’ailleurs constitué tout le sel des menus proposés.

Le temps de parole n’a pas été monopolisépar les représentants de la nouvelle autorité de protection de l’enfant et del’adulte (APEA). Les bénéficiaires dessoins, les proches et les professionnelsintéressés ont tous nourri le débat parleurs questions, réflexions et témoignages.Chacun est reparti conscient que le nouveau droit offre de réelles nouveautésconstructives mais que son applicationnécessite, comme tout changement, untemps de mise en route et d’adaptation.Les membres de l’APEA ont bien mentionné que le travail était plutôtintense avec la reprise des dossiers ensuspens au dernier trimestre  2012, les

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affaires courantes et la mise en route des révisions des mandats existants en fonction du nouveau droit. Les membresde l’APEA et leurs collaborateurs ne sontd’ailleurs pas les seuls à devoir s’adapter.Dans le monde de la santé, bien des habi-tudes seront à revoir, ou à abandonner.

Chacun souhaite en tout cas, que l’UHMP,l’Unité hospitalière médico-psychologiquede l’hôpital du Jura, puisse s’adapter dansles mois qui viennent, et pourquoi pasenvisager d’établir quelques protocolesutiles pour les soignants et leurs bénéfi-ciaires: des protocoles de contention parexemple. On espère que leur absence aux ateliers citoyens ne signifie pas leurrésistance face aux changements.

Les participants au débat ont pu renforcerleurs sentiments ou convictions que c’estbien le rôle d’une association comme l’AJAAP de soutenir les changements,voire de développer une certaine vigilance

pour signaler les «mauvaises résistances»et encourager les efforts constructifs.

D’ailleurs, pour l’AJAAP, la richesse de cesateliers — outre les relations tissées au fildes rencontres — a pris la forme de deuxprojets d’envergure.

Le premier: mettre en place et soutenir unréseau de personnes de confiance, au sensde la nouvelle loi.

Le deuxième: mettre sur pied uneméthode de recueil de témoignages. Carcela reste une évidence, qu’il s’agisse desobligations de soins, des PAFA ou desséjours hospitaliers volontaires, il y auratoujours des efforts à faire pour rappelerqu’une personne qui souffre de troublespsychiques n’en a pas moins des capacitésde participation aux soins, et que dans lesmoments de crise aiguë, elle reste unepersonne dotée d’une dignité inviolable.

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Je suis heureuse d’être ici devant vous.Ancienne comédienne, j’ai une certaine habitude de la scène et des

jeux de rôle pourtant, il ne m’est pas facilede parler de ce qui me touche vraiment,comme les enjeux liés à mon travail deresponsable du site de La Résidence à Lausanne.

Mon objectif ici est de susciter le débat.Ce sont vos réactions qui m’intéressent.Malheureusement, je ne dispose pas d’uneréponse toute faite à la question de départ. Je vous propose plutôt un éclai-rage issu de mon expérience.

I. Droits et devoirs de l’Etat

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il mesemble important de situer la position des institutions dans le canton de Vaud et plus particulièrement celle des foyerspsycho-éducatifs.

Et de préciser d’abord que l’Etat de Vauda des devoirs vis-à-vis des institutions et

en premier lieu celui de surveillance. Il estainsi responsable de garantir qu’une déontologie professionnelle, ainsi que les lois et les protocoles, soient appliquéset respectés dans les foyers psycho-éduca-tifs.

À cette fin, des personnes sont mandatéespour visiter régulièrement chaque institution. Celles-ci procèdent à diffé-rents types d’évaluations, en questionnantles résidents ou le personnel sur les pratiques de l’établissement.

L’Etat a également un devoir de soutienfinancier vis-à-vis des institutions. Il participe notamment aux recouvrementsdes frais d’hébergements des résidents quine peuvent être entièrement assurés parl’AI et par les Prestations Complémentai-res ou tout autre revenu dont ilsbénéficient. Il répond aussi aux besoinsindividuels de financement de chaque rési-dent. À rappeler que, parallèlement à ce soutien financier, l’Etat a le devoir demaîtriser les coûts de la santé, ce qui n’estpas un moindre travail.

Droit de la personne en institution: commentassouplir le cadre sansle perdre de vue?

Anouchka roman Responsable du site de La Résidence,Armée du Salut, Lausanne

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Les exigences ou les attentes de l’Etat vis-à-vis des institutions ne sont pas trèsdifférentes de celles qui, au niveau fédéral, cherchent à promouvoir l’autono-mie des personnes. À mon sens, son but estde permettre au plus grand nombre de personnes en souffrance ou au bénéfice del’AI de trouver une place dans la société etde rejoindre la norme.

Il s’agit de garantir les droits de toutes cespersonnes et le premier message que j’aienvie de faire passer aujourd’hui, c’est quel’Etat ne peut pas atteindre cet objectifseul. Il a besoin du concours des personnesconcernées, des proches, des intervenantset des associations. C’est tous ensembleque nous devons réfléchir, dénoncer des situations inacceptables, mais aussisouligner ce qui est efficace et apprécié.

II. Attentes du bénéficiaire institutionnalisé

Trop souvent, nous partons du point de vuedes intervenants, de leurs propositions, desprotocoles qu’ils mettent en place, etc.pour définir les besoins du bénéficiaire. Jesouhaiterais ici m’intéresser aux attentesde la personne en foyer. Pour mener ma réflexion, j’ai choisi d’interroger lesdifférents bénéficiaires de La Résidence.D’abord, il faut savoir que vivre en institu-tion, c’est avant tout se soumettre à unrèglement qui les premiers temps, neconvient guère à la personne. En entrantdans une communauté de bénéficiaires,celle-ci perd une partie de son identité. Untel changement n’est pas facile à vivre.Fréquemment, la personne va tenter de

gagner une certaine reconnaissance enmettant en avant sa différence. Cela peutprendre la forme de protestations, du non-respect des règles, etc. Ces expres-sions de révolte doivent à mon avis êtresaisies par les intervenants comme des opportunités d’entrer en relation etpas forcément comme une non-volontéd’entrer dans le cadre.

Dès les premiers jours, la plupart des résidents nous demandent s’ils pourrontvivre en appartement. Leur premier objec-tif est de quitter au plus vite l’institution ce que nous comprenons bien.

Les personnes qui viennent à la Résidencele font rarement par choix. Seule uneminorité le décide, souvent parce qu’ellesse sentent seules et ont besoin d’être rassurées. Concernant cette dernière caté-gorie de personnes, les institutions doivent se montrer vigilantes et ne pasoublier que des relations de co-dépendancepeuvent se créer. Nous savons combien celles-là sont difficiles à découdre une foisen place. Il ne faut jamais oublier qu’unepersonne, bien que dépendante ou nécessiteuse, est capable d’autonomie et de discernement et peut tout à fait se positionner dans un lien thérapeutique.

III. Devoirs des institutions

Le devoir le plus important des institutionsest de respecter les droits de la personne.Concrètement, cela n’est pas toujourssimple. En effet, il y a souvent des désac-cords ou des contradictions entre les

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normes, les directives, les besoins des résidents, leurs volontés, les référen-tiels de bonne pratique, etc. Danscertaines situations, il devient extrême-ment difficile de trancher. Commentréagir face à une personne qui refuse sontraitement? Devons-nous la contraindre, la forcer ouvertement à prendre ses médicaments?

À noter que des contraintes beaucoup plussournoises existent dans les institutions.Nous, professionnels sommes souvent lespremiers à ne pas en être conscientslorsque nous adressons des messages ambi-gus aux résidents. En voici un exemple: «Oui, oui, vous pouvez prendrevotre argent, mais d’abord vous passezprendre votre médication.»

Pour moi, la question relative à nos devoirs doit être: «Comment allier nosreprésentations, nos connaissances et nos responsabilités, aux volontés du béné-ficiaire, même si l’on est en désaccord?»Et de se demander ce que l’on veut vraiment, à savoir: «des droits qui n’em-piètent pas sur les valeurs communes denotre société ou des droits qui bousculentnos représentations, car minoritaires et necorrespondant pas à la norme». C’est àmon avis une des questions fondamentalesqui se pose dans le travail en institution.

Parmi les devoirs des institutions, figureaussi le maintien des acquis et le dévelop-pement de l’autonomie. C’est un thèmedont on parle régulièrement et à justetitre. Mais, encore une fois, il n’est pastoujours aisé d’appliquer ce principe dansla pratique. Que faire par exemple si une

personne en institution refuse d’entretenirsa chambre? Entrer de force dans ce lieuintime pour lui et le contraindre à faire leménage? Ai-je le droit d’y entrer, sous prétexte que les normes usuelles enmatière d’hygiène ne sont pas respectées?Pourtant, il existe des règles qui doiventêtre respectées dans les institutions,notamment sanitaires. Comment fairedans de telles situations pour respecter auplus près les droits de la personne et enmême temps certaines normes impossiblesà contourner? Là aussi, je pense qu’uneréflexion autour des cadres et des normes doit être fait. Et, pour moi, il s’agit peut-être de trouver un juste milieuentre exigences de la communauté etbesoins de la personne accueillie.

Les foyers psycho-éducatifs ont encore unautre devoir: celui de construire avec lerésident un projet de vie qui facilite etpromeut une vie autonome en dehors dusite. Concilier cet objectif avec la pénurieactuelle de logements n’est pas aisé.Beaucoup de résidents aimeraient pouvoirvivre à l’extérieur, mais ne le peuvent pas,faute de logements vacants, plus particu-lièrement à Lausanne et dans le bassinlémanique.

Nous voulons offrir aux résidents, une viedigne, qui respecte leurs limites, leursvolontés, leurs représentations et leursvaleurs. Et ces dernières ne correspondentpas forcément à celles de l’intervenant,ne l’oublions pas. Il s’agit de trouver lebon équilibre entre tous ces différentsaspects, de les mettre ensemble et d’yréfléchir. Mais, au final, ce sont les valeursdu bénéficiaire qui doivent primer.

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IV. La réalité des bénéficiaires

1. PAFA et plan de traitement

On parle beaucoup des PAFA en milieuhospitalier, en oubliant parfois qu’ellesexistent aussi dans les institutions. Ellessont d’ailleurs régulièrement réévaluées.

Le PAFA, c’est évident, limite clairementla réalisation du projet du résident. Souvent, cette mesure est prise contre legré de la personne et sans qu’elle en comprenne les raisons. Difficile dans ces conditions de créer une alliance. Quotidiennement, je constate que cesPAFA ne constituent pas forcément uneaide pour le résident concerné et qu’ilsnous empêchent de faire notre travail.

Le nouveau droit lié au PAFA prévoit également un plan de traitement qui, luiaussi, concerne les institutions. Un tel planpeut en effet avoir été construit entre unrésident et son médecin, son représentantthérapeutique ou sa personne deconfiance. À préciser cependant que lebénéficiaire n’est pas tenu à tout prix des’y soumettre dans le cadre de son héber-gement. Tout le travail de l’institutionconsistera alors à discuter avec la personne des raisons qui justifieraient lapoursuite du traitement, en soupesant sesinconvénients et ses bénéfices. Mais lapersonne reste libre d’y renoncer. Cettepossibilité de choisir fait partie de sesdroits les plus stricts et nous devons, entant qu’institution, y être sensibles et lerespecter.

2. Règlement institutionnel

Même s’il est utile et peut se révéler porteur de sens, le règlement propre àchaque institution est souvent vécu par lesrésidents comme une contrainte. Parexemple, les personnes vivant à la Résidence ne peuvent recevoir leurs amisqu’entre 9 h 30 et 22 h 30. Elles doiventaussi prendre leurs repas à des heuresqu’elles n’ont pas choisies. Elles ne peuvent pas accompagner leur repas d’unverre de vin, car l’alcool est interdit à l’intérieur du foyer.

Toutes ces règles, sur le long terme, peu-vent devenir très pénibles pour lesrésidents bien qu’elles soient aussi là pourles protéger. Certains ont par exemple dela peine à écourter eux-mêmes les visites,alors qu’elles le souhaiteraient. La règlede 22  h  30 va leur permettre, à unmoment donné, de dire à leurs visiteursqu’ils doivent s’en aller. Le fait de ne pas pouvoir consommer d’alcool ou dedrogue à l’intérieur du foyer va égalementcontribuer à freiner leur consommation.

3. La vie communautaire

Ceux qui vivent en immeuble et partagentune buanderie avec leurs voisins peuventavoir une petite idée de ce qu’est la viecommunautaire. Pour moi, elle représenteclairement une entrave à la liberté personnelle. Les résidents sont par exem-ple obligés de côtoyer au quotidiend’autres personnes en difficultés, de partager avec elles les repas, etc., alorsqu’eux-mêmes ont déjà leurs propres soucis. Cela peut devenir réellementpesant pour la personne en institution.

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Mais la vie communautaire a aussi desavantages: elle peut devenir le moyen dese rencontrer, d’échanger, de discuteravec des pairs, de se rassurer en voyantque certains ont pu quitter le foyer à unmoment donné.

4. Un parc immobilier absent

Comme mentionné tout à l’heure, la pénu-rie des logements freine concrètement lesprojets des résidents et participe à l’engorgement des institutions. Les résidents auront tendance à se démotiver,ne pouvant plus envisager pouvoir vivre àl’extérieur un jour.

V. Garantir les droits de la personne

La vie en institution augmente les facteurs de stress et restreint de fait lesdroits stricts de la personne. Elle estpourtant parfois nécessaire pour assurerune sécurité, une réduction des risques,éviter l’isolement social et comme tremplin vers la réinsertion. Commentrépondre au droit de la personne en luiassurant sa sécurité et son autodétermi-nation?

Une des réponses possibles se situe dansla co-construction entre bénéficiaires,associations, proches, intervenants etEtat. Nous devons nous mettre autour dela table pour réfléchir ensemble. Cettedémarche doit impérativement intégrerle bénéficiaire comme un partenaire actifde son projet de vie. Entre les objectifsde ce dernier et les projections d’un soignant ou d’un intervenant, d’impor-

tants écarts peuvent se présenter. Toutl’intérêt du travail est de se pencher sur ces différences et d’examiner lesreprésentations qui entrent en jeu, de se demander de quelle manière il est pos-sible de se mettre d’accord et d’avancerensemble.

Une décentralisation claire de l’interve-nant est donc nécessaire. Ce n’est pas luil’expert, mais bien le bénéficiaire ou lerésident. L’intervenant est là pour l’ac-compagner, pour le guider dans lareconnaissance et l’apprentissage de sonexpertise.

De mon point de vue, un grand change-ment de société doit s’opérer, parce queles institutions ne sont pas là pour remet-tre le bénéficiaire dans une norme, maisplutôt pour lui permettre de vivre aumieux dans cette norme sans se perdrede vue.

VI. Un règlement et uncadre

Dans la réalité des foyers, il y a d’abord unrèglement que le résident signe en arrivant. Tout ce qui fait le quotidien etl’accompagnement forme le cadre institu-tionnel. Celui-ci est négociable,malléable, souple, contrairement aurèglement.

Tous deux sont nécessaires, parce que l’a-narchie n’a jamais profité aux plusdémunis, cela me paraît évident. S’ils sontsouvent source de frustrations pour lesrésidents, ils ont l’avantage de favoriser

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l’autonomie, l’indépendance affective etle développement de bons réflexes.

Cependant, les règlements trop rigidespeuvent être complètement enfermant etfavoriser une certaine prise de pouvoir desintervenants, au détriment des droits de lapersonne et du rôle éducatif du foyer.

Le règlement va permettre un étayage aux intervenants, ce qui leur donnera lapossibilité de faire évoluer leur pratiqueen considérant le cadre et sa souplesse.Pour certains bénéficiaires, cet étayagesera rassurant et protecteur. Ils pourronts’y référer et avancer dans une certainesécurité, à condition de pouvoir se dépla-cer librement dans le cadre institutionnel.

Les bénéficiaires ne partagent pas forcé-ment les attentes que placent en eux lafamille, la société, le médecin et les intervenants. Le grand dilemme est desavoir comment répondre aux exigences,même minimales, de la société, de l’Etat,tout en respectant les droits de la per-sonne. D’un point de vue théorique, celasemble facile. Concrètement, cela l’estmoins. Imaginez que vous croisez votremère avec un pull troué ou sale à côté dufoyer où elle réside. Que penseriez-vous?Si cela devait m’arriver, je serais tentéede me dire, même si je connais très bienla vie en foyer que l’équipe d’accompa-gnement est un peu négligente et ne faitpas grand-chose pour ma mère.

Et pourtant, à la Résidence, vous risquezde trouver des gens avec des pulls trouésou sales. Il faut savoir que la personne achoisi de garder ce pull, parce qu’elle

l’aime, et non pas uniquement parcequ’elle est négligente envers elle-mêmeou parce qu’elle ne prend pas soin d’elle.Peut-être que ce pull la relie à une histoire particulière et qu’elle a décidé dele laisser ce jour-là. À la Résidence, cechoix est tout à fait acceptable, il s’agitd’un choix éclairé. Cet exemple doit nousamener à nous poser la question suivante:«à qui s’adapte-t-on vraiment? Est-ce qu’ilfaut chercher à satisfaire le plus grandnombre ou la minorité?»

Pour certains, malgré leur résistance, uncadre restrictif peut être bénéfique. S’yconfronter les aide à travailler autour desfrustrations qu’il suscite. Pour d’autres, etc’est une majorité de la population, cecadre est plutôt l’assurance de l’échec etde la rupture. Que proposer aujourd’huien institution à ces personnes-là? La population a évolué vers l’expression et ladéfense plus spontanée de ses droits et deses besoins. Les foyers doivent y réfléchiret en tenir compte.

VII. La Résidence

La Résidence est un foyer psycho-éducatifqui appartient à l’Armée du Salut. Il estsitué au centre-ville de Lausanne, dans le quartier du Vallon. Nous accueillons 32 personnes adultes qui peuvent y vivreaussi longtemps que nécessaire. Générale-ment, celles-ci présentent une grandefragilité psychique. Elles viennent parfoisde la rue, sont souvent en rupture socialeet en refus de soins. Toutes ne sont pas làde leur plein gré.

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La Résidence se définit comme une institution à haut seuil de tolérance auxsymptômes liés à la maladie. Cela veutdire que nous acceptons les personnescomme elles sont, là où elles en sont.C’est nous qui nous adaptons à leursbesoins et à leurs limites et non pas ellesqui entrent dans un protocole institution-nel.

Il y a deux interdits à la Résidence,consommer ou marchander de l’alcool oude la drogue à l’intérieur du bâtiment;menacer ou faire usage de violence phy-sique à l’encontre d’autres résidents ou dupersonnel. Le personnel est bien entendusoumis aux mêmes interdits.

Le cadre de vie de la Résidence a la parti-cularité d’être très libre: les personnespeuvent aller et venir jour et nuit, elles nesont pas contraintes à prendre les repas sielles ne le souhaitent pas, elles peuventprendre leur traitement à l’heure qui leurconvient ou le refuser.

Bien entendu, nous essayons toujours dediscuter avec elles, de leur proposer unepsychoéducation, de leur rappeler ce quiest important selon nous pour le maintiende leur stabilité. Mais la personne restelibre de prendre ce qu’on lui offre. Cen’est pas à nous de décider ce qui est bonpour elle. Nous sommes plutôt là pour l’aider à le découvrir. Des chemins possi-bles lui sont proposés. À elle après de faireson choix. L’accompagnement est doncdéfini par le résident lui-même qui for-mule ses propres objectifs. Nous nouscontentons de la soutenir et de l’encoura-ger dans la réalisation de son projet tout

en proposant notre soutien dans lesmoments difficiles.

Par ailleurs, nous ne vivons pas la rechuteou l’arrêt d’un traitement comme un échec, mais plutôt comme un droit de cheminer dans son parcours personnel, avec sa maladie et de faire ses expériences.

Nous ne travaillons pas à l’abstinence ou àla consommation contrôlée d’alcool ou dedrogues, si les personnes ne le souhaitentpas. Nous les accompagnons cependantdans la réduction des risques liés à laconsommation, en leur transmettant nosconnaissances par rapport aux dangersencourus. Nous leur proposons aussi unsuivi somatique et travaillons à réduiretoute invalidité liée à leur consommation.

Mais, tous ces efforts en faveur de laréduction des risques n’excluent pas qu’unrésident mette réellement sa vie en danger. Et c’est là où le travail dans desinstitutions telles que la Résidence devientcomplexe: les intervenants doivent eneffet pouvoir accepter et supporter lesrisques liés à l’exercice par la personne,de ses droits les plus stricts.

Nous donnons également des clés aux résidents pour qu’ils puissent s’engagerdans leur rétablissement, afin de pouvoirvivre de la façon la plus digne possibleavec leurs difficultés et leurs fragilités.Dans ce but, nous cherchons à anticiper lesdérives qui pourraient se produire, à êtretolérants vis-à-vis de l’expression de leurslimites et de leurs ressources. Notreobjectif est qu’ils parviennent à s’autono-

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miser et si possible à vivre en dehors dufoyer.

J’aimerais conclure en partageant avecvous ma vision de l’équipe idéale faited’intervenants capables de naviguer dansun cadre non restrictif, en l’élargissant, enle modelant, en le resserrant, mais engarantissant une réduction des risques.Elle est accoutumée et aguerrie à préveniret à gérer les crises, à concevoir les rechu-tes comme des étapes possibles, normaleset non comme des cristallisations dont la personne ne pourrait plus se défaire.Ces intervenants sont aussi capables deconcevoir la différence comme unerichesse à apprivoiser et mettent tout enœuvre pour que celle-ci puisse s’exprimer.Ils acceptent et reconnaissent leur limite,leur sentiment d’impuissance et lesrisques inhérents à la liberté des droits dela personne.

Références (non exhaustives)

Tim Greacen, Emmanuelle  Jouvet, «Pour desusagers de la psychiatrie acteurs de leur proprevie», Toulouse, Éires, 2012.

Sylvie Noiseux, Nicole Ricard, «Le rétablissementde personnes vivant avec la schizophrénie», in:«Recherche», nov.-déc. 2005.

Commission de la santé mentale du Canada,«Vers le rétablissement et le bien-être», novembre 2009.

Soulet, Marc-Henry, «Changer sa vie: une ques-tion sociologique», in: «Sciences Humaines»,no 23, juin-juillet-août 2011.

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Les changements intervenus au niveaude la protection de l’adulte se sontfaits en trois étapes majeures au cours

de l’histoire humaine. Dans le droit romains’exprime d’abord le souci de protéger lepatrimoine de la personne. S’y est ajoutépar la suite la protection de la personne.Nous venons actuellement de franchir unenouvelle étape qui marque quant à elle lapriorité donnée à l’autodétermination. Àl’instar du droit de protection de l’adulte,le travail social a lui aussi profondémentévolué tout au long de son histoire, notamment au niveau de ses valeurs.

Quelles sont les valeursdu travail social?

Les valeurs du travail social sont inscritesdans un fascicule élaboré collectivement,à savoir le Code de déontologie du travailsocial en Suisse*. Y figurent le respect dela dignité humaine, le principe de l’égalitéde traitements, celui de l’autodétermina-tion, à savoir le droit de la personne defaire ses propres choix et de prendre sespropres décisions.

Le principe de la participation de la personne aux choix, à la vie, en fait égale-ment partie, de même que celuid’empowerment, ou encore le droit d’êtreentendu et le droit à l’information.

Ce code de déontologie fait mention aussidu principe de la justice sociale, quiaffirme que l’on travaille avec la personne, et non à sa place. Y est égale-ment stipulé que le problème de l’autren’appartient pas au professionnel. Seule lapersonne peut faire évoluer sa situation.Le changement est de l’ordre de sa proprecompétence.

Les fondements légaux

Ces différents principes font partie intégrante du nouveau droit sur lequel lestravailleurs sociaux, comme les personnesconcernées, peuvent s’appuyer. Dans ledétail, il faut citer:

• «Le principe de préserver et de favori-ser autant que possible l’autonomie de lapersonne.» (art. 386.8 al. 2)

A nouveau droit,nouveau rôle du travail social?

Judith BovayProfesseure HES en travail social,EESP, Lausanne

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• «Le respect de la sphère privée.» (art. 391 al. 3)

• L’obligation de «tenir compte de l’avisde la personne, et (de) respecter (s)avolonté, d’organiser son existence commeelle l’entend» (art. 406 al. 1).

• Le besoin de tenir compte du fait que lapersonne garde son autonomie (art. 407).Cela concerne également celles et ceuxqui sont sous curatelle de portée générale.La personne peut par exemple acquérir, àtitre purement gratuit, régler les affairesmineures de la vie quotidienne, exercerses droits strictement personnels, disposerde montants appropriés à libre disposition(art. 409).

• «Le droit de la personne d’exercer sesdroits strictement personnels.» (art. 407)Comme dans le point précédent, cela s’ap-plique aussi en cas de curatelle de portéegénérale.

Les trois missions traditionnellementconfiées au tuteur sont reprises aujourd’hui par le curateur. Il s’agit destâches liées à l’assistance personnelle, àla gestion du patrimoine et au rapportjuridique avec des tiers.

Assistance personnelle

Il est important de rappeler d’abord que«le curateur prend personnellementcontact avec la personne concernée» (art. 405, al. 1). Cela ne va pas toujoursde soi. Il arrive en effet que certains curateurs ne jugent pas nécessaire de ren-dre régulièrement visite à la personneconcernée. Cette dernière a besoin d’uncontact personnel, ne serait-ce que pourapprendre à gérer ses finances. Rappelonsà ce propos que la fonction de tuteurgénéral a justement été supprimée parce

qu’il lui était tout simplement impossibled’avoir un contact personnel avec les1’700 personnes concernées dont il avaitla charge.

Concernant encore l’assistance person-nelle, le tuteur doit également «tenircompte de l’avis de la personne et respec-ter la volonté de la personne d’organiserson existence comme elle l’entend» (art. 406 al. 1), établir une relation deconfiance avec elle (art. 406 al. 2), élabo-rer un rapport d’activité «en associant lapersonne concernée» (art. 411) et «informer sans délai des faits nouveaux àl’autorité» (art. 414). Ce dernier articleindique que toute modification ou levéede la mesure doit obligatoirement êtresignalée à la personne concernée.

Gestion du patrimoine

La loi précise que le curateur doit «dresserl’inventaire des valeurs patrimoniales»(art. 405 al. 2), «gérer le patrimoine avecdiligence» (art. 408 al. 1) et «mettre àlibre disposition de la personne un montant approprié» (art. 409). De même,il doit «établir des comptes en renseignantla personne concernée» (art. 410). Cetarticle montre l’importance accordée auprincipe de transparence. Toute informa-tion doit ainsi être transmise à la personneconcernée.

Enfin, la loi insiste sur le «respect desaffaires d’une valeur particulière pour lapersonne» (art. 412). Lorsque l’apparte-ment d’une personne concernée estliquidé, le curateur doit lui laisser la possibilité d’emporter certains biens auxquels il serait particulièrement

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attaché. Ce faisant, on respecte lesvaleurs de la personne, quelles qu’ellessoient. Sur ce point, il faut saluer la pertinence du nouveau droit.

Les rapports juridiques avec les tiers

À relever d’abord que le nouveau droit arenoncé à la publication des mises soustutelle dans la Feuille des avis officiels,pratique souvent stigmatisante pour lapersonne concernée.

Par ailleurs, le curateur a l’obligation deconserver le secret (art. 413 al. 2). Celaveut dire que, dans son échange avecd’autres pairs, le professionnel ne peutpartager que ce qui est réellement néces-saire (art. 413 al. 3). L’opposabilité de lamesure au tiers de bonne foi (art. 452 al.1) est bien heureusement conservée. Demême que le doit au renseignement parl’autorité pour les tiers (art. 451).

Pour bien des actes de la vie courante, lecurateur devra se référer à l’autorité deprotection, ce qui est à mon avis très positif. C’est le cas par exemple lorsque lapersonne veut: liquider le ménage et résilier le bail, conclure et résilier lecontrat de placement, pour tous les actesrelatifs à la succession, à l’assurance vie,à la déclaration d’insolvabilité, etc.

Les droits de la personneconcernée

Il est essentiel pour le travailleur social dese rappeler que la personne concernéedispose de droits et de bien l’en informer.

Au risque de me répéter, il me sembleimportant de bien souligner les droits suivants:

• «Le droit de s’engager par ses propresactes.» (art. 407) Comme on l’a vu, mêmeune personne sous curatelle de portéegénérale peut encore agir.

• «Le droit de la personne d’exercer sesdroits strictement personnels.» (art. 407)

• «Le droit de contester les actes et lesomissions du curateur.» (art. 419) L’anciendroit le permettait déjà, mais c’est impor-tant que le nouveau le rappelle. Si lapersonne estime que ses intérêts ne sontpas ceux que prône le curateur, il est possible de s’opposer à lui ou à un de sesactes. Le curateur, de son côté, est aucourant de ce droit et cela l’inclinera à seremettre en question.

• «Le droit de recours.» (art. 450) La personne concernée peut faire oppositionà chaque décision de l’autorité si elle lesouhaite.

• «Le droit de faire appel lors d’un PAFA.»(art. 439) Lorsque le médecin désigné parle canton a prononcé un placement à desfins d’assistance, il est possible pour lapersonne de faire appel à l’autorité deprotection. Elle peut également recourir«contre la mesure limitant la liberté demouvement» (art. 385).

La contrainte dans laprotection de l’adulte

Même si les valeurs du travail social cherchent à favoriser l’autodéterminationde la personne et la prise en compte deses besoins, le nouveau droit conserve unélément de contrainte. Un mandat peut

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toujours être prononcé ou maintenucontre la volonté de la personne concer-née. Il engendrera une limitation desdroits de la personne et de sa liberté per-sonnelle. C’est sur ce point qu’intervientla notion de sécurité, contrebalançantcelle de la liberté personnelle.

Dans de tels cas de figure, l’autorité deprotection de l’adulte peut se substituer àla personne concernée, dont les droitssont alors limités. Le porteur du mandataura dès lors une mission de contrôle et desurveillance. Comment contrôler tout en essayant de créer un rapport deconfiance? Ce n’est pas simple. M. Hardynous a bien rappelé dans son interventionles limites d’une intervention, lorsque la mesure est prononcée de manièrecontraignante (voir p. 76).

Les champs de tensiondans le travail social

Le Code de déontologie du travail social enSuisse mentionne les nombreux champs detensions auxquels les travailleurs sociauxsont régulièrement confrontés. On les retro-uve dans le contexte du nouveau droit. Envoici les principaux:

• L’aide sous contrainte vs l’attente desusagers.

• La loyauté envers la personne concer-née vs la loyauté envers les autoritéscompétentes. D’où cette question: en tantque curateur, est-ce que j’ose faire autrechose, dans l’intérêt de la personne, quece que l’autorité m’a demandé?

• Le droit à l’autodétermination vs l’inca-

pacité à s’autodéterminer.

• L’autodétermination vs le besoin d’as-sistance.

• Taire des faits vs divulguer des faits? Cequi m’a été confié, est-ce que je le gardepour moi? À partir de quand dois-je letransmettre plus loin? Si oui, pourquoi?

Il n’est ainsi pas toujours confortable d’être travailleur social. Se confronter à lacomplexité de la réalité peut pourtantêtre source de motivation. Même si ledroit et la déontologie nous donnent desrègles, ainsi que des valeurs, rien n’est ditsur la manière concrète de les appliquersur le terrain. D’où l’importance de pou-voir entrer dans ces champs de tension, de réfléchir et d’essayer d’avancer, enintégrant bien sûr la personne concernée.

Organisation de l’autorité

L’article  440 précise que l’autorité de protection de l’adulte est une «autoritéinterdisciplinaire. Elle est désignée par lescantons. Elle prend ses décisions en siégeant à trois membres au moins. Lescantons peuvent prévoir des exceptionspour des affaires déterminées. Elle faitégalement office d’autorité de protectionde l’enfant.»

Le législateur a voulu que dans cette autorité soient représentées la disciplinejuridique, la discipline du travail social etla discipline de la psychologie ou de lapédagogie. Il souligne ainsi son besoind’interdisciplinarité.

Pourquoi ce choix? Parce qu’une seule discipline ne peut pas à elle seule rendrecompte de toute la complexité d’une situa-

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tion donnée. Le domaine de la protectionde l’adulte et de l’enfant touche aux droitsfondamentaux de la personne. Des décisionsimportantes sont prises qui touchent à sasphère privée, à ses relations personnelleset à l’organisation même de sa vie. Lesenjeux sont extrêmement divers et com-plexes. Prises chacune séparément, cesdisciplines apportent un éclairage intéres-sant, mais pas suffisant.

Mais, il n’y a non seulement besoin d’uneinterdisciplinarité pour comprendre la problématique de la personne, mais, surtout, pour trouver des solutions. Toutedécision prise par l’autorité de protection ala particularité de se baser sur le passé dela personne, sur les problèmes qu’elle aconnus, sur les risques qu’elle a courus,mais aussi de se tourner vers l’avenir, d’ou-vrir des perspectives, en mesurant ce quipourrait être utile à la personne. L’autorité va faire une sorte d’analyse prédictive des besoins de protection de lapersonne pour son futur, d’où la difficultéde son rôle.

Comme nous l’avons vu au cours de cecongrès, les cantons organisent leur autorité respective de manière assez différente. Les cantons de Genève, du Juraet de Berne ont constitué de vraies équipesinterdisciplinaires, alors que Vaud, Fribourget Neuchâtel fonctionnent, eux, avec desassesseurs appelés à se joindre à unmoment donné au juge de paix. Dans cesderniers cantons, l’interdisciplinarité serapeut-être moins effective, puisque les per-sonnes ne se connaissent pas et ne pourrontdonc pas fonctionner en réelle équipe.

À quoi servent ces différentes compétences?

Comme dit précédemment, l’autoritécompte en son sein trois disciplines différentes, qui toutes apportent un éclairage particulier.

Les compétences juridiques

La principale compétence des juristes estde faire la différence entre ce qui est légalet ce qui ne l’est pas. La norme est rappe-lée par leurs soins, ce qui offre à la société la stabilité nécessaire pour fonctionner.

Le juriste saura procéder à la recherche età l’administration des preuves nécessaires(art. 446, al. 2) et appliquer les règles deloi à une situation précise. Leurs compé-tences permettent de rendre une décisionqui fixe les objectifs à atteindre. Les juristes garantiront aussi le respect de laprocédure, ce qui est essentiel en matièrede justice.

Les compétences du travailleur social

Leurs compétences sont notamment de déterminer des faits et surtout deconnaître les conséquences d’une problé-matique dans le quotidien. Par exemple, sitelle personne souffre de telle maladiepsychique, il sera très utile de connaître lamanière dont cela affectera sa vie.

Le travailleur social a appris à mobiliserles ressources disponibles chez la personneconcernée ou dans son entourage afin detrouver des solutions. Il travaillera avec

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des hypothèses d’intervention pour tenterde résoudre, avec la personne, les problè-mes rencontrés. Son rôle dans l’autoritésera peut-être de se prononcer sur la plausibilité d’une mesure.

Les compétences psychologiquesou d’autres spécialistes

Ces compétences permettront de fournirdes informations très spécifiques. Elles nes’improvisent pas et ce n’est pas parceque la personne a travaillé dans undomaine particulier qu’elle en sera nécessairement une spécialiste. Des titresreconnus sont nécessaires. Ces spécialistescontribueront à la réflexion et à la décision qui va être prise.

Le choix d’une mesure et du curateur

A-t-on vraiment besoin de l’autorité pourchaque décision? L’appui fourni par l’entourage de la personne est-il déjà suffisant? L’autorité se réfère ici au «prin-cipe de la subsidiarité».

Si elle décide qu’une intervention estnécessaire, elle se posera la question de lamesure à choisir et de l’objectif visé. Onparle alors du «principe de la proportion-nalité», ce qui revient à faire du surmesure.

Enfin, l’autorité doit encore trouver uncurateur et déterminer ce qui est attendude lui. On dispose souvent d’une idée bienprécise des tâches à faire, sans toujourssavoir ce qui est vraiment réalisable sur leterrain.

Former et informer

Même si le droit de la protection de la personne adulte ne fait pas mention d’uneméthode de travail social particulière àappliquer, cette discipline doit prendre encompte les divers changements qui ont étéfaits et adapter sa pratique.

Un des rôles centraux du travailleur socialsera d’abord de former et d’orienter lespersonnes concernées en matière dedirectives anticipées ou de mandat pourcause d’inaptitude. Sur la base de cesinformations, elles pourront dire ce qu’elles veulent pour leur vie et êtreentendues. Le travailleur social leur offreun outil qui favorisera leur autodétermina-tion, tout en aidant leur entourage.

Le rôle du travailleur social sera aussi d’aider la personne à défendre et à fairevaloir ses droits. Sur ce plan-là, des informations seront également donnéesaux proches.

Le travailleur social veillera à la protec-tion des personnes incapables dediscernement et vivant en foyer ou enEMS. Il a ainsi le devoir d’intervenir si leursdroits y sont menacés ou de faire appel sileurs intérêts sont compromis.

L’évaluation enprotection de l’adulte

L’évaluation fait partie des méthodes utilisées par le travail social. Le nouveaudroit indique en effet qu’il faut évaluer les

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limites de l’autonomie d’une personne etles besoins qui en résultent en matièred’aide et d’assistance. Mais sur quellesnormes se baser pour mener cette évalua-tion? Comment définir par exemple unerègle en matière de gestion de revenus?Est-il permis de tout dépenser le premierjour et de se débrouiller pour la suite dumois? A-t-on le droit de ne rien dépenseret de tout économiser? Peut-on donner sa fortune à qui l’on veut? À partir dequand faut-il intervenir? Le même type dequestions pourrait se poser en matièred’alimentation, d’hygiène, de comporte-ment en public.

Le travailleur social s’efforcera de ne pasjuger les situations sur la base de ses propres jugements de valeur et chercheraà se montrer le plus objectif possible. Unetelle approche n’est pas aisée, d’où l’importance de savoir s’entourer d’autresprofessionnels et de multiplier les regardssur une problématique donnée.

Des groupes de réflexion entre travailleurssociaux auraient aussi leur utilité et pourraient permettre peut-être de déter-miner ce qui est vraiment attendu dans lessituations rencontrées, de mesurer ce quiest grave ou pas.

Le signalement et le rapport à l’autorité

Une fois cette évaluation faite, commentla transmettre à l’autorité? Faut-il eninformer la personne concernée? Par lepassé, alors que j’étais jeune assistantesociale, j’ai un jour signalé une situation

et l’ai regretté par la suite. Cela a aboutià une détérioration de la relation avec lapersonne concernée et les difficultés n’ontfait que s’aggraver. Heureusement, jedisposais de quelques compétences dans lagestion de conflits. Et c’est seulementlorsque j’ai pu discuter avec la personneet mettre le problème sur la table quecelle-ci a trouvé d’elle-même des solu-tions. On a ainsi pu se passer de mesures.

Comment procéder à un signalement àl’autorité? À mon avis, là aussi, un travailen commun est nécessaire entre travailleur social et personne concernée,quitte à récolter des avis divergents. Lasituation des personnes concernées doitêtre examinée en commun. Puis, il s’agirade formuler les objectifs à atteindre… Tou-tes ces étapes doivent être faites dans latransparence, dans le respect de la personne et dans le but de renforcer sacapacité d’agir. C’est avec elle qu’on évaluera ensuite les succès et les échecset que l’on se mettra d’accord sur lamanière d’en parler à l’autorité.

Le nouveau droit induit aussi une postureà cheval entre protection et réhabilita-tion. Protéger équivaut à se méfier de lapersonne, à la penser incapable de fairece qui est attendu et donc à prendre des décisions à sa place.

Dans certains cas, cela est bien sûr vital.Une de mes «pupilles», âgée de 23 ans,mise sous tutelle pour cause de fragilitépsychologique, avait passé trois jours ettrois nuits à errer dans les rues, sans dormir au moment de sa première décompensation. Par mesure de sécurité,

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un médecin avait pris la décision del’hospitaliser d’office, comme on disaitavant. Pour elle, ce fut un soulagement.Enfin, elle avait pu redormir et commen-cer à se reconstruire. Parfois donc, un rôlede protection doit s’imposer.

L’autre mission du travailleur social, cellede la réhabilitation, est motivée par toutes les valeurs dont nous avons parléplus haut, à savoir faire confiance à la personne, faire avec elle, lui donner des responsabilités, etc. Du coup, le travailleur social prend un risque, maisoffre l’occasion à l’autre d’évoluer. Un demes anciens «pupilles», plusieurs foishospitalisé suite à d’importants troublespsychiques, faisait l’objet d’un suivi trèsrapproché. Un jour, nous avons décidéensemble de lui confier la responsabilitéde prendre contact avec nous quand iljugeait qu’il aurait besoin de nous. Touts’est bien passé et le risque pris a donnélieu à une évolution importante chez cettepersonne.

Le travail social en réseau

Le nouveau droit a engendré une pluralitéde nouveaux rôles: mandataire pour caused’inaptitude, conjoints qui ont un rôle de responsabilité et de représentation,représentant thérapeutique, curateur(s),personne de confiance, curateur de la procédure, etc.

La difficulté sera de choisir parmi cesmandataires (pour autant que l’on ait lechoix) et de leur faire confiance. À rappe-

ler aussi qu’en dehors des personnes citéesexistent de nombreux autres partenaires: médecins, qui peuvent décider d’un PAFA, institutions avec tousleurs travailleurs sociaux, l’ensemble despersonnes travaillant autour du contratd’assistance et qui sont confrontées à laquestion des mesures limitant la liberté demouvement, les avocats, etc.

Plus il y a d’intervenants, plus il y a d’interprétations possibles quant à ce quel’autre doit faire, ce qu’on attend de lui.Travailler ensemble n’est pas toujoursfacile et génère parfois des conflits. Ilarrive que les professionnels soient telle-ment occupés à clarifier les rôles des unset des autres qu’ils ne disposent mêmeplus d’assez de temps pour parler à la personne concernée. C’est là à mon avisque réside le vrai risque de ces très grandsréseaux.

Quelle collaboration mettre en place entretous ces partenaires pour que l’intérêt dela personne soit réellement préservé,qu’elle soit au centre des préoccupationstout en étant elle aussi partenaire de sonrétablissement?

Les méthodes du travail social que j’aibrièvement décrites montrent l’omnipré-sence de cette tension entre sécurité etliberté. Cet état de fait nous impose, entant que travailleurs sociaux, à ne pas nous reposer sur nos certitudes et àcontinuellement nous former et à nousremettre en question.

Des institutions telles que le Graap sontnécessaires, car elles nous permettent de

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faire entendre collectivement les voix despersonnes afin que celles-ci soient vrai-ment écoutées. Et qu’elles puissenttransmettre leur savoir qui, bien que profane, reste très important. C’est dansces discussions, c’est dans ces institutions,c’est dans la formation qu’on arrivera àmettre, petit à petit, en pratique l’idéalvers lequel tend ce nouveau droit. Et je vous invite tous à y participer pour y arriver.

* Code de déontologie du travail social enSuisse: un argumentaire pour la pratiquedes professionnel-le-s, Berne, AvenirSo-cial, 2010.

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Durant ces deux jours, le congrès duGraap s’est interrogé sur les forceset les faiblesses du nouveau droit de

la protection de l’adulte, entré en vigueurle 1er janvier 2013. Juristes, psychiatres,travailleurs sociaux ont apporté des éclairages à la fois compétents et engagéssur les caractéristiques et les effets atten-dus de cette réforme législative. Procheset personnes concernées ont fait valoir leurspoints de vue et leurs interrogations. Lepanorama ainsi dressé fut d’une richesseet d’une densité remarquables. Dès lors, la synthèse qu’il m’était demandé de réaliser en fin de parcours relevait de la«mission impossible». N’étant ni expert niacteur dans ce domaine, mais seulementtémoin des débats, je ne pouvais prétendreen tirer les leçons, mais seulement tenterde mettre en évidence quelques interroga-tions qui en ont émergé. Elles font apparaître une dizaine de «champs de tension», théoriques et pratiques, qui de-manderont une vigilance particulière dansla mise en œuvre de la loi, notamment dela part des associations représentatives desusagers et des acteurs concernés.

Complexité, dialectiqueet curseur

En préalable, trois remarques s’imposent.D’abord, pour l’observateur non initié, lamatière est extrêmement complexe: lavariété des dispositions juridiques et desprocédures comme la multiplicité desacteurs et des tâches nécessitent de nombreuses explications des spécialistes.Comment les personnes concernées et les proches vont-ils s’y retrouver? Sanscompter que ces dispositions s’appliquentà des situations humaines, relationnelles etsociales elles aussi complexes. Comment lecadre juridique et institutionnel va-t-il entenir compte? Deuxième préalable: la miseen œuvre de la législation va devoir trouver des équilibres concrets entre despôles de tension tels que, selon le titremême du congrès, «sécurité et liberté», ouceux qui sont évoqués ci-dessous. D’où le troisième préalable: la loi venant d’entrer en vigueur, une évaluation de ce«juste équilibre» ne peut être prédéfini; cesera aux usagers, aux professionnels et

Un regard citoyen sur ces deux journées?

Jean-marc DenervaudPhilosophe et acteur social, Genève

Article publié dans «Pages Romandes», revue d’échange sur le handicap mental

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particulièrement aux acteurs sociauxconcernés de se mobiliser pour placer lecurseur au bon endroit. Essayons mainte-nant de caractériser sommairementquelques-uns de ces «champs de tension»relevés par les intervenant-e-s.

Définition/Construction

En cas de «troubles psychiques», «troublesdu comportement», «fragilités sociales»,notions auxquelles renvoie la législation, ilest certes nécessaire que des dispositifs deprotection et d’aide sociale interviennent.Mais la philosophie et les sciences socialesnous ont appris que les définitions de cesmoments ou de ces situations ne sont pasdes «faits bruts», mais des constructionssociales, conditionnées par l’histoire, lasociété, la culture, l’idéologie de l’époque.Lors du congrès, on a beaucoup souri desconcepts d’ivrognerie, de paresse et autres«défauts sociaux» qui ont influencé laconception de la loi précédente (1912). On en fera peut-être autant dans 20 ans àpropos de la loi de 2012. Comme disait unintervenant, aujourd’hui comme hier, com-ment définit-on ce qui est «raisonnable»,qui le fait et selon quelles normes? Garder l’esprit critique vis-à-vis de cesdéfinitions/constructions est un devoir,comme de s’interroger, ainsi que l’expri-mait une personne concernée, sur «ce quefait la société pour que j’aille bien».

Précaution/Normalisation

Cette interrogation générale se renforceau regard des pratiques que ces définitions

induisent. Le souci de protéger des personnes contre les risques qu’ellesencourent (le fameux principe de précau-tion) peut vite se transformer en unevolonté de normaliser les comportementsen fonctions de critères sociaux, politiques, voire économiques. Le vifdébat actuel sur le DSM-5 (Manueldiagnostique et statistique des troublesmentaux) en est l’illustration. Pourquoiest-on passé de 40 à 400 cas entre 1952 et2012? Pourquoi dire que la tristesse pro-fonde (et ses effets sur le sommeil,l’appétit, les relations) suivant le décèsd’un proche passe de «deuil normal» à «épisode dépressif majeur» s’il dure plusque 15 jours? Pour le syndicaliste que jesuis, comment admettre de risquer uncatalogage comme porteur d’un «troubled’opposition avec provocation»? Le doutese renforce quand on sait d’une part l’influence qu’a pu avoir l’industrie pharmaceutique dans l’élaboration de cemanuel et, d’autre part, l’usage que lesassurances ou les entreprises peuvent enfaire. Comme disait un médecin, n’y a-t-ilpas là un risque de «dérive sécuritaire»privilégiant le droit et la médication plutôt que la clinique et l’approche thérapeutique?

Signalement/Stigmatisation

La loi prévoit le droit (pour le public) et ledevoir (pour les professionnels) d’aviser lejuge quand une personne «semble avoirbesoin d’aide». C’est évidemment légitime pour signaler une possible mise endanger d’autrui, mais on voit bien aussi lerisque «d’inflation diagnostique», de stig-

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matisation voire de dénonciation abusive que cela peut entraîner. Ouencore, selon certains participants, la prétention «de savoir mieux que l’autre cequi est bon pour lui» et de «lui imposerune aide qu’il ne demande pas». Queléquilibre trouver, une fois de plus, entresécurité et liberté?

Interdisciplinarité/Responsabilité

Une manière d’assurer cet équilibrerepose sur une approche interdisciplinairedes situations, tout le monde l’a souligné.C’est une nécessité. Mais, à l’écoutemême des intervenant-e-s, on se rendcompte qu’il peut exister des différencesou même des divergences d’appréciationsentre juge, tuteur, psychiatre, assistant-esocial-e, etc. Comment dès lors éviter les blocages, y compris institutionnels(comme on l’a vu dans des cas d’enfantsmaltraités) et s’assurer d’aboutir à desdécisions indispensables? La collégialitédoit s’accompagner de procédures clairesen termes de responsabilité.

Personnels/Institutions

Cela renvoie, chez les professionnels, auxinteractions parfois délicates entre déontologie, choix personnels, libertéindividuelle, qualité relationnelle d’uncôté et missions, procédures, protocoles,pouvoirs des institutions de l’autre. Enparticulier, la question des moyens mis à dispositions des professionnels pour exercer leur mandat leur paraît cruciale

comme condition-clé pour une bonneapplication de la nouvelle loi: il faut despostes, des budgets et des cahiers des charges adéquats (nombre de dossiers notamment) pour pouvoir assumercorrectement les tâches définies. Ce pointde vue sera-t-il pris en compte, même enpériode de restrictions budgétaires?

Consentementéclairé/Limites

La nouvelle loi crée de meilleures conditions pour l’exercice du libre arbitredes personnes concernées. A commencerpar la nécessité de tenir compte du«consentement éclairé» du patient pourles soins ou mesures dont il a besoin. Il ouelle a le droit de «choisir librement». Oui,mais le peut-il? En état de souffrance(physique ou psychique), n’est-on pas ensituation de dépendance lorsqu’on vient«consulter»? A-t-on les connaissancesnécessaires pour se faire une opinion(même avec Internet…)? Ne sommes-nouspas tous, comme le disait un intervenant,atteints d’un «syndrome de déférenceséculaire» vis-à-vis du corps médical? Bref,comment rendre effectif ce droit au«consentement éclairé»?

Directives anticipées/Accompagnement

La seconde garantie pour la personneconcernée de voir ses choix respectésconsiste dans l’établissement de ses directives anticipées (les soins qu’elle souhaite et ceux qu’elle refuse). C’est

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primordial et il faut les rédiger le plus tôtpossible (ne pas attendre l’urgence). Maisce n’est pas une panacée: soit on les faitcourtes, mais on laisse alors une marged’interprétation large aux soignant-e-s,soit on les détaille mais on ne peut pastout prévoir. Et, dans les deux cas, on peut se heurter à des réticences, voire à des résistances, institutionnelles, parfois fortes, ou à des défauts de communicationinterne, ou encore à l’application «mécanique» de protocoles. Donc, danstous les cas, il est indispensable dedésigner une personne de confiance, quipourra interpréter ses volontés et, aubesoin, interpeller les professionnels pourles faire respecter, ce qui implique lanécessité d’accompagner la personneconcernée autant que nécessaire.

Principes/Inégalitéssociales

Il est un champ de tension qui existe entoile de fond de tous les précédents: c’estcelui qui inscrit l’application des principes, si bons soient-ils, contenus dans la nouvelle loi dans la réalité desinégalités sociales. Selon la loi, nous som-mes tous égaux en droit et nousbénéficions tous de ses dispositions. Saufque, pour y accéder, il faut la connaître, lacomprendre, savoir l’utiliser, pouvoirrecourir en cas de désaccord, etc. Et là,tout le monde ne dispose pas des mêmes compétences, des mêmes moyens,des mêmes réseaux. Pour des raisons de langue, de moyens financiers, de précarité voire d’exclusion, de dépendance (passagère ou durable), dans

ce domaine comme dans d’autres les«capabilités», comme dit Amartya Sen (lesmoyens de choisir et d’agir), ne sont pas les mêmes. D’où l’importance desassociations d’usagers comme instrumentsde «dynamique citoyenne» dans la mise enœuvre de la loi.

Individuel/Collectif

Ce qui ouvre un dernier champ de tension,englobant tous les autres. La qualité de lanouvelle loi de protection de l’adulte va semesurer à l’aulne de son application. Les dispositions se révéleront-elles pertinentes ou pas, les procédures adéquates ou non, les moyens mis à disposition suffisants ou pas? Et cela,chaque individu concerné en fera l’expérience. Mais pour rassembler cesconstats et critiques, pour les faire valoir,pour obtenir les ajustements nécessaires,seule une action collective sera efficace.C’est donc aux associations concernées dese mobiliser et de mettre en œuvre desdispositifs d’évaluation, de proposition et«d’empouvoirage» (comme disent nosamis québécois pour «empowerment»),pour que la nouvelle loi remplisse dans lesfaits sa double mission de sécurité et deliberté.

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Quand la maladie psychique frappe,cinq lieux où parler!

Graap LausanneRéception et directionDu lundi au vendredi, 9 h - 12 h, 14 h - 17 hRue de la Borde 25, case postale 6339, 1002 LausanneTél. 021 643 16 [email protected], www.graap.ch

Accueil, ateliers, animationsRestaurant Au Grain de SelRue de la Borde 23, 1018 LausanneTél. 021 643 16 50Du lundi au vendredi, 7 h 30 - 20 hDimanche, jours fériés, 8 h 30 - 20 h

Le CybermagAccueil, kiosque et cybercaféDu lundi au vendredi, 9 h - 17 hSite de Cery, 1008 PrillyTél. 021 643 16 85

La roselièreAccueil, ateliers, animations, restaurantDu lundi au vendredi, 9 h - 12 h, 13 h - 17 hRestaurant, du lundi au vendredi, 8 h - 16 hRue de la Roselière 6, 1400 Yverdon-les-BainsTél. 021 643 16 70

La BergeLieu d’accueil, du lundi au vendredi, 9 h - 16 h 30Ateliers coopératifs, du lu au ve 9 h - 12 h, 13 h 30 -16 h30Rte de Divonne 48, Centre Articom, 2e étage, 1260 NyonTél. 021 643 16 60

La riveAccueil, ateliers, animationsDu lundi au vendredi, 9 h - 12 h, 14 h - 17 hCafétéria: du lundi au vendredi, 8 h 45 - 15 h 30Rue du Mûrier 1, 1820 MontreuxTél. 021 643 16 40

ImpressumediteurGraap-Fondation

responsable du secteur editionsStéphanie Romanens-Pythoud

TranscriptionAnnelore Beck

Yvan Chèvre

Marika Delachaux

Darrel Demuth

Iannick Henchoz

Dominique Hoffer

Marie-Laure Huguenin

Filoména Pasche

Céline Ramseyer

Yann Reverchon

Adaptation des textesStéphanie Romanens-Pythoud

Joël Meylan

mise en pageJoël Meylan

CorrectionStéphanie Romanens-Pythoud

Joël Meylan

PhotosMatthieu Gigon

impressionSprint

Votre Imprimeur SA

© Tous droits réservés

Vente au numéro15 fr.UBS LausanneIBAN CH 68 0024 3243 1176 3401 K K

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Remerciements

C’est avec reconnaissance et gratitude que nous adressons ici nos remerciements aux membres du Conseil scientifique de ce congrès, ainsi qu’au Comité d’organisation.

Conseil scientifique

• Judith Bovay - Professeure HES en travail social, EESP, Lausanne

• Nadia Gaillet-Minkov - Médiatrice cantonale, Bureau cantonal médiation Santé-Handicap, Vaud

• Jean-Michel Kaision - Directeur des soins au Département de psychiatrie du CHUV

• Yasser Khazaal - Médecin-psychiatre aux HUG, président de la SSPS

• Denis Müller - Professeur d’éthique, Universités de Lausanne et de Genève

• Colette Pauchard - Professeure de droit, EESP, Lausanne

• Mélanie Peter - Professeure en travail social, Haute Ecole de travail social

du Valais

• Dominique Quiroga-Schmider - Ancienne professeure, travail social, HES-SO, Genève

• Frédéric Vuissoz - Chef de l’Office des curatelles et tutelles professionnelles (OCTP),Vaud

Comité d’organisation

• Marianne Bornicchia - Avocate, ancienne tutrice générale du canton de Vaud

• Richard Joray - Directeur du Département de l’action sociale, Graap-Fondation

• Isabelle Montavon - Secrétaire congrès, Graap-Fondation

• Madeleine Pont - Présidente du Graap-Association

• Barbara Zbinden - Coordinatrice de la Coraasp

• Jean-Pierre Zbinden - Directeur général du Graap-Fondation

Les textes de cette brochure ont fait l’objet d’une transcription sur la base des enregistrements réalisés lors des deux journées de notre congrès ou nous ont été aimablement communiqués par les intervenants. Les versions les plus longues

sont publiées ici sous forme résumée.